Texte intégral
Les Échos - 17 décembre 1996
M. Jean-François Bernardin, président de la chambre de commerce et d'industrie de Versailles-Val-d’Oise-Yvelines, qui s'en est pris, dans votre Courrier des lecteurs du 12 décembre intitulé « Loi Robien : la grande illusion », à la loi sur l'aménagement du temps de travail, me semble en retard d'une guerre. Notamment quand il invoque « un risque budgétaire pour les dépenses publiques ». Singulière attitude pour un homme d'entreprise que d'avoir pour premier argument la défense de Bercy ! Plus gravement, M. le président de la CCI de Versailles se rend-il compte du coût financier et humain que constitue le chômage qui sape notre économie ? De plus, à un coût inférieur de moitié, les emplois que les entreprises peuvent créer grâce à l'aménagement du temps de travail sont non seulement efficaces socialement, mais utiles économiquement et financièrement. Contrairement à un chômeur, un salarié c'est non seulement une allocation chômage en moins à payer pour la collectivité mais ce sont des rentrées fiscales et sociales en plus pour les comptes publics. C'est pourquoi les plus hauts représentants de l'État approuvent la loi. Y compris, bien sûr, le président de la République, qui a pourtant placé la réduction des déficits au rang de priorité nationale.
« Perte de compétitivité des entreprises » ? Que M. le président de la CCI de Versailles regarde de près l'exemple d'entreprises performantes, comme Whirlpool, qui ont décidé d'appliquer la loi. Il est clair que les entreprises d'avenir sont à la fois celles où un équilibre social est assuré par le dialogue et où la flexibilité caractérise la gestion des effectifs : deux objectifs majeurs de la loi.
« Démotivations des jeunes » ? M. le président de la CCI de Versailles doit mesurer dans toutes leurs dimensions les aspirations actuelles des jeunes qui désespèrent de se heurter au mur du chômage. Adapter le travail, c'est aussi ouvrir une brèche dans les rigidités du travail et c’est donner, au contraire, un espoir aux générations montantes. Non, notre conception de l'aménagement du temps de travail n'a rien à voir avec une vision passive et malthusienne de l’économie.
Les entreprises, qu'elles soient en difficulté ou sur des marchés porteurs, ne s'y trompent pas puisqu'elles y voient, dans les deux cas, une chance pour leur modernisation.
Sortons des vieux schémas ! M. le président de la CCI de Versailles souhaite un débat public ; qu’il lise « Les Échos » chaque jour : les Français ont déjà tranché.
Le Figaro - 20 décembre 1996
Est-il possible, pour un entrepreneur, de gagner de l'argent, de faire des gains de productivité, grâce à l'aménagement du temps de travail ? Les entreprises répondent oui. Est-il vrai que les salariés ainsi employés coûteraient moins cher à la collectivité que des chômeurs contraints à l'inactivité ? La réponse est oui.
Sur ce sujet majeur, les mentalités sont en train d'évoluer. Les Français sont aujourd'hui une large majorité à croire que l'aménagement du temps de travail est une vraie réponse au problème apparemment insoluble du chômage. Ils ont raison.
Les partenaires sociaux commencent à débattre de ce sujet, de façon pragmatique, et à trouver des terrains d'entente. Les responsables politiques y réfléchissent avec moins d'a priori que dans le passé. Ils s'aperçoivent que quelque chose de dynamique se passe, en dehors de toute idéologie, et qu'un large champ d'action est ouvert aux expériences concrètes, utiles à la fois pour les salariés, les employeurs de l'État. Une petite « révolution culturelle » est en cours. Silencieusement, le bon sens gagne des parts de marché !
Quelques arguments méritent néanmoins d'être rappelés, à l'adresse de ceux qui doutent encore de la « faisabilité » économique et de la rentabilité financière de l'aménagement du temps de travail tel que nous le concevons. Qu’on se place au niveau de l'entreprise ou de l'économie globale, force est de constater qu'il est de l'intérêt même des « producteurs de richesse » – selon la terminologie chère aux économistes libéraux – de s'engager dans cette voie.
La loi adoptée par notre majorité, le 11 juin dernier, met en effet en place un dispositif d'exonérations importantes de charges pour toute entreprise qui, réduisant le temps de travail, embauche de nouveaux salariés (système « offensif ») ou limite les licenciements (système « défense »).
La « flexibilité »
Résultat : non seulement cette avancée législative est bonne pour les salariés et les chômeurs, mais elle devient « rentable » pour l'entrepreneur, qui peut ainsi alléger ses charges sociales – une constante revendication qui devient réalité – et surtout dynamiser son entreprise, à masse salariale constante, par une nouvelle organisation du travail.
Au nom même de la fameuse flexibilité dans la gestion des effectifs, notre loi constitue un véritable progrès pour les entrepreneurs, toujours désireux de sortir des rigidités qui caractérisent le salariat en France : aménager le temps de travail c'est à l'évidence introduire de la souplesse dans l'organisation du travail et c’est répondre à une légitime préoccupation des employeurs, qui doivent effectivement pouvoir adapter leur outil de production aux fluctuations du marché.
Du point de vue de l'économie globale, comment ne pas voir le formidable gain que peut tirer la collectivité entière d'une telle démarche ? Dans les difficultés économiques et sociales que nous traversons, comment ignorer que c'est par cette relance de l'emploi que renaîtra la confiance et donc la croissance ? Car, s’engager résolument dans un tel aménagement du temps de travail « producteur d'emplois », c'est assurément changer le climat psychologique qui bloque la consommation (et donc la production), tout en améliorant les grands équilibres financiers.
Il s'agit d'avancer dans cette voie avec réalisme et pragmatisme, par le dialogue et la persuasion. Laissons les acteurs concernés, dirigeants et salariés des entreprises, appliquer à leur manière, par la négociation, le dispositif de la loi. Pas question de leur imposer une formule uniforme, qui ne répondrait pas à leurs besoins.
La loi nous apparaît triplement « libérale » ou « libératrice » : elle « libère » à la fois le chômeur (qui peut retrouver un emploi et la dignité qui l’accompagne), elle « libère » le salarié (qui peut disposer de davantage de temps pour d'autres activités) et elle « libère » l'entrepreneur (qui peut être exonéré de charges et aménager avec flexibilité le temps de travail).
Flexibilité pour l'entreprise, perspective pour les salariés, espoir pour les chômeurs : les enjeux sont majeurs et la bataille à mener doit permettre de retrouver le chemin de la croissance. C'est une question de mobilisation pour la société française tout entière.
La croissance
Oui, redynamiser les entreprises et l'économie dans sa globalité : on est loin des a priori sur le soi-disant « partage du gâteau », qui reviendrait à un « partage de la pénurie ». La loi du 11 juin renverse la problématique. Et les reproches « classiques » en deviennent dépassés. Le chômage plombe notre économie et la rigidité du travail coince les entreprises. Cela risque de déstructurer les forces vives et de gâcher les atouts de créativité qui ont fait la force de notre pays.
Progressivement, la nation a socialisé la gestion de la pauvreté – et de l’inactivité – sans pouvoir réellement résoudre le mal. Aujourd’hui, la voie d’un pragmatisme résolu s’impose : aménager avec souplesse le temps de travail en réduisant les charges salariales est l’un des moyens les plus efficaces de sortir de la crise.