Interviews de M. Michel Barnier, ministre délégué aux affaires européennes, dans "L'Est républicain" le 24 octobre 1996 et "L'Union" de Reims le 30, sur le dialogue national pour l'Europe, les critères de convergence et le passage à l'euro et sur l'aide aux régions européennes.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Forum régional à Metz (Lorraine) dans le cadre du "Dialogue national pour l'Europe" le 24 octobre 1996

Média : Journal de l'Union interparlementaire - L'Est républicain - L'Union - Presse régionale

Texte intégral

L'Est Républicain : 24 octobre 1996

L'Est Républicain : Vous venez de lancer le « Dialogue national pour l'Europe ». Est-ce pour aller à contre-courant d'une opinion qui, pour le moins, s'interroge ?

Michel Barnier : Je n'ai pas l'impression d'aller à contre-courant. Je suis même frappé par le décalage qui existe entre, d'un côté, ceux qu'on appelle « les faiseurs d'opinion », et de l'autre, les Français que je rencontre lors de mes visites en région. Les Français sont européens. Ils savent que c'est grâce à la construction européenne que nous sommes en paix depuis cinquante ans. Toutefois, beaucoup ont l'impression que l'Europe se fait dans une sorte de clandestinité, loin d'eux.

C'est précisément pourquoi, à la demande du Premier ministre, j'ai engagé le Dialogue national pour l'Europe, afin de permettre à tous de débattre librement et sereinement de l'avenir de la construction européenne. Pour l'Europe, rien n'est pire que le silence, on ne construit rien de grand dans le secret.

L'Est Républicain : Pourquoi avoir choisi le cadre régional ?

Michel Barnier : Pour que ce dialogue aille au plus près du terrain et des citoyens. Le Dialogue est animé dans chaque région par un comité régional qui rassemble les forces vives : les élus, les chefs d'entreprise, les associations et tous ceux qui font vivre et bouger leur région. De surcroît, je rappelle que les « fonds structurels », c'est-à-dire les fonds considérables que l'Union européenne consacre chaque année au développement et à l'aménagement de notre territoire, sont essentiellement gérés au niveau régional. En Lorraine, ce sont quelque 3,1 milliards de francs pour la période 1994-1999. Sans aucune exclusive vis-à-vis d'autres acteurs essentiels, comme les départements ou les communes, les régions sont l'échelon le mieux adapté à cette grande aventure du Dialogue.

L'Est Républicain : L'Europe n'apparaît-elle pas trop compliquée et affaire de spécialistes ?

Michel Barnier : C'est vrai, le langage employé par les spécialistes de l'Union européenne est compliqué et souvent ennuyeux ! Combien de Français savent ce que c'est que « la comitologie » ou la « codécision » ? Cela dit, quand les spécialistes s'emparent de quelque chose, n'importe quel domaine devient incompréhensible au profane ! Je crois qu'il faut reparler de l'Europe avec des mots simples : parler de la paix, de l'emploi, de la croissance, de l'environnement. Ce qui compte vraiment est toujours simple à dire. C'est l'un des objectifs du Dialogue.

L'Est Républicain : Comment convaincre que la monnaie unique n'a pas un coût social trop élevé ?

Michel Barnier : Je ne comprends toujours pas comment certains peuvent dire cela ! Notre pays à perdu des milliers d'emplois ces dernières années à cause des désordres monétaires qui ont affecté le fonctionnement du grand marché européen, car notre économie fait les deux tiers de ses échanges avec nos partenaires de l'Union : cela représente un emploi sur cinq environ. La seule solution, c'est de mettre fin à ces désordres en mettant en place la monnaie unique entre les pays européens. Ceux qui refusent la monnaie unique tout en se plaignant du tort causé à notre économie et à nos emplois par les dévaluations compétitives sont en pleine contradiction.

Mais, la monnaie unique ne sera pas un miracle. C'est un symbole de l'unité de l'Europe et c'est un outil pour la stabilité de nos économies. Les entreprises, l'emploi, ont besoin de cette stabilité, d'une « règle du jeu » qui ne change pas tous les trois mois.

L'Est Républicain : Au sein de la majorité, les « eurosceptiques » appartiennent avant tout à votre parti, le RPR. Est-ce à eux aussi que vous vous adressez ?

Michel Barnier : L'Europe, c'est l'affaire de tous et pas de telle ou telle formation politique. J'observe d'ailleurs que tous les partis, en France, sont divisés à propos de l'Europe. Pour ma part, j'ai toujours pensé qu'être gaulliste et européen, c'est la même chose. Le couple franco-allemand, c'est l'oeuvre de de Gaulle et d'Adenauer, de leur amitié et de leur conviction commune dans la paix et la grandeur de l'Europe. C'est un héritage qui dure depuis trente ans. Il ne faut pas avoir la mémoire courte. Le président Jacques Chirac est fidèle à cet héritage et il a aujourd'hui l'ambition de remettre l'homme au coeur de la construction européenne.


Entretien avec « L'union de Reims » 30 octobre 1996

Q. : Vous avez entrepris, depuis le début du mois, un tour des régions pour expliquer aux Français les enjeux de l'Union européenne. Qu'attendez-vous de cette campagne nationale ?

Michel Barnier : L'objectif du Dialogue national pour l'Europe est de permettre à tous de s'exprimer, de débattre et de s'informer sur ce que représente, concrètement, l'engagement de la France dans la construction européenne. J'ai, depuis longtemps, la conviction qu'on ne peut pas construire l'Europe dans le secret – certains diraient « dans le dos » des citoyens. Car pour l'Europe, rien n'est pire que le silence ou l'indifférence.

Voilà pourquoi, à la demande du Premier ministre, j'ai lancé le Dialogue national pour l'Europe à Strasbourg, le 15 octobre. Son point d'orgue sera le 9 mai 1997, journée de l'Europe. Au cours de cette période, les Français pourront s'exprimer à l'occasion de nombreuses réunions organisées dans chaque région. Tout ce qu'ils auront dit, leurs doutes, leurs certitudes, leurs inquiétudes, leurs espoirs, sera rassemblé dans une synthèse objective que je porterai à la connaissance du président de la République mais aussi du président de la Commission de Bruxelles. De Gaulle disait un jour dans une de ses célèbres conférences de presse que la construction de l'Europe est « une chose énorme, extrêmement difficile, et qui implique un acte de foi populaire ». Au fond, et depuis longtemps, l'Europe, c'est l'affaire de tous.

Q. : Peut-elle amener le gouvernement à assouplir sa position vis-à-vis des critères de convergence définis par Maastricht ?

Michel Barnier : Le Dialogue national n'est pas une campagne de propagande du gouvernement. C'est une démarche que toutes les forces vives de notre pays – élus, associations, réseaux consulaires, etc. – souhaitent mener à bien, ensemble, en se réunissant dans les comités régionaux du Dialogue. Les citoyens doivent pouvoir apprécier ce qu'apporte la construction européenne pour l'avenir de notre pays qui en est depuis longtemps un des principaux architectes. Chacun participera aux débats en toute indépendance, et chacun tirera les conclusions qu'il souhaite. Je sais que, de son côté, le président de la République est déterminé à ce que la France, entre à la date même de janvier 1999, dans la monnaie unique. Car le débat a eu lieu, et les Français l'ont tranché en approuvant par référendum la ratification du traité de l'Union européenne.

Q. : La politique économique, menée actuellement par le gouvernement, tient clairement compte des critères de convergence définis par Maastricht. Comment faut-il interpréter ces règles ?

Michel Barnier : Ne racontons pas d'histoires aux gens ! Monnaie unique ou pas, Maastricht ou pas Maastricht, les comptes de l'État, de la protection sociale, des collectivités locales parfois, doivent être assainis d'urgence. Nous ne pouvons pas continuer à vivre à crédit. Alors que les adversaires de l'Europe ne lui fassent pas « porter le chapeau », et qu'ils prennent leurs responsabilités ! Le gouvernement, lui, ne veut pas raconter d'histoires aux citoyens, il va au-devant d'eux pour leur dire que la situation est difficile et que pour s'en sortir, il faut accomplir les réformes qu'il propose. Quant aux critères de Maastricht, ce ne sont rien d'autre que des règles de bon sens : ils signifient que pour être forte, la monnaie unique devra s'interdire de retomber dans les errements et la facilité. D'où l'insistance mise sur la limitation durable des déficits ou de l'endettement. Pour que la monnaie unique soit le reflet d'économies saines, sa réalisation se fait autour de critères, qui posent des limites en matière de déficit budgétaire notamment.

Q. : Quelle Europe allez-vous promouvoir ? Celle de Maastricht rejetée par une bonne moitié des Français ou celle d'une Europe plus sociale revendiquée par une partie de la majorité et la gauche ?

Michel Barnier : S'agissant de Maastricht, j'observe seulement que ce traité a précisément mis en place, malgré l'opposition de la Grande-Bretagne, un protocole social. C'est une avancée importante mais pas suffisante dans ce domaine. Il aurait fallu pouvoir aller bien plus loin, nous proposons de le faire maintenant. En mars dernier, le président de la République a ainsi présenté à nos partenaires européens un « mémorandum pour un modèle social européen » qui va dans ce sens. Entre Européens, nous devons approfondir les valeurs communes qui nous réunissent : système de protection sociale, garanties des salariés, etc. Il faut dire non au « dumping social ». L'Europe ne recevra pas l'adhésion populaire qu'elle mérite si elle n'affirme pas la prééminence de ce modèle social.

Q. : Faut-il revoir le calendrier de l'Union économique et monétaire tel qu'il a été réaffirmé lors des derniers sommets européens ?

Michel Barnier : Non, le calendrier de réalisation de la monnaie unique est clair, et il a été réaffirmé à chaque Conseil européen, notamment celui de Madrid, en décembre 1995. Au printemps 1998 seront désignés les États qui respectent les critères pour passer à la monnaie unique. Le 1er janvier 1999, la monnaie unique sera créée, et certains agents économiques auront, d'ores et déjà, la faculté d'utiliser l'euro. Enfin, le 1er janvier 2002, les pièces et les billets en euro seront mis en circulation dans la poche de chacun et de chacune. Il nous reste donc un peu plus de cinq ans pour nous y préparer de manière simple, concrète, pratique. Cinq ans, c'est après-demain !