Interview de M. François Hollande, porte-parole du PS, dans "Le Nouvel Observateur" du 5 décembre 1996, sur l'hostilité du PS à la création des fonds de pension.

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Média : Le Nouvel Observateur

Texte intégral

Le Nouvel Observateur : Le Parti socialiste est hostile à la création de fonds de pension. Pourquoi ?

François Hollande : C'est un problème de justice sociale. Cette loi sur les fonds de pension ne prépare pas du tout les retraites de demain. Il s'agit purement et simplement de la création d'un nouveau produit financier, avec avantage fiscal à la clé, destiné aux épargnants les plus favorisés. Autant un débat sur l'avenir des retraites me paraît légitime dans notre pays, autant la création d'une nouvelle niche fiscale pour cette catégorie de la population me paraît condamnable. C'est aussi un problème de justice fiscale puisqu'il met en cause la progressivité de l'impôt. Enfin, on nous dit que les fonds de pension vont collecter entre 30 et 40 milliards de francs. Ce n'est pas une solution au regard des besoins, et c'est dix fois moins que ce que draine l'assurance vie.

Le Nouvel Observateur : Ce projet est passé en catimini. On n’a pas beaucoup entendu les critiques de la gauche, ni celles des syndicats d'ailleurs, lorsqu'il a été adopté par l'Assemblée nationale…

François Hollande : C'est précisément parce que, comme les syndicats, nous n'avons pas vu dans ce texte l'ombre d'un mécanisme qui aurait un effet quelconque sur les retraites, mais un nouveau produit financier.

Le Nouvel Observateur : Selon les sondages, 54 % des électeurs socialistes y sont pourtant favorable…

François Hollande : C'est parce qu'ils sont inquiets, et ils ont raison de l’être. Mais je le répète, ces fonds de pension sont une nouvelle mystification, un nouveau leurre ! J'ajoute qu'ils vont avoir un effet pervers sur les négociations salariales. N'importe quel chef d'entreprise pourra dire à ses salariés : « Au lieu de vous augmenter tout de suite, je mets de l'argent sur ce nouveau produit. Et moi, ça m'arrange parce que mes charges sociales n’augmentent pas. » C'est une erreur économique, au moment où il faudrait relancer le pouvoir d’achat.

Le Nouvel Observateur : Vous ne pouvez pourtant pas nier qu’à l’horizon de 2005 le problème des retraites sera clairement posé et qu'il faudrait doubler les cotisations pour maintenir les pensions à un bon niveau !

François Hollande : Bien sûr que non. Mais il faut prendre des mesures dans le cadre du système de répartition. On peut augmenter le taux des cotisations. Ce n'est jamais facile, mais c'est cela la solidarité. On peut jouer sur le montant des retraites. Nous proposons le maintien de leur pouvoir d'achat. Mais surtout, et c'est cette solution qui est en notre faveur, il faut jouer sur l'emploi. C'est en luttant implacablement contre le chômage, en trouvant la meilleure façon de redonner un travail à un maximum de français, en créant des emplois et en réduisant le temps de travail, bref, en retrouvant la croissance que nous trouverons des recettes financières nouvelles. Les piliers du maintien du système de répartition, ils sont là. Recourir à la capitalisation, c'est avouer que le chômage continuera d'augmenter et que les salariés les plus favorisés pourront se constituer de bonne retraite sur le dos des plus faibles. Vous dites qu'il faudrait doubler les cotisations, mais parce que vous pensez que la situation économique continuera de se dégrader. Soyons dynamiques ! Et puis, pourquoi toujours raisonner en termes de hausse de cotisation pour les seuls salariés ? On pourrait aussi taxer le capital économique, les machines notamment !

Le Nouvel Observateur : La croissance, si elle arrive, ne résoudra peut-être pas tout.

François Hollande : Il faut consolider les régimes de retraite complémentaire, constituer des formes d'épargne collective où les employeurs prennent leurs responsabilités et où les salariés décident collectivement de leur avenir. Mais pour cela il faut négocier. Or, aujourd'hui, ce qui fait défaut, c'est l'absence de discussions. C'est pour cela que le Parti socialiste propose, si nous gagnons les élections législatives, une grande négociation salariale. On pourra tout mettre sur la table : les augmentations de salaire immédiates, la réduction du temps de travail et la question du salaire différé.

Le Nouvel Observateur : Craignez-vous qu'un jour la protection sociale soit privatisée ?

François Hollande : Les fonds de pension portent en eux les germes d'une privatisation de la préparation à la retraite. Et quand on entend M. Bébéar, le patron d’Axa, annoncer qu'il a un projet de sécurité sociale privée, on doit faire preuve, au minimum, d'une vigilance active. C'est une sécurité sociale parallèle qui se met en place, pour le plus grand bien des assureurs privés.

Le Nouvel Observateur : Si vous revenez au pouvoir, vous supprimez ces fonds de pension ?

François Hollande : Sur l'assurance vie nous plafonnerons les exonérations fiscales à laquelle elle donne lieu dans le cadre des successions et nous soumettrons les revenus financiers au prélèvement forfaitaire. Quant aux fonds de pension, nous supprimerons l'avantage fiscal auquel il donne droit. Et nous verrons bien ce qu'ils deviennent…

Le Nouvel Observateur : Est-ce qu'il n'est pas contradictoire de mettre aujourd'hui de plus en plus de salariés en préretraite dans le cadre de plans sociaux, quand on sait que ces préretraites sont largement financées par la collectivité ?

François Hollande : Partir plus tôt à la retraite peut être utile, si cela permet de créer un emploi pour un jeune qui cotisera tout au long de sa vie active. Mais si il n'y a pas de contrepartie en termes d'emplois, c'est tirer un trait sur les générations à venir.