Texte intégral
M. FIELD : Dans un instant, « Public » reçoit Philippe Séguin, le président du RPR. Nous analyserons avec lui l’actualité de la semaine, marquée notamment par les derniers rebondissements de la crise irakienne. Et puis la politique française marquée évidemment par le début du débat sur les élections régionales, l’entreprise de rénovation du RPR, la place de Philippe Séguin dans cette rénovation du mouvement gaulliste. Bref, beaucoup de thèmes à aborder avec le président du RPR. C’est dans un instant, c’est en direct et c’est « Public ».
M. FIELD : Bonsoir à toutes, bonsoir à tous. Merci de rejoindre « Public ».
Philippe Séguin, merci d’avoir accepté notre invitation. C’est au président du RPR que je vais m’adresser tout au long de cette émission, à la fois en politique nationale, savoir un petit peu quelle stratégie va être la vôtre pour ces élections cantonales et l’échéance des régionales. Et puis aussi l’actualité internationale marquée évidemment par les soubresauts en Irak et ce qui s’y passe au moment même où nous parlons. Cela constituera le début de l’émission.
Vous aurez droit à votre portrait, forcément, qui ouvrira la deuxième partie de l’émission. Et puis nous parlerons un petit peu de cette entreprise de rénovation que vous avez commencée du mouvement gaulliste. Et puis plein de petites questions annexes auxquelles, j’espère, vous répondrez de bon cœur.
Voilà, on se quitte tout de suite pour une page de pub. Et on se retrouve après.
M. FIELD : Retour sur le plateau de « Public » en compagnie de Philippe Séguin, le président du RPR.
À l’heure où nous parlons, il y a reprise des pourparlers entre Kofi Annan, le secrétaire général des Nations unies, et Tarek Aziz, le vice Premier ministre irakien, après des entretiens directement avec Saddam Hussein dont les observateurs notent qu’ils se seraient plutôt bien passés. En tout cas, l’optimisme est de rigueur à Bagdad, ce qui veut dire, par voie de conséquence, que la perspective d’une frappe américaine s’éloigne, en tout cas, avec toutes les réserves d’usage. Si ces informations étaient confirmées, ce serait un ouf de soulagement pour vous ?
M. SEGUIN : C’est une très bonne nouvelle. Il faut encore savoir quelle va être la réaction des États-Unis ? Cela pose d’ailleurs un vrai problème de fond, au-delà du problème immédiat auquel nous sommes confrontés. Mais enfin c’est vrai que l’heure est plutôt à l’optimisme. Une intervention militaire ne réglerait strictement rien. On voit tous les inconvénients qu’elle aurait, des milliers de morts innocents, un encouragement au mouvement islamique, une déstabilisation de la région qui est déjà fortement troublée. Tout doit être entrepris pour l’éviter. Et je me réjouis à cet égard du rôle qu’a joué la France dans ce contexte, en particulier du président de la République qui a été en première ligne tout au long de cette affaire. Et je crois savoir que ce sont ses propositions qui ont servi de base aux négociations entre le secrétaire général de I’ONU et Saddam Hussein.
M. FIELD : Il n’y a, sur ce point, pas grande différence entre la position du président de la République et celle du gouvernement, du Premier ministre et du ministre des Affaires étrangères…
M. SEGUIN : … je pense, oui. Et je m’en réjouis dans le cas d’espèce. Je m’en réjouis beaucoup.
M. FIEDL : Charles Pasqua disait, il y a un moment, que l’Europe a fait une nouvelle fois la preuve de son inexistence sur cette question-là. C’est votre sentiment également ?
M. SEGUIN : Ce qui est certain, c’est qu’elle a été divisée puisque la Grande-Bretagne qui assure actuellement la présidence s’est alignée, sans d’ailleurs prendre la précaution, semble-t-il, de consulter qui que ce soit, sur la position américaine. Les Allemands ont fait une démarche qui y ressemble fortement. Il est dommage effectivement qu’on ne soit pas arrivés à une position commune sur ce dossier.
M. FIELD : Est-ce que rétrospectivement cela n’incite pas à redéfinir un petit peu ce qui s’était passé au moment de la guerre du Golfe ? Finalement, les États-Unis avaient la même attitude, sauf que, là, il y avait unanimité du monde occidental et de l’ONU, c’est-à-dire qu’il y avait une sorte de couverture officielle de I’ONU.
M. SEGUIN : Le fond de l’affaire est de savoir si l’ordre mondial est garanti par les Nations unies ou par les États-Unis ?
M. FIELD : À votre avis ?
M. SEGUIN : Eh bien, il y a problème actuellement. On s’est sorti d’un monde bipolaire, ce n’est pas pour rentrer, me semble-t-il, dans un monde monopolaire. C’est plutôt pour aller vers un monde multipolaire. Et, à cet égard, l’Europe aura un rôle à jouer si elle le souhaite. Mais tout l’enjeu du débat européen, en fait – et on peut remonter à Maastricht d’ailleurs –, c’est de savoir si l’Europe, oui ou non, souhaite être une puissance, avoir des choses à dire, avoir un modèle social, économique à défendre, ou si elle est seulement un terrain de manœuvre pour la super puissance. C’est cela l’enjeu.
M. FIELD : On reviendra évidemment sur l’Europe et le problème de construction européenne. Je vous propose de regarder un sujet de télévision étrangère, c’est Antena 3, une chaîne espagnole, madrilène, qui a traité de la situation en Irak et, notamment, au moment où les visites officielles se multipliaient à Paris en début de semaine.
La France vue par la télé espagnole :
« JOURNALISTE : Utiles, constructives et sincères, c’est ainsi que le chef de la diplomatie irakienne a qualifié, ce soir, ses conversations avec le Président français, Jacques Chirac, et son ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine.
Déclarations positives qui prennent acte de l’ouverture des autorités irakiennes pour les conditions d’inspection du personnel de l’ONU sur les sites présidentiels. La France est d’accord avec l’Irak pour dire que ces intentions doivent préserver la dignité et la souveraineté du peuple irakien, mais insiste sur le fait qu’à son tour Bagdad doit respecter les résolutions de l’ONU car, comme le dit Chirac, le temps presse.
La diplomatie française ne fera pas de miracle à propos de ce conflit, mais elle est au moins écoutée et le gouvernement de Bagdad voit d’un bon œil les tentatives du Président français, Jacques Chirac, de s’opposer d’une manière énergique à une attaque américaine.
Le rejet de l’usage de la force et la volonté des négociations se concrétisent aussi pour la France par la prochaine visite à Bagdad du secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, une fois obtenu l’accord du conseil de sécurité ».
M. FIELD : Hubert Védrine soulignait que « six ans d’action diplomatique » avaient fait plus pour réduire la panoplie militaire irakienne que l’action « tempête du désert ». Vous souscrivez à cette analyse ?
M. SEGUIN : Sûrement ! Les chiffres sont là. On a plus détruit d’armes nucléaires, bactériologiques ou chimiques pendant les six dernières années que pendant l’opération « tempête du désert ». Ce qui démontre que la diplomatie donne finalement, dans le cas d’espèce, de meilleurs résultats que l’action militaire.
M. FIELD : Comment comprenez-vous cette fixation américaine sur l’Irak ?
M. SEGUIN : Je ne veux pas faire de procès d’intention, mais enfin on a parfois l’impression que les États-Unis se comportent comme l’Iran, il y a quelques années, au détriment des États-Unis d’ailleurs, ils avaient besoin, vous vous en souvenez, d’un grand Satan. Alors, là, le grand Satan, c’est Saddam Hussein. Mais il y a probablement autre chose ! Il y a aussi une certaine réticence, une certaine méfiance vis-à-vis de l’Organisation des Nations unies. Moi, j’ai été très frappé pendant toute la campagne électorale américaine, qui a conduit à la réélection du Président Clinton, par la contestation de l’idée même que des forces américaines puissent être placées sous un commandement qui ne serait pas américain.
M. FIELD : La définition même de l’ONU.
M. SEGUIN : C’est la définition même de l’ONU. Et l’ONU finalement, quand on y réfléchit bien, a été voulue par les Américains. Elle est elle-même venue à la suite de la S.D.N. qui avait été voulue, du moins à l’origine, puisqu’ils n’ont pas ratifié le Traité de Versailles, par les Américains.
Il est regrettable que les Américains aient rompu, semble-t-il, avec une approche qui a été la leur pendant plusieurs décennies.
M. FIELD : On évoquait l’Europe tout à l’heure. Il y a eu une polémique tous ces jours-ci sur un autre aspect de l’Europe, c’est l’accord multinational sur l’investissement, l’A.M.I. Cela me faisait réfléchir sur votre position ou sur vos positions concernant l’Europe, avec une sorte d’ambivalence, d’ailleurs même dans votre biographie puisque je crois que vous avez eu une excellente note à Sciences-Po, c’est ce qui vous a permis d’être major, vous avez eu 19 à votre dissertation sur la construction européenne, mythe ou réalité ? Vous en parlez volontiers. Vous parlez moins volontiers de la note que vous avez eue à l’écrit de l’ENA, c’était seulement 5, sur la communauté économique européenne et l’ordre juridique français. Je me dis que, entre les deux, il y a un peu toute votre ambivalence sur l’Europe.
M. SEGUIN : Cela résume très bien ma position, car dans mon écrit de l’ENA j’ai défendu l’idée que la souveraineté nationale était absolument inaliénable.
M. FIELD : 5 sur 20 ! Ce n’est pas cher payé !
M. SEGUIN : Oui, mais je suis tombé sur des correcteurs qui, visiblement, n’avaient pas cette façon de voir.
L’idée est que la souveraineté nationale est inaliénable, mais nous acceptons de l’exercer en commun, de l’exercer collectivement, dans un certain nombre de matières ou il apparaît que mettre ses compétences en commun se traduit par un plus pour le citoyen. Par ailleurs, nous souhaitons que l’Europe se donne pour objectif de jouer un rôle autonome dans le monde. C’est cela le point crucial. C’est-à-dire qu’un jour elle assure sa propre sécurité, donc qu’elle ait les moyens de s’exprimer, de défendre ses intérêts et de défendre sa vision de l’organisation du monde. Si elle n’est qu’une annexe de la super puissance, l’objectif a beaucoup moins d’intérêt à mes yeux.
M. FIELD : Beaucoup de gens avaient été sensibles à la campagne que vous aviez menée au moment du référendum de Maastricht…
M. SEGUIN : … 49 %…
M. FIELD : … et dans ces 49 % – cela vous fait rire, mais ce que je vais vous dire va vous mettre en colère –, il y en a beaucoup qui ont l’impression que vous avez mangé votre chapeau…
M. SEGUIN : Pas du tout !
M. FIELD : … et que, finalement, pour prendre la tête du RPR, vous avez dû mettre un petit peu votre couteau dans la poche.
M. SEGUIN : Pas du tout ! Vous pourriez faire la même remarque au sujet de mon attitude au moment du Mouvement des Rénovateurs ou en d’autres circonstances. Moi, je défends mes convictions, mais par ailleurs j’accepte la décision démocratique. Qui serais-je si – après que le référendum sur Maastricht s’est traduit par une majorité pour le « oui » – je n’acceptais pas la décision ? Donc, je me réinscris dans le contexte nouveau qui est créé.
M. FIELD : Et vous pourriez être plus offensif sur le Traité d’Amsterdam…
M. SEGUIN : … je reste extrêmement offensif. Vous pourrez me parler tout à l’heure de « Munich » social, peut-être ! Qu’ai-je dit ? Qu’une monnaie en tout état de cause, fût-elle unique, n’était pas une fin en soi. Elle était un moyen au service d’objectifs et d’objectifs politiques.
Je suis toujours très étonné qu’on me reproche d’avoir accepté le verdict des urnes ! C’est cela la démocratie. Ce n’est pas que cela m’ait fait plaisir, c’est la démocratie. D’ailleurs, il m’arrive d’être en désaccord total avec la politique fiscale du gouvernement, cela ne m’empêche pas d’aller payer mes impôts.
M. FIELD : L’accord multilatéral sur l’investissement, l’A.M.I., c’est pour vous un casus belli ?
M. SEGUIN : Ah ! Oui, un casus belli.
M. FIELD : C’est-à-dire, finalement, cet accord qui donne tous les droits aux firmes multinationales.
M. SEGUIN : Là encore, vous me gênez parce que vous prenez quelques exemples où ma position diffère peu. La position du RPR diffère peu de celle qui est affichée par le gouvernement. Encore qu’il faudra qu’il mette ses actes…
M. FIELD : Attendez ! On a le reste de l’émission pour vous laisser redevenir l’opposant que vous êtes.
M. SEGUIN : … ses actes en accord avec ses paroles.
Non, ce que nous refusons dans la mondialisation, c’est l’uniformisation. Donc, nous acceptons bien volontiers l’idée selon laquelle la culture, le cinéma en particulier, puisque c’est lui qui se retrouve en première ligne, n’est pas une marchandise comme une autre. Donc, oui aux investissements étrangers chez nous, oui à nos investissements l’étranger, mais en aucun cas nous ne pouvons accepter de remettre en cause l’existence d’un système d’aide au cinéma qui assurait la survie d’un cinéma français. Il n’y a qu’à aller voir, en Angleterre ou en Italie, ce qui s’est passé faute d’un système de ce genre.
M. FIELD : Mais plus généralement ce système qui voudrait que les firmes puissent attaquer les États s’ils s’estiment lésés, justement, ou discriminés dans les investissements, certains y voient le spectre d’une…
M. SEGUIN : C’est tout l’enjeu de la mondialisation. Il faut accepter la mondialisation, en tirer un certain nombre de conséquences, mais pour autant il faut la maîtriser et l’organiser. Parce que dans la mondialisation ce qu’on oublie trop souvent, c’est que le but ultime de tout cela, c’est le bonheur des gens. Or, nous sommes dans une autre logique et nous en arrivons à confondre les moyens et la fin. C’est la raison pour laquelle d’ailleurs, dans le projet du RPR, une place très importante est faite à la mondialisation et à la nécessité de la maîtriser, de créer un nouveau système monétaire international, de prélever une taxe sur les mouvements de capitaux pour leur rendre une certaine rationalité et, en règle générale, pour faire en sorte que les pouvoirs démocratiques puissent à nouveau s’exprimer face aux marchés.
M. FIELD : Vous faites alliance pour les régionales avec des forces politiques qui sont très loin de ces conceptions-là et qui sont beaucoup plus…
M. SEGUIN : … à qui faites-vous allusion ?
M. FIELD : À vos camarades, amis de l’UDF qui sont beaucoup plus libéraux et qui voient cette construction européenne d’une façon dynamique.
M. SEGUIN : Je crois très sincèrement qu’il y a, au sein de I’UDF, des gens qui, sur l’affaire européenne, sont très proches des quelques principes que j’ai rappelés. C’est le cas en particulier du Président Valéry Giscard d’Estaing qui est une bonne référence. Après tout, il a fondé I’UDF.
M. FIELD : Oui, mais Alain Madelin, moins.
M. SEGUIN : Non, je ne suis pas d’accord avec vous. D’ailleurs, sur Maastricht, il n’avait pas eu une position d’un enthousiasme fort et sur la monnaie européenne, il a su parfois prendre ses distances avec certains éléments du processus.
M. FIELD : Donc, toute l’Opposition est unie sur vos positions ?
M. SEGUIN : L’Opposition est diverse…
M. FIELD : … elle est plurielle…
M. SEGUIN : … on ne va pas lui reprocher ! On s’extasie devant la pluralité de la majorité, je crois très sincèrement qu’il y a moins de différences au sein de l’opposition qu’il n’y en a au sein de la majorité.
M. FIELD : Je vous propose de voir le reste de l’actualité de la semaine avec L’ÉDITO de « Public », concocté par Julie Cléo.
L’ÉDITO :
ALGERIE / Tragique statu quo
LEGION D’HONNEUR / une grande dame
INTERNET / délires nazis
LE PEN / violence
ELECTIONS / coup d’envoi
M. FIELD : On reviendra sur les élections pendant toute la deuxième partie de l’émission. Mais c’est une façon d’envoyer un petit signe au Président ? Vous séduisez la femme, si j’ose dire, pour mieux…
M. SEGUIN : … je n’ai rien organisé, c’est Bernadette Chirac qui m’a reçu à Tulle. J’ai été bien reçu.
M. FIELD : On verra tout à l’heure le poids des régionales dans votre emploi du temps de ces jours-ci. On va peut-être revenir sur un certain nombre de thèmes de cet ÉDITO, notamment l’Algérie.
Les visites se multiplient. Il y avait la délégation parlementaire européenne dont on a vu le peu de résultats. Là, il y a cette visite de Jack Lang…
M. SEGUIN : Peu de résultats !… Quels résultats vous vouliez ?
M. FIELD : Ne pas forcément répondre aux oukazes du pouvoir algérien qui interdit de voir les dirigeants du FIS…
M. SEGUIN : … Monsieur Field, il faut cesser de renvoyer en Algérie, dos à dos, le gouvernement algérien et la barbarie. C’est profondément injuste. Le système politique algérien n’est peut-être pas parfait ! Je n’en connais d’ailleurs pas de parfait dans le monde. Ce que je constate, c’est qu’il y a eu un effort incontestable de démocratisation en Algérie. De l’autre côté, il y a des gens qui ne livrent pas une guerre civile. Il y a des gens qui procèdent à des exactions d’une atrocité sans précédent. Alors, on ne peut pas dire qu’il y a un conflit entre le gouvernement et ces gens-là, il y a un conflit entre ces gens-là et l’ensemble des Algériens.
C’est la raison pour laquelle, quitte à vous surprendre encore, je me réjouis de la visite du président de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, je me réjouis aussi des positions de Monsieur Védrine. J’observe qu’il n’y a pas toujours une totale adéquation entre les positions du Premier ministre et les positions de son ministre des Affaires étrangères. Mais les bonnes positions sont celles du ministre des Affaires étrangères, pas celles de Monsieur Jospin.
M. FIELD : En même temps, c’est bien le pouvoir algérien qui refuse obstinément une commission d’enquête qui pourrait être faite et qui est réclamée par des organisations humanitaires. Parce que c’est aussi l’armée algérienne qui ne fait pas son travail dans la protection des populations.
M. SEGUIN : Comment pouvez-vous dire une chose pareille, Monsieur Field ?
M. FIELD : Parce qu’il y a des massacres toutes les semaines.
M. SEGUIN : Mais comment pouvez-vous dire une chose pareille ? Il y a combien ? 80 000 soldats algériens. Nous en avons eu 500 000 en Algérie, qu’avons-nous fait ? Avons-nous empêché les attentats ? Nous n’avons rien empêché du tout. Nous étions 500 000. Non, c’est profondément injuste et cela ne fait pas avancer les choses que d’avoir cette approche.
M. FIELD : Donc, vous êtes sur une ligne de soutien critique au pouvoir algérien ? Enfin, de soutien au pouvoir algérien…
M. SEGUIN : … une ligne de soutien. S’il souhaite une aide pour venir à bout de ces exactions, il faut que nous lui apportions. Et surtout que nous soyons respectueux de la dignité des Algériens, de la dignité du peuple algérien. Alors, parler de commission d’enquête, comme s’il s’agissait de gens qui n’ont pas un pays, qui n’ont pas un État…
M. FIELD : … non, mais que des organisations humanitaires, comme la Croix-Rouge, puissent faire leur travail, par exemple.
M. SEGUIN : Non, mais attendez ! Cela est autre chose…
M. FIELD : … c’est autre chose, mais c’est lié.
M. SEGUIN : S’ils ont besoin des organisations humanitaires, je ne doute pas un instant qu’ils feront appel à ces organisations. Dans l’immédiat, je ne vois pas en quoi d’autres que les Algériens auraient à traiter de ce problème. Je ne vois pas au nom de quoi le Parlement européen viendrait se substituer aux Algériens, à leurs élus et à leur gouvernement, pour décider à leur place. Cela est totalement inacceptable.
M. FIELD : On parlait d’ingérence humanitaire à un moment donné.
M. SEGUIN : Eh bien, dans le cas de l’Algérie, encore moins que dans d’autres pays, il ne faut en parler. Nous avons une relation passionnelle avec l’Algérie. Nous avons une relation passionnelle, une relation d’amour-haine. Il faut être extraordinairement attentif à la façon dont nous nous exprimons. Il faut être extrêmement prudent. Et il faut souhaiter que le gouvernement algérien vienne à bout de ces exactions.
M. FIELD : Un commentaire sur le procès de Jean-Marie Le Pen et les réquisitoires du Parquet ?
M. SEGUIN : On est en plein procès…
M. FIELD : On ne peut pas le commenter.
M. SEGUIN : … on ne commente pas les décisions de justice, alors a fortiori les réquisitions. Ce qui est certain, c’est que le Front national entretient un climat d’affrontements, un climat de violence qui est absolument insupportable. Je ne crois pas que la bonne façon d’y mettre un terme soit d’organiser des contre-manifestations qui lui permettent ainsi de rebondir et de se faire de la publicité. Laissons les juges décider. Cela étant, moi, j’aimerais être sûr que tout ce qui se passe actuellement ne se traduira pas par des gains du Front national.
M. FIELD : Vous en doutez ?
M. SEGUIN : Hélas !
M. FIELD : On se retrouve après une page de pub et puis nous entamerons la suite du débat, notamment sur les élections régionales et la rénovation du RPR.
À tout de suite.
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M. FIELD : Retour à PUBLIC, en compagnie de Philippe Séguin, le président du RPR. Avant de passer à votre portrait, juste une réaction sur le sondage I.F.O.P. Journal du Dimanche qui fait un petit peu le baromètre de popularité du président de la République et du Premier ministre. Et, là, stupeur, les deux sont en hausse significative :
+ 9 % pour Jacques Chirac ;
+ 8 % pour Lionel Jospin.
– avec 54 % de satisfaits ou de très satisfaits pour le président de la République ;
– 50 % pour le Premier ministre.
– 33 % de mécontents ou de très mécontents pour le président de la République ;
– 38 % pour le Premier ministre.
Comment comprenez-vous cette embellie, vous qui dites et ne cessez de répéter que la cohabitation est un système déplorable ? Finalement, les Français ont l’air de beaucoup l’apprécier ?
M. SEGUIN : Non. Je crois que c’est lié aux circonstances. Ne serait-ce, d’ailleurs, que parce que ce résultat est très différent de celui du résultat…
M. FIELD : … précédent.
M. SEGUIN : … de celui du mois précédent.
Non, il s’est passé deux évènements qui font que les Français éprouvent le sentiment de se réunir auprès de ceux qui les représentent, quel que soit leur engagement politique, c’est l’affaire de Corse et c’est l’affaire irakienne. Et je crois que les deux expliquent ce phénomène.
M. FIELD : Alors, pourquoi portez-vous un jugement si critique sur la cohabitation alors que, finalement, les Français la vivent plutôt comme, peut-être, l’incarnation d’un fantasme d’unité nationale ou d’union nationale ?
M. SEGUIN : Vous avez fait la réponse à ma place, c’est un fantasme d’union nationale. Mais ce n’est pas l’union nationale. Ce n’est pas du tout l’union nationale. Et notre pays n’a pas l’efficacité qu’il aurait, si nous n’étions pas en système de cohabitation. Ce n’est pas un bon système.
M. FIELD : Comment allez-vous persuader les Français d’entreprendre un désamour de cette forme de politique qu’ils semblent apprécier ?
M. SEGUIN : Le temps sera le meilleur des alliés.
M. FIELD : Cela veut dire que vous jouez la crise entre les deux ?
M. SEGUIN : Non, non, je ne joue absolument pas la crise. Mais un jour reviendra où, les Français se rendront compte que leurs institutions n’ont pas été faites dans cette perspective…
M. FIELD : … peut-être que ça leur donnera l’idée de changer d’institutions ?
M. SEGUIN : C’est possible. Encore que je ne pense pas qu’il s’agisse là d’une priorité. Mais avoir un président de la République et un Premier ministre qui ont été élus, l’un directement et l’autre indirectement, enfin mis en place indirectement, sur des options radicalement différentes, ce n’est pas un bon système, Même si l’un et l’autre cherchent à s’en accommoder dans l’intérêt national.
M. FIELD : Ne faudrait-il pas trouver des moyens pour présidentialiser davantage la constitution ou faire coïncider les élections législatives et les élections présidentielles ?
M. SEGUIN : C’est une possibilité. Cela étant, comme vous l’avez fort bien dit : si l’on fait coïncider les élections législatives et les élections présidentielles, et si l’on fait coïncider les deux mandats, il faut aller jusqu’au bout de la logique et changer radicalement de régime. Si vous changez de régime, vous entrez dans un système à l’américaine. Cela s’est déjà vu en France. Cela a mal fini. Un coup d’État le 2 décembre 1851.
M. FIELD : Vous êtes l’un des spécialistes, puisque vous avez écrit une biographie de Louis-Napoléon le Grand qui était paru chez Grasset.
M. SEGUIN : C’était vraiment tout à fait involontaire.
M. FIELD : D’ailleurs, dans ce livre-là, y a une phrase concernant Louis-Napoléon Bonaparte : « II voyait trop loin… »
M SEGUIN : … Je suis heureux de vous avoir ménagé la transition.
M. FIELD : … trop grand et surtout trop tôt. C’est autobiographique ?
M. SEGUIN : Non, non, ce n’est pas du tout autobiographique. Et cela étant, c’est vrai que beaucoup de gens n’ont pas eu la réussite escomptée et la popularité qu’ils méritaient de leur temps, parce qu’ils avaient été des visionnaires et parce qu’ils avaient anticipé. Mais ils avaient bien servi leur pays.
M. FIELD : Mais est-ce par cet intérêt ou fascination que le bonapartisme exerce sur vous…
M. SEGUIN : Ce n’est pas une fascination.
M. FIELD : … que c’est l’une des dimensions de votre engagement gaulliste ? René Rémond, par exemple, disait : « La droite bonapartiste se retrouve dans le gaullisme »…
M. SEGUIN : Oui, oui, mais enfin, entre le bonapartisme du siècle dernier et le gaullisme d’aujourd’hui, il y a quand même de singulières différences. En particulier…
M. FIELD : Justement, je suis content que vous soyez en face de moi : c’est quoi le gaullisme aujourd’hui ?
M. SEGUIN : Le gaullisme aujourd’hui, ce sont quelques principes extrêmement simples : c’est, si vous voulez, la volonté d’être, dans la phrase, le sujet et non pas le complément d’objet, fût-il direct ou indirect. C’est la volonté de reconnaître à chacun la possibilité de peser sur son destin, sur son destin individuel et de participer à la définition de son destin collectif. Et tout le reste s’explique : c’est le non du 18 juin 1940, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la participation. Je pourrais ainsi décliner. C’est cela le titre principal du gaullisme.
Ensuite, c’est une méthode politique fondée sur l’idée de rassemblement, c’est-à-dire tout en reconnaissant la légitimité des partis, le choix d’une autre démarche que les partis.
Le mouvement politique gaulliste cherche à représenter la société française dans toute sa diversité, dans toutes ses contradictions. Il se refuse à être un parti, c’est-à-dire à prendre le risque de ne représenter que des catégories ou des intérêts. Et il cherche, si j’ose dire, à faire la synthèse entre les aspirations éventuellement contradictoires des uns et des autres, dans l’intérêt général, donc à dégager l’intérêt général, avant d’exercer la responsabilité. Alors que, sinon, les partis vont procéder au compromis au moment où ils seront à la responsabilité, ce qui sera une perte d’efficacité.
M. FIELD : Donc, c’est beaucoup plus fatigant d’être président d’un rassemblement que d’être responsable d’un parti ?
M. SEGUIN : Il n’y a pas de doute ! Il faut faire en sorte que les uns et les autres acceptent de vivre ensemble, acceptent de dialoguer, acceptent d’échanger et acceptent de trouver ensemble ce qui est l’intérêt général, au-delà de leurs approches spontanées.
M. FIELD : On va retrouver les étapes de cet engagement gaulliste dans le portrait que vous a préparé Laurent Macless, avec la voix de Muriel Fleury.
PORTRAIT
M. FIELD : Quelques réactions à ce portrait ?
M. SEGUIN : Je me demandais quand j’avais pu dire l’expérience montre que l’on prend toujours le train en marche. C’est un discours sur les rapports de l’Angleterre et de l’Europe. Donc, cela n’a rien à voir !
M. FIELD : Montage fabuleux ! Illustration, mais, bon, c’est la loi du genre.
En revanche, pour redevenir plus sérieux sur le RPR, on a quand même beaucoup glosé sur cette sorte de réconciliation de gens qui s’étaient opposés vraiment très fort, et c’était votre cas par rapport à Édouard Balladur et à Nicolas Sarkozy. Et l’on a quand même le sentiment que l’on a du mal encore à trouver cet attelage extrêmement crédible ?
M. SEGUIN : Merci de donner la mesure de mon mérite. Mais c’est vrai que cette réconciliation s’est faite après que nous ayons craint, au lendemain du 1er juin, un éclatement du mouvement gaulliste. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité, à l’époque, en prendre la tête. Je n’avais pas d’autre ambition que celle-là, c’était d’éviter une cassure qui aurait été préjudiciable pour ces idées que j’ai rappelées et préjudiciable, je crois aussi, pour l’ensemble du débat démocratique en France.
J’ai essayé de faire en sorte que les uns et les autres se reparlent. C’est vrai que l’on avait connu des années difficiles avec ce paroxysme de l’élection présidentielle de 1995 avec cette division…
M. FIELD : … Je ne vais pas vous rappeler les formules que vous aviez à l’égard d’Édouard Balladur, mais vous n’y étiez pas allé de main morte dans la bataille électorale ?
M. SEGUIN : Non, ce n’est pas la peine de me les rappeler, je m’en souviens parfaitement.
M. FIELD : C’était assez drôle d’ailleurs souvent…
M. SEGUIN : Cela m’arrive !
M. FIELD : … enfin, peut-être pas pour lui !
M. SEGUIN : Non, mais, enfin, quand on est dans une compétition, on joue le ballon, pour reprendre les comparaisons.
Non, mais cette réconciliation, je crois très sincèrement qu’elle est faite. Et nous avons réussi à nous mettre d’accord sur un certain nombre de textes, en particulier sur un projet qui me paraît tenir la route et correspondre aux attentes des Français et aux besoins de la France.
M. FIELD : Sans jouer les devins, quel type de résultat, aux élections régionales, vous semblerait ne pas être une défaite cuisante ? Sachant que, finalement, vous dirigez 20 régions sur 22, si mes chiffres sont bons ?
M. SEGUIN : 20 régions sur 22. C’est la raison pour laquelle je dis souvent : un certain nombre des têtes de liste, notamment féminines qui sont là me l’ont entendu dire, je répète à qui veut l’entendre : « que l’on en gagnera peut-être une de plus, peut-être deux, mais au-delà je ne peux donner aucune garantie ».
M. FIELD : Pourquoi vous dites cela spécialement aux têtes de liste féminines, pour leur épargner la douleur de la défaite prévisible ?
M. SEGUIN : Elles pouvaient en apporter le témoignage, parce qu’elles m’ont déjà entendu de le dire.
Non, pour nous, c’est une étape d’une longue marche. Et puis de toute façon, quel que soit le résultat le 15 mars, Monsieur Jospin sera toujours Premier ministre le lendemain. Si le résultat est plutôt bon pour nous…
M. FIELD : Ce serait quoi à peu près ? Je sais que vous n’aimez pas trop répondre à cela, mais essayez quand même ?
M. SEGUIN : Oh, c’est difficile de dire, d’autant que ce scrutin étant ce qu’il est, le nombre de listes, pas seulement dissidentes, mais également de chasseurs, d’écologistes indépendants, que sais-je encore, et d’extrême gauche, est tel, qu’il est très difficile à partir de sondages nationaux d’avoir une projection région par région.
M. FIELD : Sur les listes dissidentes, on a eu l’impression que vous vouliez montrer votre autorité en excluant 33 candidats dissidents, alors qu’au RPR on a l’impression que d’autres que vous auraient été plus coulants ?
M. SEGUIN : Il ne s’agissait pas de montrer mon autorité. Il s’agissait, d’une part, de tenir les engagements que nous avions pris vis-à-vis de nos partenaires : nous avions décidé de faire des listes d’union, des lors que certains d’entre nous sont sur d’autres listes que la liste d’union qui avait été décidée, il est normal que nous en tirions les conséquences.
D’autre part, il fallait respecter les engagements que nous avions pris vis-à-vis de nous-mêmes. Nous avons voté, lors de nos assises, un code de déontologie sur la manière de se comporter, le respect de la morale publique, l’absence de droit à carrière, la rupture avec tout système de vénalité des charges, de transmission des offices. Si, alors que l’encre de ce code est à peine sèche, nous nous mettons à y déroger, quelle sera notre crédibilité ?
Et puis, enfin, dernière chose, nous avons, en tant que mouvement politique, un rôle constitutionnel – j’entends un rôle prévu expressément par la Constitution – qui est de concourir à l’expression du suffrage, c’est-à-dire de faire en sorte que les gens puissent s’y retrouver au moment de voter entre les diverses propositions qui leur sont faites. Si nous acceptons que puissent se réclamer également du même mouvement politique deux, trois, voire quatre listes dans les mêmes départements, nous n’assumons plus nos responsabilités. C’est la raison pour laquelle j’ai pris, sans joie particulière, les décisions auxquelles vous faisiez allusion.
M. FIELD : Vous prenez un vote sanction contre le Gouvernement lors de ces élections régionales ?
M. SEGUIN : Le vote est d’abord un vote pour la constitution des conseils régionaux et des conseils généraux. On a deux votes en un, que dis-je ? Un vote et demi…
M. FIELD : Les cantonales sont à deux tours et les régionales à un seul tour.
M. SEGUIN : Il faudra vraiment, avant de réformer notre Constitution, que l’on revoie ce système qui n’est vraiment pas fait pour intéresser les gens à la chose publique. Certains des électeurs sont convoqués seulement pour une élection à un tour, à la proportionnelle, le 15 mars. D’autres, la moitié d’entre eux, sont invités en outre à participer à un scrutin à deux tours uninominal. Comment voulez-vous que les gens s’y retrouvent ? Comment voulez-vous qu’ils s’y intéressent ? Allez interroger les gens : est-ce que leur canton est renouvelable ? Ils n’en savent rien.
J’ajoute que la région est une collectivité jeune puisque l’on ne vote pour les conseillers régionaux au suffrage universel que depuis 1986. Il a fallu deux ans au département, lui, pour s’installer. Et il n’y a pas un intérêt spontané pour les régionales. Ce qui fait que notre premier devoir est un devoir pédagogique : nous devons expliquer aux gens – c’est ce que je m’efforce de faire pendant mes tournées – ce qu’est la région ce qu’est son importance. Que fait-elle ? On élit des gens au suffrage universel pour, à l’échelle d’une région donnée, s’occuper en particulier de formation professionnelle, d’infrastructures, de lycées et il faut expliquer toutes les compétences qui reviennent aux régions, et l’importance de ces compétences par rapport à l’enjeu central qui est l’enjeu du chômage.
M. FIELD : Une manière pour vous de relativiser le contenu politique national des résultats, par avance ?
M. SEGUIN : Non, il ne s’agit pas de relativiser. Nous sommes prêts également à aller sur le terrain national, cela va sans dire. C’est un terrain d’ailleurs sur lequel les Socialistes cherchent déjà à nous entraîner. Pour une raison très simple, c’est que, d’une part, ils n’ont pas de bilan à faire valoir. Et quand ils ont un bilan, c’est-à-dire il y a une région actuellement…
M. FIELD : Le Limousin ?
M. SEGUIN : … qui est gouvernée par les Verts, c’est le Nord-Pas-de-Calais et une région qui est gouvernée par les Socialistes. Une, les Verts, une, les Socialistes. Lorsque vous regardez tous les classements qui sont faits par les hebdomadaires en fonction de la qualité de gestion, du poids des impôts, etc., vous vous apercevez que les deux régions de la Majorité se retrouvent en queue de peloton. Bon. Ce qui me donne un argument à faire valoir : c’est qu’il faut que les régions continuent à être bien gérées, continuent à maintenir leur pression fiscale, voire la baisse, continuent à être efficaces et, surtout, surtout, n’imitent pas ce qui est fait au plan national.
Je dirai volontiers que la Majorité plurielle, nous l’avons déjà à Paris. Il n’est pas nécessaire de l’avoir en sus dans chacune de nos régions. Surtout que j’ai l’impression, en tout cas c’est le constat que je fais en parlant avec les uns et les autres dans chacune des régions, qu’il y a un plan socialiste, une intention socialiste claire au sujet des régions : ils souhaitent effectivement gagner des régions, de manière à faire prendre en charge par les régions un certain nombre de choses que l’État n’arrive plus à assumer. Donc, ils souhaitent se servir des régions comme d’une roue de secours pour l’État.
M. FIELD : Quel type d’élément vous permet d’avoir cette suspicion ?
M. SEGUIN : Par exemple un certain nombre de conseillers régionaux, en Bourgogne par exemple, ont fait des propositions pour que, d’ores et déjà, la région participe au financement des 35 heures.
M. FIELD : Et cela vous choque ?
M. SEGUIN : Ah, oui ! Parce que ce n’est pas du tout la compétence des régions en question. Moi, ce que je crois, c’est que chacun doit s’occuper de ses compétences et qu’il ne faut pas que le Gouvernement se serve des régions comme tel ou tel capitaine d’industrie des années 80 se comportait avec ses entreprises : quand il y en avait une qui était déficit, on allait prendre des sous dans l’autre. Cela s’appelle de l’abus de biens sociaux ou de la cavalerie.
M. FIELD : On va faire un petit tour sur le site Internet du RPR, on parlait tout à l’heure de votre autorité comme patron, on va voir que, sur le site Internet, ce n’est peut-être pas encore complètement évident que vous soyez le patron du RPR.
On regarde, c’est un sujet de Jérôme Paoli, avec la voix de Sandra Le Texier.
REPORTAGE
M. FIELD : Bon, le sens des affaires, justement vous parliez du code de la déontologie tout à l’heure, les affaires, elles vous rejoignent, malgré tout : Xavier Dugoin évidemment, Bernard Chatel, conseiller municipal RPR de Marseille qui a été mis en examen, l’affaire Schuller, etc., je ne veux pas refaire la liste. Tout cela, c’est un peu la situation dont vous héritez. Mais ce que je voudrais vous demander : par exemple, quand Daniel Dayan dit que les attendus du Conseil constitutionnel font que l’équipe de Jean Tiberi à Paris est disqualifiée même si son élection n’a pas été remise en cause, mais, en même temps, la fraude sur les électeurs fantômes est attestée, que faites-vous devant cette situation… ?
M. SEGUIN : Monsieur Field, si vous allez sur ce terrain, il faut être équitable ?
M. FIELD : Ah, mais j’essaie de l’être à chaque fois que j’ai un invité en face de moi. Ils m’en veulent tous, d’ailleurs !
M. SEGUIN : Le Parti socialiste a : le Garde des Sceaux mis en examen, le président de l’Assemblée nationale est mis en examen, le président du Groupe socialiste à l’Assemblée nationale a été condamné. Et je pourrais ainsi continuer la liste ! Il y a eu des erreurs partout. Alors, sur le cas plus particulier de Monsieur Tibéri : je me réjouis que son élection ait été confirmée. Je vais vous dire comment j’interprète la décision et les attendus que vous avez rappelés, c’est qu’il y a eu visiblement une division au sein du Conseil constitutionnel sur le sujet, et puis qu’il y a eu un compromis : pour ceux qui étaient pour l’annulation, on a donné des attendus très sévères et pour ceux qui étaient contre, on a donné qu’il était confirmé. Eh bien, je retiens, pour ma part, qu’il est confirmé.
M. FIELD : Mais comment faire pour que ces pratiques cessent ? Parce que, là, vous serez d’accord avec moi…
M. SEGUIN : Tout à fait ! Tout à fait !
M. SEGUIN : … c’est sur ce terreau-là que le Front national peut percuter dans sa propagande anti-corruption, même s’il a beaucoup de choses à se reprocher aussi ?
M. SEGUIN : C’est bien la raison pour laquelle ce code de déontologie a été mis en place. C’est bien la raison pour laquelle il nous faut maintenant mettre en place les structures qui vont l’appliquer, parce que je ne serai pas seul à le faire. Et c’est bien la raison pour laquelle j’ai voulu répondre aussi rapidement que possible au problème des dissidences pour que l’on comprenne bien que ce qui avait été décidé, désormais serait appliqué et sans faiblesse.
M. FIELD : Les propositions du Premier ministre sur le non cumul des mandats, n’est-ce pas quelque chose qui peut aussi contribuer à moraliser la vie politique ?
M. SEGUIN : Alors, là, certainement pas !
M. FIELD : J’arriverai à vous mettre en colère avant la fin de l’émission.
M. SEGUIN : Là, certainement pas.
M. FIELD : Pourquoi ?
M. SEGUIN : Là, le Premier ministre, pardonnez-moi de vous le dire, se moque du monde. Il se moque du monde. D’abord, c’est un problème très sérieux le problème du cumul des mandats. Je vous rappelle que je ne suis pas « cumulard », je suis uniquement député des Vosges. J’ai abandonné la mairie d’Épinal et j’ai abandonné le conseil municipal d’Épinal.
M. FIELD : Donc, vous êtes d’accord avec le Premier ministre ?
M. SEGUIN : Non, non, non. Je vais y revenir. Le cumul des mandats est le produit d’un certain système institutionnel. Et si vous traitez seulement le cumul des mandats, sans traiter le système institutionnel, vous ne faites rien du tout.
Pourquoi y-at-il cumul des mandats aujourd’hui ? C’est parce que vous êtes dans un système où les financements se croisent, s’interpénètrent, ce qui fait que lorsque vous souhaitez faire quelque chose lorsque vous êtes un élu, lorsque vous souhaitez fabriquer quelque chose, faire un équipement, vous êtes forcé de faire prendre une décision à plusieurs échelons à la fois.
M. FIELD : Conseil général, Conseil régional.
M. SEGUIN : Je vous donne un exemple qui m’est très cher : c’est l’exemple de la piscine olympique d’Épinal…
M. FIELD : Au hasard, Épinal ?
M. SEGUIN : … quand j’étais maire d’Épinal. Nous ne pouvions pas à nous seuls, même en empruntant, nous la payer. Je suis allé voir le président du Conseil général pour obtenir une aide du Conseil général, le président du Conseil régional pour avoir une aide du Conseil régional. Je suis allé au niveau de l’État pour avoir une aide du Fonds national « Développement du sport » et j’ai même essayé d’en avoir au niveau européen.
C’est vous dire qu’un élu, pour avoir l’efficacité maximale, cherche à être présent au maximum de ces niveaux de décision.
On dit : « C’est une spécificité française ». Oui, c’est une spécificité française, précisément parce que ce système de financements croisés est propre à la France.
Alors, traitons du problème général et puis traitons de tous les problèmes annexes. Je veux bien qu’on dise qu’un maire de ville moyenne doit être maire en plein temps. Mais on le fait vivre comment ? Où est le statut de l’élu ? Il n’existe pas. Qu’on nous propose un statut de l’élu.
Et puis dernière chose, et je suis fondé à poser la question : à quoi serviraient 577 députés à temps plein, si c’est uniquement pour peupler une chambre d’enregistrement à laquelle on donne l’illusion de l’existence, simplement en la faisant siéger nuitamment ?
M. FIELD : Eh bien, écoutez, c’est sur cette question que nous nous quitterons sans avoir la réponse.
Merci, Philippe Seguin d’avoir été notre invité.
La semaine prochaine, premier des deux débats qu’organise PUBLIC pour les élections régionales, toutes les grandes forces politiques, les six familles politiques principales de ce pays seront représentées la semaine prochaine.
Et dans un instant vous avez rendez-vous avec Jean-Claude Narcy pour le 20 heures, qui reçoit Philippe de Villiers qui, je n’en doute pas, répondra peut-être aux interventions qui ont été les vôtres lors de cette émission.
Bonsoir à tous.
Philippe Séguin, merci. À la semaine prochaine.