Déclarations de Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué pour l'emploi chargé des droits des femmes, sur la représentation des femmes dans la vie politique et le débat sur les quotas, à Bordeaux le 29 novembre, et sur l'action gouvernementale pour l'égalité professionnelle, Paris le 19 décembre 1996.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion du Conseil national des femmes françaises à Bordeaux le 29 novembre. Réunion du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle à Paris le 19 décembre 1996

Texte intégral

Intervention à Bordeaux le vendredi 29 novembre 1996

Mesdames,

Soyons pragmatiques !

En France, tout le monde reconnaît que dans de nombreux domaines nous devons passer d’une égalité de droit à une véritable égalité quotidienne et que ceci ne peut se faire que sur la base d’un vrai partenariat homme-femme.

Seul compte le résultat sur le terrain de la vie quotidienne des Français et des Françaises. Ce partenariat pour l’égalité dans la différence me paraît primordial.

L’égalité est un principe qui parvient à s’énoncer sans trop de difficulté aujourd’hui mais on ne peut ignorer que même en droit il s’accommode de beaucoup de restrictions mentales.

Il est temps de reconnaître que les problèmes longtemps qualifiés de « féminins » ne constituent pas une question de plus, à traiter à côté des grands problèmes de l’heure, tels que l’exclusion, la violence, des déséquilibres économiques et sociaux. Bien au contraire, les femmes sont au cœur de ces problèmes et constituent une des clés pour les résoudre.

En matière de représentation des femmes dans notre vie politique, nous connaissons tous les chiffres de la situation des femmes dans les instances élues. Nous qui sommes si facilement donneurs de leçon, nous devrions apprendre la modestie, à l’image de la modestie de ces chiffres.

Alors, soyons pragmatiques !

1. Comment faire pour que plus de femmes participent à la vie politique de notre pays.

En avril 1995, Jacques Chirac, lors de la campagne présidentielle, avait proposé que l’on crée un Observatoire de la parité. Le 19 octobre 1995, l’Observatoire était officiellement installé par le Premier ministre. C’est une première.

Le rapporteur général de l’Observatoire est notre amie Roselyne Bachelot.

Le premier groupe de travail créé fut celui sur « la parité entre les femmes et les hommes dans la vie politique ». De janvier à septembre 1996, ce groupe a auditionné des constitutionnalistes, des sociologues, des personnalités politiques, des chefs de partis, des associations et des experts. Son rapport sera remis prochainement au Premier ministre. Ce sera le premier rapport officiel saisissant le gouvernement sur ce thème.

Ceci participera à la réflexion et au débat sur la modernisation de la vie politique.

Ce débat, notre débat, confirme aussi que l’opinion publique semble évoluer. Une pression de tous les instants ainsi que l’engagement des partis feront sauter les verrous de nos archaïsmes. Ainsi s’imposeront des actions volontaristes plutôt que des quotas de droit. Les pays du nord de l’Europe n’ont pas fait autrement, rappelons-le.

Être femme, femme citoyenne, voilà l’aspiration des Françaises, rien de plus, rien de moins.

Évidence de simple bon sens. Évidence qui devrait suffire à rejeter l’idée d’une modification de la constitution pour instaurer des quotas réservés aux femmes lors des élections.

Les quotas c’est le principe de la représentation d’une minorité : les femmes ne sont ni une minorité, ni mineures.

Beaucoup l’on déjà dit, y compris le Conseil constitutionnel en novembre 1982 à propos des élections municipales : des quotas seraient contraires à nos textes fondateurs et plus largement encore au principe même de la démocratie. Tout simplement parce que la physiologie pas plus que la couleur de peau, le quotient intellectuel ou le statut économique et social ne peuvent interférer sur l’identité citoyenne de tous et de chacun au-delà des différences, des particularismes. Nous irions donc vers une explosion du corps social.

Le préambule de la Constitution de 1946 repris dans la Constitution de la Ve République précise : « la loi doit garantir à la femme dans tous les domaines des droits égaux à ceux des hommes ». Il s’agit d’égalité et non de supériorité.

Le problème n’est donc pas le droit, mais le décalage entre le droit et les faits. L’accès des femmes à la politique n’est donc pas un problème de loi.

Les femmes sont-elles si faibles qu’on ait recours à la Constitution pour les imposer ?

Si Paris valait une messe je ne crois pas qu’une élection vaille une humiliation.

Le droit fait preuve de son inefficacité en la matière. Les pays scandinaves qui sont la référence dans le domaine de la représentation des femmes dans la vie politique n’ont jamais utilisé de texte de loi instaurant des quotas ou quelque chose de similaire. C’est la volonté des partis et l’évolution des mentalités qui ont fait bouger le processus.

C’est l’évolution de la société qui conduit à un changement de l’image et du rôle de la femme, qui se traduit dans la vie sociale, dans les entreprises. Il faut donc accélérer cette traduction sur le plan politique ; ce ne seront pas, à l’inverse, des quotas politiques qui modifieront la place de la femme dans la société.

Restons donc les pieds sur terre.

2. Mais être contre les quotas ne veut pas dire rien faire. Bien au contraire, cela satisferait trop de monde !

Je suis fondamentalement contre ce principe des quotas qui méprise les femmes, mais je suis farouchement pour une participation majeure des femmes à la vie politique.

Je crois à la réalité des actes mais pas en l’espérance – et quelquefois l’utopie – des discours ; nous avons eu suffisamment d’exemples dans ce domaine.

C’est pourquoi notre mouvement, à travers son conseil national du 5 novembre, a affirmé son attachement à l’objectif de mixité à tous les échelons de la vie politique.

Il a décidé de faire figurer au moins 1/3 de femmes en position éligible sur les listes pour les prochaines élections régionales, européennes et municipales en vue d’atteindre la parité dès que possible.

Il a recommandé vivement aux candidats investis pour les élections législatives de choisir un suppléant de l’autre sexe.

Enfin, il a décidé d’écarter le recours à l’intervention du législateur et a fortiori du constituant, sauf si les procédures incitatives mises en place par les partis publics s’avéraient insuffisantes.

Je crois en l’investissement des femmes dans la vie locale, socle de compétence, d’ancrage, où le pragmatisme, le sens du terrain et de l’humain permettent aux femmes de s’exprimer pleinement.

Je crois en l’investissement des femmes dans les partis politiques car ils sont le passage obligatoire vers les investitures ; car tel est notre système français.

Donnons à chacun et chacune le bénéfice de l’égalité des chances. Évitons les gadgets électoraux conduisant à envoyer les femmes à des combats perdus d’avance et à les oublier l’élection passée.

Les femmes sont libres, elles ne réclament par un surcroît de « tendresse électorale ». Soyons clairs. La politique est un choix, un métier pas un passe-temps benoîtement octroyé pour faire plaisir.

Mettons au contraire à l’ordre du jour une véritable modernisation et un profond renouvellement de la vie politique. On ne répétera jamais trop tout ce qu’une participation d’hommes et de femmes pourraient apporter à la vie d’une démocratie moderne et personne n’oserait le contester.

Ce ne sera pas une révolte sur le papier ou pour les magazines. Ce sera une révolution culturelle. Elle est nécessaire, elle est possible car on sait de qui et de quoi elle dépend. Les femmes et les hommes se disent prêts, faisons-la.

N’oublions jamais que la politique est l’une des ambitions les plus nobles qui permet de servir son pays et qu’il faut pouvoir y être préparé.

Il faut lutter contre le paradoxe apparu lors de l’enquête fait auprès de nos adhérentes du département de Gironde où 99 % des femmes se sentent concernées par la vie politique alors que seulement 42,2 % accepteraient un mandat électif.

Ainsi, 1998 sera notre première grande étape pour une juste mixité hommes-femmes dans la vie politique. J’y veillerai avec enthousiasme et ténacité.

Nous sommes tous et toutes conscients de l’importance de cette évolution pour notre pays. Jacques Chirac le soulignait il y a plus d’un an : « Une société ne saurait s’amputer longtemps d’une moitié d’elle-même. Faciliter l’accès des femmes à la vie politique est une question de justice.

C’est aussi un enjeu de démocratie et de cohésion sociale. L’une des grandes exigences politiques de notre société, c’est de donner aux femmes la place qui leur revient. Cette place, aucune loi, aucun quota ne le leur garantira. Ce sont les mentalités qui doivent changer. Cinquante ans après l’octroi du droit de vote aux femmes par le général de Gaulle, cette juste place est toujours à conquérir. La différence, c’est que les hommes, je l’espère, seront aujourd’hui aux côtés des femmes dans ce combat.

 

Conseil supérieur de l’égalité professionnelle

Séance du 19 décembre 1996

Nous ouvrons la réunion de notre Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Je voulais vous dire, tout d’abord, le plaisir qui est le mien de présider à nouveau ce Conseil, puisque c’est une instance qui constitue une des pièces maîtresses du dispositif dont notre pays s’est doté en la matière par la loi du 13 juillet 1983.

Je vous remercie d’avoir accepté notre modification d’emploi du temps qui me permettra de demeurer plus longuement avec vous.

Si vous le voulez bien, notre réunion sera organisée en trois temps :
    – les deux premières étapes sont inscrites dans le décret de février 1984 ; il s’agira en effet :
    – de vous présenter une synthèse du sixième rapport dressant l’état de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes pour 1994 et 1995 (un débat pourra s’organiser ensuite) ;
    – les différentes rubriques concernant ce rapport sont les suivantes : l’emploi, le chômage, les dispositifs de lutte contre le chômage des femmes, l’insertion professionnelle des jeunes femmes, la formation initiale, la formation professionnelle continue, l’égalité professionnelle dans les entreprises, le suivi des négociations issues de la loi du 13 juillet 1983 et l’activité du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle ;
    – le service des droits des femmes vous indiquera en second lieu, point par point, quelles suites ont été données aux propositions émanant des trois groupes de travail de notre Conseil que sont : la situation comparée des hommes et des femmes en matière de rémunération, la diversification du temps de travail, les itinéraires professionnels et les actions pour l’égalité professionnelle dans les établissements.

1. Je souhaite tout d’abord vous indiquer l’état d’avancement de nos travaux.

Des outils de communication ont été élaborés. Ils sont destinés à mieux appréhender le thème de l’égalité sous toutes ses formes.

Prenons des exemples concrets :
    – une fiche FOCALES sur l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes vous est distribuée aujourd’hui ;
    – dès le début de l’année 1997, une brochure sur l’égalité professionnelle paraîtra dans la collection « Transparence ». Elle traitera du principe de non-discrimination, de l’égalité des chances et de la procédure à mettre en œuvre dans le cas du non-respect des dispositions sur l’égalité ;
    – les services de la direction des relations du travail des droits des femmes procèdent actuellement aux dernières corrections de forme ;
    – un guide de « bonnes pratiques » sera élaboré début 1997. Il réunira des actions conduites en entreprise concernant l’amélioration de la situation des femmes, sur le modèle du guide « Innovations et réalisations sociales » de l’ANACT.

La rédaction du guide du négociateur est en cours. Son contenu doit être précisément défini avec vous.

Un premier séminaire à l’Institut national du travail a été consacré les 12 et 13 décembre derniers à préciser le contenu du document. Il a réuni les partenaires sociaux, l’administration du ministère du Travail et des Affaires sociales, des inspecteurs du travail et des experts.

Il a permis de dégager des exemples concrets de négociation collective en entreprise et d’exposer des méthodes.

Le prochain séminaire qui devra se tenir à la fin du mois de mars 1997 devra permettre de mettre au point le canevas de rédaction, choisir les « bons exemples de négociation » et arrêter leur mode de présentation.

L’appel à projets innovants portant sur l’évolution professionnelle des femmes dans l’entreprise est en cours de préparation.

Il a pour objet de soutenir les projets des branches professionnelles, des entreprises et des établissements favorisant l’accès ou le développement d’emplois qualifiants au profit des femmes.

Cet appel à projets va concerner toutes les entreprises industrielles, commerciales ou agricoles, publiques ou privées exerçant leur activité en France ainsi que les branches.

Les projets présentés seront sélectionnés à partir des critères suivants :
    – prise en compte des femmes dans les stratégies de changement des entreprises ;
    – nombre et caractéristiques des femmes concernées ;
    – caractère innovant du projet dans ses objectifs, dans ses résultats ou dans ses méthodes ;
    – modalités de pilotage et d’évaluation des actions ;
    – rôle des partenaires sociaux ;
    – incidence concrète du projet sur les perspectives d’évolution professionnelle des femmes.

Cet appel à projets fera l’objet de procédures déconcentrées au niveau régional ou départemental. Un partenariat sera également recherché avec les conseils régionaux lorsque les projets comporteront des actions de formation.

Enfin, des travaux ont été conduits cette année dans le prolongement de la conférence de la famille.

Les propositions du groupe V : la famille et le travail, recouvrent les rubriques suivantes :
    – le développement des congés familiaux ;
    – l’aménagement du temps de travail et de l’organisation du travail dans l’entreprise ;
    – le développement des services aux familles ;
    – l’aménagement des temps de vie sociale, de façon favorable aux familles et aux enfants.

Sans préjuger des suites qui seront réservées aux propositions, des éléments d’informations vous seront donnés en séance qui permettront de relier ces préoccupations à celles du groupe n° 2 de notre Conseil.

2. Nous avons avancé sur les objectifs fixés lors de notre dernière réunion, il faut poursuivre nos travaux.

Pour 1997, je crois que nous devrions, encore plus, nous centrer sur les principales causes des inégalités entre hommes et femmes dans l’entreprise. Je vous propose en la matière 3 pistes de réflexion :
    – d’abord, l’accès des jeunes à l’entreprise. C’est ma préoccupation quotidienne, tout particulièrement en ce qui concerne les jeunes filles. Nous savons tous qu’elles rencontrent à cet égard des difficultés particulières.

Par exemple, l’apprentissage est très masculinisé puisque seulement 30 % des jeunes filles sont dans cette filière avec une « classification » forte des métiers masculins-féminins : 2,4 % des jeunes filles en filière électronique, 0,5 % en filière mécanique, 80 % dans le textile et 82 % dans les professions de santé.

Dans ce cadre, je crois qu’il serait très utile que le Conseil fasse des propositions sur deux thèmes :
    – l’orientation et l’accès des jeunes filles aux dispositifs de formation, notamment d’alternance ;
    – ensuite l’accès à la qualification à l’intérieur de l’entreprise est également une cause d’inégalité.

J’attends, là aussi, des propositions qui devront être articulées avec les réflexions qui vont être menées par Jacques Barrot à la suite du rapport de Virville et des entretiens « Condorcet » sur le thème de la formation tout au long de la vie.

La formation permanente va faire l’objet de réformes importantes en liaison avec les partenaires sociaux. Votre expertise sur les raisons qui font que la place des jeunes est aujourd’hui insuffisante en la matière sera d’un apport majeur.

Enfin, l’aménagement du temps de travail qui est aujourd’hui un thème fort du dialogue social actuel doit être aussi porteur de la problématique de l’égalité professionnelle.

Vous devriez poursuivre votre travail, en la matière.

Ces trois parties, vous l’aurez noté, sont les conditions essentielles d’une véritable promotion des femmes dans l’entreprise.

Vous constaterez également qu’ils sont au cœur des travaux conduits actuellement par le gouvernement et les partenaires sociaux. Il faut que vous apportiez votre contribution dans les débats en cours.

C’est le rôle que vous devez vous fixer.

Le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle en est le lieu privilégié.

3. Dans le cadre de la séance plénière du 5 mars 1996 du Conseil ainsi que lors de la séance de la commission permanente du 18 juin 1996, vous vous êtes donné un cadre de travail qui me semble parfaitement recouper les préoccupations que je viens d’évoquer.

Vous avez souhaité que soit constitué un groupe de travail début janvier 1997 portant sur les problèmes spécifiques des jeunes femmes face à la formation initiale et à l’insertion dans l’emploi.

Au-delà de ce groupe de travail, vous avez également prévu de donner pour objectif à la commission d’assurer les missions suivantes :
    – instaurer un rôle de veille en continu sur l’égalité professionnelle ;
    – réaliser un état des lieux concernant les mesures prises ;
    – lancer les investigations utiles et assurer un suivi des études en s’adjoignant le concours, si nécessaire, de collaborations extérieures.

Nous partageons les mêmes objectifs, vous vous êtes donné les moyens de contribuer utilement aux débats en cours. Il nous reste à poursuivre notre travail commun.

Je serais heureuse que vous me fassiez, maintenant, part de vos réflexions, notamment par rapport aux points que j’ai évoqués et de vos propositions complémentaires.