Texte intégral
L’Information Agricole : Qu’attendez-vous de la réforme de la Pac et de la loi d’orientation agricole ?
Dominique Voynet : Ces deux échéances arrivent à un moment clé de l’évaluation de l’agriculture française. Jusqu’à présent, à Paris comme à Bruxelles, seule la fonction de production était prise en compte. Il nous faut aujourd’hui favoriser le développement d’une agriculture qui, pour être durable, doit simultanément relever trois défis : fournir des produits sains et de qualité ; protéger l’environnement et participer à son entretien ; enfin et surtout, conserver et créer des emplois en milieu rural.
L’Information Agricole : La Pac fait souvent l’objet de critiques. Les partagez-vous ?
Dominique Voynet : Dans le cadre de la Pac, il est clair que la baisse des prix agricoles à laquelle pousse le système libéral ne saurait me satisfaire. Ma priorité, c’est d’abord favoriser le rééquilibrage des aides au profit de modes de production plus respectueux de l’environnement – l’élevage extensif par exemple. Pour ce faire, il faut procéder à une définition de critères, notamment environnementaux, pour le calcul des subventions, limiter les effets pervers des aides à la surface qui incitent à l’agrandissement des structures, et faire une place plus grande aux mesures agri-environnementales.
L’Information Agricole : Et concernant la loi d’orientation agricole ?
Dominique Voynet : En ce qui concerne la loi d’orientation agricole, la création de contrats territoriaux d’exploitation qu’envisage Louis Le Pensec m’apparaît très intéressante. De mon côté, je souhaite favoriser cette approche grâce à la politique des pays qui est au cœur de la révision de la loi d’orientation d’aménagement et de développement du territoire (LOADT) sur laquelle travaille actuellement mon ministère. On pourrait ainsi concevoir que les contrats territoriaux d’exploitation soient aussi signés avec les pays : ils constitueraient le volet agricole des chartes de territoire.
L’Information Agricole : Vous êtes donc favorable à l’éco-conditionnalité des aides.
Dominique Voynet : L’éco-conditionnalité est un concept intéressant. Il est tout à fait légitime que la société définisse les services qu’elle attend de son agriculture en échange des aides qu’elle lui verse. Le contenu de cette notion reste toutefois encore à préciser ; je tiens en particulier à ce qu’une telle éco-conditionnalité soit conciliable avec le soutien à l’agriculture familiale « à la française » et à ses structures petites et moyennes. Je ne suis pas sûre que tous nos partenaires, notamment, britanniques, partagent ce souci.
L’Information Agricole : Que pensez-vous du plan de soutien à l’agriculture biologique annoncé par Louis Le Pensec ?
Dominique Voynet : La demande des produits issus de l’agriculture biologique explose dans notre pays, à tel point que les producteurs n’arrivent plus à satisfaire la demande. Le montant de nos importations dans ce secteur double tous les ans ! Cette augmentation de la demande est une preuve de l’attente des consommateurs pour une agriculture qui soit à la fois proche du terroir et peu polluante. Dans ce contexte, le plan annoncé par le ministre de l’Agriculture et de la Pêche va dans le bon sens. Mon ministère participe à cette action. Par exemple dans le cadre du plan pour le Massif Central, annoncé lors du CIADT (1) du 19 décembre dernier, nous soutiendrons la mise en place d’une filière d’agriculture biologique. Ce type d’actions pourra être généralisé dans la prochaine génération des contrats de plan État-région.
L’Information Agricole : Comment expliquez-vous que l’agriculture biologique se développe en Bretagne, région par ailleurs souvent montrée du doigt pour les pollutions d’origine agricole ?
Dominique Voynet : L’agriculture bretonne, comme l’agriculture française, n’est pas monolithique ! Le développement incontrôlé des productions hors-sol a conduit à une situation de crise du point de vue environnemental avec, par exemple, de l’eau distribuée à plus de 250 000 habitants. Car bien souvent l’eau ne respecte pas fréquemment les normes de potabilité et des marées vertes mettent en péril l’image même de la Bretagne et son attrait touristique. Les agriculteurs bretons, à quelques exceptions près, sont conscients de ce péril : ils sont sans cesse plus nombreux à se mobiliser pour produire autrement, notamment au sein de l’agriculture biologique. Un colloque organisé à Rennes, le 16 janvier dernier, a d’ailleurs rencontré un grand succès sur ce thème de l’agriculture durable. Il me semble que les agriculteurs bretons ont tout à gagner à faire ainsi preuve de leur légendaire dynamisme dans ce défi de la qualité environnementale !
L’Information Agricole : Comment réagissez-vous aux critiques contre l’épandage des boues ?
Dominique Voynet : Je comprends parfaitement ces préoccupations, Il ne doit pas y avoir de doute sur l’innocuité de ce qui est répandu sur les terrains agricoles. Dès mon arrivée au ministère, j’ai demandé que les textes définissant les normes applicables aux boues sortent le plus vite possible. Un décret a été publié le 10 décembre dernier et l’arrêté qui en précisera les modalités d’application est en cours de signature par les ministres concernés. Mais à partir du moment où ces précautions sont prises, l’épandage est une technique intéressante du point de vue du recyclage. Il est évident, écologiquement comme économiquement, qu’il vaut mieux utiliser l’azote et le phosphore comme fertilisants, à des doses raisonnables, que les brûler. Il est nécessaire de rétablir la confiance à ce sujet. C’est pourquoi j’ai demandé la mise en place d’un comité national de suivi de l’épandage des boues, qui tiendra sa première réunion début février. Je souhaite que ces travaux débouchent sur une charte approuvée par l’ensemble des acteurs concernés.
L’Information Agricole : Regrettez-vous votre décision sur le maïs transgénique ?
Dominique Voynet : Que ce soit bien clair : ce n’est pas moi qui ai autorisé le maïs transgénique. Le Premier ministre a entendu les arguments de l’ensemble des ministres concernés dont moi-même et il a pris sa décision. En ce qui me concerne, j’ai obtenu que les espèces qui posent problème, parce qu’elles sont susceptibles de se croiser avec une espèce non cultivée, soient soumises à un moratoire. Il en sera de même pour les variétés contenant des gènes de résistance à des antibiotiques à l’exception du maïs Novartis dont la commercialisation avait été autorisée par le précédent gouvernement, il y a bientôt un an. Cette décision a été entourée d’une série de précautions (dispositif de biovigilance) et d’une plus grande transparence de la procédure d’autorisation. J’ai obtenu enfin et surtout l’organisation avant l’été d’un débat public aussi large que possible. Dans ces conditions, j’ai accepté la position de compromis arrêtée par le gouvernement.
L’Information Agricole : Que pensez-vous des efforts faits par les agriculteurs en matière de protection de l’environnement ?
Dominique Voynet : Je salue les efforts mis en œuvre de manière volontaire par la profession agricole pour limiter l’impact environnemental de ses activités Ferti-Mieux, Irri-Mieux ou Phyto-Mieux… Ces actions, axées sur la sensibilisation et la pédagogie, vont sans conteste dans le bon sens. Les agriculteurs sont de plus en plus conscients des impératifs de protection de l’environnement : les mentalités et les comportements évoluent rapidement, et le livre que Luc Guyau vient d’écrire me paraît le symboliser parfaitement : en le lisant, je me dis qu’il n’y a guère d’opposition de fond entre nous.
L’Information Agricole : Engagement sincère ?
Ceci dit, il serait démagogique de prétendre que tout est réglé ; les agriculteurs sont en fait au milieu du gué, entre le tout productivisme d’antan et l’agriculture durable et multifonctionnelle que j’appelle de mes vœux. Je souhaite qu’une collaboration aussi féconde que possible entre le ministère de l’Aménagement du territoire et de l’environnement et la profession agricole permette de mener à bien, au plus vite, cette indispensable mutation.
L’Information Agricole : Concernant les plans de maîtrise de pollution d’origine agricole (PMPOA), ne pensez-vous pas que le retard de l’État ait pu démobiliser les agriculteurs ?
Dominique Voynet : Il est vrai que, en ce qui concerne le PMPOA, les gouvernements de MM. Balladur et Juppé ont beaucoup tardé à mettre à disposition les crédits d’État correspondant aux engagements qu’ils avaient eux-mêmes pris à l’égard de la profession agricole. Cette carence est pour une bonne part comblée depuis l’année dernière, grâce à l’appel fait au Fonds national de développement des adductions d’eau (FNDAE), c’est-à-dire, en fin de compte, à la solidarité de tous les usagers de l’eau. Mais j’espère quand même que l’engagement des agriculteurs pour la protection de l’environnement n’est pas uniquement une question d’argent !
L’Information Agricole : Concernant la directive « Habitats » et le réseau Natura, comment comptez-vous rattraper le retard ?
Dominique Voynet : Nous sommes maintenant sortis de « l’imbroglio Natura 2000 », et ce, notamment parce que comme l’écrivait Lionel Jospin en mai 1997, la France ne pouvait plus rester la « lanterne rouge » de la mise en œuvre des programmes communautaires. Nous ne rattraperons sans doute pas les deux ans perdus. Et je le regrette. Mais nous ne comptons pas pour autant bâcler la concertation. Les instructions que j’ai données aux préfets ont été très claires à ce sujet. En 1997, nous avons envoyé à la Commission 552 propositions de sites susceptibles d’être retenues pour le réseau Natura 2000. Les consultations se poursuivent sur le terrain pour les autres propositions.
L’Information Agricole : Mais n’est-ce pas signer un chèque en blanc à la Commission de Bruxelles ?
Dominique Voynet : L’idée de signer un chèque en blanc à la Commission de Bruxelles est étrangère à la directive « Habitats ». Elle relève plus du fantasme que de la réalité. Comme il était prévu, les modalités de gestion des sites retenus sont et seront systématiquement discutées avec les gestionnaires concernés (agriculteurs, forestiers, chasseurs, pêcheurs, associations de protection de la nature, etc.). Le bilan des sites expérimentaux donnera prochainement une idée des modalités de gestion concertée.
Il en va de même pour les travaux du comité national de suivi et de concertation que j’ai relancé en juillet 1997 ainsi que des groupes de travail « perturbation », « détérioration » et « coûts de gestion » qui en sont issus, Ce comité et ces groupes de travail sont des lieux de concertation. À entendre les propos des membres qui y participent, je n’ai pas l’impression de signer des chèques en blanc à la Commission européenne !
L’Information Agricole : En deux mots, quel serait votre message vis-à-vis du monde agricole ?
Dominique Voynet : Il faut définir une nouvelle alliance entre agriculteurs, consommateurs et défenseurs de l’environnement autour des thèmes de qualité des produits, de préférence à la production de masse, de choix de techniques de production les moins polluantes possible et de rémunération par la société des fonctions d’entretien de l’espace des agriculteurs. C’est un combat que nous gagnerons ensemble et je suis parfaitement disposée à aider les agriculteurs qui agiront dans ce sens.