Interview de M. Alain Lamassoure, ministre délégué au budget et porte-parole du gouvernement, à France-Inter le 29 janvier 1997, sur la baisse de l'impôt sur les revenus de 1996, l'utilisation de la loi Robien, la réforme du service national et l'accord de défense franco-allemand.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q. : Vous avez présenté, hier, la nouvelle feuille d’impôt. Pas vraiment une surprise, à part qu’elle est verte, couleur de l’espérance et puis, délicate attention, vous nous avez vivement invités à faire nos calculs dès qu’on l’aura entre les mains pour s’apercevoir tout de suite que les impôts ont baissé. Est-ce que vous croyez vraiment que cela console ?

R. : Écoutez, sans même que vous ayez à faire vos calculs, si vous êtes une contribuable mensualisée, A. Ardisson, vous aurez constaté, en lisant un bandeau vert sur votre avis d’échéance que, dès le premier mois, vous allez payer 6 % de moins que l’année dernière. Et pour les contribuables qui ne sont pas mensualisés, ils pourront le constater également en payant leur premier tiers au mois de février. La bonne nouvelle avec laquelle débute l’année, c’est que les impôts sur le revenu diminuent. Le Parlement a voté cette diminution, non seulement pour l’année en cours, 1997, mais également pour 1998, 1999, 2000 et 2001. Sur les cinq ans, la baisse aura été d’un quart. Qu’est-ce que cela veut dire ? Pour une famille moyenne disposant d’un salaire moyen de 10 000 francs, plus d’un salaire payé au SMIC, 16 000 francs en gros, à l’heure actuelle en 1995, cette famille payait 9 000 francs d’impôt par an. Dès cette année, elle ne paiera plus que 7 000 francs d’impôt dans le cas d’une famille de deux enfants. Et au bout des cinq ans de la réforme, elle ne paiera plus en impôt que l’équivalent de trois jours de salaire.

Q. : Trois jours de salaire ?

R. : Oui, ce n’est pas mal. Et la même famille avec le même revenu mensuel de 16 000 francs, si elle a trois enfants, ne paierait plus cette année que 4 000 francs d’impôt pour l’ensemble de l’année et zéro au bout de cinq ans. Donc, c’est une réforme qui avantage fortement les salaires petits, moyens et les familles.

Q. : Justement, en moyenne, savez-vous à peu près, actuellement, combien on paye d’impôt en jours ouvrés ? Je croyais que la moyenne était à peu près entre un mois ou deux ?

R. : C’est beaucoup moins mais cela dépend de votre situation de famille. C’est plus d’un mois en moyenne, mais cela dépend aussi de votre salaire, si vous êtes célibataire, sans enfant. C’est autour de trois semaines si vous avez deux enfants, pour un salaire moyen.

Q. : Il y a des gens qui aimeraient bien payer des impôts, ce sont les chômeurs. Ils aimeraient bien gagner beaucoup plus d’argent et payer plus d’impôt. Il y a une loi qui permet d’éviter le chômage dans certains cas, qui permet de créer des emplois dans d’autres, moyennant une réduction de travail, c’est la loi Robien. Apparemment, malgré ses dénégations, le Gouvernement trouve qu’elle coûte trop cher. Hier, promesse qu’on n’y toucherait pas mais on sent qu’il y a des tentations de l’encadrer très strictement pour qu’elle ne soit pas utilisée par tous ceux qui en ont envie.

R. : Moi, je me réjouis de ce débat parce qu’il faut que les Français sachent que nous consacrons, aujourd’hui, environ 140 milliards de francs pour aider à la création d’emplois. En plus des centaines de milliards consacrés à l’indemnisation du chômage, nous avons un budget de 140 milliards de francs pour contribuer à des mécanismes tels la loi Robien qui aide à la création d’emplois. Or, nous avons 44 systèmes d’aide différents et donc la première question qu’il faut se poser est de savoir qu’elle est le rapport entre le coût et l’efficacité de ces 44 systèmes, de manière à concentrer l’effort sur ce qui crée le plus d’emplois pour le coût minimum et d’avoir au total un système plus efficace. La loi Robien, selon la manière dont on l’utilise, c’est la meilleure ou la pire des choses. C’est la meilleure dans un cas comme Moulinex qui a pu, grâce à la loi Robien, alléger son plan social et préserver des emplois en faisant travailler une partie de ses travailleurs à temps partiels. Cela peut être la pire des choses lorsque l’on a des employeurs qui expliquent à leurs employés qu’ils ont trouvé un moyen très simple de les faire travailler 32 heures payées 39, la différence étant payée par le contribuable. Alors, à ce moment-là, il faut bien se rendre compte du fait que, si apparemment on sauve ou on crée de manière assez visible des emplois ici, à travers les prélèvements obligatoires, à savoir les impôts à augmenter ou à maintenir pour financer ce mécanisme, on risque d’en supprimer beaucoup plus ailleurs. C’est pourquoi, il faut faire une balance emploi créé-emploi supprimé, argent économisé-argent supplémentaire dépensé. Et moi, en tant que ministre du Budget, je suis responsable de la cassette de tous les Français. Quand on dit : le Gouvernement n’a qu’à payer et l’État n’a qu’à payer, eh bien, l’État c’est nous tous ! C’est tous les Français, il n’y a pas de trésor caché !

Q. : Mais cela veut dire que vous privilégiez presque exclusivement ce que l’on appelle l’utilisation défensive de la loi Robien ?

R. : Il faut privilégier le bon emploi des deniers publics, lorsqu’il s’agit d’aide à la création d’emplois. S’il se révèle que la loi Robien est véritablement le système qui a le meilleur rapport coût-efficacité, bravo. Si ce n’était pas le cas, il faudra peut-être revoir les conditions de son application.

Q. : Est-ce qu’en toute hypothèse, il y aura une révision, une remise à jour des compteurs prévue à l’automne ?

R. : Il faudra certainement faire un bilan de cette loi comme de l’ensemble des lois de création d’emplois. En outre, il est évident qu’on ne voit pas comment le secteur public pourrait en bénéficier, le secteur public étant déjà lui-même financer par l’impôt. Pourquoi avons-nous tant de chômage ? Une croissance si lente ? Nous avons des prélèvements obligatoires trop importants par rapport à nos partenaires. Et nous handicapons les entreprises, à commencer par les entreprises individuelles – qui pourraient créer spontanément des emplois – parce que nous leur imposons des impôts, des cotisations sociales trop élevés. Il faut renverser cette logique infernale et inciter à la création spontanée d’emplois sans aide. C’est pour cela que nous commençons cette année à réduire les impôts, en commençant par l’impôt sur le revenu, et que nous voulons continuer.

Q. : Gros pataquès hier à l’Assemblée nationale. On devait discuter de la réforme du service national. Une réforme qui est assez populaire, en tout cas auprès des jeunes, et puis les députés se sont énervés – les députés de l’opposition –, mais un peu, aussi, certains de la majorité, parce qu’ils ont découvert dans la presse un accord secret franco-allemand sur la défense, très important paraît-il et dont ils n’avaient pas connaissance. Il semblerait qu’il y ait quand même eu ce qu’on appelle, délicatement, un dysfonctionnement.

R. : Il semble qu’il y ait, dans la forme et dans les transmissions du courrier, un malentendu. Il y a eu un accord qui n’était destiné à rester secret, mais qui, dans un premier temps, a été négocié dans des conditions de discrétion, au sommet, entre le Président de la République et le Chancelier allemand, le 9 décembre dernier, à Nuremberg. Et, les deux dirigeants ont souhaité que leurs Parlements nationaux soient informés avant l’opinion publique. Les termes de cet accord ont été transmis aux Présidents des deux Assemblées et aux Présidents des Commissions parlementaires compétentes. Il semble qu’il y ait eu un petit malentendu sur le point de savoir si les destinataires de ces courriers étaient habilités ou non à en transmettre la teneur à l’ensemble des députés.

Q. : En général, quand on transmet un courrier de cette nature au Président d’une Assemblée nationale ou à un Président de commission, ce n’est pas pour qu’il le range dans son tiroir ?

R. : Vous avez raison. Mais au-delà de ce petit malentendu de forme, ce qui est important, c’est le fond. Et là, il y a trois grandes questions qui vont être posées à la représentation nationale – il faut se réjouir que ce très grand débat vienne devant le Parlement. D’abord, la transformation du service militaire : chacun accepte-t-il que le service militaire obligatoire fasse la place à un service de volontariat ? Deuxièmement : l’identité européenne de défense, la coopération, notamment franco-allemande. C’est l’objet de l’accord entre le Président Chirac et le Chancelier Kohl. Et troisièmement : la réforme de l’Alliance atlantique et de l’OTAN, la place de l’Europe et notamment de la France dans cette alliance réformée. Et toute la question est de savoir si nous sommes capables de concevoir la défense de la France en Europe du XXIe siècle, ou bien, si nous continuons de préparer la troisième guerre mondiale qui, Dieu merci, n’a pas eu lieu.

Q. : On va discuter de tout ça prochainement ?

R. : Aujourd’hui même, à l’Assemblée nationale, dans le cadre notamment de la très importante loi sur le service national.

Q. : Et l’OTAN, discussion aussi ?

R. : Dès cet après-midi.