Texte intégral
Monsieur le président,
Monsieur le secrétaire général,
Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Le gouvernement français est particulièrement heureux d'accueillir, aujourd'hui à Versailles, la session de l'assemblée de l'Atlantique Nord. Chacun connaît le rôle qu'elle a joué pendant la guerre froide pour enraciner la solidarité atlantique au sein des opinions publiques nationales. Son rôle reste tout aussi important au moment où l'Alliance entame un processus de rénovation sans précédent et où elle amorce son élargissement. Il me paraît donc opportun que cette réunion ait lieu, et qu'elle se déroule dans notre pays qui s'est lui-même engagé résolument dans le débat.
Permettez-moi, pour contribuer à vos réflexions, de vous présenter comment nous percevons les grands enjeux et quelle analyse nous faisons de l'état d'avancement des discussions en cours.
Pour la première fois au cours du XXe siècle, il n'existe pas de menace globale contre la sécurité européenne. Cela ne signifie aucunement la disparition des conflits et des risques. C'est, en Europe, la résurgence parfois sanglante de la vieille question des nationalités ; c'est, à nos portes, l'extrémisme religieux qui grandit sur certaines faillites politiques, économiques et sociales. C'est le développement des mafias et des trafics en tout genre. Plus généralement, ce sont des incertitudes sur l'avenir d'un certain nombre de pays. À cette nouvelle géographie des risques correspond, fort heureusement, le renforcement continu des solidarités économiques et politiques entre les Européens.
La première condition pour assurer la sécurité et la stabilité de notre continent consiste à renforcer la capacité de l'Europe à prendre des décisions en matière de défense. La défense européenne ne saurait être une coopérative de moyens où chaque État puiserait au gré de ses engagements militaires particuliers ; elle doit au contraire répondre à une communauté d'objectifs. C'est pourquoi la France attache tant d'importance aux discussions qui sont en cours à la CIG. Nous souhaitons voir reconnaître au Conseil européen compétence en matière de sécurité et de défense, et la capacité de donner à l'UEO des directives qu'elle aura la charge de mettre en œuvre sur le plan opérationnel.
Certes, le débat peut paraître parfois théorique, voire dogmatique mais chacun doit être conscient qu'il n'y aura pas d'Europe crédible sans défense et qu'un vrai partenariat au sein de l'OTAN implique une contribution forte de l'Europe.
C'est pourquoi, selon nous, l'identité européenne de sécurité de défense et l'adaptation de l'Alliance aux nouvelles réalités stratégiques sont deux aspects indissociables d'une même ambition.
C'est ce qui explique notre initiative historique prise lors de la session ministérielle de l'Alliance atlantique le 5 décembre 1995 lorsque nous avons annoncé la pleine participation de la France au comité militaire, la présence du ministre de la Défense aux réunions du Conseil atlantique, le renforcement de nos liaisons de coopération avec les commandements de l'organisation militaire. Justifiée par le bouleversement de l'environnement stratégique, cette décision marquait la possibilité de concilier démarche européenne et rénovation de l'Alliance.
Nous nous réjouissons de constater que, par-delà les divergences superficielles, tous les membres de l'OTAN souhaitent la rénovation et l'élargissement d'une Alliance dans laquelle les Européens puissent jouer un rôle à la mesure de leur puissance politique et économique, le tout dans le cadre d'une architecture de sécurité européenne qui n'exclue personne.
Constatons-le : le nouveau paysage de la sécurité européenne impose l’évolution vers une Alliance aux structures allégées, au caractère multidimensionnel. Enfin, au sein de cette Alliance devront être bien harmonisées dimension politique et dimension militaire. Je vais revenir rapidement sur ces trois points.
Premier point : les structures militaires allégées doivent devenir suffisamment souples pour répondre à des circonstances diverses et à des crises d'intensité variable.
Deuxième point : l'abandon du tropisme militaire unidimensionnel de l'Alliance. Il ne s'agit plus de construire une organisation complètement orientée vers le même objectif et dont le déclenchement serait aussi automatique que possible : cela, c'était l'OTAN de la guerre froide. Il s'agit aujourd'hui de construire une nouvelle organisation dotée d'une capacité de réaction adaptée à chaque type de crise, ainsi que l'Alliance en a fait la preuve en Bosnie.
Troisième point : les échelons politique et militaire de l'Alliance doivent pouvoir travailler en parfaite harmonie selon des schémas d'opération associant durablement action militaire et suivi politique.
Par-delà ces aménagements nécessaires, l'affirmation de l'identité européenne de défense et de sécurité apparaît aujourd'hui à la France, comme à nombre d'alliés, comme un élément essentiel de la rénovation de l'Alliance.
Depuis note annonce de décembre 1995, beaucoup de progrès ont été accomplis. Ils ont fait l'objet d'accords formels lors des réunions ministérielles de Berlin puis de Bruxelles en juin 1996, qui ont été l’occasion de retenir les principes susceptibles de permettre l'affirmation de l'identité européenne au sein de l'OTAN. Depuis cette date, nous travaillons à les concrétiser.
À Bergen, au mois de septembre, lors d'une réunion informelle, les ministres de la Défense ont défini les responsabilités que pourrait avoir, dans la chaîne de commandement de l'Alliance et dans le cadre européen, le SACEUR adjoint désigné par les Européens. Véritable adjoint permanent, il assumerait par ailleurs le rôle de suppléant du SACEUR dans ses compétences traditionnelles quand celui-ci serait empêché ou absent. De même, il assurerait dès le temps de paix la coordination des moyens stratégiques au profit des Européens, de l'UEO et de l'Union européenne. Il aurait enfin la responsabilité d'opérations menées en propre par les Européens avec les moyens de l'OTAN s'il en était décidé ainsi.
À Bergen, les ministres de la Défense ont également débattu des modalités de mise en place des groupes de forces interarmées multinationales dont le concept avait été retenu à Berlin. Il s'agit d'une avancée très importante. Les GFIM permettent en effet de tirer parti de façon pragmatique des structures de l'OTAN pour faire face aux crises nouvelles. C'était au départ, leur seule finalité. C'est ensuite qu'il est apparu que les GFIM permettraient également aux Européens de recourir de la manière la plus efficace aux moyens de l'Alliance pour leurs opérations militaires propres. De ce fait, il est devenu nécessaire d'identifier, dans la chaîne de commandement de l'OTAN, les éléments européens susceptibles d'être activés pour monter des opérations auxquelles les États-Unis ne participeraient pas.
Les derniers mois ont permis d'accomplir, dans la ligne de ces décisions, d'autres progrès décisifs :
– la planification de défense pour adapter l'Alliance aux impératifs nouveaux de sécurité et pour permettre aux Européens d'utiliser les moyens de commandement et de communication de l'OTAN ;
– la concertation entre l'OTAN et l'UEO, avec les échanges de documents classifiés et l'accord de sécurité entre les deux organisations ;
– la réforme des structures militaires, notamment dans le cadre de l'étude à long terme.
En outre, le débat a porté sur la question des structures de commandement. Sans doute les observateurs ont-ils isolé cette question qui n'est qu'un aspect d'une problématique beaucoup plus globale. Nous avions en fait à reconsidérer les trois niveaux traditionnels de la structure militaire.
D'abord, le niveau stratégique avec le SACEUR et le SACLANT. Dans l'état actuel des choses, ces commandements doivent demeurer sous la responsabilité américaine.
Au niveau régional, le débat a porté sur le découpage des commandements. La France, comme la plupart de ses partenaires de l'Alliance, est favorable à deux commandements régionaux en Europe. En effet, ce découpage correspond bien à la situation géographique. Il est surtout le mieux adapté à une approche cohérente de l'élargissement.
Dans la mesure où les États-Unis conservent la responsabilité des commandements stratégiques, il nous paraît logique, pour rendre le partenariat euro-atlantique suffisamment visible, que les Européens assument les commandements régionaux de l'Alliance en Europe.
Vous savez qu'il y a discussion sur ce point avec nos amis américains qui ont soulevé un certain nombre de questions. Elles me paraissent pouvoir trouver des réponses.
Ce partage des responsabilités souhaité par la France et nombre de ses partenaires a pour lui la logique politique. Il sera un des signes forts de la rénovation de l'Alliance. Il n'affaiblira en rien les capacités opérationnelles globales de l'Alliance.
Au demeurant, comme je l'ai dit, la rénovation s'inscrit nécessairement dans le temps. L'important est de définir avec nos partenaires américains les paramètres essentiels de cette rénovation, et d'affirmer les principes relatifs à l'attribution des commandements, qu'ils soient stratégiques ou régionaux. Les modalités de cette mise en œuvre et le calendrier devront ensuite être arrêtés.
L'enjeu global, vous le savez, mesdames et messieurs les parlementaires, est bien entendu de parvenir à un partenariat équilibré entre les Européens et les Américains dans le cadre de l'Alliance rénovée.
La France a toujours eu le souci de voir les Européens contribuer à leur défense proportionnellement à leurs intérêts et à leurs ambitions dans le monde, et cela en bonne intelligence avec les États-Unis. C'est un des axes de la politique française vis-à-vis de l'Europe et de l'Alliance atlantique depuis le début de la Ve République. Les Européens ne peuvent se cantonner à l'exercice de responsabilités secondes. Ils doivent jouer un rôle à leur mesure, qui ne peut que renforcer le lien transatlantique.
Force est de constater que le partenariat équilibré que nous recherchons bouscule parfois des habitudes intellectuelles confortées par un demi-siècle de confrontation Est-Ouest dont les termes étaient, par définition, binaires.
Réaliser ce nouveau partenariat avec l'Europe, dans un monde où les États-Unis s'affirment comme la superpuissance, est le défi que nous devons relever.
C'est en particulier de vous, mesdames et messieurs les parlementaires, que doit venir l'imagination politique indispensable à une telle entreprise.
Vous l'avez bien compris, mesdames et messieurs les parlementaires : la rénovation de l'Alliance s'inscrit dans le cadre plus large de la sécurité européenne pour le XXle siècle.
C'est pourquoi je voudrais, pour conclure, évoquer la question de l’élargissement.
L'accueil de nouveaux pays est au cœur de la rénovation de l'Alliance. Tout pays d'Europe centrale et orientale a en effet vocation, s'il le souhaite, à devenir un jour membre de l’Alliance atlantique. Pour adhérer, il faut respecter une triple condition politique, économique et militaire : une condition politique, la démocratie ; une condition économique, l'économie sociale de marché ; une condition militaire, la capacité de s'impliquer dans une coopération militaire. Étant donné que ces pays ne seront pas tous prêts au même moment pour adhérer à l'Alliance, nous devrons engager à leur intention un processus d'adhésion.
Il est clair que ce processus ne doit pas conduire à une nouvelle césure en Europe. Quelle ironie de l'histoire ce serait que d'instaurer, même involontairement, de nouvelles fractures dans l'Europe de l'après-1989... L'OTAN n'est pas organisée contre un pays ou un ensemble de pays mais pour assurer la paix, la sécurité et l'équilibre en Europe. C'est pourquoi la France souhaite la conclusion d'une charte avec la Russie.
Ce que nous imposent en effet les bouleversements salvateurs que l'Europe a connus en 1989, c'est de recréer un espace de sécurité dans lequel tous les pays européens, je dis bien tous, pourront se retrouver et jouer un rôle à la mesure de chacun. C'est pourquoi il est essentiel de renforcer l'OSCE. Ce sera une tâche majeure du sommet de Lisbonne en décembre prochain.
Rénovation et élargissement de l'OTAN, affirmation de l'identité européenne, renforcement du cadre paneuropéen de sécurité sont autant d'enjeux imbriqués et solidaires. Avant de les atteindre, nous aurons nécessairement traversé une période de transition et d'adaptation.
Nous devrons le faire en gardant à l'esprit l'essentiel, c'est-à-dire la poursuite de l'œuvre de construction européenne qui a été rendue possible par l'Alliance atlantique et qui est aussi nécessaire à la sécurité de l'Europe qu'à la solidité du lien transatlantique. Nous avons eu et nous aurons encore des discussions. Mais je suis convaincu que ce qui rapproche les alliés est bien plus important que ce qui les sépare. C'est pourquoi j'envisage l'avenir avec confiance.