Texte intégral
M. Cotta : Le ministère dont vous avez la charge vient de publier un livre blanc sur « l'arnaque à la consommation », vous animez un colloque sur ce sujet aujourd'hui. Pourquoi cette urgence ? Est-ce qu'il y a de plus en plus d'arnaques ?
Y. Galland : Cette urgence, c'est parce que non seulement il y a de plus en plus d'arnaques, mais elles touchent des personnes de plus en plus défavorisées. Et ceci est tout à fait scandaleux. Il n'y aura aucun laxisme, aucune complaisance du Gouvernement. Le chef de l'État lui-même s'est ému de cette situation. Pour donner un chiffre : il y a 1 à 1,5 million de personnes qui, aujourd'hui, sont touchées par des arnaques. Pourquoi une fourchette aussi large ? Parce que des gens n'aiment pas se faire avoir et donc on ne sait pas toujours les pires types d'arnaque. Mais à la direction générale de la concurrence, on reçoit 60 000 plaintes par an, on a 300 000 consultations téléphoniques par an sur ce sujet et vous avez 40 000 consultations sur place. Vous voyez donc que c'est un phénomène énorme.
M. Cotta : Pouvez-vous évaluer le chiffre d'affaires des entreprises d'arnaque?
Y. Galland : En tout cas, on évalue l'évasion du chiffre d'affaires qui est supérieur certainement à deux milliards de francs par an, c'est considérable.
M. Cotta : Quels sont les terrains propices à l'arnaque? La santé ou l'emploi ?
Y. Galland : Vous avez raison. Comme je vous le disais, ça touche d'abord les personnes les plus défavorisées, les personnes âgées et les chômeurs. Donc, vous allez tomber sur la santé et sur l'emploi. La santé, ce sont des choses invraisemblables : vous avez des arnaques comme la mélatonine où l'on vous fait une publicité selon laquelle vous pouvez vivre jusqu'à 120 ans !
M. Cotta : Il ne faut pas seulement être défavorisé, il faut être crédule quand même !
Y. Galland : Oui, mais la crédulité est un des éléments de base de l'arnaque et si on ne prend pas ça en compte, il faut partir du principe que vous avez des gens dans une situation de dépendance, dans une situation de fragilité et d'inquiétude, ce qui augmente la crédulité. Pour le commun des mortels, pour vos auditeurs qui nous écoutent, ils doivent trouver ça incroyable. Il y a beaucoup de gens qui se laissent avoir.
M. Cotta : Vous parlez d'un produit comme le ginseng, qui est un produit qui donne de l'énergie : 300 francs en pharmacie, 12 000 francs à des personnes démarchées !
Y. Galland : Exactement, il y a des gens qui achètent du ginseng dont on sait qu'il vaut 300 francs en pharmacie et il y en a beaucoup qui arrivent à l'acheter 12 000 francs, et des gens qui ne sont pas riches. Vous avez aussi des arnaques à la santé, pour maigrir. Vous savez, les célèbres publicités « avant, après ». J'ai entre les mains une lettre qui m'a été remise avant-hier à Valenciennes, c'est une chose incroyable : c'est une jeune femme qui est mince comme tout, et vous avez la photo, avant, d'une femme qui naturellement beaucoup plus enrobée. Cette jeune femme qui est mince, écrit : « Suite à une publicité dans la revue Nous Deux, une amie a demandé et reçu de la documentation sur ce produit avec des témoignages. Surprise de me voir sur ce document, elle l'a conservé et transmis – elle m'a aussitôt reconnue. Il est bien évident que je n'ai jamais eu recours à ce produit ni à un régime particulier ». Voici donc une arnaque formidable où « l'après » n'a absolument rien à voir avec « l'avant ».
M. Cotta : Les arnaques à l'emploi, ça doit être important à partir du moment où le chômage est important. Comment ça se passe une arnaque à l'emploi ?
Y. Galland : Les arnaques à l'emploi, elle a diverses formes. Elle peut avoir la forme de petites annonces dont il faut se méfier. Ce sont des petites annonces bidons, auxquelles vous devez répondre et ensuite on vous demandera de l'argent pour avoir des informations, simplement pour que vous ayez des informations. Ou alors, vous avez cette arnaque, par exemple, sur laquelle on vous promet 7 500 à 10 000 francs par mois, en enfilant des perles à domicile. Vous répondiez et on vous demandait, simplement pour voir un guide montage, 300 francs qu'il fallait envoyez ; Et au bout de ces 300 francs, vous n'avez rien du tout. Et puis, vous avez une autre arnaque qui est classique, qui se fait par lettre, vous répondez ensuite à une petite annonce et on vous dit : « mais vous pouvoir avoir un emploi formidable sur une plateforme de forage ». On vous décrit tout, les possibilités de revenus sur les plateformes de forage, les possibilités de fiscalité. Et puis après, qu'est-ce qu'on vous demande ? Un dossier d'information complet que vous payez 215 francs. Alors, ce sont de petites arnaques mais ce sont des arnaques qui touchent des gens qui sont en situation naturellement défavorable, de fragilité, et c'est inacceptable.
M. Cotta : Il y a aussi des arnaques sur la chance, le jeu, on vous promet des chaînes d'argent, des bracelets miracles…
Y. Galland : On vous promet des tas de choses, des bracelets miracles comme vous dites, des cadeaux qui sont mensongers. On vous promet, par exemple, un cabriolet et vous vous retrouvez avec une voiture miniature ; on vous promet des faux séjours qui sont gratuits ; vous avez des loteries qui sont fictives. Le jeu est un des éléments. Vous avez aussi le problème des pannes domestiques, qui est particulièrement sensible en ce qui concerne les personne âgées : on vient à domicile et, par exemple sur des extincteurs, on vous dit : « tenez, pesez votre extincteur ». Vous avez un extincteur en aluminium qui fonctionne parfaitement mais l'aluminium est plus léger que l'acier, il ne pèse que 5,8 kg. Et on vous fait pesez un extincteur en acier qui fait 8,5 kg. Et on vous dit : « vous voyez bien que votre extincteur est vide ». Et la malheureuse personne se laisse avoir et elle rachète un extincteur, alors que le sien était en parfait état, par une arnaque simple. Ça se produit aussi sur le chargement des tuyaux de gaz, la plomberie est très à la mode. Vous avez une malheureuse dame qu'un de vos confrères de la presse citait hier et qui avait payé 8 000 francs pour la réparation d'une baignoire sur laquelle il fallait déboucher un tuyau, et elle a 78 ans !
M. Cotta : De quelles formules mirifiques faut-il se défier ? On a l'impression que l'adjectif « avis officiel, notification officielle », il faut tout à fait se méfier.
Y. Galland : Il faut faire attention : à la fois, il y a des faux « avis officiel » dont il faut se méfier, tout ce qui ne correspond pas à de vrais labels. Et puis vous avez des labels dont il ne faut surtout pas se méfier, car, justement, ce sera probablement une piste de sortie qui sera rassurante pour le consommateur, y compris avec un certain nombre de réflexions que nous allons avoir dans le colloque aujourd'hui. Puis-je vous donner une information : on fait un colloque et on va faire une grande exposition sur les arnaques, qui sera ouverte au public au ministère des finances, samedi, rue de Bercy. Je voudrais que les gens qui sont susceptibles d'être touchés par les arnaques aillent voir cette exposition.
M. Cotta : On voit aussi la formule : « certifié… garanti… certificat de gain » il faut vraiment se méfier.
Y. Galland : Plus c'est superlatif et plus il faut se méfier. Les bons produits n'ont pas besoin de superlatifs et de superlatifs artificiels. Mais il y a aussi une chose sur laquelle il faut que nous fassions attention, je vous le signale, c'est que nous avons une localisation des arnaques. Le fait d'avoir une volonté inflexible pour réprimer les arnaques en France et je prendrai des décisions dès ce soir, à la suite de ce colloque, pour réprimer mieux et plus rapidement – fait que nous aurons aussi une dimension européenne à prendre en compte. Nous avons des délocalisations d'arnaque dans les pays de l'Union européenne.
M. Cotta : D'autant que tout ce qui est serveur informatique, Minitel, Internet, peut servir aussi de base à des arnaques.
Y. Galland : Oui, ça peut servir de base à des arnaques. Vous savez que France Télécom fait très attention et essaye d'être rigoureux. Il n'empêche que vous avez des serveurs qui sont des serveurs à « gogos ». Vous avez le 3615 Père Noël pour les enfants, sur lequel il faut un quart d'heure pour rentrer dans le système Père Noël. Vous avez, pour les chômeurs également un certain nombre d'étapes qu'il faut passer qui coûtent extrêmement cher.
M. Cotta : Comment lutte-t-on contre ces pratiques, comment faire cesser rapidement des pratiques caractérisées par la fugacité ?
Y. Galland : Les moyens, c'est que d'abord il va falloir informer, c'est incontestable. Ensuite, il va falloir faire en sorte que l'on puisse protéger et il va falloir réprimer et réprimer rapidement. Car, quand vous avez une arnaque que l'on décèle, il va falloir très rapidement la faire cesser. C'est un des problèmes que nous pouvons rencontrer.
M. Cotta : Donc une batterie de projets ?
Y. Galland : Une batterie de projets et le colloque aujourd'hui, avec des magistrats, des avocats, des spécialistes, va beaucoup nous aider à cet égard pour avancer.