Texte intégral
Actuellement, l’euphorie règne dans le monde. La crise asiatique ne paraît pas, à ce jour, avoir eu les effets qu’on redoutait. En France, toutes les données semblent rassurantes : la croissance, le chômage, l’investissement, la consommation.
Cette euphorie est-elle justifiée ? Il est trop tôt pour le dire, mais il semble bien que l’Europe entre dans une période de croissance et de création d’emplois plus fortes. Quelles en sont les causes ? On peut en débattre. Elles sont internationales, à coup sûr, et elles sont internes aussi, compte tenu des efforts menés depuis 1993 pour sortir la France de la récession, stopper l’augmentation du chômage et commencer à résorber les déficits.
Dès lors, la tentation est grande d’utiliser cette manne inespérée avant même que son existence ne soit confirmée.
Ne gâchons pas nos chances. Ne répétons pas l’erreur de la période 1988-1991, où les recettes fiscales et sociales considérables engendrées par la reprise de la croissance et par la baisse des impôts dues à la politique libérale conduite de 1986 à 1988 ont servi à « réhabiliter les dépenses publiques », et, partant, à casser la croissance et à accélérer une nouvelle fois la montée du chômage.
Le débat entre plus de rigueur ou plus de redistribution est un faux problème, comme l’est le débat entre la réduction des déficits ou la reprise de la consommation. Ce qu’il nous faut, c’est muscler l’économie française pour réduire le chômage durablement. Il faut nous en convaincre : nous ne serons pas les seuls à avoir raison contre le monde entier. Partout à l’étranger, les pays qui ont obtenu de bons résultats pour l’emploi sont ceux qui ont réduit les déficits publics, développé l’initiative, favorisé les entreprises et la création de travail.
Le problème fondamental que nous avons devant nous dans les années qui viennent est donc celui-là : il faut consacrer tous les fruits de la croissance à remédier aux défauts de la société française caractérisés pas trop de chômage dû à trop de réglementation, trop de charges, trop d’impositions, une durée annuelle du travail trop brève, un âge de la retraite trop précoce, des dépenses sociales lourdes. Tout ce qui, dans les circonstances d’aujourd’hui, accentue ces originalités françaises est mauvais, comme est mauvais l’accroissement inconsidéré de la masse salariale de la fonction publique, erreur de 1990 répétée en 1998, comme est mauvaise l’application autoritaire et automatique des 35 heures, erreur de 1982 répétée en 1998. Que faire ? Le vaste effort de réforme qui est indispensable doit être l’objet d’un véritable débat national. Nous devons avoir trois objectifs : muscler l’économie, assurer l’emploi, garantir la protection sociale. Muscler l’économie, cela veut dire réduire les déficits publics : 3 % du PIB, c’est encore beaucoup trop dans un pays qui consacre plus de 50 % de son PIB aux dépenses publiques. Cet effort de réduction des déficits n’est nullement en contradiction avec la croissance. Tout au contraire, il en est la condition puisqu’il entraîne la baisse des taux d’intérêt. Les expériences étrangères le prouvent.
Il faut poursuivre la privatisation de toutes les entreprises du secteur concurrentiel, réformer la fiscalité après la hausse considérable de la CSG et la baisse des cotisations salariales : se fixer pour objectif de réduire les impôts, charges, et cotisations d’un montant de l’ordre de 200 milliards d’ici à 2002, ce qui veut dire de considérables réduction des dépenses budgétaires et sociales. La très grande majorité des pays concurrents et de taille comparable à celle de la France connaissent des taux d’impositions et de dépenses publiques bien inférieurs aux siens.
Assurer l’emploi, cela veut dire développer l’offre de travail grâce à la baisse des charges sur les bas salaires qui a été malheureusement remise en cause et qu’il faut reprendre énergiquement. Jamais le problème du chômage des travailleurs peu qualifiés ne sera résolu sans un tel abaissement de charges. Cela veut dire aussi assouplir le marché du travail en simplifiant la notion de contrat de travail, en favorisant l’embauche dans les très petites entreprises et en y expérimentant de nouvelles formes de représentation du personnel.
Cela veut dire réformer tout notre système d’aides aux chômeurs. Je ne peux qu’approuver la décision que j’avais moi-même préconisée et qui consiste, pour favoriser la reprise d’activité par les chômeurs, à leur laisser pour une période provisoire et d’une manière dégressive le bénéfice du montant des allocations qui leur sont versées. À plus long terme, cela signifie une mise à l’étude du système de l’impôt négatif, solution qui a donné d’heureux résultats dans plusieurs États américains.
Cela veut dire, encore, la réforme de notre système éducatif et le développement de la formation professionnelle et de l’apprentissage, en association avec les régions et les entreprises.
Enfin, garantir la protection sociale, cela signifie mesurer ses conséquences financières et les rendre supportables pour la société. Il est bien évident qu’il faut étendre au secteur public la réforme des retraites du secteur privé auquel il a été procédé en 1993. Il faut ouvrir des négociations avec les organisations de fonctionnaires en envisageant, par exemple, la prise en charge dans l’assiette des retraites des primes qui en sont actuellement exclues, moyennant un allongement de la durée de cotisation. Il faut réformer l’assurance-maladie, notamment dans le domaine hospitalier, en posant le principe que toute augmentation du poids des dépenses de maladie dans la richesse nationale doit être exclue, ce qui signifie éventuellement des remboursements variables selon les résultats de gestion des différentes caisses.
Il s’agit là simplement de quelques exemples. Le temps presse pour arrêter un plan d’action pour les années qui viennent. L’euro va se faire, le grand marché européen fonctionnera et la France doit y disposer de tous les atouts indispensables.
De 1987 à 1991, compte tenu de la reprise de la croissance engendrée par une politique libérale, le chômage a diminué de plus de 300 000 personnes et puis, à partir de 1991, il a recommencé à augmenter jusqu’à fin 1993 parce qu’on avait gaspillés les bénéfices de la croissance. Nous connaîtrons la même situation si nous n’y prenons garde. Dans un premier temps, le chômage baissera la croissance revenant ; puis, aucune réforme n’ayant été faite, il recommencera à augmenter.
Une volonté de réforme, de réforme hardie, doit tous nous animer. Elle portera des fruits bien plus qu’un débat renouvelé sur une prétendue pensée unique. La pensée unique, aujourd’hui, en France, c’est l’unanimisme social-démocrate, en l’occurrence le maintien de l’étatisme, le poids des acquis dont certains ne sont plus justifiés, la lourdeur des contraintes collectives. Sachons nous évader de cette pensée unique qui nous enserre dans ses faux raisonnements.