Texte intégral
Inauguration du colloque tenu à l’occasion du 75e anniversaire des accords d’Ankara (à Ankara, le 21 octobre 1996)
Monsieur le vice-président de l’Assemblée nationale,
Monsieur le sous-secrétaire d’État,
Madame et Monsieur les doyens,
Monsieur le recteur,
Monsieur le président du groupe d’amitié turco-français,
Messieurs les députés,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Moi aussi, je suis particulièrement heureux de pouvoir être aujourd’hui parmi vous, Ankara, et de m’exprimer quelques instants ici, à cette tribune, dans ce lieu à la fois chargé d’histoire et d’émotion, que l’on ressent d’ailleurs très bien quand on se trouve sur ces bancs : à cette tribune, Atatürk s’exprimait quelquefois, pendant ces quatre années, m’a-t-on dit, où ce lieu a été celui de la première Assemblée nationale. Je suis heureux, très sincèrement, de pouvoir représenter ici le gouvernement de la République française et de célébrer avec vous ce 75e anniversaire des relations officielles entre la France et la Turquie moderne.
C’est bien de la Turquie moderne que je parle, de l’État-nation que vous avez évoqué à l’instant, Monsieur le Président. Car, vous le savez aussi bien que moi, les relations diplomatiques entre Français et Turcs sons anciennes et remontent à de nombreux siècles, et même au fameux accord conclu en 1535 entre François Ier et Soliman le Législateur, que nous appelons chez nous Soliman le Magnifique.
Depuis 1921, la République française et la future République de Turquie ont appris à se connaître. Elles ont développé des liens d’amitié et de franchise, à travers un dialogue qui a sa propre histoire. Je suis heureux de constater aujourd’hui que ce dialogue se renforce, s’élargit, avec l’approfondissement des liens de la Turquie et de l’Union européenne. Je le constate et je le vis tous les jours comme ministre français chargé des questions européennes.
Vous le savez, Mesdames et Messieurs, le Président de la République française, Jacques Chirac, s’est fait personnellement l’avocat de !a Turquie auprès de ses partenaires européens, lors des négociations qui ont été difficiles et qui étaient importantes, pour la mise en œuvre de l’Union douanière. Nous aurons l’occasion de parler, tout au long de cette journée, avec les responsables de votre pays, de la mise en œuvre de ce contrat, de cet accord d’union douanière.
Permettez-moi de féliciter très chaleureusement les organisateurs de ce colloque, pour l’initiative qu’ils ont prise. M. le Doyen de la faculté des sciences politiques d’Ankara, M. le directeur de l’institut français d’études anatoliennes, pour le choix des intervenants que vous avez réunis ici, pour l’intérêt des sujets que vous avez décidé d’inscrire au programme de ce colloque qui constitue, me semble-t-il, un excellent exemple du partenariat franco-turc et du caractère à la fois divers et multiforme des relations entre nos deux pays.
Vous disiez, Monsieur le directeur, tout à l’heure, qu’il y aurait des enseignements à tirer de ce colloque. Je pense non seulement aux étudiants en relations internationales, qui sont ici nombreux et que je salue, mais aussi aux hommes et aux femmes politiques. Il ne s’agit pas seulement, quand on regarde cette longue amitié de soixante-quinze ans, dans notre siècle qui s’achève, de tirer des enseignements scientifiques. Nous ne sommes pas seulement les héritiers scientifiques de cette histoire. Je pense aussi que nous devons en être les héritiers politiques. Voilà en effet 75 ans qu’Henri Franklin-Bouillon et le ministre Youssouf Kemal se sont retrouvés ici, pour signer un texte majeur. Vous l’avez rappelé, les uns et les autres, puisqu’il s’agissait rien moins que :
– de mettre fin à l’état de guerre entre nos deux nations, telle fut leur première décision ;
– mais encore, de fixer en partie les frontières de la future République de Turquie ;
– et enfin, d’engager un dialogue politique fructueux qui devait mener à l’abandon ou à la révision du Traité de Sèvres, pour aller vers le Traité de Lausanne, où la France s’est faite, vous le savez, le défenseur des intérêts du nouvel État auprès de tous ses alliés.
Mais paradoxalement, il me semble que la partie la plus importante de ces accords ne résidait pas tant dans ce que contenait le texte lui-même, que dans le fait, le simple fait même, de les signer. À mes yeux, les Accords d’Ankara ont constitué de la part de la République française, une triple reconnaissance.
1. Tout d’abord, le texte signé par Henri Franklin-Bouillon et le ministre turc des affaires étrangères, Youssouf Kemal, représente la première reconnaissance, par une puissance étrangère, de l’existence d’un État-nation en Turquie.
Il faut se souvenir, ou plutôt rappeler le contexte de cette époque, pour comprendre à la fois l’audace, vous avez dit tout à l’heure, Monsieur le sous-secrétaire d’État, l’absence de timidité et la portée de ce choix : en octobre 1921, l’armée nationale turque venait à peine de remporter la bataille de Sakarya. C’était une véritable bataille de la Marne, en plein cœur de l’Anatolie. Si les troupes grecques évacuaient le pays, les puissances alliées n’en occupaient pas moins une partie importante du territoire turc, et la lutte était encore très loin d’être achevée. Le sultan, à Istanbul, représentait encore une autorité forte, il contestait l’existence de la grande Assemblée nationale de Turquie. Et enfin, l’avenir du gouvernement d’Ankara semblait encore incertain. Mais une nation était en train de construire son État.
2. Continuer à se battre contre cette réalité aurait été faire preuve d’une incompréhension profonde des réalités de votre pays. La France s’honore d’avoir été, sans timidité, en effet, Monsieur le sous-secrétaire d’État, la première parmi les nations occidentales, à renouer ses liens traditionnels avec le peuple turc.
Il y a en effet entre la France et la Turquie beaucoup plus que des intérêts communs, des relations politiques et économiques. Il existe aussi, nous l’avons bien compris en vous écoutant les uns et les autres, des liens affectifs, qui s’inscrivent dans l’histoire très longue de nos deux grandes nations
Dès lors, il s’imposait aux deux parties de dépasser des mésententes passagères et de s’engager sur la voie de ce dialogue approfondi. Je me réjouis, Mesdames et Messieurs, de constater que ces liens sont aujourd’hui bien vivants, et qu’ils ne cessent et ne cesseront de se renforcer.
Pour prendre quelques exemples, je noterai qu’en matière économique, la France occupe la place de premier investisseur étranger en Turquie depuis plusieurs années. La France et la Turquie entretiennent une coopération très étroite dans les domaines culturel, scientifique et technique, comme en témoigne le soutien apporté de part et d’autre au projet, très important pour nous, d’université francophone de Galatasaray. D’ailleurs, un nom et un quartier, Galatasaray, qui est devenu depuis quelques jours très célèbre en France. Mais il y a un match retour... je dis ça en passant parce que, vous le savez peut-être, je m’intéresse beaucoup aux sports, depuis quelques années, dans mon pays aussi.
Est-il besoin, au-delà du sport et au-delà de l’université, de parler de coopération politique ? Le dialogue est intense entre nos deux capitales, et je veux témoigner de l’attention personnelle et quotidienne que porte le Président Jacques Chirac à cette coopération politique. Les convergences de vue sur les questions internationales sont nombreuses. Cela ne veut pas dire, Mesdames et Messieurs, que nous soyons toujours forcément d’accord sur tous les sujets. Mais n’est-ce pas au fond le privilège de nations qui sont amies depuis longtemps que de pouvoir se parler franchement, sur tous les sujets, et puis de rechercher et de trouver les solutions les plus acceptables entre elles et pour elles.
3. Enfin, les Accords d’Ankara ont marqué la reconnaissance par la France de la personnalité exceptionnelle du fondateur de la Turquie moderne. Mustafa Kemal a su, non seulement se lever et résister aux pires moments de la défaite, mais aussi, une fois son pays libéré, le conduire vers un système de gouvernement stable et démocratique. Sous son autorité, la Turquie a su mettre en place un régime qui a fait siennes de nombreuses valeurs défendues, vous l’avez rappelé à l’instant. Monsieur le Président, par la France républicaine : paix et démocratie, laïcité. Ces principes sont toujours d’actualité. Ils ont en effet une portée universelle pour tout système républicain moderne.
En évoquant trop rapidement la figure du premier Président de la République de Turquie, je ne peux me retenir d’avoir une pensée pour un autre Président de la France qui a justifié mon engagement personnel dans la vie politique, le général de Gaulle. Tous deux avaient en commun l’amour de leur patrie et la volonté inflexible de moderniser et de réformer leur pays, condition essentielle, toujours essentielle, du bien-être de nos populations et du rayonnement de nos nations.
Je regrette beaucoup que mon emploi du temps ne me permette pas de rester avec vous plus longtemps, Mesdames et Messieurs. Je serai attentif aux leçons pour l’avenir, aux leçons politiques, que vous retirerez de cet examen scrupuleux et objectif de ces 75 années, à travers votre colloque. J’aurais souhaité notamment écouter l’intervention de Vagit Halefoglu sur les relations franco-turques durant la période où le général de Gaulle a été le Président de la France. Je sais que, parmi les amis de la France réunis ici, nombreux sont ceux qui gardent un souvenir très ému de la visite du général, qui aura été et qui restera un moment privilégié des relations Franco-turques.
Je peux d’ailleurs, en parlant du symbole que représente la visite d’un Président de la République française ici, vous dire, vous confirmer que le Président Jacques Chirac a accepté l’invitation qui lui a été faite par le Président Demirel de se rendre un jour prochain dans votre pays.
Mesdames et Messieurs, en vous remerciant très sincèrement pour la chaleur de votre accueil, pour l’opportunité que vous m’avez donné de m’exprimer ici, à cette tribune historique, et en vous laissant dans les mains des meilleurs historiens de l’amitié franco-turque, je souhaite simplement que ce colloque célèbre dignement l’intérêt et l’amitié mutuels que se portaient il y a 75 ans déjà nos deux peuples, et qu’ils continueront à se porter, je le pense, encore très longtemps. Je vous remercie.
Conférence de presse avec la presse turque (Ankara, 21 octobre 1996)
Madame le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs,
Merci beaucoup de votre présence et de votre intérêt. Je ne suis pas surpris mais je suis impressionné par le nombre de journalistes, c’est un bon signal.
La Turquie est un pays ami et allié de la France. Nous poursuivons et nous souhaitons intensifier avec le gouvernement de ce pays le dialogue politique qui a été entrepris il y a maintenant bien longtemps. L’une des étapes importantes de celui-ci a été le 75e anniversaire des Accords d’Ankara que je suis venu célébrer ce matin, dans le siège de la première Assemblée nationale turque, qui est un lieu chargé d’histoire et d’émotion.
Tout au long de cette journée d’entretiens ou j’ai été très chaleureusement et amicalement reçu, nous avons naturellement parlé des relations bilatérales entre la Turquie et la France, des projets de coopération économique, culturelle, politique. Je pense à un projet auquel nous attachons, nous, Français, beaucoup d’importance, qui est l’université francophone de Galatasaray. D’ailleurs, à Galatasaray il n’y a pas qu’un projet d’université, i1 y a aussi une bonne équipe de football. Il y aura un match retour. Que le meilleur gagne. Je m’intéresse beaucoup aux sports, j’ai passé dix ans de ma vie à organiser les Jeux olympiques d’hiver en France, en 1992.
Le ministre des affaires étrangères vient de dire l’importance de la stabilité dans cette région. Il est clair que la Turquie est au carrefour, au cœur d’une zone de stabilité ou d’instabilité, selon les moments, entre les Balkans, le Caucase, le Proche-Orient. Nous pensons, en France, que toutes les chances de stabilité, tous les risques d’instabilité dans cette région, autour de la Turquie, sont des chances ou des risques pour l’Union européenne. Mesdames et Messieurs, l’ancrage européen de la Turquie reste pour nous une priorité, et c’est pourquoi nous restons fidèles à l’esprit et aux perspectives tracés en 1963, par l’accord d’association entre l’Union européenne et la Turquie, qui fixe cette perspective d’adhésion. Nous y restons fidèles et il faut donc, étape par étape, réussir progressivement le chemin vers l’adhésion. L’une des étapes, c’est 1e contrat d’Union douanière auquel Mme Ciller a apporté tant de soin, il y a quelques mois, et qui est une étape très importante, très difficile et qu’il nous faut maintenant réussir.
Je voudrais dire ici, à Ankara, ce que j’ai dit en visitant chacun des autres pays associés à l’Union européenne en Europe centrale, orientale ou baltique : adhérer à l’Union européenne et se rapprocher d’elle, dans un premier temps, ce n’est pas seulement se rapprocher d’un marché commun ou d’un super marché (même si nous savons que les relations économiques avec le grand marché de 360 millions de consommateurs sont très importantes pour la Turquie comme l’est pour nous de nous rapprocher du marché turc). C’est aussi adhérer et se rapprocher d’un ensemble politique, d’un ensemble démocratique. Nous avons choisi entre nous, définitivement, d’être réunis par un système qui assure la paix et la démocratie sur notre territoire, de manière définitive. Il nous faut donc poursuivre nos efforts aux côtés de la Turquie pour aboutir enfin à des relations de bon voisinage entre la Grèce, membre de l’Union européenne, et la Turquie. Il nous faut aussi encourager votre pays sur la voie qu’il a choisie, de l’État de droit, de la démocratisation, depuis quelques années, depuis 1995 ; dans cette entreprise, le gouvernement turc peut compter sur le soutien de la France, et en particulier du Président de la République française.
J’ai transmis à Mme Ciller le message très cordial du Président de la République française et du Premier ministre à l’intention du Président Demirel et à l’intention du Premier ministre, M. Erbakan, et de l’ensemble des autorités turques. Je veux dire en conclusion la très grande attention amicale que nous continuerons de porter, dans l’esprit des Accords de 1921, qui sont maintenant anciens. Nous en tirerons les leçons pour l’avenir, pour la marche de la Turquie vers l’Union européenne, dans cette zone où nous avons besoin d’elle pour la stabilité de cette région.
Q. : (Question sur la situation des Droits de l’Homme)
R. : Vous me permettrez de dire un petit mot, sans me mêler des affaires intérieures de la Turquie. Je veux rappeler que les pays de l’Union européenne et le Parlement européen, comme il l’a montré dans une résolution le 19 septembre dernier, sont très attentifs à la question des Droits de l’Homme. Il ne s’agit pas de donner des leçons, mais au sein de l’Union européenne, et en particulier au Parlement européen, la question des Droits de l’Homme dans le monde, et en particulier dans les pays avec lesquels nous avons des relations privilégiées, est sensible. J’ai entendu avec beaucoup d’intérêt et d’attention les explications et les projets du gouvernement turc vers plus de démocratisation, vers plus de protection des Droits de l’Homme. Nous considérons qu’il s’agit là d’un pas important dans la bonne direction.