Interview de M. Edouard Balladur, député RPR, à RMC et Europe 1 le 6 décembre 1996, sur le projet de privatisation de Thomson, les conditions du retour à la croissance et la réforme fiscale.

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Circonstance : Première réunion publique en province de l'Association pour la réforme d'Edouard Balladur, le 5 décembre 1996 à Nice

Média : Emission Forum RMC FR3 - Europe 1 - RMC

Texte intégral

RMC - Vendredi 6 décembre 1996

P. Lapousterle : Vous avez tenu, hier soir, ici, à Nice, devant plus de 1 000 personnes, la première réunion publique en province de « l’association pour la réforme ». Est-ce que cela veut dire que vous allez vous battre pour qu’on aille plus vite dans les réformes, plus loin et que le rythme actuel ne vous satisfait pas ?

É. Balladur : Ce que je crois surtout d’abord, c’est que dans la situation que connaît notre pays, la majorité a besoin de rassembler toutes ses forces, et de les rassembler au service d’un projet de changement, de renouveau et de réforme. C’est le sens de l’action que je tente de mener au sein de l’association que j’ai créée. Et j’ai été heureux de venir à Nice pour m’en expliquer. Je remercie les Niçois et les habitants des Alpes-Maritimes qui ont bien voulu venir m’entendre. Notre pays traverse une situation qui est difficile. Nous en parlerons peut-être. Nous avons besoin que toutes les bonnes volontés soient rassemblées pour soutenir le mouvement du changement, même pour l’accélérer, éventuellement pour l’infléchir. C’est ainsi que doit fonctionner une majorité qui est une majorité vivante, solidaire mais en même temps, où chacun doit apporter son dynamisme, son imagination.

P. Lapousterle : Un mot sur l’actualité récente. Le pays vient d’être endeuillé par un attentat. Approuvez-vous tout ce que le Gouvernement et le Président de la République ont dit et fait depuis l’attentat ?

É. Balladur : Tout à fait. J’approuve complètement et je soutiens. Nous avons besoin, là comme ailleurs, de cohésion et de rassemblement. La France est à nouveau la victime du terrorisme pour des causes diverses sur lesquelles on peut débattre longuement, mais le temps n’est pas au débat mais à l’action. Je soutiens donc l’action du Gouvernement pour lutter contre le terrorisme par tous les moyens légaux d’un État démocratique bien entendu, mais tous les moyens, et je pense que les Français soutiennent cet effort dans leur immense majorité.

P. Lapousterle : Vous avez été le ministre des Finances des premières privatisations, vous avez été ensuite le Premier ministre d’autres privatisations. La commission de privatisation a demandé au Gouvernement de revoir sa copie pour le passage au privé de l’entreprise Thomson. Partagez-vous le sentiment de ceux qui disent que, pour Thomson Multimédia, il voudrait mieux une solution française qu’étrangère ?

É. Balladur : D’abord, première observation, les privatisations c’est une action qui est difficile et qui est complexe. Je suis payé pour le savoir si j’ose dire puisque j’ai été, oh combien, critiqué pour les avoir menées. Pour autant, non seulement je ne regrette rien mais je suis fier d’avoir mené cette action de privatisation car s’il y a quelque chose qui est prouvé désormais, c’est combien les nationalisations sont néfastes pour les entreprises, pour l’économie française et pour les contribuables français. Premier point. Deuxième point, la France a besoin d’une grande industrie de défense et pour cela, des rapprochements doivent avoir lieu. Le Gouvernement a décidé de vendre Thomson dans la procédure de gré à gré à des entreprises candidates qui sont françaises. Il a fait son choix. Je n’ai pas à faire de commentaires sur ce choix. Ce qui m’importe c’est que, grâce à ce choix, nous ayons une grande industrie de défense. Troisièmement, la procédure. Cette procédure a été instituée au temps où j’étais Premier ministre et elle a été un peu revue après. Et il est parfaitement normal et souhaitable qu’il y ait un organisme indépendant qui donne son avis. Il a donné son avis, ce qui conduit le Gouvernement à reprendre les choses. Eh bien, laissons-lui le temps nécessaire pour les reprendre.

En ce qui me concerne, je crois premièrement que Thomson doit être privatisé. Je crois, en deuxième lieu, que nous avons besoin d’une grande et solide industrie de défense. Le reste, il appartient à ceux qui connaissent les dossiers en détail de se faire une opinion et d’en décider. Il ne faut pas que ce soit une affaire de polémique, cette affaire.

P. Lapousterle : Lorsque vous êtes entré à Matignon au printemps 1993, la gauche venait de connaître une déroute historique. Est-ce que ce n’est pas un grave échec du Gouvernement actuel et finalement de la majorité, que la gauche se retrouve apparemment requinquée dans les sondages puisque les Français ont envie de lui donner sa chance aux prochaines élections ?

É. Balladur : Écoutez, nous verrons ! Il s’agit de sondages et nous verrons au moment des élections. Ce qu’il y a, c’est que l’on a sans doute sous-estimé l’ampleur des problèmes qui se posaient à la France en 1993. Lorsque je vois et j’entends les socialistes parler du bilan de notre action, je considère que la réponse est facile. Il y avait des déficits budgétaires énormes, des déficits sociaux énormes, un chômage qui augmentait de 20 000 ou 30 000 personnes par mois. Nous avons dû supporter cette situation pendant pratiquement toute l’année 1993 avant que, grâce à l’action du gouvernement que je dirigeais, la croissance ne revienne, l’emploi ne commence à s’améliorer et les déficits ne commencent à baisser. Alors, nous verrons le moment venu. Ce que je pense en ce qui me concerne, c’est que tout dépend du retour de la confiance en l’avenir. Y compris la croissance ! Nombre de Françaises et de Français n’investissent pas, ne consomment pas, ne dépensent pas en se disant : « de quoi, demain sera-t-il fait ? ». Il nous faut donc la confiance. Lorsqu’il y aura davantage de confiance dans l’avenir…

P. Lapousterle : Et les conditions de la croissance ?

É. Balladur : Attendez, la croissance reviendra et si la croissance revient, tout sera plus facile et la réduction des déficits et la réduction du chômage. Alors, vous me dites : quelles sont les conditions de la confiance ? Eh bien, pour cela, je pense qu’il faut un peu assouplir l’action actuelle. C’est ce que j’ai appelé « désinflexion », la « voie nouvelle ». J’approuve la réduction des déficits, cela va de soi, je l’avais commencée. J’approuve la stabilité monétaire, cela va de soi, je l’ai défendue. Pour autant, il faut aller plus vite et plus loin en matière de baisse des impôts et des charges. Il faut aller plus vite et plus loin en matière d’assouplissement de la politique du crédit et de la politique monétaire.

P. Lapousterle : Avec des taux moins élevés.

É. Balladur : Avec éventuellement des taux moins élevés. Il faut aller plus vite et plus loin en assouplissant le droit du travail. Il ne s’agit pas du tout de détruire les protections des travailleurs, pas du tout ! Mais enfin si on allonge la durée des contrats à durée déterminée ou si on fait des expériences pour voir si la suspension des seuils sociaux dans les entreprises permet de recruter plus facilement, faisons l’expérience sans idées préconçues.

P. Lapousterle : Chaque fois que l’on parle de flexibilité, les syndicats disent que c’est un mot courtois pour parler de salariés jetable.

É. Balladur : Mais qu’est-ce qu’on préfère ? La croissance du chômage ? Nous ne pouvons pas continuer, nous, Français, à avoir l’un des chômages les plus importants au monde. Cela ne peut plus durer. Alors que veut-on ? Que cela continue ? Si on ne veut pas que cela continue, il faut se donner les moyens d’inverser le mouvement. Pour inverser le mouvement, je le répète, il faut beaucoup de choses. Il faut plus de croissance et de confiance dans l’avenir, il faut moins d’impôts, il faut davantage d’argent dans l’économie et il faut plus de souplesse. Et moi, je suis persuadé que vous diriez à un Français : est-ce que vous préférez avoir un contrat à durée déterminée de trente-six mois au lieu de dix-huit ou vous préférez être mis au chômage ? Que préférera le Français ? Il préférera le contrat à durée déterminée et il aura bien raison. Donc, pas d’idées préconçues et ne nous battons pas sur des idées abstraites.

P. Lapousterle : Les sénateurs ont demandé à ce que l’impôt de solidarité sur la fortune des plus hauts revenus soit amoindri, partagez-vous leur demande ?

É. Balladur : Je crois qu’en la matière, il aurait mieux valu ne pas toucher à la législation, il y a un an. Deuxièmement, je pense que c’est un des domaines dans lequel il faut nous coordonner avec nos partenaires européens. Nous ne pouvons pas à la fois dire que nous voulons faire l’Europe et dire, comme le disent certains, mais je pense qu’ils sont largement minoritaires, que nous voulons dévaluer le franc par rapport au mark, et puis dire qu’il est normal que nous ayons l’impôt sur le revenu, l’impôt sur la consommation, l’impôt sur le capital le plus élevé en Europe. Cela ne pourra pas marcher. Donc, il faudra bien que les pays européens coordonnent leurs efforts pour harmoniser leur niveau d’impôt. Alors, nous verrons bien si le niveau des impôts français sur telle ou telle catégorie est plus élevé que la moyenne. Et s’il est plus élevé que la moyenne, il faudra y porter remède.

 

Europe 1 - Vendredi 6 décembre 1996

É. Balladur : Il ne s’agit pas de retirer des garanties, de retirer des protections ; il ne s’agit pas d’instituer une société qui serait une société sauvage mais, à l’inverse, il faut aussi une société qui soit plus souple qu’elle ne l’est. Qu’est-ce que ça veut dire simplifier la législation du travail ? On peut imaginer beaucoup de choses. La première, c’est augmenter la durée des contrats à durée déterminée. Après tout, ils sont de 18 mois aujourd’hui, qu’est-ce qui empêcherait qu’ils soient de 24 ou de 36 mois ? Deuxième simplification : nombre d’entreprises sont découragées de créer des emplois parce que, quand on franchit des seuils de 10 salariés ou de 50 salariés, tout une série d’obligations et de contraintes nouvelles doivent être respectées. Ne serait-il pas possible qu’à titre expérimental, on décide que dans telle ou telle région, on suspend cette législation pour une période de deux ans, par exemple, afin de voir si, grâce à cette souplesse nouvelle, on a pu créer davantage d’emplois ?