Point de presse conjoint de MM. Michel Barnier, ministre délégué aux affaires européennes, et Werner Hoyer, ministre allemand délégué aux affaires européennes, sur la proposition franco-allemande de développement des coopérations renforcées dans le cadre de l'Union européenne, Bruxelles le 22 octobre 1996.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Michel Barnier - Ministre délégué aux affaires européennes ;
  • Werner Hoyer - Ministre allemand délégué aux affaires européennes

Texte intégral

Merci d’avoir répondu à cette invitation que nous vous adressons, Werner Hoyer et moi, au moment où vient de se terminer une nouvelle séance de négociation du groupe des représentants personnels. Nous avons voulu vous rencontrer, et naturellement répondre à vos questions, pour faire le point et expliquer un document que la France et l’Allemagne considèrent comme important. Ce document a été rédigé et publié à l’initiative d’Hervé de Charette et de Klaus Kinkel il y a quelques jours. Il a été remis aux représentants à la négociation et fera l’objet d’un commentaire et d’une discussion probablement la semaine prochaine dans le même cadre.

C’est donc pour vous donner une explication sur le fond et la forme de ce document que nous souhaitions vous rencontrer, compte tenu de son importance. Je vous rappelle par ailleurs que l’idée de cette clause sur la coopération renforcée figurait il y a presqu’un an déjà dans la lettre du chancelier et du Président français, publiée à Baden-Baden.

Cette proposition franco-allemande, qui est une proposition à nos partenaires, part d’un constat simple : les coopérations renforcées existent : elles existent dans le Traité, avec par exemple l’Union économique et monétaire ; elles existent à côté du traité, c’est le cas du protocole social ; elles existent aussi en dehors du traité, c’est le cas de la convention de Schengen.

Notre conviction, c’est que ces coopérations renforcées vont se multiplier, compte tenu de la nature du problème et naturellement de l’augmentation du nombre des membres de l’Union. Il est donc incontestable que la cohérence de l’Union européenne peut être en cause. La seule question qui se pose et à laquelle nous avons voulu répondre avec ce document est la suivante : faut-il favoriser le développement de ces coopérations renforcées dans l’Union, dans le cadre institutionnel unique de l’Union, ou faut-il prendre le risque – je dis bien : le risque, pour l’idée européenne qui est la nôtre – qu’elle se développe de plus en plus à l’extérieur de l’Union?

La France et l’Allemagne pense que le lieu principal de la coopération renforcée doit être l’Union européenne. Il nous fallait donc prévoir, à la faveur de cette négociation de la Conférence intergouvernementale, et proposer des conditions institutionnelles pour que ces coopérations renforcées puissent se développer dans l’Union. Voilà la raison du document Kinkel-Charrette, dont nous axons dit à nos partenaires l’importance.

Bien sûr, il existe chez nos partenaires – pourquoi le cacher ? – des inquiétudes et des questions. Des coopérations renforcées appliquées à l’ensemble du Traité ne risquent-elles pas de remettre en cause l’acquis communautaire et en particulier le marché intérieur ? Voilà la principale des préoccupations que nous avons entendues C’est aussi pourquoi nous avons voulu écrire les choses de manière assez précise, pour dissiper ces inquiétudes Nous proposons, sous l’avez lu, une clause générale de coopération renforcée, qui comporte plusieurs éléments.

J’en rappelle quelques-uns, pour les préciser. D’abord, la préservation du cadre institutionnel unique, qui fait qu’aucun membre de l’Union, qui a la volonté et la capacité de participer, ne doit être exclu d’une coopération renforcée, le respect du droit communautaire et de l’acquis communautaire, le respect des objectifs du Traité et dans ce cas, le rôle particulier de contrôle donné à la Commission pour d’éventuelles coopérations renforcées dans le premier pilier. Nous indiquons aussi qu’aucun État membre n’aurait le droit de veto et que la coopération renforcée ne peut pas servir à modifier le Traité.

Voilà quelques-unes des conditions que nous avons écrites pour expliquer et le cas échéant, rassurer.

Vous avez vu aussi que notre document commun propose des clauses spécifiques dans chaque pilier, pour compléter la clause générale que je viens d’évoquer. C’est ainsi que pour le pilier communautaire, l’avis préalable de la Commission est un élément tout à fait important du dispositif que nous proposons.

Encore une fois, il ne s’agit pas de remettre en cause l’acquis, à aucun moment, mais aller plus loin, comme les ministres l’ont dit, d’éviter que dans une Union à 20, 25 ou 27, l’ensemble soit contraint d’avancer au pas du pays le moins pressé.

Si l’Union devait refuser ou ne pas comprendre cette évolution nécessaire, alors je le redis en conclusion, le risque pour tout le monde serait que ces coopérations renforcées se déroulent hors du Traité, hors de l’Union, sans contrôle, sans cohérence pour personne. Il me semble que, de plus en plus, nos partenaires comprennent notre raisonnement, notre idée, qui est une grande idée pour le progrès de l’Union européenne. Et ceux qui réclamaient des éclaircissements auront une réponse, une explication dans ce document.

Q. : (Sur la défense)

R. : J’observe d’ailleurs, Monsieur, que cette idée de coopération renforcée à particulièrement intéressé certains membres de l’Union qui ne sont pas membres d’une alliance militaire. L’idée d’être autour de la table, consultés, participant à la réflexion et s’ils le veulent à la décision, avec cette flexibilité, les a beaucoup intéressés J’observe, et nous en sommes heureux, une évolution importante de ces pays.

Q. : Est-ce que vous ne croyez pas que ces projets de coopération renforcée, notamment de la France et de l’Allemagne, peuvent paraître à l’opinion quelque peu académique, même purement rhétoriques, quand on voit les divergences qui existent aujourd’hui sur un événement majeur pour l’Europe qu’est la relance du processus de paix au Proche-Orient ?

R. : Est-ce qu’il faut condamner une proposition franco-allemande au nom de la situation actuelle ? Je pense qu’il faut dire exactement le contraire : c’est parce que nous constatons l’impuissance dans des situations de crise ou de difficultés internationales, l’incapacité institutionnelle de l’Union européenne de créer, les conditions d’une politique étrangère commune, que nous essayons aujourd’hui à améliorer les mécanismes. Naturellement, ni cette idée de coopération renforcée, ni les outils que nous proposons sur lesquels nous travaillons également, M. PESC, la cellule de planification, ni ces outils ni ces méthodes ne créeront la politique étrangère commune. Mais dès l’instant où il y aura une volonté politique, qui existe, me semble-t-il, chez le chancelier et le Président de la République, ces outils seront utiles.

Nous partons donc d’un raisonnement inverse au vôtre. Mais nous constatons les problèmes et nous disons qu’il faut changer les outils pour éviter les situations comme celle-là.

J’ajoute un mot : ne désespérez pas de l’Union européenne. Il y a des exemples négatifs, des exemples d’impuissance. Il arrive aussi assez souvent que l’Union européenne, y compris en matière de politique étrangère et de sécurité, prenne des initiatives et même des opérations de coopération renforcée. Qu’était donc l’initiative franco-britannique de la Force de réaction rapide, sinon une forme de coopération renforcée qui ne pouvait pas en porter le nom puisque cette idée n’existait pas encore ? Tous les autres ont été heureux que la France et la Grande-Bretagne prennent cette initiative en Bosnie, l’année dernière ; elle a changé le cours des choses. Et probablement, si la clause de coopération renforcée avait existé, cette idée aurait été soumise au sein de l’union européenne, approuvée par les autres et menée par deux ou trois d’entre eux au nom des autres. Donc, ne désespérez pas.

Q. : Comment vos deux gouvernements vont définir le nombre des gouvernements participant aux différentes opérations de coopération renforcée ? Est-ce que ces discussions vont varier entre les deuxième ou troisième piliers par exemple ? Et deuxièmement, comment envisagez-vous les priorités pour la coopération renforcée dans le troisième pilier ?

R. : Je vous donne mon sentiment sur ces questions : je crois qu’en effet, il faudra différencier le seuil selon les sujets et selon les piliers. Vous nous demandez si nos deux gouvernements vont définir ce seuil. Ma réponse est non. Nous ne l’avons pas précisé. Nous travaillons encore sur ces propositions. Mais à partir du moment où cette idée fait son chemin dans la négociation, il faut laisser une marge réelle pour la discussion à quinze, et tenter, si nos partenaires trouvent cette clause intelligente, et je crois que cela progresse en ce sens, de définir les seuils ensemble. Nous ne cherchons pas à imposer nos idées.

Sur le troisième pilier, c’est une vraie question que vous posez. J’exprime une opinion personnelle sur ce point, que certains d’entre vous connaissent. Je pense qu’il faudra éviter que la coopération renforcée généralisée dans le troisième pilier soit une sorte d’échappatoire pour les États membres ou les futurs États membres à remplir certains devoirs ou certaines exigences en matière de sécurité et de liberté. Donc, avant l’élargissement, il nous faudra aussi renforcer le socle commun dans le troisième pilier en matière de sécurité et de liberté.

Q. : (sur le nombre des commissaires)

R. : C’est une question parmi les plus difficiles, qui fera probablement l’objet d’un arbitrage et d’un accord au terme de cette négociation. Mais nous en parlons déjà, comme nous parlons d’autres négociations difficiles dans la négociation, de la pondération des voix ou de l’élargissement de la majorité qualifiée. Dans une Union à 27 membres comme celle qui est en perspective, une Commission construite à partir d’une représentation des États sur le mode actuel et donc trop nombreuse, transformée en une sorte de forum, serait une Commission faible. Nous ne voulons pas une Commission faible. Nous voulons une Commission forte avec un Président qui ait une réelle autorité, qui retrouve son caractère collégial. Nous ne sommes donc pas choqués par le fait que dans cette Union élargie, pour que la Commission soit forte, il y ait moins de membres de la Commission que d’États membres. Et vous le savez, la France a fait une proposition forte, audacieuse, pour qu’il y ait une Commission forte, parce que nous pensons que c’est l’intérêt, et même l’intérêt vital dans une Union européenne élargie.

Q. : (sur la politique de sécurité commune)

R. : Je n’ai rien à ajouter à ce que vient de dire Werner, sauf peut-être pour bien préciser que dans notre esprit et dans la philosophie franco-allemande à ce sujet, l’objectif n’est pas la géométrie variable, mais bien qu’il y ait dans l’Union européenne la capacité de vitesses différentes dans l’action.

Q. : (inaudible)

R. : Je pense que ces pays qui émettent des craintes, que nous écoutons, auxquelles nous essayons de répondre, doivent craindre davantage l’idée d’être exclus si les coopérations renforcées devaient se faire de plus en plus à l’extérieur. Donc, dès l’instant où nous garantissons que l’on ne touchera pas avec cette méthode à l’acquis communautaire – c’est par exemple la grande inquiétude de l’Espagne, qui est légitime – et que ces coopérations, comme vient de le dire Werner, sont ouvertes, je ne vois pas pourquoi ces pays auraient des craintes. Ces coopérations sont ouvertes à tous, comme par exemple l’Union économique et monétaire est une coopération renforcée entre les pays, ouverte à tous, y compris au Royaume-Uni.

Je profite de l’interruption pour dire que j’ai déposé ce matin, au nom de la France, une proposition de texte sur les régions ultra-périphériques et je ferai la même chose sur les PTOM dans quelques semaines.

Q. : (inaudible)

R. : Ne vous méprenez pas. Nous connaissons les difficultés liées à la position de tel ou tel État. Nous savons bien la position actuelle du gouvernement britannique, mais nous n’avons pas d’arrière-pensées dans cette proposition. Nous travaillons, nous essayons de travailler pour le prochain siècle qui va commencer, et le fonctionnement de cette Union européenne à 27 membres qui verra le jour le siècle prochain. On ne construit pas un Traité de l’Union européenne en fonction des circonstances de l’actualité ou seulement des positions de tel ou tel gouvernement. On le construit pour que cela fonctionne. Et nous voyons bien que si nous gardons. Français et Allemands, avec d’autres, l’idée d’une Union européenne forte, l’idée d’une Union européenne qui soit une puissance politique en même temps qu’une puissance économique, il faut trouver une méthode pour que ces coopérations aient lieu dans l’Union et non pas en dehors de l’Union. Les choses sont donc claires : nous n’avons pas d’arrière-pensées

Q. : (sur la flexibilité)

R. : Vous avez bien compris que ce document, que les ministres ont publié après un travail commun. est un travail de longue perspective. L’amitié franco-allemande, le travail franco-allemand est un travail de longue perspective et nous ne présentons pas cette démarche de manière arrogante ou exclusive d’autres dialogues. C’est une proposition que nous avons faite à nos partenaires pour faire avancer de manière substantielle les négociations de la C1G, qui par ailleurs, avance à son rythme, et qui devra se terminer à Amsterdam.

Q. : Est-ce que la coopération renforcée doit être appliquée dans les matières où il doit y avoir un vote à la majorité ?

R. : Nous avons dit qu’on appliquerait la coopération renforcée aux matières qui sont actuellement à l’unanimité, mais pas seulement à celles-ci. Et vous savez par ailleurs que nous sommes ouverts à l’idée que l’on vote moins souvent à l’unanimité.

Q. : Une des craintes qui a été exprimée ce matin, c’est de dire que l’on est dans un schéma par exemple où il y a la majorité. La Commission fait une proposition. Une majorité négative s’exprime : est-ce que, dans ce cas-là, un certain nombre de pays ne rentrent pas plus dans le cadre normal pour ce style de coopération renforcée ?

R. : Le verrou et la garantie, c’est la Commission. La Commission dira si vous touchez à l’acquis communautaire ou à l’esprit du Traité, et n’autorisera pas à le faire.

Nous avons mis tous les verrous pour que l’on ne touche pas à l’esprit et au fond de l’acquis communautaire.

En dehors des coopérations renforcées, vous aurez aussi une extension dans le premier pilier.

Q. : Comment a été le premier accueil informel sur vos propositions, par les Britanniques ?

R. : Les Britanniques sont d’accord si on maintient l’unanimité. Ce ne serait plus alors une coopération renforcée. Donc, ce n’est pas acceptable. C’est nier l’idée même de la coopération renforcée.

Ce qui inquiétait surtout les Espagnols et quelques autres pays, c’était ce qu’ils appellent le « détricotage » du premier pilier. Ils avaient le sentiment que nous voulions mettre en cause l’acquis communautaire. Dès l’instant où nous donnons toutes les garanties, notamment par l’intervention de la Commission, ils sont rassurés.

Mais il faudra encore du temps.