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Le Figaro : Le Président de la République a expliqué, jeudi dernier, qu’il n’aimait guère le mot « flexibilité », appliqué à l’organisation du travail. Le libéral que vous êtes juge-t-il cette attitude frileuse ?
Alain Madelin : Non. Je n’aime pas davantage ce mot car il est synonyme d’insécurité et de précarité. Force est de constater que le contrat de travail à durée indéterminée, né de nos grandes industries manufacturières d’hier et d’aujourd’hui, est de moins en moins offert. 80 % des embauches se font à durée déterminée. Résultat : beaucoup trop de Français vivent dans une précarité génératrice d’anxiété qui empêche de faire des plans d’avenir et d’élever une famille.
Le débat sur la flexibilité donne trop souvent le sentiment que l’on considère comme modèle social de l’avenir celui du salarié jetable. Nous avons assurément besoin de libérer la création d’emplois et ceci exige sûrement davantage de liberté, la liberté d’entreprendre et la liberté de travailler. Mais, les libéraux entendent conjuguer cette exigence de liberté avec un besoin de sécurité face à l’avenir.
Le Figaro : Le besoin de sécurité va-t-il jusqu’au maintien des acquis sociaux, dont Jacques Chirac s’est, à nouveau, porté garant ?
Alain Madelin : Il ne peut y avoir de sécurités sociales durables si l’on ne retrouve pas durablement la prospérité et l’emploi. Or, plus que jamais dans une économie en pleine mutation, c’est du côté de l’initiative créatrice des petites et moyennes entreprises que se trouve le ressort de la croissance et de l’emploi. Cependant, il est sûr que les rigidités et la complexité de notre droit social conçu à une autre époque, avec pour modèle les grandes entreprises industrielles, entravent aujourd’hui la liberté d’entreprendre et de travailler. Ces entreprises, elles aussi, vivent dans l’incertitude de l’avenir. Leurs marchés, leurs recettes sont aléatoires.
Nombre de ces chefs d’entreprise connaissent la peur de l’embauche ou la peur du salaire. Peur d’embaucher et de ne plus pouvoir ajuster les effectifs demain si les commandes diminuent. Peur d’augmenter les salaires, si l’activité diminue demain.
Le Figaro : Le mot de flexibilité est détestable, mais pas sa réalité ?
Alain Madelin : Je refuse que la précarité soit considérée comme le modèle social de l’avenir. Mais, je crois à une France capable d’offrir du travail à tous les Français. Le travail est par nature illimité car les besoins des hommes sont illimités. Il n’y a pas de limite à l’échange de travail, il n’y a que des obstacles.
Le chômage est le résultat d’une panne dans les circuits d’échange de travail. Parmi les causes de cette panne, il y a le fait que le contrat de travail classique, avec les rigidités de notre code du travail et de nos conventions collectives, n’est plus adapté à beaucoup de nouveaux champs, de nouveaux domaines d’échanges du travail, dans une société ouverte en mutation. Voilà pourquoi pour multiplier les emplois, il faut inventer de nouvelles formes de travail et d’emplois. Ainsi, je crois qu’entre l’extrême rigidité de contrats à durée indéterminée de moins en moins offerts et l’extrême précarité des CDD ou des emplois au rabais subventionnés, il y a un espace de liberté et d’innovation contractuelle.
Le Figaro : Concrètement, quels sont les nouveaux modes d’organisation du travail qui évitent ces deux écueils ?
Alain Madelin : Je propose d’abord que l’organisation du travail soit librement négociée dans l’entreprise, au moyen d’un « contrat collectif d’entreprise », permettant d’assouplir les réglementations et les contraintes en fonction des réalités économiques et des intérêts communs, sans porter atteinte, bien sûr, aux grandes règles d’ordre public du droit du travail. De même, je propose de créer un statut de la représentation sociale et du dialogue social, mieux adapté à l’entreprise à taille humaine.
Je propose encore de développer le travail indépendant. Beaucoup d’activités de l’avenir ne s’accompliront plus dans le cadre d’un contrat salarial traditionnel, mais sous forme de contrat commercial avec un travailleur indépendant. Le travail indépendant n’est pas une survivance du passé mais une forme de travail moderne de plus en plus demandé. C’est aussi une façon de vivre autrement, de réussir autrement. C’est un moteur d’ascenseur social. Trop longtemps, le travail indépendant s’est heurté au code du travail et au code de la Sécurité sociale qui voyaient en lui une forme de travail sous-payé et sous-protégé. Ministre des entreprises, en donnant un véritable statut au travailleur indépendant, en lui offrant une protection sociale identique à celle des autres Français, j’ai permis de conjuguer liberté et sécurité, et j’ai favorisé son développement.
Le Figaro : Êtes-vous favorable au développement des CDD de 18 mois que propose Nicolas Sarkozy ?
Alain Madelin : Plutôt que d’administrer de nouvelles formes de flexibilité comme, par exemple, une nouvelle prolongation des CDD, je propose de développer la liberté contractuelle pour inventer de nouvelles formes de contrat de travail. Mais, en offrant davantage de sécurité en contrepartie d’une plus grande liberté, comme le recommandait récemment la dernière conférence ministérielle de l’OCDE.
Je pense qu’aujourd’hui, une partie des excédents de notre système d’assurance chômage pourrait être consacré à améliorer la protection et à développer la formation dans les périodes de disponibilité. Une économie de plus en plus mobile a besoin de travailleurs mobiles. Or, cette mobilité doit avoir naturellement pour contrepartie une protection et une sécurité accrues durant les périodes transitoires entre deux missions, afin que les personnes puissent vivre de leur travail passé ou de leur travail futur.
Le Figaro : Le modèle idéal ressemble plus à ce que l’on fait déjà dans le secteur du bâtiment et des travaux publics ?
Alain Madelin : Le contrat de chantier s’apparente effectivement au modèle de liberté contractuelle que je défends. Je propose de développer des contrats d’activité pour une durée correspondant à un objectif ou à une mission.
Je propose également la mise en place, pour les très petites entreprises, d’une formule simplifiée d’embauche, au moyen d’un chéquier emploi, analogue au chèque service. Il s’agit d’un contrat de travail simplifié, avec un premier chèque destiné à payer la personne embauchée et un second pour payer sa protection sociale forfaitaire. Je suis convaincu que si, demain, vous offrez cette possibilité aux très petites entreprises, il y a des centaines de milliers de création d’emplois à la clef.
Le Figaro : Certains proposent d’échanger, dans le cadre des négociations collectives, un assouplissement des contraintes sociales contre une réduction du temps de travail. Qu’en pensez-vous ?
Alain Madelin : Je suis favorable à l’aménagement du temps du travail. Les gains de productivité qui résultent d’une réorganisation de l’entreprise peuvent être redistribués aux salariés sous forme de salaires supplémentaires, de temps libre supplémentaires ou, encore, d’embauches nouvelles. Mais, je suis hostile à ce qu’on appelle « partage du travail », qui véhicule ce message malthusien désespérant : au banquet de la nature, il n’y a pas assez de places pour tout le monde et il faut savoir se serrer. Là où les libéraux se proposent d’agrandir la table pour que tout le monde y trouve place. Les emplois de demain ne sont pas à partager mais à inventer.