Texte intégral
Monsieur le président,
Mesdames, Messieurs,
En venant passer quelques instants, trop courts bien évidemment, avec vous à l’occasion de votre congrès annuel, je tiens Monsieur le président à manifester toute l’attention que le ministre de l’agriculture et de la pêche porte à l’enseignement agricole.
Vous vous doutez bien, que l’homme de l’Ouest que je suis, sais plus que tout autre le rôle rempli par les établissements d’enseignement agricole et notamment par ceux relevant de votre autorité, dans la formation et la promotion des hommes et des femmes.
Vous avez, Monsieur le président, avec franchise, ce dont je vous remercie, abordé un certain nombre de dossiers qui vous tiennent à cœur. J’essaierai dans un instant d’apporter des réponses à ces préoccupations essentielles que vous avez développées mais, en préalable, il me faut vous faire part des orientations que je souhaite donner à la politique agricole avant d’aborder les problèmes spécifiques à l’enseignement agricole. C’est d’ailleurs ce même schéma d’exposition qui a été retenu dans la préparation de la loi d’orientation agricole. L’enseignement, la recherche, le développement apparaissent en titre VI, c’est-à-dire à la fin du projet de loi, non parce que j’y attache moins d’importance, bien au contraire, mais parce que l’énoncé des orientations assignées à l’enseignement, à la recherche et au développement agricole suppose que soit définie préalablement la politique agricole elle-même.
À quoi servirait à redéfinir une politique agricole si celle-ci ne pouvait pas s’appuyer sur des hommes et des femmes bien formés, si celle-ci ne pouvait pas s’appuyer sur un dispositif de recherche et de développement structuré, capable de répondre aux attentes de la société, voire d’anticiper certains bouleversements économiques et sociaux.
Comme bien des générations qui ont traversé le siècle, mais sans doute avec raison, nous avons le sentiment de vivre un moment historique particulier. Sans avoir la prétention de lire l’avenir, nous pouvons cependant, en rapprochant plusieurs éléments, tracer quelques-unes des lignes de force qui organiseront le paysage économique, culturel et social, au début du prochain siècle : accélération de la mondialisation, avec la reprise d’un nouveau cycle de négociations au sein de l’Organisation mondiale du commerce, élargissement vers l’Est de l’Union européenne, nouveau budget communautaire et donc nouvelle situation de la politique agricole commune, mais aussi poursuite de l’expansion démographique mondiale, urbanisation accélérée, risques accrus de dégradation de l’environnement, mobilité croissante des personnes et des sociétés, sans évoquer les évolutions, voire les bouleversements dont certains auront pu être préparés, tandis que d’autres auront des conséquences que nous ne saurions aujourd’hui pleinement apprécier.
Ces transformations sont à l’œuvre : elles justifient, pour notre secteur, une nouvelle loi d’orientation. Nous ne pouvons plus nous satisfaire de la période qui s’achève. Elle qui a fait de la France le premier exportateur mondial de produits agro-alimentaire transformés et de deuxième exportateur mondial de produits bruts. Le contrat passé il y a bientôt quarante ans a été rempli et c’est parce qu’il a été rempli et que la société a changé qu’il nous faut en définir un autre. La période dans laquelle nous entrons nous oblige à renouveler notre vision de l’agriculture et des politiques publiques qui y sont liées. Il est temps de redéfinir la place de l’agriculture dans notre société, de reformuler les objectifs de la politique agricole, en prenant en compte explicitement les fonctions économiques, territoriales et sociales de l’agriculture.
C’est d’ailleurs, Monsieur le président, ce que vous venez de développer, sous une autre forme, en partant de l’élève qui doit être ouvert, bien évidemment, à tout ce qui touche à la mondialisation, mais qui doit aussi comprendre que la solidarité de proximité est plus que jamais incontournable. Ce à quoi je veux vous inviter, c’est à une vision plus large et plus riche des missions de l’agriculture, c’est à une conception plus complexe et plus citoyenne du métier d’agriculteur.
Bien entendu les agriculteurs, demain comme aujourd’hui, seront les producteurs de denrées alimentaires et de matières premières pour les industries de transformation. Mais leur rôle sera plus large : les exploitations agricoles ne pourront produire durablement que si elles prennent en compte les exigences de protection et de renouvellement des ressources naturelles. Si elles ne le font pas, c’est leur capacité à produire et à commercialiser qui sera remise en cause. Ce que l’on baptise « contraintes environnementales » constitue en réalité, une condition de la pérennité des exploitations.
De la même façon, en faisant de la production de services collectifs l’un des objectifs de la politique agricole, nous ne nous éloignons pas de l’économie agricole. Les jeunes, vous le savez bien, ne s’installeront que s’ils trouvent un milieu rural vivant, offrant les services collectifs que tous nos concitoyens attendent. En contribuant au maintien de ce tissu social dans le monde rural, par les services collectifs qu’ils rendront, les agriculteurs travaillent pour eux-mêmes en même temps qu’ils travaillent pour les autres.
Voilà pourquoi la future loi d’orientation agricole reconnaîtra la multifonctionnalité de l’agriculture, multifonctionnalité que vous faîtes vôtre, vous l’avez dit en utilisant une formule déjà ancienne, mais qui reste aussi plus que jamais d’actualité : il ne peut y avoir de vraie politique s’il n’y a pas un lien étroit entre l’homme, le produit et le territoire. Les attendus de la loi complémentaire de 1962 évoquaient déjà le lien nécessaire entre l’homme, l’espace et le produit.
Vous l’avez bien compris, Mesdames et Messieurs, ces orientations pour l’agriculture organisent un cadre renouvelé dans lequel l’action de l’enseignement agricole au cours des prochaines années est appelée à s’inscrire. Ce qui ne veut pas dire – mais la précision est peut-être utile – que les « quatre missions », celles des lois de 1984, doivent être abandonnées.
Bien au contraire. Le projet de loi d’orientation agricole actualise leur formulation pour mieux les articuler les unes aux autres et, ainsi, renforcer l’action des établissements dans leurs territoires.
Ainsi l’une des fonctions que j’assigne au troisième schéma national prévisionnel, c’est qu’il contribue à mobiliser tous les établissements, chaque établissement, au service du développement local, au service d’une agriculture multifonctionnelle et, grâce au maillage très dense qu’ils forment dans les régions et les départements, au service des territoires et des terroirs. Former des hommes et des femmes, citoyens lucides et ouverts sur les réalités du monde : voilà le projet que vous propose le troisième schéma, auquel, je le sais, vous avez apporté une large contribution dans un esprit – et ce sont vos propres termes – « de réalisme et de prospective en voulant conjuguer tradition et modernité, unité et diversité ».
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que vous adhériez pleinement à ce schéma.
Pour y réussir, nous devons poursuivre la mise en œuvre de la stratégie en place : modernisation des formations et des contenus enseignés, innovation pédagogique, développement de l’initiative et de la responsabilité, qualité des résultats, volonté de promotion des personnes. Nous disposons de quelques indicateurs pour mesurer les résultats obtenus. En premier, bien sûr, la satisfaction des jeunes et de leurs familles. De ce point de vue, l’enseignement agricole réussit plutôt bien : il attire de plus en plus, parce qu’il donne de lui-même une image positive. Mais, veillons-y, car et c’est le second indicateur, les très bons taux d’insertion professionnelle des anciens élèves est la première composante de cette bonne image.
Il nous faut donc, en permanence, reconstruire un équilibre, par nature instable, entre accueil, promotion, insertion et réussite. Et nous butons là sur la délicate question de la gestion des effectifs de sortie de notre appareil. Vous avez, Monsieur le président, signé avec mon prédécesseur un protocole le 26 février 1997.
Vous avez par là-même, Monsieur le président, avec vos collaborateurs et votre conseil d’administration, accepté des sacrifices.
Vous avez, en un mot, respecté votre parole. Je vous en félicite et vous avez eu raison. Pourquoi ? D’abord parce qu’une analyse minutieuse des évolutions récentes des effectifs montre qu’il était nécessaire de rééquilibrer les grands secteurs de formation pour mieux répondre aux besoins.
Ensuite parce que le maintien de bons taux d’insertion exige des actions volontaristes de pilotage des formations. Aussi parce que ce protocole reconnaît explicitement la légitimité de l’ensemble de la palette de formations offertes par l’enseignement agricole, et, enfin parce qu’en contrepartie, les engagements financiers de l’État ont été substantiels et tenus dans leur intégralité.
L’application loyale qu’à chaque niveau de responsabilité, établissement, région, niveau central, vous en avez faite a permis d’atteindre les objectifs fixés : cette action collective a été remarquablement conduite. Je vous en remercie tous.
Pour ce qui concerne la rentrée 1998, vous le savez, ma marge de manœuvre était étroite. Je crois sincèrement que les décisions de structures que j’ai prises sont le témoignage de mon attachement à des filières auxquelles vous avez donné toute leur place dans le dispositif.
Vous me posez la question de la sortie du protocole. Vous avez raison, il faut l’envisager sérieusement dès maintenant. Je suis certain que : les premiers travaux de l’observatoire de l’enseignement agricole nous aideront dans ce travail. Les services de mon ministère sont prêts à engager à la réflexion commune.
Pour l’avenir, j’en suis convaincu que les résultats demeureront aussi bons, car vous continuerez, nous continuerons ensemble, à assurer une gestion terme, mais pilotée avec toutes les souplesses nécessaires, d’un dispositif qui conduit à la réussite.
Comme vous le souhaitez tous, et comme j’en suis moi-même convaincu, l’enseignement agricole doit être piloté nationalement. Le législateur de 1984 et 1985 a clairement pris position sur ce point, en instaurant un schéma prévisionnel national, en excluant l’enseignement agricole privé du champ de la décentralisation. Ces deux ancrages demeureront dans la future loi d’orientation agricole. Et nous saurons continuer à articuler le pilotage national, indispensable au maintien d’un appareil de formation efficace et cohérent, avec la diversité régionale appuyée sur un projet régional, que vous souhaitez ardemment, et l’autonomie de l’établissement outil de la responsabilité des acteurs locaux. Autonomie, responsabilité, initiative, cohésion : quatre maîtres mots qu’il nous faut chaque jour traduire en actes.
J’en viens maintenant à deux points plus techniques que vous avez abordés.
Tout d’abord en ce qui concerne la situation des agents contractuels notamment la nature de leur contrat, ma position est sans ambiguïté : ces agents sont liés à l’État par un contrat de droit public, celui-ci se doit donc d’assumer toutes les prérogatives et toutes les obligations incombant à l’employeur.
La Cour de cassation, très liée sans doute par la jurisprudence qu’elle a développé concernant les agents de l’enseignement privé général, a considéré récemment dans un arrêt rendu le 10 février 1998, qu’il existait un contrat de droit privé liant les enseignants aux organisations de gestion. Elle a estimé en conséquence que les établissements pouvaient être reconnus redevables de certaines cotisations notamment les cotisations prévoyance.
La position, prise par la juridiction suprême, fait supporter aux établissements certaines charges qui ne leur incombent pas, je le reconnais.
C’est pourquoi je verrai avec mon collègue Claude Allègre les moyens juridiques à mettre en œuvre pour que l’État assure toutes les prérogatives et les obligations incombant à l’employeur. Cette démarche nécessaire demande quelques expertises préalables, vous vous en doutez.
En deuxième lieu, cette situation confuse a permis à une caisse de retraite complémentaire d’engager des contentieux contre un nombre important de vos établissements pour leur réclamer le paiement du différentiel de cotisations. Mes services sur ce dossier ont toujours adopté la même position ; ils ont essayé de faire comprendre à la principale caisse concernée ainsi qu’aux autres caisses de retraite qu’elles n’avaient pas à réclamer le paiement de ces sommes auprès des établissements. Ils ont tenté jusqu’alors de jouer les médiateurs. En vain !
C’est pourquoi, lorsque les premiers contentieux ont été engagés, ils ont proposé une solution prévoyant une prise en charge commune et égale des cotisations entre chacune des trois parties : les établissements, la caisse de retraite, mais également l’État. Je m’attacherai à ce qu’un accord sur cette base soit signé très prochainement.
Enfin, pour éviter à l’avenir des contentieux sur ce problème des cotisations de retraite, j’ai pris l’initiative de préparer un décret prévoyant l’alignement des taux sur ceux fixés par l’AGIRC. Ce texte qui doit prendre effet au 1er janvier 1997 devrait être signé dans les tous prochains mois.
Dans les questions plus générales, vous venez d’aborder deux autres points :
– l’un concernant l’enseignement technique privé ;
– l’autre concernant l’enseignement supérieur privé.
Sur le premier, je ne peux que vous confirmer ce que j’ai déjà dit au CNEA de juillet 1997 à savoir que je n’ai nullement l’intention de remettre en cause les équilibres sagement établis en 1984. La place des établissements relevant de votre autorité a été reconnue ; elle fait l’objet d’une double procédure contractuelle entre l’État et les établissements et entre l’État et les enseignants. Cette double procédure a atteint aujourd’hui son régime de croisière, elle est un gage de stabilité du dispositif.
Sur le deuxième point relatif à l’enseignement supérieur, j’ai bien noté votre demande de maintien d’une tutelle du ministère de l’agriculture. Je puis vous dire que mes récents entretiens avec mon collègue de l’éducation nationale vont uniquement dans le sens d’une meilleure coordination au travers d’une nouvelle cotutelle de la politique nationale de l’enseignement supérieur, coordination qui s’entend bien évidemment dans les deux sens. Ceci a été accepté de part et d’autre.
Dans le même esprit, pour ce qui concerne, la cohérence entre enseignement technique et enseignement supérieur, j’ai entendu votre demande. Il est vrai que le développement des bacs techno et des BTSA ainsi que l’évolution très rapide des poursuites d’études des BTSA mérite une attention particulière.
Le CNEA s’est prononcé pour une évolution du dispositif. Je vais m’attacher à donner, avec le gouvernement, la suite qu’il convient.
Vous comprendrez que je ne puisse pas aller au-delà aujourd’hui. C’est une question dont les implications tant en matière de politique des formations qu’en matière budgétaire sont lourdes.
Enfin, j’enregistre votre idée de schéma prévisionnel de l’enseignement supérieur agronomique et vétérinaire et je serai attentif à toutes les propositions formulées dans ce domaine. Vous savez que j’ai saisi – après consultation de la FESIA –, le Comité national d’évaluation des universités d’une demande d’évaluation des établissements privés d’enseignement supérieur. J’ai reçu l’accord de principe et nous allons mettre en œuvre cette évaluation dont les résultats nous permettront de mieux positionner ces établissements dans le paysage de l’enseignement supérieur et au sein du budget civil de l’enseignement supérieur.
Pour en terminer, je voudrais, Monsieur le président, vous dire combien je suis sensible à vos propos concernant les élèves et le travail que vous réalisez pour valoriser dans chaque établissement, au niveau régional et au niveau national les élèves-délégués. L’éducation à la citoyenneté qui fait l’unanimité de toute la communauté éducative commence par l’implication des jeunes dans la vie associative. Dans ce domaine, il nous faudra aussi réfléchir sur la place qu’il convient de leur donner aux côtés des familles dans chacune de nos instances.
Voilà, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, ce que je tenais à vous dire en venant à votre rencontre. Je n’oublie pas votre invitation à venir rendre visite à quelques-uns d’entre vous sur place au cours de mes déplacements. Je ne peux pas le promettre à tous, mais soyez assurés que je ferai le maximum en espérant que le calendrier international me laissera quelques répits. L’agriculture et les politiques agricoles sont présentes tout à la fois au plan local, national, européen et international. Je suis amené chaque semaine à passer de l’un à l’autre de ces registres : je crois que – d’une certaine façon – il en va de même pour tous ceux qui travaillent dans ce secteur. Et ceci ira croissant. Il faut en tirer toutes les conséquences sur le plan de la formation. Penser l’Europe, comprendre le monde, aimer les cultures dans leur diversité sont des nécessités absolues dans notre secteur agricole.
Les agriculteurs et les agricultrices, les cadres et salariés des organisations professionnelles et des industries agroalimentaires, les responsables professionnels eux-mêmes, d’aujourd’hui comme demain, ont besoin de comprendre la complexité de notre monde pour s’y sentir bien et y agir avec pertinence. Nous savons que nous n’avons pas d’autres moyens de faire reculer les limites de la peur, de l’intolérance et même de la haine que par la formation, qui donne à chacun et chacune les moyens de se repérer et d’œuvrer. Il s’agit là du fondement même de la construction – toujours à reprendre – de notre cohésion sociale. Vous y contribuez avec d’autres avec allant et conviction. Je veux vous en remercier.