Texte intégral
FRANCE 2 - 14 octobre 1999
Françoise Laborde : Avec Charles Pasqua, ce matin, nous allons évoquer la vie de son mouvement, le RPF, issu directement des élections européennes. Dans un mois se tiendra le congrès fondateur de votre mouvement. Vous en êtes où aujourd'hui des adhésions ?
Charles Pasqua : Ça prospère. Nous sommes en marche vers les 20 000, nous avons dépassé le cap des 15 000 il y a maintenant à peu près un mois. Les choses se développent de manière très satisfaisante. Ailleurs les adhérents s’en vont, chez nous ils arrivent. C'est la vie.»
Françoise Laborde : L'objectif c'est, par exemple pour les prochaines échéances, d'avoir des candidats RPF au municipal, il y en aura dans toutes les grandes villes ?
Charles Pasqua : Probablement. Mais auparavant le rôle du congrès ce sera de bien préciser les axes fondateurs de la politique que nous entendons proposer aux Français. Ensuite il s'agira de sélectionner les candidats, de les préparer – et je souhaite qu'il y ait beaucoup de jeunes, beaucoup de femmes, que ce soit un renouvellement. Il ne s'agit pas de récupérer un certain nombre de gens qui viendraient chez nous pour être élus. Non, nous voulons des gens de convictions.
Françoise Laborde : C. Millon va t’il venir chez vous ou pas ? La question s’est posée à un moment donné ?
Charles Pasqua : Oui, la question s'est posée mais je crois qu'il y a entre C. Millon et nous un quiproquo, et en même temps un désaccord sur le fond. Je crois qu'il n'a pas la même vision que nous de la place de la France en Europe. Et partant de là, il est difficile de faire route ensemble.
Françoise Laborde : Au plan du débat politique, y a-t-il des échéances qui vont être particulièrement importante ? Je pense notamment à la négociation commerciale internationale qui doit reprendre aux États-Unis à Seattle, dans le cadre de l'organisation mondiale du commerce. C’est une bataille à laquelle vous vous préparez ?
Charles Pasqua : Oui, parce que ça ce n'est pas une échéance politique, c'est beaucoup plus grave que ça. Ce qui est en cause à l'occasion de ces négociations, c'est tout simplement l'avenir de l'économie de l'Europe et plus particulièrement de la France. Et selon les décisions qui seront prises à Seattle, c'est un certain nombre de pans entiers de notre économie qui seront battus en brèche par les tentatives américaines. Parce qu'il ne faut pas se faire d'illusions : cette négociation se fait sous la pression des États-Unis ; cette négociation n'a aucune raison d'être. Et en réalité, Le Président de la République et le Premier Ministre seraient fondés et seraient bien inspirés, dès l’ouverture de ces négociations à Seattle, d'en demander le report. Pourquoi ? Parce que, d'une part, toutes les conséquences n'ont pas encore été tirées de l’Uruguay-Round…
Françoise Laborde : De la dernière négociation.
Charles Pasqua : De la négociation de Marrakech etc, et qu'il n'y a aucun bilan. On devrait donc commencer par faire un bilan : voir quels sont les avantages, les atouts ; voir où nous en sommes. Notamment, une analyse objective, comme celle à laquelle vient de se livrer l’OCDE, et qui montre que, contrairement aux affirmations de la Commission de Bruxelles, le niveau de vie des pays émergeant et leur PIB a diminué de près de moitié au cours des sept dernières années. Alors l’ouverture du commerce mondial ce n'est pas la panacée.
Françoise Laborde : Il paraît que vous êtes favorable à ce qu'on appelle «la taxe Tobin » qui est une taxe consistant à prélever un peu d'argent sur chaque transaction financières pour financer justement des projets de financement ou pour financer un peu plus de cohésion sociale ? C'est plutôt une idée d'extrême-gauche ça ?
Charles Pasqua : Ce n'est pas une idée d’extrême gauche. C'est une réflexion logique. Qu'elle soit présentée par des gens de gauche ou des gens de droite, cela m'est complètement indifférent. Je crois qu'effectivement ce qui est anormal, c'est d'assister à la spéculation effrénée actuelle, à tout ce que cela entraîne, d’une part comme accroissement de richesse sans cause, et dans le même temps aussi les conséquences désastreuses pour ceux qui travaillent et qui sont traités davantage comme du bétail qu’autrement.
Françoise Laborde : Quand vous voyez que Monsieur Jaffré touche des stock options assez importantes pour partir, vous êtes, vous aussi, très choqué ?
Charles Pasqua : Je ne trouve pas cela très normal et ni très honnête. Si Monsieur Jaffré avait eu une part de capital qu’il aurait apporté personnellement, que ce capital ait prospéré, pourquoi pas ? Ce n'est pas le cas et donc je trouve cela un peu choquant. Qu'il y ait une taxe sur les mouvements financiers, que cette taxe soit utilisée d'une part, par exemple, pour contribuer à résoudre le problème des retraites, crucial. Et d'autre part pour aider les pays en voie de développement, car la contribution de la France n'a cessé de diminuer, celle de l'Europe aussi, et cela me paraîtrait logique.
Françoise Laborde : Comment regardez vous les candidatures pour la présidence du RPR ? Cet effort démocratique nouveau d'avoir six candidats pour un seul fauteuil ?
Charles Pasqua : Je trouve que six c'est beaucoup mais après tout pourquoi pas ? Je crois que le problème ce n'est pas tellement dans l'élection du président du RPR, chacun le sait, mais c'est dans la capacité pour ce mouvement, ce que je souhaite pour lui. Je ne le crois pas possible mais cela ne m'empêche pas de le souhaiter, compte tenu de la part que j'ai prise à sa création et à son développement. Ce que je souhaite c'est le retour aux sources ; qu'il retrouve son inspiration d'origine et qu'il cesse de dériver vers le libéralisme, vers le centrisme, et vers l’européisme effréné. Parce que si le mouvement gaulliste est devenu libéral, centriste et européen, alors il vaut mieux qu’il fusionne avec l’UDF et que l’on n’en parle plus. Donc nécessité du retour aux sources. Vous avez remarqué que je me garde bien de dire que je soutiens tel ou tel candidat.
Françoise Laborde : Vous avez peur que cela lui porte préjudice ?
Charles Pasqua : ça pourrait être le cas.
Françoise Laborde : Sur la Corse : vous avez évoqué récemment l’idée d’un référendum. R.Barre a applaudi mais vous ne parlez pas exactement de la même chose…
Charles Pasqua : Non, R. Barre a commis une erreur monumentale, parce que lui dit : dans le fond, si les Corses veulent l’indépendance, il n’y a qu’à leur donner, il n’y a qu’à faire un référendum. Le problème ne se présente pas ainsi. A chaque élection, l’immense majorité des Corses manifeste son appartenance et sa volonté de rester français. Le problème est au niveau de l’Etat, dans le rétablissement de la sécurité. C’est donc un problème national qui se pose à Paris et aux responsables nationaux et pas là-bas. Moi je suis pour un référendum concernant la définition d’une politique économique, qui a besoin du soutien de la population au plan local pour avoir une chance d’aboutir.
FRANCE INTER - 19 octobre 1999
Stéphane Paoli : Le rassemblement pour la France a-t-il capacité à remplacer les partis d'opposition, ainsi que C. Pasqua lui en donnait l'objectif au cours d'une récente réunion de militants ? Mais pourquoi l'affaiblissement du RPR, ne profite pas ou pas encore au RPF ?
C. Pasqua, président du RPF, votre mouvement souffre t’il d’un problème de positionnement avec une tendance Pasqua gaulliste et une tendance Villiers droite ?
Charles Pasqua : Non, pas du tout. J'écoutais d'ailleurs le commentaire qui était fait tout à l'heure et je trouvais ça assez étonnant et un peu amusant, de dire que j'avais commencé en défendant la souveraineté nationale, et parce que j'avais, en définitive décidé de faire alliance avec Villiers, je ne défendais plus la souveraineté nationale. C'est totalement faux. De Villiers sur ce plan là est aussi convaincu et aussi déterminé que moi. Nous n'avons pas tout à fait le même positionnement ? Eh bien tant mieux, c'est ça un rassemblement ! Un rassemblement, cela consiste à permettre à des gens de se réunir quand ils sont d'accord sur l'essentiel.
Stéphane Paoli : Mais est-ce que cela ne pose pas un problème aux gaullistes qui se demandent si ce mouvement peut les accueillir, à cause de la présence de De Villiers justement ?
Charles Pasqua : Non, je ne crois pas que cela soit ça. D'ailleurs, très honnêtement moi je suis plutôt satisfait. Je ne suis pas satisfait, je ne me présente pas devant vous rempli de béatitude, mais il ne faut pas oublier qu'il y a seulement que trois mois que nous existons. 20 000 adhérents en trois mois, les adhérents ils viennent chez nous, ailleurs ils les perdent et nous sommes dans une phase d'organisation qui trouvera, non pas son apogée, mais enfin, une nouvelle étape avec le congrès constitutif que nous aurons au mois de novembre. La désignation de nos différents responsables à partir de ce moment là, nous serons en ordre de marche. Quand à accueillir des élus, s'ils viennent tant mieux ! Mais mon souhaite, ce n'est pas tellement ça ! C'est d'en produire des élus, c'est d'en préparer.
Stéphane Paoli : Mais l'importance des troupes en politique, M. Pasqua, Cela compte ! Là, vous êtes encore un peu loin du compte, non ?
Charles Pasqua : Non, mais l’importance des troupes, ce sont les électeurs, ce ne sont pas les élus. Les élus actuels de toutes façons, ils vont tous revenir devant le peuple et le peuple sera en droit de leur demander ce qu'ils ont fait. Parce que pour un certain nombre d'entre eux – c'est le cas pour le RPR qui a abandonné ses convictions d'origine, mais c'est aussi le cas à gauche – quand on voit ce qui se passe, la situation est exactement la même. On appelle ça un Gouvernement ? Moi j'appelle ça une troupe théâtrale avec la répartition des rôles. M. R. Hue, lui c’est Tartarin : « Retenez-moi ou je fais un malheur ! » Les communistes ont abandonné leurs convictions depuis belle lurette, ils ont organisé une manif, pour quoi faire ? Les communistes qui sont au Gouvernement soutienne la manif, mais ils restent au Gouvernement qui fait le contraire de ce que les communistes souhaitent. Les Verts sont là pesant de tout leur poids qui n’est pas mince. Mais tout ça ferait sourire, si ce n’était pas plus grave.
Stéphane Paoli : Mais puisque vous parlez là des caractères, des profils, des comportements, on dit toujours en littérature : « Le style fait l’homme », mais franchement De Villiers et Pasqua c’est vraiment deux styles différents !
Charles Pasqua : Oui et bien tant mieux, on n’est pas pareil !
Stéphane Paoli : Comment voyez-vous l’évolution de votre propre mouvement ? Est-ce qu’à un moment donné, il ne va pas se poser des questions quasi idéologiques entre vous deux ?
Charles Pasqua : Ah non, non il n’y a pas de questions idéologiques, lors de la réunion de notre congrès nous aurons adopté définitivement une charte qui définira nos objectifs et notre positionnement. Et, notre positionnement est clair. Nous n’avons pas créé ce mouvement uniquement pour avoir des élus et nous n’avons pas crée ce mouvement pour nous trouver à la table avec d’autres formation. Ce n’est pas notre problème. S’il s’était agi de cela, ce n’était pas la peine de faire tout ça.
Stéphane Paoli : Non, mais vous le dites : vous voulez prendre leur place.
Charles Pasqua : Ce n’est pas seulement le problème de prendre leur place. Je ne suis pas sûr que les Français se rendent compte de ce qui se passe, mais le moment venu j’espère que oui. Je veux dire par là, que ce qui se passe actuellement, aussi bien au niveau des négociations qui vont s’engager sur l’Organisation mondiale du commerce, qu’est-ce qu’on va faire là-dedans, pourquoi est-ce que les Européens ont accepté cette réunion de l’organisation mondiale du commerce souhaitée par les Américains ? Les Américains ont intérêt, ils veulent que le marché européen s’ouvre définitivement à leurs produits, aux produits agricoles, ils veulent avoir la liberté de pénétrer les services, etc. Mais les Européens, qu’est-ce qu’ils auront en contrepartie, quel est leur intérêt ? Alors qu’on a même pas encore été capable de faire le bilan du traité précédent qui a eu lieu à Marrakech, tout ça est ridicule ! Cela veut dire, en réalité, aussi bien au niveau de l’Europe, qu’au niveau national, il n’y a pas de volonté.
Stéphane Paoli : Alors pour bien comprendre le positionnement de votre mouvement, quand vous dites, M. Pasqua que c’est une ferme recommandation que vous avez adressée à ceux qui nous gouvernent et qui n’assumeraient pas leurs responsabilités. Je vous cite mot à mot : « ceux qui nous gouvernent et qui n’assumeraient pas leurs responsabilités qu’ils fichent le camp », alors bon, on comprend que vous vous adressez au Gouvernement, mais il y a le Président de République qui est dans le coup !
Charles Pasqua : Mais le Président de la République ne gouverne pas. Non, non, ne jouons pas sur les mots…
Stéphane Paoli : Non, non je ne joue pas, j’essaye de comprendre ce que vous avez voulu dire.
Charles Pasqua : Si j’avais quelque chose à dire au Président de la République, je suis assez grand pour le dire ! Je dis simplement que dans un certain nombre de domaines, les décisions qui sont prises hypothèquent très lourdement l’avenir du pays, parce qu’on n’est pas capable de prendre les décisions qui doivent être prises. Alors moi je veux bien que l’on se gargarise n’est-ce pas : tout le monde est content, parce qu’il y a la fusion d’Aérospatiale avec Dasa, etc. Très belle opération, nous abandonnons notre capital technologique, l’entreprise s’installe en Hollande. Bravo, tout le monde est content. Pas moi !
Stéphane Paoli : Vous, alors puisque vous parlez de vous, votre avenir, quand M. de Villiers…
Charles Pasqua : Mon avenir !
Stéphane Paoli : Oui, Président de la République, candidat ou pas ?
Charles Pasqua : Le Général de Gaulle quand on l’ait suspecté de vouloir instaurer la dictature avait répondu : « On ne devient pas dictateur à 68 ans. » Moi, je n’ai pas d’ambitions, je n’en ai qu’une seule…
Stéphane Paoli : Mais la logique politique dans votre parcours, est-ce qu’elle ne vous conduit pas à être candidat ?
Charles Pasqua : C’est possible, ce n’est pas certain, mais c’est possible. Nous verrons bien d’ici là ce qui se sera passé, notamment à l’occasion de la présidence française de l’Union européenne. Ce sera la minute du choix pour le Président de la République, le Premier ministre aussi - mais là, après tout, le Premier ministre ce n’est pas mon problème, n’est-ce pas, le Président de la République davantage. Parce que d’abord, il est en charge de l’essentiel concernant la souveraineté nationale, comme vous êtes un esprit averti, je pense que vous avez vu la recommandation de ce qu’on appelle « Les trois sages ». Ce qu’ils proposent, c’est tout simplement l’abandon de pans nouveaux de souveraineté nationale. Eh bien cela ne doit pas se faire dans le dos des peuples et sans qu’on les consultent. Or, c’est le Président de la République, qui va être Président de l’Union européenne pendant toute cette période. Est-ce qu’on va aller à nouveau dans le sens de l’abandon de pans entiers de souveraineté nationale ? Cela aura des conséquences sérieuses.
Stéphane Paoli : C’est donc au nom de la doctrine gaulliste que vous seriez candidat pour la présidence de la République ?
Charles Pasqua : Mais ce n’est pas au nom de la doctrine gaulliste…
Stéphane Paoli : C’est ce que vous venez de définir un peu tout de même ?
Charles Pasqua : Oui, mais ce n’est pas au nom d’une doctrine, c’est au nom de l’idée que l’on se fait de l’intérêt national. Moi je suis pour l’Europe des états, je suis pour la coopération entre états, je ne suis pas pour que la France devienne une succursale, une espèce de conglomérat informe et dans lesquels personne ne se reconnaîtrait.
Stéphane Paoli : M. Pasqua vous êtes l’un de ceux qui, comme on dit au football, aura plus « taclé » le Président de la République - qui vous a accueilli l’autre jour à l’Elysée pour une remise de décoration. Comment cela se passe dans ces cas-là, quand on se retrouve face à face ?
Charles Pasqua : Mais il n’y a pas de problèmes personnels entre le Président de la République et moi.
Stéphane Paoli : Vous ne l’avez pas ménagé.
Charles Pasqua : La politique veut que l’on se détermine en fonction de ses idées, si l’on a comme seule préoccupation la carrière, alors il ne faut pas faire ce que je fais. Mais si on est fidèle à ses idées et qu’on s’exprime, chacun s’exprime comme il le fait, je m’exprime peut être quelquefois un peu brutalement, c’est pour que le message passe mieux, pour qu’il arrive à pénétrer jusqu’à l’Elysée, qui quelquefois est un peu refermé sur lui-même. Alors je pense maintenant, les choses peut-être passent elles mieux ? Mais entre le Président de la République et moi, il n’y a aucun problème personnel. J’ai de l’amitié il le sait, il en a pour moi, cela ne nous empêchera pas, le moment venu de dire l’un et l’autre ce que l’on pense.