Déclaration de M. Jack Lang, ministre de la culture, à la conférence des ministres de la culture des pays francophones, sur les relations nord sud et la politique culturelle, à Cotonou le 17 septembre 1981

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Circonstance : Première conférence des ministres de la culture des pays francophones, à Cotonou du 17 au 19 septembre 1981

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le ministre de la culture de la République du Bénin,
Messieurs les ministres et chers collègues,


C’est pour le ministre français de la culture une double première que d’être appelé à parler quelques instants devant vous.

C’est d’abord la première fois que le nouveau Gouvernement de la France s’exprime sur ce thème - sur la culture - dans une enceinte culturelle internationale et aura dans quelques instants l’occasion, par ma voix, de vous transmettre quelques messages et quelques propositions, et c’est plus modestement pour celui qui a l’honneur de parler devant vous à l’instant, la première fois de sa vie qu’il participe officiellement à une réunion intergouvernemental. Et c’est donc, comme l’on dit en langage familier,une sorte de baptême de feu et aussi je réclame de vous indulgence et compréhension.

Vous comprendrez que, à ce double titre, je sois ému et surtout que je me sente heureux de m’exprimer devant vous, parmi vous, et de représenter auprès de vous le Gouvernement français et le Président de la République française, F. Mitterrand. Heureux de ces retrouvailles de la grande famille - à la fois riche, turbulente et chaleureuse - la grande famille francophone. Ces retrouvailles nous les devons à l’agence de coopération culturelle et technique et il faut la féliciter de son initiative.  Est c’est finalement une troisième première qu’il nous faut fêter ici puisque, si je suis bien informé, c’est la première fois que les ministres de la culture se réunissent sous l’égide de l’agence. Ces retrouvailles on les doit aussi à l’hospitalité, à l’amitié, de la République populaire du Bénin et de son Gouvernent auquel je me permets d’adresser mes chaleureux remerciements, et ce matin nous avons tous été impressionnés et saisis par la noblesse et la force des propos tenus par le Président Kérékou que le Président de la République française aura la joie de recevoir à Paris la semaine prochaine.

Hier, ensemble, chers collègues, nous étions à Abomey et ce n’est pas sans émotion que nous avons visité ce musée et en même temps ce haut lieu de l’histoire et de la culture du Bénin et, visitant cet endroit et au moment de le quitter, je me disais que nous avions là le témoignage, s’il en fallait un, le témoignage supplément que le Bénin, comme tant d’autres pays, n’ont jamais cessé au fond d’été indépendants - je veux dire, d’être eux-mêmes dans une forte et longue tradition d’histoire - et que le colonialisme, ce moment si injuste et si cruel de l’histoire, ne fut qu’une parenthèse, une parenthèse, hélas, qui laisse encore aujourd’hui tant de traces, tant de traces fâcheuses, sur le développement même des pays qui, voici quelques années,ont retrouvé leur indépendance.

Puis-je, avant de formuler quelques observations sur les thèmes qui nous réunissent aujourd’hui, me permettre, avant d’entrer dans le vif du sujet, de vous dire quelques mots sur le contexte politique, contexte tout à fait nouveau, dans lequel s’inscrit désormais la politique culturelle de mon pays. Et pardonnez moi un instant de vous parler de la vie politique de mon pays mais, vous le savez, elle rejaillit comme la vie politique de chacun de vos pays, sur ses relations internationales.

Parlons sans détour et établissons un lien entre la politique et la culture car elles sont si étroitement liées !

C’est pour celui qui a la possibilité d’être membre du Gouvernement français en tant que ministre de la culture, c’est une chance et un bonheur que d’appartenir au Gouvernement constitué par François Mitterrand. En effet, tout, je dis bien tout, différencie les méthodes et les conceptions du Gouvernement présent en matière culturelle de ses prédécesseurs. Tout et d’abord le Président de la République lui-même, François Mitterand, qui, par son œuvre personnelle, ses idées, sa qualité d’homme de culture, a assigné dès le début de son combat politique, et pas seulement depuis quelques mois, a assigné à la culture, à l’art, à l’intelligence, aux forces de vie, une place première ; et c’est pourquoi celui qui a momentanément la charge de conduire la politique culturelle du pays ne se sent pas dans ce Gouvernement à la lisière ou à la marge, mais a le sentiment de participer à une œuvre pleine et entière de transformation sociales et intellectuelle. Et, au fond, le combat politique est un combat qui, d’un bout à l’autre, a été conduit par cette idée que les forces de l’esprit, les force de la vie, les forces de la volonté, devaient être capable de maîtriser la puissance des forces de l’économie et, en particulier, la puissance des forces des entreprises multinationales.

Ce combat politique lui-même s’est placé, comme je pense le combat politique de beaucoup d’entre vous, - en tout cas ce fut le cas de tous ceux qui ont lutté contre le colonialisme - placé sous la volonté de prendre le temps, le temps d’avancer, le temps d’expliquer, le temps de comprendre, le temps de faire comprendre, le temps de donner au temps le temps, et, en même temps, refusant, et ce thème autant culturel que politique, en refusant les modes, les vogues, en ne se décourageant pas face aux calomnies aux déconvenues du moment, et en se fixant un grand objectif, un grand projet ; transformer profondément une société, et d’abord gagner pour cela la confiance de ses concitoyens.

Ce droit à la culture qui nous réunit aujourd’hui, qu’est ce au juste ? Et souvent nous nous sommes posés la question ; nous nous la posons souvent ; ce droit à la culture, qu’est-ce au juste ?

Je dirai que ce droit à la culture s’articule au fond autour de deux droits élémentaires qui justifient notre présence à tous ici je le crois, deux droits élémentaires ; le droit au travail, le droit pour chacun donc à apporter sa pierre à la maison commune, sans que jamais personne ne soit laissé au bord de la route, et le droit à la beauté, le droit pour l’homme d’inventer des œuvres de beauté ou de contempler des œuvres de beauté, et au fond, droit au travail, droit à la beauté, ce sont deux droits qui constituent tout simplement le droit à la vie, et c’est cet hymne à la vie qui, je pense, nous rassemble aujourd’hui à cette réunion internationale.

Je n’ai pas à vous convaincre, vous qui savez pour avoir lutté, pour avoir combattu contre le colonialisme, combien il faut, lorsqu’on veut faire œuvre de transformation, concentrer son énergie  pour éveiller les esprits, pour faire prendre conscience, pour mobiliser la volonté, la volonté de survivre. Eh bien, le combat pour la culture dans nos pays comme dans nos rapports internationaux est un combat du même type. Le combat pour la culture suppose que chacun de nos gouvernements, que chacune de nos administrations veuillent s’arracher de la pesanteur des choses, veuillent vaincre l’habitude, la fatalité, la résignation. Et, après tout, je ne vois pas de différence mentale entre le combat que nous avons à mener, sous des formes différentes, contre le sous-emploi et le chômage et le combat que nous avons à mener pour l’art et la culture. Dans les deux cas, rien de grand ne se construira s’il n’y a pas risque pris, audace, combat et fidélité aussi, à son programme.

Si j’avais le temps, et je ne veux pas vous monopoliser la parole, je vous dirais ce que sera, ce que ce que veut être, la politique culturelle du nouveau gouvernement français. Je dirais simplement que, par un paradoxe un peu curieux, cette politique culturelle, je veux dire la génération de ceux qui ont la chance depuis quelques mois d'être au Gouvernement de la France, n’est pas sans rapport avec ce que nous avons vécu dans l’opposition, au moment des guerres coloniales, au moment où – c'était le cas de beaucoup d'entre nous qui aujourd'hui appartenons à ce Gouvernement – étions, je le  crois, autant aussi bien que nous ne pouvions, à vos côtés lorsque, par les armes ou par le combat politique, beaucoup d'entre nous se battaient pour l’indépendance. Et votre lutte, votre combat contre le colonialisme nous a éclairé aussi nous-mêmes sur notre propre société; et, au fond, le développement pour la culture dans notre société – je parle pour la France – suppose aussi un effort de décolonisation intérieure, suppose de notre part beaucoup de modestie en même temps  pour comprendre qu'un pays ne vit que si toutes les chances sont données au moindre village, à la moindre petite ville éloignée de ce qui s'appelle, ou de ce qui se croit, le « centre ». Et au fond, la politique de développement culturel qui vise à redonner vie à l'ensemble d'une population, à l'ensemble de régions, à l'ensemble d'un pays, c’est une politique de décolonisation mentale qu’il nous faut mener et accomplir.

Alors abordons, si vous le voulez bien, et je quitte la politique française un instant, la question qui nous réunit ici sans nous réunir ; la langue française est, abordons là de front si vous le voulez bien, la langue française, langue qui nous permet aujourd'hui de communiquer entre nous, langue de communication internationale, abordons cette question sans complexe, je veux dire que, sans complexe ni du côté des pays qui ont choisi volontairement cette langue, ni du côté de ceux qui l’ont subi en raison de l'histoire, et d'une histoire souvent douloureuse, au fond je dirai  que c'est une donnée, une donnée indiscutable que nous ne pouvons pas mettre entre parenthèses, elle est là, et c'est vouloir se cacher les yeux, comme cela se produit parfois même en France, que d'ignorer que le français est en effet, vous l'avez écrit dans vos documents préparatoires, la deuxième langue de communication internationale. C'est un fait. Faut-il du côté français – je préfère parler crûment – s’en désoler ou s'y résigner ?

J'ai observé à plusieurs reprises, dans les derniers jours encore, le colonialisme économique et culturel dont nous parlons ici si justement. Bien entendu, les pays du Sud en sont les premières victimes et les victimes qui en subissent le plus cruellement les conséquences. Mais, ce colonialisme là affecte l'ensemble des pays du monde. Et tout récemment lorsque, à propos de la puissante industrie cinématographique américaine et de ses filiales multinationales, je m'élevais dans mon pays et je disais que l'ensemble des professions cinématographiques devait prendre conscience que cette puissance américaine risquait d’handicaper la création dans nos pays, je pensais à ce moment-là à la France et aux pays d’Europe. Alors aussitôt un immense tollé : « nationalisme, protectionnisme, chauvinisme » ! Et en France même, se battre pour préserver la langue française, la ou les cultures françaises, n’est pas si simple qu'on le croit et il y a trop souvent une atmosphère, je dirais de résignation ou de capitulation, qui au nom d'un internationalisme mal compris, verrait assez bien que les frontières de notre pays soient largement ouvertes aux produits standardisés, sans aucune protection. Et bien je crois que si le Gouvernement français aujourd'hui se bat, il va le faire avec énergie et détermination pour que notre pays et les pays d'Europe puissent désormais conduire plus librement leur politique culturelle, largement ouvert à toutes les cultures du monde, je crois que c'est précisément parce que les hommes qui aujourd'hui sont au pouvoir en France savent et ont cru comprendre grâce à vos luttes ce que le colonialisme veut dire. Et c'est pourquoi le combat est le même, entre nous-mêmes qui voulons préserver l'indépendance qui a été acquise, et vous-même qui entendez aussi préserver vos cultures, préservez vos identités, et au fond, cette langue française qui nous réunit peut, à sa manière et sans verser dans aucun impérialisme, constituer pour chacun d'entre nous une sorte de bouclier face à la pénétration des cultures multinationales. Et je dirais : au fond il n'y a même pas de choix à faire, c'est une donnée de l'histoire ; je veux dire que si nous renoncions les uns et les autres au français comme langue de communication internationale, cela veut dire que nous donnerions place au monopole d'une seule langue de communication ; cela veut dire par conséquent que nous accepterions d'être submergés par le flot et le bombardement des images et des musiques stéréotypées venues d’outre Atlantique.
Mais, pour que cette langue française ne soit pas vécu comme instrument de pression ou instrument impérialisme mais, au contraire dans certaines hypothèses, comme l'un des éléments d'une libération, il faut évidemment – et j'aborde enfin le grand sujet d'aujourd'hui – que les pays du nord change profondément leur politique – ce qui signifie par exemple que la francophonie soit, si l’on me permet l'expression, «débarbousée », qu'elle soit débarrassée de cette coloration chauvine et impériale ; ce qui veut dire aussi - et je crois que l’un des textes le faisait apparaître - que la langue française ne soit plus la propriété d’un pays mais qu’elle soit le patrimoine commun de l’ensemble des nations qui ont bien voulu la choisir comme langue de communication internationale, ce qui signifie en particulier qu’on doit se réjouir et non déplorer ses variantes, ses transformations localisées qui l’enrichissent, ce qui signifie enfin que chacun des responsables doit reconnaître pleinement la dignité de l’ensemble des langues nationales y compris sur le territoire français où des siècles de centralisation ont raboté des pratiques linguistiques.
Par conséquent, la politique nouvelle si nous sommes en mesure de la pratiquer, doit passer par une autre conception de la langue française, de ses pratiques et de son rôle dans la vie internationale. Elle doit passer surtout, cette autre politique, par une transformation des rapports culturels.

Le Président du Bénin, ce matin, évoquant d’autres réunions, disait, plutôt exprimait son scepticisme sur l’évolution des rapports entre le nord et le sud. Et comment lui donner tort si l’on observe ce que furent jusqu’à présent ces conférences internationales et ce que fut la négociation économique entre les pays du nord et les pays du sud. Il y a tout de même quelques signes d’encouragement et je peux dire que notre Gouvernement s’est efforcé de contribuer à changer déjà un peu les choses ; des résultats encore trop modestes mais tout de même existants de la conférence sur les pays les moins avancés qui s’est tenue à Paris voici dix jours montrent que, si quelques gouvernements expriment avec force une volonté politique, des changements peuvent être opérés. Cela vaut aussi sur le plan culturel. Et l’échange inégal, il n’est pas seulement l’échange inégal sur le plan économique, est évidemment et en même temps et sans aucune coupure un échange inégal sur le plan culturel. Et lorsqu’on demande le rétablissement des termes de l’échange je pense qu’on demande aussi le rétablissement des termes de l’échange culturel. Et lorsque l’on parle des rapports entre le nord et le sud je pense que l’on pense aussi aux rapports entre le sud et le nord.

Vous savez peut-être, et indépendamment de cette réunion d’aujourd’hui qui je l’espère aboutira à quelques conclusions pratiques et sera le signe d’un nouveau départ, pour tous, que la politique culturelle du Gouvernement français dès les premières minutes s’est volontairement placée sous le signe de cette volonté d’ouvrir largement les portes et les fenêtres à l’ensemble des cultures du monde. Et pour montrer que ce que je dis là n’est pas simplement paroles de convenance pour conférences internationales mais expression d’une volonté politique déterminée et assurée, je voudrais prendre quelques exemples de ce que nous avons déjà tenté de dire ou de faire pour mettre en harmonie nos paroles, généreuses je l’espère, avec nos actes concrets et conséquents je l’espère aussi.

Balayons, si vous le voulez bien, quelques domaines de l’activité artistique.
Les arts plastiques : la peinture, la sculpture.
J’ai dit aux dirigeants des principales institutions de musée françaises et en particulier aux dirigeants du plus important musée d’art moderne français qui se trouve à Beaubourg, que désormais nous ne pouvions plus accepter que ce musée n’ouvre ses portes et ses cimaises qu’aux seuls peintres et sculpteurs des pays du nord et je leur ai demandé de réfléchir à la façon dont nous pourrions ouvrir les portes de ce musée - des musées - aux peintres et aux sculpteurs des pays du sud. Et je leur ai demandé en particulier de réfléchir et peut être l’initiative pourrait-elle se faire en relation avec l’agence de coopération culturelle et technique - à la tenue à Paris d’une biennale sud-nord, confrontation entre peintres et sculpteurs du sud et peintres et sculpteurs du nord. Dans le même esprit, nous avons décidé pour 1982 d’instituer des bourses destinées à de jeunes artistes de différents pays du monde qui, s’ils le veulent, viendraient passer quelques mois ou quelques années parmi les artistes français plasticiens et ces bourses seront en priorité attribuées à des artistes venant des pays du sud.

Pour les livres, directives semblables.
J’ai demandé à la bibliothèque nationale de constituer un fond de littérature d’expression française, et des moyens financiers importants dans ce but ont été attribués à cet établissement. J’ai demandé à la direction du livre de réfléchir à une nouvelle politique qui permettrait concrètement d’apporter une contribution aux pays qui le souhaiteraient en faveur du développement des éditions nationales et du développement de la librairie dans les pays du sud.

Pour la musique et le théâtre, dans huit mois, s’ouvrira à Paris - et ouverte principalement aux pays du sud - une nouvelle institution en plein cœur de la ville, boulevard Raspail, que nous avons appelé volontairement « Maison de toutes les cultures du monde ». Cette maison, qui fonctionnera en permanence, sera l’un des endroits dans notre pays où les artistes des pays du sud pourront librement présenter leurs œuvres et leurs spectacles. Mais il faut évidemment aller plus loin, et lorsque dans les textes qui sont soumis on évoque les rapports sud-nord, je crois qu’il faut qu’un gouvernement au moins - j’espère d’autres gouvernement du nord- prenne des décisions concrètes. Cela veut dire par exemple, et une commission du ministère de la coopération y travaille, réviser les manuels d’histoire, je veux dire réviser la façon dont l’histoire de la colonisation est décrite, introduire des textes des auteurs des pays du sud dans les manuels de littérature, soutenir activement les jeunes réalisateurs de télévision et de cinémas des différents pays concernés, publier les travaux des chercheurs, ouvrir l’ensemble des manifestations françaises, et je parle pour mon pays, musicales, théâtrales, aux œuvres des pays du sud, faciliter l’organisation à Paris ou ailleurs de manifestations nationales de ces pays - c’est ainsi qu’en ce moment nous mettons au point l’organisation de la première grande manifestation culturelle du Zaïre en France -, faire participer pleinement à de grandes initiatives internationales les pays du sud - et ce sera le cas pour l’un des grand projet actuellement en chantier pour lequel notre pays est candidat : la tenue à Paris en 1988 de l’exposition universelle et je souhaite que cette exposition universelle soit l’occasion d’une grande confrontation culturelle entre le sud et le nord et que les pays du sud aient une pleine place à cette exposition universelle.

Je conclus, et tout à l’heure peut-être j’aurai l’occasion de fournir d’autres indications concrètes sur les intentions du Gouvernement français.

Si notre Gouvernement s’oriente vers une tout autre politique des rapports entre le sud et le nord, ce n’est pas du tout par je ne sais quel esprit de charité ou d’assistance.

Je dirai que c'est d'abord pour, et presque tout à fait égoïstement si j’ose dire, notre enrichissement à nous, pour notre joie à nous, pour que, à la vie intellectuelle et culturelle de notre pays et des autres pays du nord, participent pleinement d'autres apports, d'autres talents, d'autres artistes.

Je voudrais, avant de quitter cette tribune que j'ai abusivement occupée, donner un exemple, un dernier exemple de ce qui constitue selon nous une grave anomalie dans la fermeture des pays du nord à l'égard des cultures des autres pays : actuellement nous sommes en train de réformer profondément le système de la télévision et de la radio, et comme vous le savez, la télévision diffuse beaucoup de films. Je me suis fait procurer la liste des films qui ont été diffusés en 1980 à la télévision française et j'ai constater avec surprise - c'est un trop grand mot, mais avec peine - que la réalité dépassait l’imagination : près de la moitié des films programmés sont des films de pays autre que la France et je m'en réjouis. Mais sur cette moitié, 86 % sont des films américains ! 30 films pour les pays d'Europe, 30 films c'est à dire pour l'ensemble des pays, comme, l’Italie, l’Allemagne, l'Espagne, le Québec (je ne sais pas pourquoi le Québec figure dans cette liste établie par la télévision française en Europe ou en Amérique), et 10 films, oui 10 films, sous la rubrique sympathique «divers », donc à 10 films pour le reste du monde, sur plus de 500 films. Tout le cinéma indien, tout le cinéma africain, tout le cinéma latino-américain : 10 films par an !

Voilà la vision du monde que, jusqu'à présent en tout cas, la télévision française offrait aux spectateurs français : les États-Unis, la France, un monde coupée en deux. Le reste du monde n'existe pas.

Voilà des choses concrètes et, indépendamment de tous les discours et de toutes les proclamations, nous pouvons changer et nous changerons. Nous avons demandé aux responsables chargés d'élaborer les nouvelles structures de télévision, d'inverser radicalement les quotas. Je dirais que c'est d'abord les cultures du sud qu'il faut protéger, c'est d'abord les cultures européennes qu'il faut protéger, je veux dire celle-là même qui se trouve placé en situation de «dominées » par rapport à une puissance hégémonique qui, tout naturellement cherche à étendre son influence. Je dirai pour ne pas apparaître une fois de plus comme anti-américain, ce que je ne suis pas, c'est que ce système hégémonique fait des victimes, pas seulement chez nous dans nos pays, mais aux États-Unis même où beaucoup d'artistes se plaignent de ce système multinational.

Je souhaite que, indépendamment de l'effort que chacun de nos gouvernements va entreprendre, l'agence puisse continuer son œuvre activement, ardemment, qu’elle continue à être ce laboratoire d'idées et de réalisations, qu'elle puisse être ce lieu de confiance et d'échanges. Je vous le dis parce que c'est vrai, parce que nous nous sommes lancés dans cette voie qui est la nôtre. Vous pouvez compter sur notre détermination pour changer avec nos moyens – qui ne sont que nos moyens – l 'écart des rapports de force entre le nord et le sud.
Et je pense que ce que je vous dis là connaîtra des applications concrètes à la conférence de Cancun et j'espère de tout cœur que les prévisions que ce matin le président de la République du Bénin nous faisait à propos de l'éventuel résultat de la conférence de Cancun seront démenties. Et il n'a pas tort d'être méfiant, et j'espère que la France – et je n'en doute pas pour elle-même – et que les autres pays du nord sauront là saisir une chance qui s'offre de modifier sensiblement les rapports entre le nord et le sud.

Et pour conclure, je dirais que nous encourageons les efforts entrepris par l'agence, et la France nouvelle, celle que nous essayons de construire, qui n'entend rien monopoliser, ni sa langue, ni sa culture, ni son économie, saura dans l'action de chaque jour établir avec les autres pays du monde des rapports d'égalité et de fraternité ; j'espère que vous ne serez pas déçus par l'action que nous allons mener avec vous, ou sans vous, avec votre coopération et avec nos échanges, je l'espère multipliés dans les prochaines années.