Interview de M. François Hollande, secrétaire national et porte-parole du PS, dans "Le Monde" du 23 octobre 1996, sur les relations entre policiers et magistrats.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Arrêt de la cour d'appel de Paris le 21 octobre retirant à Olivier Foll son habilitation d'officier de police judiciaire pour non assistance au juge Halphen lors d'une perquisition chez Jean Tibéri

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Le Monde : Que pensez-vous de la décision de la chambre d’accusation de Paris de retirer à Olivier Foll son habilitation d’officier de police judiciaire six mois ?

François Hollande : La décision est exceptionnellement grave puisqu’elle met en cause le directeur de la police judiciaire et reconnaît qu’il a entravé l’action du magistrat instructeur sans aucune justification légale et sans discernement. Elle est grave aussi dans la sanction puisque le directeur de la PJ est suspendu de son habilitation d’officier de police judiciaire. Elle est grave enfin de par ses conséquences politiques, car, si M. Foll est sanctionné, le ministre de l’Intérieur, Jean-Louis Debré, qui l’a couvert à tous les stades de la procédure, est, lui, indirectement condamné.

Le Monde : Comment appréciez-vous l’attitude de M. Debré, qui ne semble pas décidé à retirer son habilitation à M. Foll ?

François Hollande : Dès l’origine de l’affaire, nous avions mis en cause le ministre de l’Intérieur pour avoir couvert un acte manifestement illégal. Aujourd’hui, M. Debré récidive puisqu’il affirme que, malgré la décision de la chambre d’accusation, il maintient le directeur de la police judiciaire dans ses fonctions. Il y a deux ans, lorsque le prédécesseur de M. Foll avait été, lui aussi « contesté » pour son rôle dans les écoutes de l’affaire Schuller-Maréchal, il avait au moins été démissionné. Aujourd’hui, il n’en est rien, ce qui peut laisser penser que M. Debré, en juin, avait autorisé M. Foll à ne pas prêter le concours de la police à la justice. Faut-il que les risques soient grands pour qu’un ministre de l’Intérieur entrave ainsi des perquisitions à la mairie de Paris ! Faut-il que les craintes de révélations soient lourdes pour qu’un ministre de la Justice reste silencieux lorsque les juges d’instruction sont empêchés dans leurs investigations !

Le Monde : A contrario, cet événement ne va-t-il pas à l’encontre de vos accusations sur une « justice domestiquée » ?

François Hollande : Il y a eu de la part du gouvernement, et en tout cas des deux ministres concernés, une volonté de domestication de la justice. Par bonheur, force est restée à la loi et notamment à l’article 14 du code de procédure pénale. Si l’intention politique est évidente, la justice a su courageusement y résister. Mais, il n’en reste pas moins que le juge Halphen, à cause de la décision du ministre de l’Intérieur, n’a pas perquisitionné en temps utile à la mairie de Paris. De ce point de vue-là, et de ce point de vue-là seulement, l’objectif pour le gouvernement est atteint, mais à quel prix pour l’image de nos institutions !

Le Monde : Quelles leçons en tirez-vous pour l’avenir sur la collaboration entre les juges et la police judiciaire ?

François Hollande : Il ne faut pas opposer justice et police. Ce serait à la fois trop commode et faux car, dans le cas d’espèce, le conflit est d’abord entre la justice et les interventions politiques. Voilà pourquoi les socialistes proposent de trancher le lien entre chancellerie et parquet et de ne pas laisser la police judiciaire sous la seule responsabilité du ministre de l’Intérieur. Il faut en finir avec ces interférences qui démotivent la police, qui fragilisent la justice et qui entretiennent dans l’opinion une suspicion générale sur le déroulement des procédures judiciaires. Le gouvernement doit faire un choix : soit il protège ses amis, soit il garantit l’indépendance de la justice.