Interview de M. Patrick Devedjian, délégué général et porte-parole du RPR, dans "Le Figaro" du 28 décembre 1999, sur la cohabitation et sur la nécessité d'équilibrer les pouvoirs exécutifs et législatifs.

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Le Figaro : Comment analysez-vous l’attrait des Français pour la cohabitation ?

Patrick Devedjian : La cohabitation est un moyen sauvage que les Français ont inventé pour équilibrer les institutions. Car, hors cohabitation, l'exécutif est en France extrêmement puissant, doté de pouvoirs dont il ne dispose dans aucun autre pays au monde. Il procède par exemple à plus de 1 500 nominations pour des emplois de la nation, de manière totalement unilatérale. La loi est préparée par les cabinets ministériels, et l'Assemblée nationale n'est qu’une chambre d'enregistrement. Les Français ressentent donc le besoin de rééquilibrer les institutions, car les contre-pouvoirs, selon la théorie chère à Montesquieu, sont nécessaires. En outre, avec un mandat présidentiel de sept ans, la tentation de la cohabitation est plus forte chez l'électeur, car la durée éloigne l’alternance.

Le Figaro : Quels sont, selon vous, les défauts de la cohabitation ?

Patrick Devedjian : En période de cohabitation, on tombe dans d’autres déséquilibres, qui tendent à une paralysie mutuelle des pouvoirs. C’est un régime d’attente de la future élection présidentielle, liée à la durée du mandat présidentiel, qui rend les acteurs politiques très prudents et qui les conduit à ne pas réformer en profondeur la société. Car les réformes idéologiques du gouvernement Jospin ne s’attaquent pas aux blocages de la société française, qu'il s'agisse des retraites, de la carte judiciaire ou de la réforme de l’État. Car tout ce qui se fait sous la cohabitation n'a pour seul objectif que de positionner le Gouvernement par rapport à l'échéance présidentielle.
La cohabitation affaiblit donc le pouvoir élyséen. Elle transforme le chef de l’État en chasseur embusqué : il guette la faute de l'adversaire. Mais, d'un autre côté, le Président de la République a un avantage : la durée. Il est beaucoup moins exposé aux aléas de la vie politique. Son jeu, c'est d'attendre le faux pas de l'hôte de Matignon. Le jeu du Premier ministre, à l'inverse, c'est d'essayer de montrer qu'il est indispensable et de faire croire que le Président n’existe pas, qu’il est inutile.

Le Figaro : Comment remédier à cette paralysie dont vous parlez ?

Patrick Devedjian : Il faudrait redonner des pouvoirs de contrôle au Parlement, qui n’a actuellement aucun moyen réel d'investigation, pas davantage d'outils statistiques ou d'analyse. La mission d'évaluation et de contrôle (Mec) des crédits budgétaires de la commission des finances se heurte à la résistance de l'administration de Bercy. Et comme le Parlement n'exerce pas son pouvoir de contrôle, la cohabitation est le régime qui permet à chaque camp de contrôler l’autre. Le Président de la République et le Premier ministre, eux, ont les pouvoirs de le contrôler mutuellement.

Le Figaro : La précampagne présidentielle a-t-elle commencé ?

Patrick Devedjian : Bien sûr. Lionel Jospin essaie de se positionner comme un futur Président. Son voyage au Japon n'avait pour objet que de le positionner comme « le » Président sur la scène internationale. Lionel Jospin est allé se montrer. C'était un voyage de posture, dont il n'est sorti aucune décision. Le Premier ministre va sûrement multiplier ce type de déplacement pour se structurer une image de présidentiable. En clair, Lionel Jospin se sert de son poste de Premier ministre pour faire sa campagne présidentielle.