Texte intégral
OUEST FRANCE le lundi 2 mars 1998
OUEST-FRANCE : Quel est pour vous l'enjeu majeur de ces élections régionales et cantonales ? Cette campagne ne vous sert-elle pas aussi à attaquer vos adversaires de gauche, sur le plan national ?
PHILIPPE SÉGUIN : Non. Car, si ces élections ont une dimension nationale, leur enjeu est d'abord régional. Et, si je vais de département en département. C’est précisément pour y tenir des propos en adéquation avec leurs réalités locales. Ainsi, dans le Finistère, j'ai parlé de problèmes agricoles, de TGV et d'armement. Dans les Côtes-d'Armor des problèmes spécifiques aux Côtes-d'Armor. Mais je ne me « sers » pas de ces élections : je considère simplement qu'il est du devoir d'un responsable public, lorsque les citoyens sont appelés à s'exprimer, de leur donner des grilles de lecture. Cela me paraît d'autant plus nécessaire lorsque l'intérêt pour une élection n'est pas... spontané.
OUEST-FRANCE : Quand vous accusez les socialistes de ne rechercher dans les réglons que leur « magot », vous n'y allez pas un peu fort ?
PHILIPPE SÉGUIN : Si vous vous obstinez à employer le vocabulaire de la classe médiatico-politique. il ne faut pas s'étonner de n'être plus compris par personne et de ne plus intéresser grand monde... Alors, traduit dans le jargon habituel, cela donnerait ceci : les socialistes qui ne peuvent plus décemment pressurer les Français au niveau national aimeraient bien le faire au niveau régional où, du fait de la bonne gestion actuelle, il reste un potentiel fiscal fort... Ça vous va ?
OUEST-FRANCE : Qu'est-ce que le RPR propose pour simplifier l'organisation territoriale ?
PHILIPPE SÉGUIN : Ce n'est pas l'objet du débat. C'est au législateur de répondre. Pas aux conseils régionaux. Le RPR pense que notre organisation actuelle, qui superpose quatre, voire cinq niveaux d'administration, est trop lourde, trop coûteuse, sans être plus efficace que celle de nos voisins. Cela dit, toute réforme devra concilier les impératifs de décentralisation et d'aménagement du territoire. Il est hors de question de rompre les liens de solidarité entre les territoires, comme entre citoyens.
OUEST-FRANCE : Les régions pourraient-elles faire plus en matière d'emploi ?
PHILIPPE SÉGUIN : Elles font déjà un travail considérable en matière de formation professionnelle et d'aide aux entreprises. Il n'est que de voir ce qui a été fait en Bretagne. Mais les clefs se situent au niveau national. Et le véritable enjeu est de sortir de la spirale infernale dans laquelle nous sommes depuis vingt ans : davantage de charges et d'impôts produisent plus de chômage ; davantage de chômage entraîne plus de charges et d'impôts, etc. On s’est beaucoup moqué des Anglais, je constate pourtant que ce sont des milliers de jeunes Français qui partent en Angleterre pour essayer de trouver un job et des industriels pour y créer leur entreprise. Les Anglais, eux, viennent chez nous pour acheter des résidences secondaires.
OUEST-FRANCE : Est-ce que la démarche initiée par le Gouvernement vers le non-cumul des mandats vous paraît digne d'intérêt ?
PHILIPPE SÉGUIN : C’est une véritable imposture ! Je peux en parler en toute sérénité puisque, moi, je ne cumule pas. Cette prétendue réforme est une usine à gaz qui se caractérise par son hypocrisie. M. Jospin a demandé à ses ministres-maires de cesser de l’être. Résultat : ils sont tous devenus premiers adjoints à compétence générale ! C’est se moquer du monde. Et voilà qu'on nous propose de généraliser le système... Le cumul en France est le produit d'un environnement institutionnel. Tant que, pour réaliser un équipement, vous aurez besoin d'être à trois ou quatre endroits à la fois pour décrocher les décisions et les financements, la recherche du cumul sera inévitable. Si l'on veut vraiment traiter le cumul, il faut traiter l'environnement et notamment revoir les compétences entre les collectivités de manière à éviter que tout le monde s'occupe de tout. Il faut, en outre, un véritable statut de l'élu. Bref, le problème du cumul est un problème trop sérieux pour être traité comme un gadget électoral.
SUD OUEST le jeudi 5 mars 1998
Sud Ouest : Vous avez entrepris de visiter tous les départements avant les élections. Celles-ci ont-elles donc un enjeu national avant tout ? Pourquoi tant de dépenses d’énergie ?
Philippe Séguin : Il n’y a pas d’élections mineures. Les régionales et les cantonales sont des scrutins importants, ne serait-ce qu’en raison des compétences nouvelles qu’ont acquises les collectivités locales à la faveur de la décentralisation. On ne saurait donc s’en désintéresser.
Sud Ouest : Pourquoi cette brutalité nouvelle envers les « dissidents » ? Seront-ils réintégrés ?
Philippe Séguin : Ce n’est pas de la brutalité, c’est tout simplement un problème de moral et de cohérence. Nous nous sommes fixés, à nos dernières assises, un certain nombre de règles de comportement. Une fois que les engagements étaient pris, il fallait les tenir.
De quoi aurions-nous l’air si nous tolérions des attitudes et des procédés en totale contradiction avec des principes que nous venons de nous donner, principes dont nos compatriotes ont été pris à témoin… Nous ne serions pas des responsables politiques dignes de ce nom mais de mauvais comédiens.
Les Français nous ont signifié qu’ils ne voulaient plus de cette manière d’envisager la politique. Il faudra bien que certains s’y fassent.
L’action publique n’a rien à voir avec le carriérisme. Nous ne sommes pas là pour nous accrocher à des fiefs ni, à fortiori, pour les transmettre à nos collatéraux ou à notre descendance.
Sud Ouest : Vous avez montré l’exemple en ne gardant qu’un seul mandat (député). Mais vous avez investi beaucoup de « cumulards ». N’est-ce pas contradictoire ? Souhaitez-vous la fin du député-maire, sénateur-maire ?
Philippe Séguin : Pas du tout. Je fais davantage confiance à la liberté individuelle et à la responsabilité personnelle qu’à la réglementation ? Il n’est pas nécessaire d’attendre l’interdiction législative du cumul pour mesurer le poids éventuel de la charge qui vous échoit.
Cela étant, je suis favorable à une évolution de la législation sur le cumul des mandats. A condition qu’elle ne serve pas de prétexte à une manipulation politique comme le Gouvernement s’y adonne peu glorieusement. En vérité, on ne peut pas traiter la question du cumul des mandats sans envisager une réflexion d’ensemble sur notre système politique : revalorisation du rôle du Parlement, instauration d’un statut de l’élu, remise en ordre des règles de la décentralisation. Autant de questions qui doivent être abordées conjointement. Au lieu de la pantalonnade qu’on nous joue…
Sud Ouest : N’y a-t-il pas un échelon de trop au plan local (région, département…) ? Faut-il élire au suffrage universel les communautés urbaines (cf. rapport Sueur) ?
Philippe Séguin : Il y a certainement trop d’échelons d’administration en France. Il en résulte de graves inconvénients pour nos compatriotes : enchevêtrements des procédures, gaspillage des énergies, mauvaise utilisation des deniers publics. Et toute proposition visant à en créer une supplémentaire ne mérite que la corbeille à papier.
Il faut plutôt, comme nous le proposons dans notre projet, envisager une vaste réforme de notre organisation territoriale, marquée par la clarification des compétences des collectivités locales, et allant, à terme, vers la suppression d’un échelon d’administration. Les Français doivent être associés à ces évolutions qui les concernent directement, au besoin par voie référendaire.
Sud Ouest : Que faut-il faire des « fruits de la croissance » ?
Philippe Séguin : Permettez-moi de vous dire qu’il faut d’abord qu’il y ait de la croissance pour en répartir les fruits. La croissance n’est pas une donnée, elle est un combat. Cela dit, grâce à l’action d’Alain Juppé, la France est aujourd’hui en mesure de mieux bénéficier d’un environnement économique international favorable. Je m’en réjouis et j’attends du Gouvernement qu’il cesse de gaspiller nos chances en multipliant des initiatives aussi dommageables, à terme, pour la croissance et l’emploi que les trente-cinq heures ou la création de plusieurs centaines de milliers d’emploi public.
Si le retour de la croissance se confirme, je souhaite que soient conduites, simultanément, une politique de désendettement de l’État ainsi qu’une baisse des impôts et des charges. Car il importe que la croissance profite à tous de manière équitable.
Sud Ouest : Le France va être qualifié pour l’euro. Vous en réjouissez-vous ?
Philippe Séguin : Je me réjouis que les efforts des Français aboutissent à quelque chose… Il serait désespérant d’avoir supporté le poids de la rigueur monétaire et budgétaire à laquelle nous avons été contraints des années durant, sans en retirer quelque récompense. Mais la naissance de l’euro n’est pas une fin en soi. Une monnaie commune, soit, mais au service de quelle politique ? Là est la question. Et elle reste posée.
Sud Ouest : Vous serez à Bordeaux vendredi. Alain Juppé a-t-il encore un rôle à jouer, au RPR, au plan national ?
Philippe Séguin : C’est évident. Le RPR a besoin qu’Alain Juppé occupe toute sa place dans le débat politique, qu’il apporte sa contribution à la rénovation de l’opposition. Notre mouvement ne saurait se passer d’une personnalité de son envergure.
Pas plus d’ailleurs que notre pays, qui s’apercevra, plus vite qu’on ne le pense, de l’importance de son action à la tête du Gouvernement. La France commence d’ailleurs à recueillir les fruits de la politique qu’il a mis en œuvre avec patience, constance et résolution. Le temps rendra à Alain Juppé les mérites qui lui ont été injustement refusés.