Interview de M. Jean-Louis Debré, président du groupe RPR de l'Assemblée nationale, à RTL le 9 mars 1998, sur les atteintes à la présomption d'innocence et au secret de l'instruction dans la mise en examen de Roland Dumas (PS), sur la délinquance des mineurs et sur les critiques du PS contre les alliances de la droite avec le Front national à la veille du 1er tour des élections régionales.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-P. Defrain : Quelques mots de ce qu’on appelle l’affaire Dumas. Partagez-vous l’avis d’E. Guigou, ministre et garde des Sceaux, sur la présomption d’innocence qui n’a pas été respectée ?

J.-L. Debré : Madame Guigou aurait mieux fait de réfléchir avant de parler, car lorsqu’il s’agit de violer le secret d’instruction quand c’est Monsieur Tiberi, je n’entends pas Madame Guigou dire que c’est scandaleux. En réalité, aujourd’hui les socialistes sont pris à leur piège : ils ont contribué en grande partie dans d’autres affaires à ce que le secret d’instruction soit violé, et aujourd’hui ils se rendent compte qu’ils sont dans une situation difficile. Pour ce qui concerne Monsieur Dumas, son maintien à la tête du Conseil constitutionnel ou sa démission relève de sa conscience. Mais je serais à sa place, et si j’étais mis en examen étant président du Conseil constitutionnel, il est bien évident que je démissionnerais.

J.-P. Defrain : Si Monsieur Dumas était mis en examen le 18 mars par les juges d’instruction, resterait-il, pour vous, présumé innocent ?

J.-L. Debré : Il est présumé innocent. Mais depuis un certain temps on joue avec le feu en France. On viole abondamment le secret de l’instruction. Or le corollaire de la présomption d’innocence c’est le secret de l’instruction. Or on l’a violé, les socialistes ont contribué à le violer ; on a contribué à faire en sorte que les instructions judiciaires se fassent désormais au grand jour. Eh bien, il n’y a plus de présomption d’innocence. C’est cela qui est malheureux. Il faut revenir à une conception plus saine de la justice et de l’instruction.

J.-P. Defrain : C’est une question non pas au député, mais à l’ancien juge d’instruction que vous êtes : vous estimez que la procédure a été respectée jusqu’ici ?

J.-L. Debré : La procédure contre Monsieur Dumas ?

J.-P. Defrain : Oui.

J.-L. Debré : Je considère qu’il est scandaleux dans cette affaire, comme dans d’autres affaires, que l’on connaisse tout le dossier dans la presse avant même que l’intéressé ne le connaisse. Je trouve scandaleux que la convocation de Monsieur Dumas devant le juge d’instruction ait été révélée par le journal Le Monde, alors qu’il n’y a que M. Dumas qui l’a reçue. Je trouve scandaleux dans cette affaire, comme dans d’autres, qu’on viole le secret d’instruction et qu’ainsi on mette en cause l’honorabilité des gens. Je voudrais qu’on revienne à une procédure qui soit celle du type anglais dans laquelle on n’a pas le droit de divulguer des noms tant que la personne n’a pas été condamnée.

J.-P. Defrain : Mais à qui la faute selon vous ?

J.-L. Debré : À tout le monde. Je ne cherche pas la responsabilité. Simplement je vois que depuis un certain nombre de temps on joue avec la justice, on joue avec le secret d’instruction, et qu’on ne sanctionne jamais ou qu’on ne cherche même pas qui est à l’origine de ces violations de ce secret d’instruction. Il y a même certains avocats qui se sont élevés, comme moi, devant ce phénomène et on n’a rien dit. Je crois que oui, il faut que les socialistes comprennent qu’on ne joue pas avec la justice. La justice est là pour rendre la justice et pas pour rendre des services.

J.-P. Defrain : Un autre sujet d’actualité : ces deux drames à quelques jours d’intervalle où ces adolescents sont devenus des meurtriers. Les circonstances ne sont pas les mêmes, mais estimez-vous qu’il y a, selon vous, une augmentation de la jeune délinquance actuellement ?

J.-L. Debré : C’est évident : les chiffres qui ont été récemment publiés montrent l’évolution de la délinquance et de la criminalité en France de façon très préoccupante. Je ne cesse de réclamer depuis des mois et des mois la poursuite de la politique que nous avions commencée à faire afin de lutter plus efficacement contre la délinquance des jeunes. Mais aujourd’hui on est devenu laxiste, on ne cherche plus à sanctionner. On cherche à justifier. Eh bien je crois qu’il est temps et grand temps que le Gouvernement – qui dans le domaine de la justice est totalement irresponsable – sente la nécessité de modifier notre législation en ce domaine et sanctionne les mineurs. Nous avons une délinquance des mineurs qui devient extrêmement préoccupante et qui est le fait, aujourd’hui, de mineurs de plus en plus jeunes. Eh bien, il faut que ces mineurs jeunes et que ces bandes de mineurs soient condamnés ; que la condamnation soit immédiate et effective.

J.-P. Defrain : Vous ne pensez pas quand même qu’il y a d’autres raisons que celle de la démission des parents. Les quartiers : c’est peut-être aussi par là qu’il faut chercher ?

J.-L. Debré : Naturellement, il faut chercher à éviter ou à diminuer les causes de cette délinquance. Mais nous sommes confrontés aujourd’hui à une situation qui devient terrible dans certains quartiers et qui perturbe la tranquillité publique et la liberté des uns et des autres de venir. Vous avez des quartiers, pas loin de Paris, où les gens ne veulent plus sortir le soir parce qu’il y a des bandes de mineurs qui font régner la terreur. Eh bien, la responsabilité du Gouvernement, ce n’est pas de dire : on ne peut rien faire parce que les parents ne s’occupent plus de leurs enfants, parce que l’école ne s’occupe plus des enfants. La responsabilité du Gouvernement qui est responsable de l’ordre public, c’est de sanctionner ces mineurs qui commettent des délits ou des crimes.

J.-P. Defrain : À six jours du scrutin des régionales, le PS vous a demandé une nouvelle fois une clarification de l’attitude vis-à-vis du Front national ?

J.-L. Debré : Il ne manque pas de culot, parce que si le PS est aujourd’hui au Gouvernement, c’est que dans toute la France lors des dernières élections législatives, les socialistes ont bénéficié du maintien des candidats du Front national. Et donc, Monsieur Hollande et ses petits camarades qui aujourd’hui crient au scandale parce qu’ils voient dans certains endroits des rapprochements qui ne sont pas vrais d’ailleurs…

J.-P. Defrain : J.-F. Mancel dans l’Oise ?

J.-L. Debré : Ils voient des rapprochements. Il y a des gens qui expriment des idées et d’autres qui crient. Ce que je constate simplement, c’est que les socialistes, depuis quelques jours, parce qu’ils sentent que l’illusion qu’ils ont semée est en train de s’estomper, crie au scandale d’une alliance entre la droite et le Front national. Je constate simplement que ces gens-là ne criaient pas lorsqu’ils ont bénéficié du maintien des voix du Front national. Ma position a toujours été très claire en ce qui concerne le Front national – et je n’ai pas de leçon à recevoir de gens qui reçoivent dans leur panier électoral les voix du Front national – ma position est très claire : il n’y a pas d’alliance à faire avec le Front national. Soyons nous-mêmes, défendons nos valeurs, et nous verrons alors un grand nombre d’électeurs du Front national revenir vers nous parce que c’est nous qui défendons la France, l’autorité et non pas les autres. Mais de grâce, ces leçons de morale du PS commencent à m’énerver. Ils se sont bien alliés avec le PC et ils ont bien reçu les voix du Front National ! Alors ces gens qui vous donnent des leçons de morale et qui pêchent dans tous les paniers, ce sont des gens qui ne sont pas corrects.

J.-P. Defrain : En tout cas, vous avez répondu à Monsieur Hollande : c’est maintenant qu’il faut dire qu’il n’y aura pas d’alliance avec le Front national. Mais si J.-F. Mancel se fait réélire président du conseil général de l’Oise avec les voix du Front national, doit-il être exclu du RPR ?

J.-L. Debré : P. Séguin l’a très bien expliqué hier : en France, jusqu’à présent, le délit d’opinion n’existe pas. Alors Monsieur Mancel peut dire ce qu’il a envie de dire, nous verrons après s’il se fait élire ou pas à la présidence avec des voix du Front national. En ce qui concerne l’électorat, c’est à lui de se déterminer, et non pas à des chefs de parti, comme Monsieur Hollande, de dicter aux uns et aux autres ce qu’ils doivent faire.