Texte intégral
J.-P. Elkabbach : Dans la concurrence mondiale, avec ses 35 heures, la France, est-ce un tigre ou un chat qui somnole et ronronne ?
N. Notat : Cela peut et cela doit être un tigre parce que si la réduction de la durée du travail a une chance – et je crois qu’on est à un moment décisif pour faire la démonstration que la réduction du travail peut être une chance pour les entreprises et aussi pour l’emploi – alors ce sera un bon exemple pour l’Europe, un bon exemple pour le monde. Donc, dans ce cas-là, je crois que la France pourra être fière d’elle.
J.-P. Elkabbach : Fin 1998 vous prévoyez que le chômage aura baissé en France ?
N. Notat : Si la croissance démarre, je dirais mécaniquement qu’il y aura une petite baisse du chômage. Je crois surtout que cela ne suffira pas. C’est la raison pour laquelle il faut d’autres mesures que celle de la seule croissance pour venir à bout d’une réelle diminution du chômage.
J.-P. Elkabbach : Il y a une confrontation qui est engagée entre la droite et la gauche – c’est du classique : 1 500 amendements, plusieurs semaines de débat au Parlement. La loi sera votée en mars ou en avril. Est-ce que si vous étiez député vous l’auriez votée ?
N. Notat : D’abord je ne suis pas député, donc je n’aime pas me mettre député quand je suis syndicaliste. Mais par contre, ce débat et la manière dont il s’enclenche m’inspirent quelques perplexités : je trouve un peu paradoxal que la réduction de la durée du travail ait été initiée – et c’est à leur honneur – par une majorité de droite en 1996…
J.-P. Elkabbach : La loi Robien.
N. Notat : Par la loi Robien. En 1997, disons qu’il y a une nouvelle impulsion, une amplification de cette logique. Et aujourd’hui, on retrouverait la majorité d’hier contre une inspiration, contre une idée qu’elle a elle-même provoquée hier, Cela n’est pas sérieux.
J.-P. Elkabbach : La droite avait lancé la loi Robien, la gauche supprime la loi Robien et fait quelque chose d’autre et fait une loi.
N. Notat : Je dirais que ceci, ce sont les figures imposées de la vie parlementaire. Moi, je souhaiterais que sur un problème aussi important que le chômage, on ne fasse pas, au Parlement ou ailleurs, mais en tous cas on ne fasse pas dans le simpliste, on ne fasse pas dans la caricature, on ne fasse pas dans la manipulation des arguments, mais qu’on s’attache vraiment, au fond, à rechercher les vraies solutions. Qu’est-ce que cela veut dire d’opposer la réduction de la durée du travail créatrice d’emplois à une baisse des charges sociales qui peut, par ailleurs, être utile sur les bas salaires ? Allons-y dans la complémentarité pas dans l’opposition, là où cela est possible.
J.-P. Elkabbach : La solution est libérale ?
N. Notat : Qu’est-ce que cela veut dire ce mot « libéral »? Je l’entends à toutes les sauces.
J.-P. Elkabbach : La baisse des charges sociales, l’allégement du coût du travail peu qualifié.
N. Notat : Je l’entends à toutes les sauces, ce mot « libéral ». J’attends que les libéraux, qui se réclament de cette théorie, de cette philosophie politique, disent clairement ce que veut dire un programme libéral, en France, pour réduire le chômage aujourd’hui.
J.-P. Elkabbach : À l’Assemblée nationale, M. Aubry envisage de définir pour l’an 2000 – elle l’a dit hier – parallèlement au smic horaire, qui ne bougera pas, une rémunération mensuelle minimale. Est-ce que vous le saviez déjà ?
N. Notat : Je ne le savais pas avant d’entendre M. Aubry à l’Assemblée nationale. Je voudrais, là-dessus, faire deux ou trois remarques. La première, c’est que je trouve vraiment cette annonce prématurée. Deuxièmement, je dis : attention, à vouloir rassurer les patrons – qui ne seront d’ailleurs peut-être pas rassurés au demeurant –, de ne pas inquiéter les smicards. Troisième élément : le smic est quelque chose auquel tout le monde tient, dans ce pays, il ne faut pas trop bricoler avec lui. Quatrième élément : je ne comprends pas qu’un dispositif qui est fait pour que ce soit la négociation qui prime, pour entrainer le maximum de salariés et d’entreprises dans la réduction réelle du travail par la négociation, on fasse, le premier jour où l’on présente cette loi à l’Assemblée quasiment l’impasse sur ce qui est essentiel dans cette loi, c’est-à-dire la dynamique de négociation et qu’on fasse comme si il y avait plein de salariés et plein d’entreprises qui ne seraient pas entrées dans le dispositif en l’an 2000.
J.-P. Elkabbach : Je vais revenir sur la dynamique de négociation mais M. Aubry dit bien : « en concertation avec le CNPF et les syndicats sur le Smic.
N. Notat : Enfin, quand on dit : « en concertation avec les syndicats et le CNPF », alors on n’en fait pas d’annonce au Parlement si l’on veut parler aux partenaires sociaux.
J.-P. Elkabbach : Donc c’est prématuré et c’est trop tôt. Il fallait attendre parce que de toute façon, cela entrerait dans la deuxième loi, celle de 1999 ?
N. Notat : Eh bien oui. C’est presque un début d’aveu d’échec que la première partie, les deux ans qui viennent et qui nous séparent de l’an 2000, de toute façon ne rendront pas les espoirs qu’on attend d’eux. Eh bien moi, je n’ai pas tiré un trait sur cet espoir.
J.-P. Elkabbach : Vous gardez une foi intacte sur les 35 heures ?
N. Notat : Sur la réduction de la durée du travail à certaines conditions, vous le savez. Car il y a une forme de la réduction de la durée du travail, celle qu’on nous prépare telle que je la sens partie pour l’an 2000, qui serait contre-productrice pour l’emploi et tout le monde le sait. Si nous en arrivions à cette situation-là, la CFDT s’opposera à cette conception de la réduction de la durée du travail.
J.-P. Elkabbach : Pourquoi dites-vous que Mme Aubry cherche à rassurer le CNPF ?
N. Notat : Je constate.
J.-P. Elkabbach : Le CNPF, qui se veut légaliste même s’il est opposé à la loi, quand elle sera adoptée, aura-t-il le choix ? Il l’appliquera et donc il négociera dans les entreprises.
N. Notat : Mais il ne faut pas négocier en l’an 2000 : c’est maintenant qu’il faut négocier pour que les entreprises tirent le meilleur bénéfice de la loi, avec des aides financières qui leur permettent d’adapter leur organisation du travail, qui permet aux salariés d’avoir de la réduction sur mesure et pas obligatoirement dans la semaine une réduction de la durée du travail effective et pas formelle, qui n’accroit pas la précarité et enfin aux chômeurs dont on vient de parler pendant trois semaines sur lesquels tout le monde s’est ému, qu’ils puissent enfin rentrer dans les entreprises.
J.-P. Elkabbach : Est-ce que vous avez déjà rencontré M. Seillière ?
N. Notat : Oui.
J.-P. Elkabbach : Et cela va ?
N. Notat : Cela va ou cela ne va pas : la question n’est pas là. J’ai trouvé que les propos que nous avons tenus en tête à tête étaient, au total, très proches de ceux qu’on l’entend tenir dans les débats publics.
J.-P. Elkabbach : C’est un tueur ?
N. Notat : Je n’ai pas eu cette impression.
J.-P. Elkabbach : La loi sur les 35 heures : est-ce qu’elle doit s’appliquer aux fonctionnaires ?
N. Notat : Il y a aujourd’hui une négociation dans la fonction publique où bien évidemment les organisations syndicales attendent que la problématique qui a été engagée dans le privé soit aussi engagée dans le public.
J.-P. Elkabbach : Quand les actions des comités de chômeurs ont commencé, vous êtes restée absente ou silencieuse, puis vous avez parlé de manipulation. Est-ce que le mot était malheureux, trop fort ? Est-ce que ce matin vous le retirez ?
N. Notat : Je l’ai sans doute prononcé trop tôt, parce qu’aujourd’hui, il me semble que les choses deviennent limpides. Il y a beaucoup de gens qui ont sans doute été peut-être choqués, étonnés de ce mot que j’ai employé. Surtout qu’il a, évidemment – je devrais le savoir d’ailleurs – largement été sorti du contexte dans lequel je l’ai employé. Je n’ai pas fait une interview pour ne parler que de la manipulation. Mais quand même, aujourd’hui, qu’est-ce qu’on peut retenir de ce mouvement des chômeurs – si mouvement des chômeurs il y a eu ? On peut quand même retenir qu’on a assisté à des méthodes d’actions très particulières dont je ne peux pas m’empêcher de penser qu’elles ne sont pas, en tout cas, dans la conception que nous avons de l’action syndicale qui doit associer le maximum de monde avec des objectifs qui, au bout du compte, ne sont pas de nature à décevoir les gens. Et je crains, très franchement, que ce soit la déception qui l’emporte chez des chômeurs sincères qui ont cru que leur situation allait peut-être changer beaucoup plus fortement.
J.-P. Elkabbach : Il y a des leçons à tirer pour tout le monde et pour vous, la CFDT. Est-ce qu’il faut faire une place spécifique, dans les instances sociales, aux chômeurs ?
N. Notat : Non. Nous représentons tous les chômeurs, nous représentons ceux qui cherchent un travail.
J.-P. Elkabbach : Il n’y a pas de syndicat de chômeurs en tant que tel à créer ?
N. Notat : Non, parce que demain, vous pourrez aussi créer des syndicats de retraités, vous pourrez créer des syndicats de smicards, vous pourrez créer des syndicats de salariés à temps partiel et je souhaite bon courage à cette société où les salariés vont se battre les uns contre les autres sur des intérêts contradictoires particuliers, où plus personne ne sera dégagé de l’intérêt collectif et de l’intérêt commun.
J.-P. Elkabbach : Vous leur donnerez une place plus grande au sein de la CFDT ?
N. Notat : Ils y sont déjà, à la CFDT. Simplement, ils n’y sont pas en maniant l’action spectaculaire, médiatisée. Ils y sont parce que nous avons pour eux le but d’être une organisation qui fait le pont, qui fait la passerelle entre la situation de gens qui recherchent un emploi et de gens qui sont dans les entreprises. C’est le but d’un syndicat, c’est le but d’une organisation qui ne fait pas son parti du chômage dans cette société.