Déclaration de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé, sur le rôle des Centres d'information et de soins de l'immunodéficience humaine (CISIH) dans l'amélioration de l'accès aux soins et aux traitements ambulatoires du sida, et sur les recommandations du groupe d'experts du Pr Dormont pour l'aide au diagnostic et au choix des thérapies nouvelles, Paris le 9 avril 1998.

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Circonstance : 7ème rencontre nationale des CISIH (Centres d'information et de soins de l'immunodéficience humaine) à Paris le 9 avril 1998

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,

Cette 7ème Rencontre Nationale des CISIH est aussi une sorte d’anniversaire puisque si les CISIH ont été installés en 1987, leur création administrative date de juin 1988.

Je voudrais féliciter la Direction des Hôpitaux et, plus particulièrement, la Mission SIDA, dirigée par François BOURDILLON, d’avoir organisé cette réunion aujourd’hui. Et puis, cela me donne l’occasion de vous remercier tous, pour votre contribution active au document qui vous a été remis aujourd’hui, "soins et SIDA". Ce document a pu être réalisé avec votre active collaboration, et nous permet de mesurer que les efforts engagés donnent des résultats.

Sans vouloir dresser un bilan ou un historique, je voulais vous dire qu’il y a dans l’action des CISIH, une dynamique et des réflexions qui non seulement ont encore un sens en matière de SIDA, mais aussi dans bien d’autres domaines du soin.

Il ne serait pas convenable de parler de succès ou simplement de se satisfaire de la situation actuelle, pourtant j’estime que les CISIH ont été utiles, et qu’ils le seront encore.

- Il est à remarquer que leur création, il y a 10 ans, a accompagné le démarrage de l’accès aux traitements, à cette époque la Zidovudine (AZT). Mais, au-delà de l’accès aux traitements, les CISIH se sont organisés dans différentes directions, pas tous de la même façon mais avec des réflexions et des actions communes. Ce qui m’apparaît le plus intéressant, c’est la manière dont les CISIH ont contribué à enfoncer un coin dans l’organisation traditionnelle de l’hôpital et sur des points très importants :

- De nouvelles relations entre l’administration et les soignants puisque les CISIH sont co-dirigés par des médecins et des directeurs d’hôpitaux.

- Une concertation interdisciplinaire entre les spécialités cliniques, les pharmaciens, les biologistes (virologie).

- Un partenariat inter-établissement et, en particulier, entre CHU et centres hospitaliers généraux.

- Le développement des liens entre l’hôpital et d’autres partenaires, en particulier, des réseaux de médecins libéraux.

Tout ceci ne résume pas et de loin les efforts faits ou à faire en matière de SIDA, et qu’on ne saurait mesurer à des "modèles" hospitaliers, pourtant je considère que l’action des CISIH a permis de définir de nouvelles méthodes de travail, une nouvelle approche qui a permis d’avancer concrètement dans l’amélioration des prises en charge. Tout cela ne s’est pas fait spontanément bien sûr et la pression de l’épidémie, de l’intervention active, parfois virulente des associations de malades qui ont poussé les pouvoirs publics et les professionnels à réfléchir et à agir autrement.

Onze CISIH ont été en 1987, il y en a 30 aujourd’hui, tous ont permis de structurer et de développer des pôles de compétence.

De façon concrète, au sein des différents réseaux intra/inter et extra-hospitaliers, l’action menée au sein des CISIH a permis tout d’abord de favoriser une prise en charge globale des patients à la fois médicale mais aussi sa dimension sociale. Mais il faut souligner que les efforts en matière de recherche clinique, la production de connaissances a favorisé l’accès rapide des patients aux innovations thérapeutiques et biologiques.

Oui, ce système est réactif, il l’a prouvé tout récemment pour l’accès à la mesure de la charge virale, pour l’accès aux anti-protéases et aux multi-thérapies.

C’est un des premiers bénéfices directs à mettre au crédit des CISIH. Certes, notre organisation n’est pas exempte de critique, et la critique est nécessaire lorsqu’elle est constructive. Un système parfait n’existe pas, c’est dans sa capacité à s’adapter et à réagir qu’il nous faut juger de sa pertinence.

Au vu des conditions d’accès et de prise en charge en matière de SIDA dans d’autres pays, parfois tous proches du nôtre, je me dis que, dans ce domaine, nous avons, vous avez su vous adapter et réagir.

Mais il faut souligner que la confrontation, les réflexions ont aussi conduit à révéler des manques et des besoins non pris en compte dans nos hôpitaux. Des éléments de réponse ont été recherchés et développés à partir du SIDA mais se sont étendus à d’autres secteurs de l’hôpital.

Je pense, en particulier :

- aux soins palliatifs.

- à la lutte contre la douleur.

qui ne sont pas, bien sûr, nés uniquement de la problématique du SIDA, mais qui se sont développés sous l’impulsion des équipes confrontées à la maladie.

Il en va de même pour la prise en charge des toxicomanes, longtemps exclus des soins et tout particulièrement de l’hôpital mais qui, sans mésestimer les difficultés persistantes, s’est malgré tout développée à l’hôpital, et avec des réseaux de médecins généralistes.

Je profite de cette occasion d’insister sur l’importance que j’attache à une véritable réforme de l’hôpital, dans son fonctionnement et son organisation interne, de la transformation de ses rapports avec la médecine libérale, de la place qu’il doit accorder aux malades et à leurs représentants.

Il y a dans l’organisation en matière de SIDA des pistes qui me semblent devoir être prises en compte.

Aussi, aujourd’hui les CISIH doivent poursuivre leurs missions, en particulier, dans le bon usage des médicaments anti-rétroviraux, notamment dans leur commission des antiviraux qui doivent poursuivre leur travail d’animation des stratégies antirétrovirales. Mais nous savons tous ici que les stratégies thérapeutiques doivent s’adapter, à la fois aux nouvelles connaissances scientifiques et cliniques, mais aussi, en matière d’observance, indispensable pour limiter la diffusion des résistances : anti-rétrovirales, à la réalité humaine et sociale des personnes atteintes.

Cependant, et ce point va vous être présenté en détail après mon intervention, il faut souligner que l’épidémiologie hospitalière est encourageante.

Le nombre de personnes suivies à l’hôpital est estimée à 80 000 mais, fait notable, les files actives hospitalières se sont accrues de plus de 25 % en deux ans. La modification des stratégies thérapeutiques, l’élargissement des indications ont favorisé l’accès aux prises en charge.
 
L’idée que ces traitements sont efficaces, fait son chemin y compris chez les personnes en situation de vulnérabilité sociale et culturelle.
 
A la fin de l’année dernière, près de 90 % des personnes suivies bénéficiaient d’un traitement, dans près de 60 % des cas d’une tri-thérapie. La France a su aller vite, mettre les médicaments à disposition des patients. D’autres pays parmi les plus riches, n’ont pas fait cet effort. Et je n’évoque pas le tiers monde pour lequel vous connaissez ma volonté de modifier inacceptable cours des choses.
 
La diffusion des thérapeutiques a permis d’obtenir une véritable transformation de la maladie ; une baisse rapide et très importante du nombre de cas de SIDA et des décès avec un impact sur l’activité hospitalière : plus de 200 000 journées d’hospitalisation ont pu être évitées entre 1996.et 1997.
 
Certes, il apparaît une stabilisation de ces baisses au cours de l’année dernière. Je considère néanmoins que cette stabilisation permet de considérer que l’efficacité des traitements se maintient dans le temps. Or c’était il y a peu une des interrogations importantes lors de l’arrivée des nouvelles associations d’anti-rétroviraux.

Je voudrais revenir sur deux faits importants de la prise en charge en matière de SIDA survenues au cours des derniers mois.

Tout d’abord, la délivrance en ville des anti-rétroviraux, effective depuis le 30 octobre dernier.

Il s’agit là d’une mesure qui était attendue depuis longtemps car permettant de faciliter la vie quotidienne des patients traités mais dont la mise en oeuvre s’est compliquée du fait du nombre des antirétroviraux. Elle a été, de ce fait préparée pendant de nombreux mois.

Je voudrais souligner l’effort d’information qui a été engagé à partir des différents groupes de travail de la Direction Générale de la Santé et de l’Agence du Médicament, et des groupes d’experts notamment celui dirigé par le Pr Jean DORMONT, et auxquels ont participé les associations de malades. Je remercie à nouveau le Pr DORMONT d’avoir encore une fois accepté de diriger le groupe d’experts et qui devrait être en mesure d’actualiser ces recommandations à la mi-juin.

Cette information a été largement diffusée auprès des médecins spécialistes ou généralistes, pharmaciens d’officine et aussi auprès des patients.

Cette information s’accompagne actuellement d’actions de formation qui se poursuivent cette année pour les médecins et les pharmaciens.

Un groupe de suivi a été mis en place et nous permettra d’établir un bilan précis à partir des données qui seront disponibles à la fin de ce mois.

On peut cependant dire aujourd’hui que cette opération s’est globalement déroulée dans de bonnes conditions et que l’accès en ville des antirétroviraux s’est développé très rapidement.

A la fin de l’année 1997, près d’un tiers des traitements étaient dispensés en officine de ville, on estime aujourd’hui que c’est actuellement près d’un traitement sur deux qui est délivré dans les pharmacies, sur l’ensemble du territoire.

Nous examinons avec l’Agence du Médicament les conditions qui pourraient permettre à certains médicaments associés (comme les anti-CMV) de bénéficier des mêmes dispositions.

Enfin, en juillet dernier, j’ai adressé aux coordinateurs médicaux des CISIH, donc à vous tous, une lettre vous indiquant clairement la possibilité de prescrire une chimio prophylaxie anti-rétrovirale dans des cas d’exposition à un risque de transmission du VIH hors des situations déjà définies pour les soignants.

Depuis, les différents groupes d’experts (groupe du Pr DORMONT, groupe chargé du diagnostic précoce) ont pu formaliser et établir des recommandations qui permettent d’aider les médecins à prendre leur décision.

J’ai donc quelque peu anticipé ces recommandations. Pour autant, il m’apparaît que, dans ces situations difficiles, angoissantes, même si la réponse, qui d’ailleurs ne se résume pas uniquement à la question de savoir s’il faut traiter ou pas, ne peut pas, ne pouvait pas uniquement être laissée à la seule "intime-conviction" du praticien. Nous avions, depuis la fin de l’année 1996, trop d’attitudes diverses, source d’inégalité et sans possibilité d’évaluation. Cela m’est apparu inacceptable.

Je sais que certains praticiens, dont certains sont sans doute présents ici aujourd’hui, s’inquiétaient de l’afflux de ces demandes. Force est de constater que cet afflux n’a pas eu lieu.

Au cours des premiers mois, quelques centaines de personnes ont pu avoir accès à cette chimio-prophylaxie.

J’estime que si nous avons pu éviter des transmissions de la maladie, nous avons fait notre travail. Je connais aussi la crainte, parfois exprimée, d’un relâchement de la prévention.

C’est d’ailleurs pourquoi, nous avons demandé au Réseau National de Santé Publique de conduire un suivi de cette mesure.

Mais je voudrais faire observer à contrario, qu’au travers d’une demande de chimio-prophylaxie, on peut aussi poser la question de la prévention, à l’échelle individuelle.

L’analyse, la discussion d’une défaillance peuvent permettre d’en éviter d’autres.

Ce n’est pas une démarche médicale habituelle, mais je crois qu’elle est bien au centre d’un nouveau dialogue entre le médecin et son patient.

Afin de mieux connaître les recommandations des experts et surtout d’améliorer l’organisation nécessaire, une circulaire, va dans les jours qui viennent, être diffusée.

Il s’agit, en effet, de fournir aux professionnels des outils d’aide à la décision, de favoriser un suivi cohérent entre l’équipe hospitalière, le médecin traitant, les CDAG, le réseau associatif.
 
Nous souhaitons, en effet, que le dispositif, les lieux et les possibilités de prescription, puissent être facilement identifiés afin que les personnes concernées puissent, si nécessaire, accéder à un traitement dans les meilleurs délais.

La place des CISIH dans ce dispositif est bien évidemment essentiel. Les CISIH que vous représentez ici ou auxquels vous participez, sont un exemple d’organisation de l’offre de soins qui a su prendre en compte les exigences scientifiques, techniques et administratives, mais aussi la dimension humaine et sociale.

Les ponts que vous avez su bâtir, au sein même des hôpitaux, entre établissements, avec des réseaux, des pharmacies d’officine, doivent être développés.

Je compte sur vous pour continuer à adapter ces outils car c’est un des véritables moteurs essentiels à la modernisation de notre système de soins.

Les enjeux de l’accès aux soins, à l’innovation, au progrès et à la qualité sont communs à toutes les disciplines.

Merci pour votre action.