Interview de M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances, à RTL le 5 décembre 1996, sur la décision de report de la privatisation de Thomson et sur la préférence du gouvernement pour une cession en bloc de Thomson CSF et de Thomson Multimédia.

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Circonstance : Avis défavorable de la Commission de la privatisation sur la reprise de Thomson par Lagardère le 2 décembre 1996-annonce le 4 du report de la privatisation

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

O. Mazerolle : Hier à l'Assemblée nationale, après l'annonce du report de la privatisation de Thomson, les députés de la majorité ont exprimé leur soulagement, d'autres ont parlé de cafouillage. Pourquoi les députés de la majorité peuvent-ils dire que cette privatisation de Thomson avait été mal ficelée ?

J. Arthuis : Cette opération n'est pas une opération facile. On a bien compris que l'État ne pouvait pas rester actionnaire parce que l'État n'a pas vocation à gérer ce qui relève du secteur marchand. Et donc, la privatisation du groupe Thomson est une nécessité pour le groupe lui-même, pour l'ensemble de ses collaborateurs. Nous avons lancé cette opération dans la transparence mais c'est une opération de gré à gré. On ne peut pas mettre sur le marché une entreprise dont l'une des vocations principales est d'intervenir dans le secteur des industries de défense. L'État naturellement a un choix préférentiel à manifester.

O. Mazerolle : Vous dites « transparence » mais manifestement, beaucoup de députés disent le contraire, y compris dans la majorité.

J. Arthuis : J'espère bien que l'on fera justice de ce mauvais procès. Je dis que la procédure de gré à gré est nécessaire pour deux raisons. D'abord parce que c'est l'industrie de défense et que l'État a forcément son mot à dire et parce que c'est un groupe dont, malheureusement, les dettes sont supérieures à ses actifs. Ce groupe est fort de ses hommes, de ses équipes, d'un savoir-faire, d'une expérience, de ses marchés sans doute mais malheureusement, la situation au plan financier est telle qu'il faut recapitaliser. Ce qui rend nécessaire une procédure de gré à gré.

O. Mazerolle : La commission de privatisation est tout de même sévère. Elle parle surtout, d'ailleurs, de Thomson Multimédia. Elle dit que les engagements financiers et sociaux de Daewoo, sur l'emploi notamment, n'étaient pas réellement contrôlés, qu'on abandonne de manière définitive au repreneur coréen une technologie de pointe notamment sur le numérique. Est-ce que le Gouvernement n'avait pas été assez attentif aux conséquences de cette reprise par le groupe coréen ?

J. Arthuis : Ce qui est apparu clairement quand même, c'est que la commission de privatisation a dit que la procédure avait été régulière, que l'on avait respecté les termes de la loi.

O. Mazerolle : Oui, mais sur l'emploi ?

J. Arthuis : L'évaluation était correcte en dépit de tout ce que l'on avait pu dire dans un passé récent. Le choix industriel en termes d'industrie de défense n'est pas remis en cause mais, s'agissant de Daewoo Electronics, la commission fait observer qu'il y a transfert de technologie dans des secteurs tels que le numérique, tels que les écrans plats, les décodeurs, que cette technologie est le fruit d'une recherche qui a été largement financée par des fonds publics et que sans doute, les conditions de ce transfert ne donnent pas au plan juridique des garanties suffisantes d'enracinement pérenne sur le territoire national. C'est cela qu'il faut revoir. Ce sont les modalités qui ont été remises en cause. Le Gouvernement s'était rallié à cette idée parce que Daewoo était en mesure de créer des emplois et de sortir TMM de l'ornière.

O. Mazerolle : En mesure de créer des emplois ? Mais on n'en a pas la preuve.

J. Arthuis : C'est sans doute sur ce point particulier qu'il faut apporter des garanties.

O. Mazerolle : La commission de privatisation met en cause le repreneur coréen Daewoo en parlant de faible capitalisation boursière et d'endettement élevé, ce sont des caractéristiques qui ne vont pas changer demain matin, non ?

J. Arthuis : Je crois vraiment que ceux qui ont fait des offres ne sont pas remis en cause dans cette décision. Ils ont des qualités qui ne sont pas contestables, ce sont les modalités qui ont été remises en cause.

O. Mazerolle : D'autres députés se demandent si finalement, le Gouvernement a raison de persévérer dans sa volonté de vendre Thomson en bloc. Est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux vendre le secteur défense à un repreneur qui offre des garanties, conserver TMM pendant quelque temps et le vendre à quelqu'un d'autre ?

J. Arthuis : Ce n'est pas si simple, parce que la situation financière de TMM est telle qu'il n'est pas sûr que l'on trouve aisément un repreneur. Qu'est-ce qui s'est passé pendant le premier semestre 1996 ? Dites-vous bien que le président de Thomson a pris tous les contacts pour mesurer la capacité de céder TMM dans de bonnes conditions. Or c'est parce qu'il n'a trouvé personne qu'en définitive, la proposition a été faite sur les termes que l'on sait.

O. Mazerolle : Le Premier ministre, quand il a lui-même annoncé la privatisation, a bien dit qu'elle se ferait en bloc. Est-ce que c'est une question de principe ou bien est-ce que le Gouvernement est prêt, s'il trouvait d'autres possibilités, à vendre séparément les différentes firmes qui forment Thomson aujourd'hui ?

J. Arthuis : Nous sommes aujourd'hui en phase de préparation de cette nouvelle procédure de privatisation du groupe Thomson, le schéma global est celui de la cession en bloc mais nous devons examiner toutes les hypothèses.

O. Mazerolle : Donc, ce n'est pas formé ?

J. Arthuis : Il ne faut rien exclure bien que, je vous l'ai dit, la difficulté de retrouver un repreneur de Thomson Multimédia ne doit pas être sous-estimée.

O. Mazerolle : Mais vous n'en faites pas une question de principe ?

J. Arthuis : Ce n'est pas une question de principe.

O. Mazerolle : Comment de temps cela va-t-il prendre ? Certains députés disent que l'on va peut-être retarder la privatisation d'une année.

J. Arthuis : Certainement pas ! Nous sommes déjà à l'œuvre pour remettre en forme les conditions de cette privatisation.

O. Mazerolle : Il faut que cela soit fait avant quelle date ?

J. Arthuis : Il faut que cela soit fait le plus rapidement possible.

O. Mazerolle : C'est-à-dire au printemps au plus tard ?

J. Arthuis : Je souhaite que cela soit fait avant le printemps.

O. Mazerolle : Dans un an et demi, il y a des législatives et vous savez que les socialistes remettront en cause la privatisation de Thomson s'ils arrivent au pouvoir. Est-ce que vous allez pouvoir privatiser quand même ?

J. Arthuis : Vraiment., ce qui compte ici c'est la situation de ces hommes et de ces femmes qui sont dans les ateliers, qui sont dans les bureaux d'études, qui sont dans les équipes commerciales et qui aujourd'hui sont bien impatients de voir Thomson se stabiliser avec des dirigeants qui engagent l'avenir, qui définissent des projets stratégiques. C'est cela l'urgence.

O. Mazerolle : Les salariés de Thomson Multimédia ne vous croient pas. Ils disent au contraire qu'il faut rester comme cela ou trouver d'autres solutions mais eux veulent conserver nos emplois !

J. Arthuis : Peut-on continuer à perdre de l'argent et à solliciter sans cesse les contribuables français ? Cela n'est pas simple ! Il faut que ces entreprises soient désormais gérées par des responsables privés, dans une logique de marché et que chacun donne le meilleur de lui-même. Il est urgent que Thomson soit dotée de responsables qui engagent l'avenir sur des projets stratégiques.

O. Mazerolle : Dernière question sur l'impôt de la fortune. Les sénateurs ont proposé un allégement de cet impôt sur la fortune, les députés RPR n'en veulent pas. Est-ce que le Gouvernement tient absolument à cet allégement de l'impôt sur la fortune ?

J. Arthuis : Le Gouvernement n'a pas fait de proposition dans le cadre du projet de loi de finances. Le Sénat a cru devoir apporter une modification. J'observe d'ailleurs qu'il revient à un texte que les socialistes avaient mis en œuvre.

O. Mazerolle : Quelle est la position du Gouvernement ?

J. Arthuis : Le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Parlement.

O. Mazerolle : Vous ne voulez pas précisément un allégement de l'impôt sur la fortune ?

J. Arthuis : Le Parlement est souverain.