Texte intégral
Philippe Herzog, député communiste européen
Non, pas telle qu'elle est engagée. Mais construire une Union économique et monétaire (UEM) est indispensable. Il faut donc agir pour transformer celle-ci en une autre.
La division entre nos pays est un obstacle terrible. J'accepte l'objectif d'une monnaie unique à moyen ou long terme, parce que je crois nécessaire la mise en place d'une union politique européenne puissante face à la mondialisation. La coopération entre les États ne suffirait pas pour rétablir les solidarités permettant de sortir du chômage massif par des politiques de développement durable.
Mais la marche à l'euro actuelle est conçue uniquement pour garantir la valeur des patrimoines financiers et attirer les capitaux. Conséquence : une formidable pression contre les salaires et l'emploi pour accroître la rentabilité, une croissance financière cancéreuse, une croissance réelle étouffée. Une Banque centrale européenne surpuissante ; une division aggravée entre les pays, ni pouvoir ni projet pour faire face au dollar et construire une croissance durable. Si on fait ça, on court à la faillite.
Faut-il refuser la monnaie unique par référendum ? Dans ces conditions, le moment venu (début 1998), ce serait nécessaire. Mais il faut surtout résoudre les problèmes posés, donc dès maintenant faire émerger un mouvement exigeant des politiques communes de coopération en Europe. Dans un premier temps, il y a besoin de redéfinir et renforcer l'ECU comme monnaie commune. C'est l'atout qu'il faut pour réussir ensuite la monnaie unique.
Nous devons explorer l'hypothèse de monnaie unique, dialoguer avec les Français qui sont pour. Nous devons imposer des conditions essentielles pour mettre la monnaie au service de l'emploi :
- des politiques fiscales, budgétaires et monétaires dirigées contre la domination des marchés financiers et visant la croissance et l'emploi ;
- des instruments de maîtrise sociale du marché, avec des garanties collectives et des solidarités renforcées ;
- pas d'union à plusieurs vitesses, autour d'un noyau dur, mais l'Espagne, l'Italie et les autres Européens aussi dans la même union ;
- un pouvoir fort de coopération économique et monétaire sous le contrôle des peuples.
Cela trace toute une perspective de combat. Rien ne serait pire que l'impuissance des progressistes à faire face à une décision de passage à l'euro dès 1999.
Francis Wurtz, responsable aux questions internationales du PCF
Que chacun juge sur pièces à partir du choc que provoque le budget 1997, que vient de présenter Alain Juppé. C'est un « budget sur mesure pour la monnaie unique » a titré le quotidien économique « Les Echos », en résumant bien l'analyse de tous les commentateurs.
C'est que le projet de monnaie unique est tout entier conçu comme le moyen de favoriser la libre circulation des capitaux – véritable incitation à déplacer les capitaux là où ils rapportent le plus, au détriment de l'emploi – et la guerre économique entre les groupes financiers les plus puissants. Aux yeux de ces « marchés », une gestion « saine » suppose une pression permanente à la baisse des dépenses sociales et publiques. C'est un projet non seulement très agressif contre le modèle social conquis de haute lutte dans notre pays – plus généralement en Europe. Il implique une politique qui, à force d'appauvrir les gens, étouffe la croissance. Comme le note à présent un institut après l'autre.
C'est pourquoi mon avis est très clair : il faut se mobiliser pour mettre en échec ce projet explosif sur le plan social et contre-productif sur le plan économique. En revanche, il faut de nos jours, absolument, une coopération monétaire, sur la base de monnaies et des richesses nationales à l'échelle de l'Europe, mais d'une tout autre nature. Elle doit être conçue pour favoriser une utilisation de l'argent radicalement différente d'aujourd'hui : moins pour la finance et plus pour la promotion des capacités humaines. Nul besoin, dans un tel système monétaire transformé, de « monnaie unique » ni de disparition du franc.
Comment Europe et nation peuvent-elles s'épauler pour résoudre les grands problèmes de la société française ?
Marie-Hélène Aubert
À l'heure de la mondialisation économique et informationnelle, les problèmes sont planétaires et la dimension continentale est nécessaire pour peser sur les décisions. Les États traditionnels, même les plus puissants, sont incapables d'agir seuls sur les causes des problèmes nationaux qu'ils rencontrent : libre-échange économique, déréglementations sociales, délocalisations, spéculation financière, etc. C'est pourquoi il est important qu'à côté de la légitimité nationale qu'incarnent les États et les régions à pouvoirs d'État (d'une façon heureusement et souvent plurielle, moins monolithique que dans la France jacobine), se renforce une légitimité européenne jusqu'ici insuffisante du fait [illisible] fonctionnement d'une union à vocation strictement économique.
Pour éviter que le monde ne soit une foire d'empoigne où règne la loi de la jungle, il est nécessaire, par exemple, que les États nationaux et l'Union européenne défendent leurs législations démocratiquement élaborées sur le droit du travail, la santé, l'environnement, les manipulations génétiques, face aux prétentions de l'Organisation mondiale du commerce à leur imposer une « liberté du commerce » érigée en gage de « prospérité » par des experts sans légitimité démocratique. L'Europe et les États ne pourront être solidaires, « s'épauler », que s'ils sont réellement démocratiques et défendent légitimement un projet de civilisation.
Gérard Delfau
Je ne prendrai qu'un seul exemple : l'emploi. Faire reculer le chômage suppose, entre autres, un fort taux de croissance, entre 3 % et 4 %. C'est possible puisque nous avons atteint ce niveau à la fin des années quatre-vingt, juste avant la guerre du Golfe. Nul doute que la dimension européenne est un facteur décisif de cette expansion. Notre marché intérieur est étriqué, face à la pression mondiale ; notre monnaie, soumise à l'influence du mark, est surévaluée. À l'échelle des Quinze, il serait possible de mener une politique de change agressive par rapport au dollar et au yen. Il serait inimaginable de baisser les taux d'intérêt. Tout nous conduit à chercher l'effet de masse que représente une Union européenne tendue vers la croissance. Mais c'est l'inverse qui se passe. Au lieu des « grands travaux », on réduit les budgets nationaux du logement et des infrastructures de communication. Au lieu d'une monnaie redevenue compétitive par rapport au dollar, on choisit le mark comme monnaie de référence. L'asthénie gagne notre économie ; les revenus salariaux ne cessent de céder du terrain ; les prélèvements obligatoires augmentent ; le Code du travail est battu en brèche ; la déflation guette. Bien loin de s'épauler, l'Europe et la nation additionnent leurs faiblesses.
En fait, c'est l'idée même d'Europe qui recule. Quitte à ouvrir une crise politique avec l'Allemagne, il faut réorienter le cours actuel et exiger qu'un « pacte de croissance » soit le complément de la marche à la monnaie unique. Sinon, il vaut mieux, provisoirement, renoncer et placer nos partenaires devant leurs responsabilités.
Philippe Herzog
Premièrement, la nation doit se changer d'abord ! J'entends tous les jours s'exprimer la volonté des acquis. Mais l'État ne les défend pas. La société s'affaiblit. Les replis identitaires s'étendent. C'est une tragédie nationale.
Il faut changer nous-mêmes pour nous défendre… et pour évoluer, nous ouvrir, progresser ! Pour forger une perspective nationale de développement et de solidarité avec les autres peuples, je vois plusieurs impératifs :
- le développement des capacités humaines des Français, en prenant appui sur une sécurité d'emploi et de formation ;
- une rénovation d'ensemble des secteurs public et privé qui ont besoin l'un de l'autre pour s'épauler dans la concurrence et pour la croissance ;
- la formation d'une nouvelle République avec partage des pouvoirs et contrôle des dirigeants dans une démocratie participative ;
- l'investissement quotidien de la construction européenne par la société française. Notre société est aujourd'hui face à cette réalité sous-éduquée, sous-informée, privée de relations avec ses voisins et sous-représentée. Il ne sert à rien de crier contre la Commission de Bruxelles alors que ni nous ni nos élus ne contrôlons nos propres ministres, qui, avec leurs collègues, ont la première responsabilité à Bruxelles.
Deuxièmement, la Communauté doit se changer tout autant. Cela n'est pas possible sans former un puissant mouvement européen constructif, à la fois social et politique. Syndicats, partis, élus : c'est un changement radical dans la méthode de travail que je demande pour aider les citoyens et leurs associations à comprendre l'Europe, à s'exprimer sur les choix et à intervenir effectivement dans les institutions européennes.
Ce mouvement doit viser avant tout à redonner sens à cette Communauté :
- former un projet social et un projet de développement ;
- établir une maîtrise sociale et publique du grand marché ;
- élargir la Communauté aux peuples de l'Est qui frappent à la porte ;
- former une Communauté puissante pour se défendre sur le marché mondial et pour devenir partenaire du Sud, capable de s'extraire de la formidable pression américaine ;
- pour toutes ces raisons, la Communauté doit se doter d'un pouvoir politique fort, avec des institutions démocratiques pleinement ouvertes à la participation des citoyens.
Francis Wurtz
À quoi doit, et peut, servir l'Europe ? Avant tout, à aider les nations européennes à apporter des réponses positives aux défis de l'internationalisation. Autrement dit, à leur permettre de s'entraider à s'extraire de la guerre économique et à valoriser leurs atouts respectifs.
Dans cet esprit, un fonds commun, c'est-à-dire la mise en commun de ressources financières, doit permettre de financer des projets communs. Il s'agit de partager les coûts de la recherche, d'organiser des coproductions, d'élaborer des projets de développement pour réduire les inégalités – chez nous, chez nos voisins, à l'Est, au Sud. Il doit également garantir la solidarité face aux agressions spéculatives contre les monnaies.
Pour faire fonctionner ce fonds commun, il faut un instrument de coopération monétaire, un ECU nouveau, favorisant une autre utilisation des monnaies nationales, en faveur de l'emploi et de la formation pour toutes et pour tous, et non pour la croissance financière. Il existe bien d'autres dimensions possibles d'un tel partage de responsabilités entre partenaires égaux. Par exemple, une taxation commune des mouvements de capitaux, ou encore une coopération entre services publics, dans le respect de leur originalité propre à chaque nation.
C'est là une conception constructive de la construction européenne, celle d'une authentique « communauté » des peuples et de nations libres et associées. Aujourd'hui, à l'inverse, avec Maastricht, l'Europe n'unit pas mais divise les peuples, elle n'organise pas la coopération mais la concurrence ; elle ne favorise pas le progrès social mais l'abaissement du « coût du travail ». Son critère n'est pas le développement humain mais la « confiance des marchés ». C'est pourquoi il faut changer l'Europe, ce qui ne va pas sans changements politiques de même nature en France même.
Faut-il renforcer l'union politique et les pouvoirs des institutions communautaires ?
Marie-Hélène Aubert
La coopération et la solidarité entre les peuples sont seuls gages de paix pour l'avenir. C'est pourquoi les Verts sont résolument en faveur d'une Europe fédérale, démocratique, écologique et sociale, une Europe des régions et des peuples solidaires. Cela implique que les Verts sont pour un renforcement des pouvoirs des institutions européennes, à condition que celles-ci soient démocratisées, et complémentaires du rôle de proximité des régions. Cette Europe transparente et représentative devrait être composée, au plan institutionnel, de deux chambres, le Parlement européen et un Sénat des États et des régions, et d'un exécutif responsable devant ce Parlement. Cela permettrait de pallier le manque de transparence des institutions actuelles, où le Conseil des ministres, paralysé par la prise de décision à l'unanimité, sans guère de contrôle des corps représentatifs, se positionne sur le plus petit dénominateur commun, et se trouve incapable d'agir contre les crises : récession économique, chômage de masse, guerre en ex-Yougoslavie…
Gérard Delfau
Les accords de Maastricht prévoient qu'une conférence intergouvernementale doit définir les modalités d'un renforcement de l'union politique entre les Quinze. Dans l'esprit des signataires, il s'agissait de faire contrepoids au pouvoir de la future Banque centrale. Or, là encore, la France n'est pas au rendez-vous. Pendant que les ministres des Finances s'activent sur le chantier de la monnaie unique, les représentants de la conférence intergouvernementale peine à nouer le débat. Pourtant, les enjeux sont fondamentaux : y aurait-il un « gouvernement économique » comme l'avait proposé Pierre Bérégovoy ? La « charte sociale » sera-t-elle intégrée au traité et son approfondissement soumis par un vote à la majorité simple ? Inscrirons-nous l'emploi comme objectif prioritaire de l'Union économique et monétaire, à l'article 104 du traité, rééquilibrant ainsi son contenu monétariste ? Allons-nous faire admettre la notion de « puissance politique » et de « service public », comme deuxième pilier de la construction européenne, au même titre que le marché et la concurrence ? Sur le plan fonctionnel, il faudrait évidemment évoquer la place du Parlement européen dans l'Europe que nous construisons : ni « institution croupion », ni Parlement d'une entité fédérale. Et que dire de cette étrange « Commission » qui a pouvoir d'initiative sans être soumise au contrôle démocratique ? Les sujets d'interrogation ne manquent pas. Rien n'est pire que l'actuelle marche à l'aveugle.
Philippe Herzog
Oui, il faut renforcer l'union politique, ou plutôt la constituer car elle n'existe pas ! Comment imaginer que l'Europe se redresse dans le monde et s'ouvre un avenir sans union politique des Européens ?
Bien sûr, c'est une bataille. Le Parti chrétien-démocrate allemand a proposé une union politique mais dont la fonction première serait de garantir le Marché unique et la monnaie unique sur leurs bases purement libérales. Les forces progressistes doivent au contraire militer pour une union politique fondée sur un socle commun de maîtrise sociale du marché et de développement.
La « coopération » des États ne produira jamais à elle seule une telle communauté. Une participation directe des citoyens aux institutions communes est nécessaire pour imposer le renversement du choix ultralibéral.
Il faut donc renforcer les institutions communautaires, mais non les pouvoirs d'une poignée de dirigeants ; organiser le contrôle de ceux-ci et diffuser les pouvoirs ! L'autorité doit émaner du corps social, de la formation d'une société civique européenne. En ce moment, je présente au Parlement un projet de rapport pour établir cette participation. Mes propositions visent à imposer la délibération publique des décisions, à établir l'information de chaque citoyen et l'évaluation des politiques, à former un droit de consultation, à développer le pouvoir des acteurs sociaux, à pousser le Parlement européen à faire de la politique en lien constant avec la société. Un député a pu parler de « révolution culturelle et institutionnelle » alors qu'un autre prétend que mon projet « bouleverse 40 ans de travail communautaire ».
Il s'agit de placer le Conseil comme la Commission sous contrôle public. L'un et l'autre sont aujourd'hui véritablement irresponsables. De même, devons-nous être beaucoup plus exigeants envers nos élus nationaux et européens qui doivent animer de tout autre façon le débat politique et le contrôle populaire, avant comme après les décisions.
L'opposition qui est faite entre souveraineté nationale et union politique dans une perspective de fédération est dangereuse et nuit finalement à notre souveraineté. On n'échappe pas à la contradiction entre la souveraineté nationale et le partage de responsabilités avec d'autres.
Toute la difficulté est de la vivre de façon fructueuse, ce qui est impensable si l'on est allergique à l'Europe et si l'on recherche une ligne Maginot.
Le citoyen français doit être capable de critiquer la République pour la changer profondément. Il doit être capable de devenir citoyen européen, c'est-à-dire acteur de la communauté.
Francis Wurtz
Pour les dirigeants européens actuels, le problème ce sont les peuples. Dans les institutions communautaires, tout est conçu aujourd'hui pour mettre les centres de décisions réels à l'abri des pressions populaires. Les organismes les plus puissants – telles la Commission européenne, la Cour de justice, la Banque centrale européenne – ne sont pas élus et sont totalement inaccessibles aux citoyens. La Commission de Bruxelles s'arroge même le droit de s'exprimer au nom de « l'intérêt général » ! La généralisation du vote à la majorité au Conseil des ministres européens renforcerait encore ce rempart contre l'intervention des gens. Chaque ministre pourrait se retrancher derrière la volonté majoritaire des autres pays pour tenter de faire accepter la « discipline » communautaire.
Je pense qu'il faut inverser cette logique en rapprochant les centres de décision des citoyens. Cela commence par un droit de chacun à la formation effective sur les enjeux européens. L'expérience de la campagne pour le référendum sur Maastricht en 1992 a révélé une grande disponibilité des Français pour le débat politique de fond. Ils sont tout à fait capables, en partant de leurs problèmes quotidiens, d'investir le terrain politique, jusque dans sa dimension européenne et internationale. Ils doivent donc pouvoir s'exprimer, en connaissance de cause, sur les grands choix que la France a à faire. C'est le sens de l'exigence très forte du PCF que ce soit organisé – après un vrai débat public dans tout le pays – un nouveau référendum portant sur le passage ou non à la monnaie unique. Exactement ce que Jacques Chirac avait promis, comme candidat à la présidentielle, le 6 novembre 1994 (à l'émission « 7 sur 7 »).
En prolongement des droits nouveaux d'information, d'intervention et aussi de contrôle des citoyens – par exemple sur l'utilisation des fonds – nous sommes favorables à une revalorisation des responsabilités du Parlement national vis-à-vis du gouvernement, dans la fixation et le suivi de la politique européenne de la France (aujourd'hui, les députés et les sénateurs n'ont, dans ce domaine, que le droit d'exprimer des voeux, dont l'exécutif peut ne tenir aucun compte !).
Nous nous prononçons dans le même esprit pour un accroissement des pouvoirs de contrôle du Parlement européen sur la Commission ainsi que ses capacités d'initiatives, le dernier mot appartenant à la souveraineté nationale. Nous nous opposons catégoriquement à la conception d'une Europe construite en « cercles concentriques » autour d'un « noyau dur » ! Une Europe démocratique ne peut être qu'une communauté de nations partenaires et égales.
Une politique de gauche est-elle compatible avec le traité de Maastricht ?
Marie-Hélène Aubert
Qu'entend-on par « politique de gauche » ? On considère généralement qu'il s'agit d'une politique favorable aux plus défavorisés, soucieuse de justice sociale, attachée aux droits de l'homme. L'Europe ne saurait dans ce cas être l'unique bouc émissaire de la difficulté à la mettre en oeuvre, puisqu'une gauche longtemps hégémonique au pouvoir, en France, n'a pas su la favoriser, si l'on se réfère à l'aggravation de la fracture sociale, à sa politique de l'immigration, à sa politique africaine, etc.
Le projet des écologistes reprend cet héritage mais l'intègre dans la perception du caractère limité des ressources naturelles, de l'intégration de l'homme à son biotope, ce qui nous amène à préférer au concept d'une « politique de gauche », la notion du « développement durable ». C'est-à-dire un développement qui permet de concilier le progrès social, économique et démocratique avec le respect de l'environnement, de concilier les besoins d'aujourd'hui avec ceux des générations futures…
Il est clair que les quelques avancées du traité de Maastricht en faveur d'une politique sociale et environnementale sont bien insuffisantes, et que la marche forcée à la monnaie unique, avec priorité donnée à la réduction des déficits publics ne favorise pas une « politique de gauche », encore moins le développement durable. C'est à nous tous de peser, en cette période de renégociation, pour que le pouvoir politique, les gouvernements européens se préoccupent enfin de nos priorités.
Gérard Delfau
J'ai largement répondu à cette question précédemment. Si je résume ma position : non, dans la mise en oeuvre actuelle ; oui, à condition de tenir compte du contexte de récession et de conjuguer ensemble monnaie unique, croissance et progrès social. Mais j'ai envie d'inverser la question : une politique de gauche est-elle possible au sein d'une France repliée sur elle-même ? En d'autres termes, « l'autre politique » existe-t-elle ? Je lui préfère pour ma part « l'autre Europe ». Mais j'ai bien conscience, en écrivant cela, que le combat est loin d'être gagné. Ce pourrait être un objectif commun à l'ensemble de la gauche, par-delà les différences et le passé de chacune de nos formations. Tel est, du moins, mon sentiment.
Philippe Herzog
On ne peut répondre par oui ou par non. Il y a beaucoup de raisons de dire non, mais nous ne sommes pas seuls et s'en tenir au non, c'est l'impuissance. En inversant le point de vue, il faut comprendre que parce qu'il y a le cadre de Maastricht, il y a encore plus besoin d'une politique de gauche pour le faire bouger !
Car, évidemment, dire oui sans agir pour changer ce cadre, c'est la faillite. La France pourrait être plus forte dans le cadre européen actuel si elle mobilisait ses atouts humains en s'autoréformant, car elle est en retard, vieillie et bloquée par des institutions inadaptées. En même temps, sa politique européenne doit contribuer à changer le cadre de Maastricht. Il ne s'agit pas à cet égard de bâtir un projet européen dans les astres. Il faut le faire avec d'autres, dans les institutions, dans les luttes, dans les rencontres de peuple à peuple.
Ce mouvement doit amener l'État français à prendre de nouvelles initiatives constructives. Je rappelle que la force du veto opposer par de Gaulle en 1965 était largement liée au fait qu'il avait pris auparavant des initiatives positives pour proposer une union politique indépendante des Américains ; ce sont ses partenaires qui avaient dit non.
Aujourd'hui rien n'est plus urgent qu'une nouvelle offre positive de la France pour construire l'Europe : union politique, maîtrise sociale, réforme de l'UEM, participation. Et cela doit se discuter au grand jour, avec l'Allemagne et les autres, en conjuguant conflit et coopération.
Si le rendez-vous de la monnaie unique est reporté, alors cette ligne aura plus de temps pour se déployer. Si Jacques Chirac et le Parti socialiste choisissent le passage à l'euro, il faut agir pour le conditionner aux réformes dont j'ai parlé. Il ne faut pas seulement d'autres propositions économiques, mais aussi des exigences de changement des institutions européennes. Je souhaite que mes propositions à cet égard soient connues et débattues. Le peuple français ne doit pas être acculé au oui en l'état ou au non pur et simple. Ni le traité de Maastricht, ni l'union monétaire, ni les travaux si médiocres de l'actuel Conférence intergouvernementale ne sont définitifs et irréversibles. La Communauté ne pourra répondre ainsi à ses défis. Le chantier de la redéfinition de l'Europe est tout juste ouvert.
Francis Wurtz
La logique du traité de Maastricht est ultra-capitaliste. Certaines dispositions clés de ce traité, et du Marché unique européen en général, doivent être remises en cause pour permettre une véritable politique de gauche. Par exemple, M. De Silguy, commissaire européen français de droite, chaud partisan de Maastricht, reconnaît lui-même que « la libre circulation des capitaux fait des marchés financiers les gendarmes de la politique économique que mène les gouvernements » (1). On ne peut donc laisser les choses en l'état si l'on veut se libérer de la tutelle de ces « gendarmes » pour accorder la priorité à l'emploi et au développement social.
Autre exemple : les traités européens actuels interdisent dorénavant les « monopoles publics », c'est-à-dire les services publics « à la française », du type SNCF, EDF ou France Télécom. Il faut donc choisir : ou renoncer à cet acquis démocratique majeur ou agir pour changer les textes européens. Quant à la monnaie unique et aux « critères » de Maastricht, on voit, avec le gouvernement Juppé – comme avec tous les gouvernements européens, de Bonn à Rome ou à Madrid, qui décident de s'inscrire dans cette perspective – à quelle politique ils conduisent ! Une politique qui provoque un tel mécontentement social et un tel marasme économique dans toute l'Union européenne que des voix de plus en plus nombreuses et diverses s'élèvent dans tous les pays concernés pour exprimer leur opposition ou leurs sérieux doutes sur ce projet.
Je rappelle que le « pacte de stabilité » exigé par Helmut Kohl et accepté par Jacques Chirac prévoit une « mise sous surveillance » permanente de l'économie des pays adhérents ou candidats au système de la monnaie unique, et de lourdes sanctions financières à l'encontre de toute nation qui s'écarterait des engagements draconiens pris dans le cadre de Maastricht !
Quelle marge d'initiative resterait-il à un gouvernement de gauche pour faire une politique répondant à l'attente des Français, s'il acceptait de rester prisonnier d'un tel carcan ?
Autant de raisons qui conduisent les communistes a estimé nécessaire une révision en profondeur des engagements européens de la France pour rendre possible un véritable changement de politique. J'ajoute qu'une telle attitude de notre pays constituerait un acte de solidarité de grande portée à l'égard des autres peuples européens. Et aussi de ceux du Sud, car la politique de coopération avec les pays en voie de développement est elle aussi victime de cette tyrannie des marchés financiers. Or, sans la France, le projet de monnaie unique ne peut voir le jour. C'est dire la responsabilité des forces de gauche en France dans la réorientation de l'Europe, afin que, d'une cause d'angoisse, elle devienne un jour source d'espoir.
(1) Au Parlement européen, le 12 mars 1996.