Texte intégral
M. FIELD. – Bonjour à toutes et bonjour à tous. Et puis merci d’avoir délaissé un petit peu le soleil de cette fin de journée pour être avec nous, à « Public ».
Dominique STRAUSS-KAHN. – Merci.
M. FIELD. - Et puis merci également d’avoir abandonné un peu le soleil de cette fin de journée pour passer une heure avec nous. Nous avons beaucoup de choses à nous dire et, moi, j’ai beaucoup de choses à vous demander à la fois sur : où en est la France après cette semaine très agitée d’actualité européenne ? Les retombées du Sommet de Bruxelles ? Le Sommet franco-allemand d’Avignon ? Nous parlerons évidemment des questions que pose la construction européenne pour le ministre de l’économie et des finances que vous êtes. Et puis nous parlerons politique aussi, si vous le voulez bien – le responsable socialiste que vous êtes – à la fois devant les divisions de la Majorité plurielle concernant l’Europe et devant l’état de l’Opposition. Et puis je poserai des questions qui intéressent – je crois – tous nos concitoyens sur les impôts, les baisses d’impôts éventuelles, les réformes fiscales tant attendues, promises, et qu’on attend toujours, non ?...
M. STRAUSS-KAHN. – Non, pas vraiment ! Mais on en parlera tout à l’heure.
M. FIELD. – On en parlera tout à l’heure. Bref, de quoi meubler, je crois, beaucoup cette heure avec beaucoup de questions et, je l’espère, autant de réponses.
Une première page de publicité pour commencer et après on y va.
M. FIELD. – Retour sur le plateau de « Public » avec Dominique Strauss-Kahn, ministre de l’économie et des finances, qui est mon invité.
Je vous propose, Dominique Strauss-Kahn, de tout de suite voir, à la suite du Sommet de Bruxelles, ce qu’ont été les réactions des Allemands. C’est un sujet d’une télévision allemande qui a juste précédé le Sommet franco-allemand d’Avignon auquel vous participiez également.
Nous allons voir ce regard allemand sur l’actualité française et vos commentaires tout de suite après.
LA FRANCE VUE PAR ARD (télévision allemande)
JOURNALISTE. – Top départ pour l’euro ! En France, le compromis européen controversé est fêté comme une victoire de politique intérieure. « La France aurait gagné la bataille pour la présidence de la Banque centrale européenne », commente un grand journal du dimanche. On parle à peine de la déception du partenaire européen à cette occasion.
Dès son retour de Bruxelles, le Président de la République, Jacques Chirac, est apparu posant en vainqueur dans une émission de télévision, justifiant encore une fois sa prise de position ferme.
La France est la deuxième puissance économique et financière européenne. Il va donc de soi qu’au moment de l’entrée en vigueur de l’euro, elle soit représentée de façon conséquente.
Jean-Claude Trichet qui ne compte pas parmi les amis de Chirac n’est pas simplement sorti de la manche de celui-ci pour le prestige national, mais aussi pour des raisons politiques. Le président de la Banque centrale européenne aurait dû être nommé par les chefs d’Etat. Or, Duisenberg a été désignée jusqu’ici par les dirigeants des Banques centrales européennes. C’est ainsi que Paris justifie sa position.
À Bruxelles, Chirac a une fois de plus fait honneur à son surnom de « bulldozer ». Avec son entêtement à soutenir la candidature française, il a. certes remporté une victoire de politique intérieure, mais il a laissé un champ de ruines derrière lui au niveau européen.
Ainsi qu’il l’avait déjà prouvé lors des essais atomiques français, il ne craint pas d’imposer ses vues à ses partenaires, mais les relations franco-allemandes en sortent fortement détériorées cette fois-ci.
Chirac et Kohl auront beaucoup de mal à recoller les morceaux lors du prochain Sommet d’Avignon.
M. FIELD. – Dominique Strauss-Kahn, est-ce que Chirac et Kohl ont eu du mal à recoller les morceaux à Avignon ? Et que pensez-vous de la tonalité générale de ce sujet allemand qui, je dois le dire, est partagé par beaucoup de nos voisins européens ?
M. STRAUSS-KAHN. – La tonalité est compréhensible. Les Allemands sont dans une période électorale. Vous savez que les élections ont lieu au mois d’octobre en Allemagne, et donc tout ce qui, d’une manière ou d’une autre, touche à l’Europe est un sujet majeur en Allemagne.
M. FIELD. – Enfin, la plaisanterie qui court en Allemagne, c’est que – après avoir aidé les socialistes français à venir au pouvoir – Jacques Chirac ferait la même chose avec le SPD allemand ?
M. STRAUSS-KAHN. – Non, je ne crois pas que ce soit le cas, honnêtement ! Il ne faut pas que l’arbre cache la forêt dans cette affaire. Il y a eu un choix de président de Banque centrale, cela a pris une dizaine d’heures. Vous savez quand on fixé le prix du lait à Bruxelles, cela met 24 heures, 48 heures, on a pris l’habitude maintenant. Que cela ait pris une journée pour désigner un président de Banque centrale, ce n’est pas une affaire ! Ce qui compte ce jour-là – c’est ce que titraient les journaux français –, c’est qu’on a mis en place l’euro. Et cela est une décision de portée historique. Dans trois mois, dans six mois, on aura oublié les disputes de la journée, les discussions, pour arriver à se mettre d’accord sur un président de la Banque centrale et on retiendra le fait que nous entrons dans une ère nouvelle de la construction européenne, celle où l’on va avoir une monnaie unique pour tous les pays. C’est quand même deux choses de deux poids différents.
M. FIELD. – Oui, mais dans cette dispute, il y avait – je dirais – un contenu politique qui était plaidable et intéressant : c’était l’affirmation française par le Président Chirac du fait que le président de la Banque centrale devait être nommé par les politiques, désigné par les politiques et non par l’association des banquiers et ses confrères. Cela était légitime. Pourquoi, après, les choses ont-elles pris l’allure d’une sorte de cocorico chauvin, etc. ?
M. STRAUSS-KAHN. – Non, je ne crois pas qu’il y ait eu de cocorico. Le Président Chirac a eu raison de mettre cela sur la table. Les européennes se plaignent suffisamment de ce qu’il y ait trop de technocrates, trop de bureaucratie, que les politiques, la démocratie n’interviennent pas assez. Là, le traité était clair : ce sont les chefs d’État et de gouvernement qui doivent choisir le président de la Banque centrale. Il n’y avait aucune raison que ce soit l’amicale des gouverneurs qui décide à leur place.
À partir de là, il y a eu deux candidats – il aurait pu en avoir un troisième, il n’y en avait pas – et la bataille a tourné autour du fait de savoir lequel serait en place le premier, qu’est-ce qui se passerait ensuite ?
M. FIELD. – Mais le psychodrame ‘de Duisenberg sachant que, dans 4 ans, il serait fatigué et tout, ce n’était pas très digne quand même ?
M. STRAUSS-KAHN. – Cela aurait pu être réglé plus tôt plus facilement. Mais je crois que ce qu’il faut retenir de la journée, outre le fait qu’on a fait l’euro – ce qui n’est pas rien –, c’est le fait que, finalement, à Quinze, tout le monde s’est mis d’accord pour trouver une solution.
On met tout le temps un peu l’accent sur la difficulté – il y a des difficultés –, mais la construction européenne est faite de ce genre de débats, de solutions trouvées. Vous savez, quand on réunit 15 pays, en l’occurrence 11 sur l’euro, autrement que par les armes – comme cela s’est toujours fait dans l’Histoire où il y a eu des batailles, des bruits de bottes et puis des empires qui se sont créés par la contrainte –, quand on veut faire cela par la raison et puis parce qu’on pense qu’on a un destin commun, alors évidemment cela donne lieu à des discussions, il n’y a pas de surprise à cela.
M. FIELD. – On a l’impression quand même que cela va créer un précédent. Dans « Le Spiegel » qui sort demain votre confrère, ministre allemand des Finances, dit : « la Présidence de la BERD, c’est forcément à un Allemand qu’elle doit revenir, vu que la France a réussi à imposer ce qu’elle voulait avec la Banque centrale ». Donc, à chaque échéance, comme ça, il va y avoir ce type de...
M. STRAUSS-KAHN. – Cela a toujours été comme ça. Il y a un certain nombre de postes internationaux, les pays – c’est normal – veulent qu’ils soient répartis de façon raisonnable. La France dirige le Fonds monétaire international. Elle a maintenant pris un pied sur la Banque centrale européenne, il est normal que les autres pays trouvent leur place.
La construction européenne, c’est ça ! C’est une sorte d’accord général. Alors, de temps en temps, ça coince un peu. Mais honnêtement ce sur quoi je voudrais qu’on mette l’accent ce soir, c’est sur le fait qu’on s’est donné le moyen pour des années qui viennent, de plus de croissance, de lutte contre l’emploi plus forte. Et, cela, c’est quelque chose qu’il faut retenir…
M. FIELS. – … de lutte contre le chômage plutôt.
M. STRAUSS-KAHN. – J’ai dit « contre l’emploi » ?
M. FIELD. – Oui.
M. STRAUSS-KAHN. – Quel lapsus!
M. FIELD. – Cela arrive !... Le risque de la concurrence, parce que finalement le Président de la République la semaine dernière, sur ce plateau, vous-même à de nombreuses occasions, vous nous tracez un portrait très optimiste de l’euro : c’est un grand marché qui s’ouvre ; forcément ça va aider au développement de la croissance, de la productivité. Mais au départ cette sorte d’ouverture du choc concurrentiel, elle pourra faire de grandes victimes dans la mesure où ni les régimes fiscaux, ni les régimes de protection sociale ne sont harmonisés. Alors, là, est-ce que beaucoup de chefs d’entreprise n’ont pas de raison d’être inquiets devant ce que va être cette ouverture du choc concurrentiel ?
M. STRAUSS-KAHN. – Non, il faut être optimiste. Il ne faut pas être naïf, il y a des difficultés, mais il faut être optimiste, d’abord, parce que – comme vous le dites – le grand marché que cela va créer, crée des perspectives de développement formidables. Quand une PME est installée à Perpignan, le marché qu’elle peut avoir au fond de l’Allemagne ou en Finlande, pour elle est un peu inexistant aujourd’hui, parce qu’il y a des différences de change, des risques sur les monnaies. Tout cela va disparaître. Le grand marché est une réalité.
Vous me dites : « chez les chefs d’entreprise, cela peut créer une inquiétude », c’est vrai ! Le chef d’entreprise, son métier, c’est aussi de prendre des risques. Et là, il va pouvoir en prendre en étant mieux garanti, en tout cas garanti contre ce qui n’est pas son métier, c’est-à-dire les fluctuations de la monnaie.
Et puis il y a un autre aspect à cette histoire-là, c’est que, au-delà des effets que cela va avoir sur la croissance et pour l’emploi, cela va avoir des effets formidables sur la place de l’Europe dans le Monde. Ce qui me frappe dans la période, c’est que l’Europe est de retour. Depuis trois quart de siècle, lendemain de la première guerre mondiale, le dollar a pris une place formidable et les États-Unis ont dominé l’ensemble de l’économie mondiale. Ce qui se passe, avec l’euro, c’est que l’Europe va reprendre sa place. Et cela, voyez-vous, ce n’est pas seulement du cocorico, c’est du rééquilibrage des deux grands pôles occidentaux, l’Amérique du Nord et l’Europe, et cela ne peut être que le fruit de l’euro. Cela ne pouvait pas exister sinon.
M. FIELD. – Vous ne répondez pas précisément à ma question…
M. STRAUSS-KAHN. – … quelle question?
M. FIELD. – Qu’est-ce qui se passe à l’intérieur des pays européens quand le taux de l’impôt sur les sociétés varie de 10 à 40 % suivant les pays, le taux de chômage, de 6 % en Autriche, de 22 % en Espagne. Ces décalages-là peuvent être mortels pour un certain nombre d’entreprises nationales ?
M. STRAUSS-KAHN. – Que le taux de chômage soit plus fort dans un pays que dans l’autre, cela veut simplement dire qu’il faut lutter plus dans certains pays que dans d’autres. Mais aujourd’hui même, dans les pays, le taux de chômage n’est pas le même entre le Nord et le Sud. L’exemple de l’Italie est archi-connu. Le taux de chômage au Sud de l’Italie est beaucoup plus qu’au Nord.
Quant à la fiscalité, c’est vrai qu’il y a des différences et c’est vrai qu’il va falloir harmoniser, c’est vrai qu’il vaut mieux qu’il y en ait le moins possible. Mais si vous regardez les États aux États-Unis, les différents États, ils ont des fiscalités très différentes. Je crois que c’est le Delaware aux États-Unis qui a le moins d’impôt sur les entreprises, cela ne veut pas dire que toutes les entreprises viennent s’installer là et qu’il n’y en a plus dans les autres États. Donc, les différences, elles existent même dans un pays fédéral, mais unifié, comme les États-Unis, elles continueront d’exister en Europe.
Faisons quand même des efforts pour essayer d’harmoniser. On a su le faire pour la TVA, on saura le faire pour la fiscalité de l’épargne, on saura le faire pour la fiscalité des entreprises.
M. FIELD. – On voit quand même resurgir, à l’occasion de toute cette émotion et de ces discussions autour de l’euro, finalement deux conceptions très différentes : le Président Valéry Giscard d’Estaing laissait entendre, cette semaine, qua la monnaie unique n’avait de sens que dans l’affirmation d’une Europe fédérale et était, en fait, l’étape indispensable pour une véritable Europe fédérale ; ce qu’il me semble, le Président Chirac dément de toutes les fibres de ses discours en réaffirmant l’Europe des Nations. C’est un vrai débat. Comment vous situez-vous dans cette alternative-là ?
M. STRAUSS-KAHN. – Je crois que c’est un peu un débat d’hier…
M. FIELD. – Cela fera plaisir et au Président Chirac, et au Président Giscard d’Estaing.
M. STRAUSS-KAHN. – … il y aura des aspects fédéraux et il y aura des aspects d’Europe des Nations. Et, aujourd’hui, il y a déjà des aspects fédéraux et déjà des aspects d’Europe des Nations.
La construction européenne n’a aucun modèle dans l’Histoire, c’est nouveau, et donc la forme que cela prendra sera elle-même nouvelle. Moi, je ne sais pas ! Certains sont des fédéralistes forcenées, il faut absolument que ce soit une Europe fédérale. D’autres veulent absolument l’Europe des Nations. La réalité ne sera pas celle-là : la réalité, c’est que, sur certains sujets, ce sera décidé au niveau central, par exemple, les politiques macro-économiques : aider à la croissance. Et puis sur certains sujets, ce sera local, national, disons : la fiscalité dont on parlait, la lutte pour l’emploi dans certains domaines. Par exemple, certains font de la réduction du temps de travail, d’autres pas. Certains qui ont beaucoup de chômage des jeunes feront de l’emploi des jeunes – comme nous le faisons, comme les Anglais vont commencer à le faire –, d’autre qui, pour des raisons démographiques, ont moins de chômage chez les jeunes s’intéresseront plus à une autre partie de la population.
Ce qui est le plus important, je crois, c’est de voir ce qui va être traité au niveau de l’Union, et maintenant avec l’euro, au niveau de la zone Euro, les Onze, du Conseil de l’Euro. Et puis ce qui va continuer à être traité dans chaque pays. En termes savants, cela s’appelle « la subsidiarité ». Mais je crois que c’est beaucoup plus important que ce débat un peu théorique sur l’Europe des Nations ou l’Europe fédérale.
M. FIELD. – Quand le Président jacques Chirac attaque la politique du gouvernement sur le mode de « vous êtes les mauvais élèves de l’Europe attention à ne pas vous faire remarquer, etc. », il met quand même le doigt sur cette homogénéisation des politique européennes nécessaires.
M. STRAUSS-KAHN. – Oui, l’homogénéisation est souhaitable. Ce que je constate, c’est que – on ne pas va pas faire l’histoire, même si elle n’a qu’un an –…
M. FIELD. – Si, faisons-là.
M. STRAUSS-KAHN. – … ce sera bientôt l’anniversaire de ce gouvernement. Lorsqu’il est arrivé en place, le fait que la France soit capable d’être qualifiée pour l’euro n’était pas acquis. Certains disent même, mais ce sont des mauvaises langues, que c’est justement parce que c’était difficile qu’il y a eu la dissolution. Il l’a été sans difficulté, sans drame, sans plan de rigueur, sans restriction.
C’est vrai qu’il y a du chemin à faire, c’est vrai que, sur un certain nombre de sujets, nous sommes plutôt en regard par rapport à d’autres – je ne crois pas qu’il faille uniquement dire que c’est de la faute au gouvernement de 1993 à 1997, mais enfin c’est quand même un peu de leur responsabilité aussi ! – beaucoup de chemin a été fait depuis un an, on continuera. L’homogénéité au point de vue de l’emploi est souhaitable. Nous sommes un des taux de chômage parmi les plus élevés, il faut qu’il baisse. Il baisse – vous l’avez vu – depuis huit mois, cela va continuer. Mais si on peut homogénéiser les situations, faire que le taux de chômage français rejoigne le taux de chômage des Pays-Bas, celui de l’Autriche dont vous parliez, vive l’homogénéité !
M. FIELD. – Mais quand l’opposition vous reproche de tirer un peu trop aisément les marrons de ce feu-là en disant : « vous bénéficiez de la croissance et vous bénéficiez aussi des effets d’un certain nombre de décisions prises par Alain Juppé et le gouvernement précédent ?
M. STRAUSS-KAHN. – La croissance, en ce sens, qu’elle est international et européenne, oui, c’est vrai!
M. FIELD. – Donc, vous avez de la veine.
M. STRAUSS-KAHN. – Sauf que si on n’est pas capables de prévoir la croissance à 12 mois, il vaut mieux faire un autre métier. Mais quant aux mesures qui ont été prises par le gouvernement précédent, s’il était tellement sûr que sur l’arbre il y aurait des fruits, il fallait qu’il reste pour les cueillir !
Honnêtement, je crois que le gouvernement précédent était à ce point convaincu que la politique qu’il menait allait dans le mur, qu’il fallait durcir encore – parce qu’il durcissait –, plus on durcit, moins il y a de croissance, mais sa solution était de durcir encore un peu plus, il fallait durcir encore un peu plus. Pour cela, il fallait faire les élections avant parce que sinon ce serait insupportable, d’où la dissolution.
On a mené une politique exactement inverse. On a dit : « il faut relancer la croissance ». Certes, la croissance internationale commence à repartir. Vous vous souvenez de 1995, il y avait aussi un redémarrage de la croissance, et puis on a réussi en France à la casser, notamment avec les deux points de la TVA qui ont complètement pompé le pouvoir d’achat des ménages. Donc il fallait faire le contraire. Il fallait – et c’était un peu la difficulté du moment – arriver à rester dans les fameux critères de Maastricht – et, là, il y avait une difficulté parce qu’on explosait – et, là, il y avait une difficulté parce qu’on explosait –, et, dans le même temps, ne pas étouffer la croissance. Bon, on a réussi – comme je le dis parfois – à tenir les deux bouts de la ficelle.
M. FIELD. – Et quand on vous reproche, par exemple, de ne pas profiter de cette croissance pour mettre vraiment les pendules à l’heure, continuer par exemple à ne pas augmenter les dépenses publiques alors que vous prévoyez qu’elles vont augmenter d’un point et quand on vous dit ; « vous laissez passer une occasion formidable de réformer en profondeur les maux structurels de l’économie française » ?
M. STRAUSS-KAHN. – Il faut reformer en profondeur, mais la croissance dont on parle est celle de 14998. Pour le moment, nous n’en sommes encore qu’à début mai, donc on n’a pas encore enregistré les fruits de cette croissance. Il faut d’abord qu’elle soit là pour qu’on en bénéficie. Elle vient mois après mois, et, à la fin de l’année, on aura eu 3 % de croissance. Pour le moment, on ne les a pas encore eux.
Pour autant, c’est vrai, il faut utiliser une bonne part de cette croissance à plusieurs choses :
– à lutter pour l’emploi ;
– à plus de solidarité ;
– et à traiter les maux structurels que vous évoquiez.
Mais encore une fois faisons au rythme qu’il convient.
M. FIELD. – Comment définiriez-vous ces maux structurels et sur quelle hiérarchie ?
M. STRAUSS-KAHN. – D’abord, l’emploi. Honnêtement, il faut que – Lionel Jospin l’a dit à plusieurs reprises, il l’a dit dans son discours de politique générale quand il est arrivé au gouvernement, il le répète fréquemment – notre premier objectif soit l’emploi. Et, d’ailleurs, on commence à en voir des résultats – encore insuffisants –, mais enfin le chômage baisse depuis 8 mois maintenant. On était à 12,7 de chômage, on est à 12 aujourd’hui. Évidemment, c’est totalement insuffisamment, cela va s’en dire ! Mais cela continue, cela va dans le bon sens et cela, aussi, est un des maux structurels de la situation française.
D’ici la fin de l’année, il devrait y avoir 300 000 emplois de plus – cela ne fera pas 300 000 chômeurs de moins parce que, quand on crée un emploi, il y a aussi des gens qui n’étaient pas chômeurs et qui deviennent éventuellement des demandeurs d’emploi sur le marché de travail.
M. FIELD. – Mais des vrais emplois ?...
M. STRAUSS-KAHN. – … ah! Oui, des vrais emplois ;
M. FIELD. – … ou des emplois jeunes?
M. STRAUSS-KAHN. – D’abord, les emplois jeunes sont des vrais emplois. Mais pour reprendre votre terminologie, les emplois marchands, les emplois dans le secteur marchand. Non, les emplois jeunes, ce sont des vrais emplois, ce sont des emplois pour une certaine durée, mais ce sont des vrais emplois pour les jeunes qui vont travailler, apprendre des choses et qui vont avoir un vrai salaire, qui apprennent à travailler. Moi, je n’accepte pas l’idée que ce ne soit pas de vrais emplois.
Et donc en termes de chômage, on devrait d’ici fin 1998 avoir effacé la hausse de chômage du gouvernement Juppé et, en 1999, on devrait effacer la hausse de chômage du gouvernement Balladur. En deux ans, pas si mal !...
M. FIELD. – Parmi ces maux structurels, le chômage. Il y en a d’autres ?
M. STRAUSS-KAHN. – L’autre point, ce sont les problèmes qui touchent à la solidarité, avec cette difficulté qu’on a bien vue lors du mouvement des chômeurs au moins de janvier et qui va réapparaître que, quand ça repart, il y a ceux qui en profitent et il y a ceux pour qui ça continue d’être difficile, au moins pendant un certain temps, parce qu’ils ont du mal à retrouver un travail… et donc ils ont le sentiment – et ce n’est pas faux – que l’inégalité augmente. Il faut arriver à arbitrer un peu entre les deux. Ne pas laisser les inégalités continuer à augmenter et, d’un autre côté, ne pas non plus manger le blé en herbe, utiliser des ressources qu’on n’a pas encore, une croissance qui n’est pas encore arrivée, ce qui ferait qu’au total on l’étouffait et que tout le monde serait perdant. Donc, il faut trouver l’équilibre entre les deux. Cela est difficile.
Le troisième morceau qui est plus directement structurel – pour revenir à votre question – est l’innovation. Je suis très frappé de voir que notre pays qui a des capacités formidables reste en retard en matière d’innovation : technologies de l’information, internet. Faites un sondage sur Internet – on en parlera peut-être un peu tout à l’heure – le ministre à Hourtain, il y a de cela plusieurs mois, Lionel Jospin a fait un grand discours là-dessus, il a lancé le gouvernement là-dessus. Un plan d’actions a été mis en œuvre et je crois que cela redémarre assez fort. Bill Gates…
M. FIELD. – Gisement d’emplois, ça ?
M. STRAUSS-KAHN. – …vous savez, Bill Gates, le patron de Microsoft, formidable entreprise, a été à Paris l’autre jour et il a donné une interview qui a commencé par « quel changement ! ». Et je crois qu’en effet ça change.
Gisement d’emplois, oui. Aux États-Unis, on dit qu’aujourd’hui la croissance est pour moitié en provenance de ce secteur-là, la croissance et les emplois. Donc, cela veut dire qu’en France on devrait pouvoir arriver à plusieurs dizaines de milliers d’emplois dans les années qui viennent, provenant de ces secteurs ou autour de ces secteurs. Simplement il faut rattraper le retard. On s’y attèle très sérieusement. Avec Claude Allègre qui est le ministre de l’éducation, mais aussi le ministre de la recherche et de la technologie, je tiens dans quelques jours des assises sur ce sujet. Un ensemble de mesures ont été prises, de soutien aux créateurs d’entreprise en matière fiscale, en matière de capital risque. Bref, toute la palette est ouverte. Permettre aux chercheurs, quand ils font une découverte, de créer leur entreprise, faciliter tout cela. C’est un gisement d’emplois considérable pour les dis-vingt ans qui viennent.
M. FIELD. – Justement, puisqu’on parle des nouvelles technologies et d’Internet, il y a non pas un sondage, mais une consultation – non pas un sondage parce qu’il n’y a pas du tout les critères de validité et d’échantillonnage que les sondages et les instituts de sondage nous proposent, mais une consultation ouverte aux internautes de 9 pays. On leur a posé un certain nombre de questions, sur l’Europe, la perspective d’un gouvernement européen, l’euro. C’est un sujet de Jérôme Paoli et de Sandra Le Texier, soyez attentifs.
REPORTAGE
M. FIELD. – Dominique Strauss-Kahn, ce n’est pas gagné! Puisque vous avez souvent dit que la victoire serait psychologique sur l’euro. On part de loin !
M. STRAUSS-KAHN. – Cela prouve une chose, c’est que vous avez raison, ce n’est pas un sondage.
M. FIELD. – Non, non, ce n’est pas un sondage.
M. STRAUSS-KAHN. – Parce que les sondages ne donnent pas ça.
M. FIELD. – Je sais bien! Et c’est pour cela que je vous ai repris. C’est une consultation.
M. STRAUSS-KAHN. – Donc, si les sondages ne donnent pas cela, c’est peut-être plus gagné que vous ne le dites !...
M. FIELD. – Oui, mais c’est intéressant parce que les internautes sont souvent des gens plus jeunes, plus actifs. Donc, il y a quand même une vraie réticence.
M. STRAUSS-KAHN. – Vous avez raison, il ne faut pas jouer, il y a encore beaucoup de concitoyens – c’est vrai partout en Europe, plus ou moins, mais enfin quand même – qui sont inquiets, hésitants, et c’est normal. Et c’est mon travail, donc c’est ma responsabilité – je suis un peu le maître d’œuvre de la mise ne place de l’euro en France –, de faire en sorte – visiblement il y a encore du travail – que les gens aient confiance, s’aperçoivent qu’il n’y aura pas de difficulté. Il y a un tas de mesures pour cela. Il y aura des campagnes de publicité – on a encore un peu de temps puisque les billets, les pièces n’arriveront qu’au 1er janvier 2002, même si au 1er janvier 1999, les entreprises qui le voudront pourront commencer à travailler en euro – donc on a encore du temps, mais il faut que cet euro quotidien rendre dans les esprits.
Alors, on fait beaucoup de travail. Par exemple, dans quelques jours, 10 000 agents du ministère de l’économie et des finances iront dans les classes de CM2 toucher 500 000 élèves, c’est-à-dire pratiquement tous les élèves de CM2, pour leur expliquer ce qu’est l’euro. Ils auront un petit document : « Présentation de l’euro, classe de CM2 » – je fais cela avec Claude Allègre, évidemment, le ministre de l’Éducation nationale – et puis des billets à découper. On a mis « spécimen » dessus parce qu’ils ressemblent tellement, sinon on pourrait croire que ce sont des vrais…
M. FIELD. – Vous avez déjà choisi les agents de votre ministère qui iront en Seine-Saint-Denis pour faire cela ?
M. STRAUSS-KAHN. – 10 000, c’est beaucoup quand même ! Je cite ça parce que cela va venir bientôt…
M. FIELD. – C’est un peu gadget quand même, sauf le respect que je vous dois.
M. STRAUSS-KAHN. – Attendez! Aller dans les classes expliquer aux enfants, ce n’est pas gadget du tout. Je ne dis pas qu’il faut s’arrêter là, il y aura plein d’autres choses ; Il faut que dans les écoles, on apprenne aux enfants ce qu’est l’euro. Les jeunes seront un vecteur pour cela parce que les sondages montrent quand même que l’attrait pour l’euro et pour l’Europe en général est plus fort chez les jeunes que chez les autres.
Demain, je vais à Pessac, on frappe le premier euro, le premier vrai euro…
M. FIELD. – …Pessac en Gironde ?
M. STRAUSS-KAHN. – Oui, c’est ça, près de Bordeaux. C’est le premier euro européen. Ce n’est pas seulement le premier français, c’est le premier européen. Les Français vont être les premiers à sortir les premières pièces. Tous ces éléments, petit à petit, vont faire rentrer dans l’esprit de chacun ce changement.
Honnêtement, je pense que l’on a un peu de temps devant, jusqu’en 2002, c’est presque toute la législature, et que les français seront parfaitement prêts au moment où le passage se fera, mais il y a encore du travail à faire.
M. FIELD. – Dernière question sur l’Europe avant d’en venir à l’actualité française: Attendez-vous avec impatience la victoire de vos amis socialistes en Allemagne et ne craignez-vous pas que la disparition éventuelle d’Helmut Kohl perturbe un petit peu – la disparition politique s’entend – la force de l’axe franco-allemand qui est tout de même assez déterminant dans la construction européenne ?
M. STRAUSS-KAHN. – Je crois que Helmut Kohl a été un formidable bâtisseur de l’Europe…
M. FIELD. – …déjà que vous en parliez au passé, cela lui doit foutre les boules quand même !...
M. STRAUSS-KAHN. – Non, il est aujourd’hui encore un formidable bâtisseur de l’Europe. La question est que les Allemands ont le droit de choisir leur dirigeant comme ils le veulent. Je comprends que la Majorité qui est en place en Allemagne est là depuis 16 ans et que, comme dans d’autres pays, on a tendance à trouver qu’au bout d’un certain temps, ça va comme ça ! Mais ce qui est sûr, c’est que tout ce qui a été construit, tout ce dont on parle – l’euro, les pièces qui vont changer complètement notre vie – ont le doit beaucoup à une longue liste, cela commence à Valéry Giscard d’Estaing, cela continue avec François Mitterrand bien sûr, aujourd’hui c’est Jacques Chirac qui a la mission d’en faire une réalité pour la France et, de l’autre côté, c’est Kohl. Et de ce point de vue-là, c’est un gigantesque personnage de l’Histoire européenne.
Maintenant, je ne pleurerai pas évidemment que mes amis politiques gagnent les élections en Allemagne…
M. FIELD. – …dans leurs déclarations, on voit qu’ils risquent de changer de stratégie vis-à-vis de la France, qu’ils vont peut-être jouer par moments l’axe franco-allemand et puis, par d’autres moments, plutôt avec l’Angleterre…
M. STRAUSS-KAHN. – …d’abord, les Anglais ne sont pas dans l’euro. Mais au-delà de cela, l’axe franco-allemand, c’est la colonne vertébrale de la construction européenne et, cela, quels que soient les gouvernements. C’était vrai quand il y avait des Socialistes en Allemagne et la Droite en France…
M. FIELD. – Vous n’attendez pas de changements significatifs de l’Allemagne dans l’autre sens?
M. STRAUSS-KAHN. – …cela a été vrai dans l’autre sens quand il y avait la Gauche en France et la Droite en Allemagne. Je crois que tout le monde est conscient, tous les Européens sont conscients de ce que cette force, cet axe entre les Français et les Allemands – de temps en temps il y a des frottements – très puissant, c’est ce qui fait avancer l’Europe. Et je n’ai aucune crainte, de ce point de vue-là, de ce qu’une éventuelle victoire des Socialistes allemands change quelque chose.
M. FIELD. – Dominique Strauss-Kahn, on se retrouve après une page de publicité et nous parlerons de l’actualité française au retour de la pub.
Publicité
M. FIELD. – Retour sur le plateau de « Public » avec Dominique Strauss-Kahn, mon invité.
Nous sommes aujourd’hui le 10 mai. Il y a 17 ans, c’était l’élection de François Mitterrand, la première élection de François Mitterrand à la présidence de la République. Un commentaire sur cet anniversaire-là ?
M. STRAUSS-KAHN. – Les anniversaires, c’est toujours un peu gai et il y a à la fois un peu de nostalgie. Vous vous souvenez du slogan des Socialistes à l’époque, lors des élections de 1981 ? C’était : « Changer la vie ». Je crois que cela reste un bon slogan, je le garde, je le garde pour les années qui viennent.
Je le garde pour les années qui viennent, avec finalement les mêmes motivations. L’idée, c’était plus de solidarité, lutté contre les inégalités : on ne parlait pas encore beaucoup de la banlieue, mais c’était déjà un peu la banlieue qui existait. Il y a la même chose à faire. Si je devais me donner un slogan pour les années qui viennent, pour donner un peu de contenu à « Changer la vie », je dirais : faire en sorte que les enfants de Sarcelles – j’ai été maire de Sarcelles pendant longtemps –, que les jeunes de Sarcelles aient autant de chance que ceux de la Silicone Valley, et ce projet-là, c’est le même que celui de 1981. On a avancé dans l’intervalle, mais le monde aussi a bougé et je le garde pour les années qui viennent.
M. FIELD. – Si vous remettez en actualité ce slogan « Changer la vie », cela veut dire que vous avez terminé le droit d’inventaire?
M. STRAUSS-KAHN. – Non, c’était avant, c’était un slogan d’avant. Il s’est passé beaucoup de choses pendant les années 80, pendant les septennats de François Mitterrand, et on ne peut pas prétendre que l’histoire s’arrête et que la vie a été changée autant qu’on l’aurait voulu. Il est clair qu’il y a beaucoup de choses sur lesquelles on aurait pu faire autrement, ou où on aurait pu faire quelque chose et où on n’a pas fait.
Le projet reste le même. La Gauche, finalement, c’est fondamentalement cela : vouloir transformer la société, avoir toujours le sentiment qu’on peut faire mieux, qu’on peut aller au-delà, qu’on peut réduire les inégalités plus avant, faire progresser la société, faire qu’on n’ait pas les situations de conflits, de tensions, d’exclusions, et on en parlera peut-être un peu tout à l’heure, qu’on connaît encore.
Ce rêve-là, ce rêve de vouloir une société de travail, pas une société d’assistance, une société dans laquelle les rapports sociaux continuent d’être fondés sur le travail, mais aussi une société de solidarité, ce rêve-là, 20 ans plus tard, malheureusement si l’on veut, mais heureusement aussi parce que je crois que c’est le moteur des évolutions, ce rêve-là, il est toujours là.
M. FIELD. – Nous allons voir dans quel état, notamment politique, la France d’aujourd’hui accueille vos propos, Dominique Strauss-Kahn. C’est l’Edito, concocté par Sandra Le Texier et Judith Cleo.
EDITO
Italie/Catastrophe
DÉCHETS NUCLÉAIRES/Inquiétude
FN/Camouflets
COMMÉMORATION/Million indésirable
RPR/Anniversaire amer
M. FIELD. – La crise du RPR : Jean Tiberi tout à l’heure, devant Karl Zéro disait : « Les Socialistes rigolent et ils ont bien raison ».
M. STRAUSS-KAHN. – Cela montre que Monsieur Tiberi n’a pas toujours tort…
M. FIELD. – Mais est-ce que c’est si drôle que cela quand même ?
M. STRAUSS-KAHN. – Non, ce n’est pas drôle, mais que voulez-vous ? Je crois qu’il y a un double traumatisme : il y a eu un traumatisme de l’élection législative et puis il y a eu un traumatisme des régionales. Et ce qui est frappant, c’est qu’au lendemain des régionales, on a eu l’impression que c’était l’UDF qui avait explosé, avec ses compromissions avec le Front national, on vient d’en voir un exemple dans votre résumé ; et puis que le RPR avait réussi, certains tenant bon à sauver l’honneur. Quelques semaines plus tard, on voit, avec l’Euro notamment, que le RPR explose aussi.
Que le parti du Président de la République qui s’est lui, Jacques Chirac, tellement engagé en faveur de l’Europe, le parti de l’ancien Premier ministre, Alain Juppé, qui quelques jours avant le vote sur l’Euro faisait une tribune dans Le Monde en disant combien il était européen, que ce parti-là finalement dise qu’il va voter contre, puis s’aperçoive que c’est absolument insupportable, décide de ne pas voter, bref…
M. FIELD. – Vous faites partie d’une majorité plurielle: le Parti communiste a voté non, le Mouvement des Citoyens a voté non…
M. STRAUSS-KAHN. – Cela n’a rien à voir.
M. FIELD. – Intellectuellement, cela n’est pas non plus extrêmement…
M. STRAUSS-KAHN. – Cela n’a strictement rien à voir.
M. FIELD. – Ah bon? Expliquez-moi bien la différence. Je crois que les Français vont vous écouter avec beaucoup d’attention.
M. STRAUSS-KAHN. – Je vais essayer, mais si je vous convaincs, vous le reconnaîtrez.
M. FIELD. – Allez-y.
M. STRAUSS-KAHN. – Le Parti communiste a toujours dit qu’il était contre, il n’a pas changé d’opinion, il a une opinion. Je trouve qu’il se trompe et qu’il faut être pour, mais ils ont toujours dit que, pour telle et telle raison, ils étaient plutôt contre. Donc lorsque le vote vient, ils font la même chose que ce qu’ils ont toujours dit. Quand ils sont entrés au Gouvernement…
M. FIELD. – On ne peut pas dire d’un côté…
M. STRAUSS-KAHN. – Laissez-moi finir.
M. FIELD. – …que l’Europe est une chose extrêmement intéressante, importante et décisive, et puis s’accommoder d’un allié qui est contre.
M. STRAUSS-KAHN. – Quand ils sont entrés au Gouvernement, nos amis Communistes savaient qu’on était d’accord sur beaucoup de choses, mais pas sur ça et, en venant au Gouvernement, ils savaient que le Gouvernement de Lionel Jospin ferait l’Euro; ils l’avaient accepté. Quand le vote vient, ils continuent de dire qu’ils sont contre, c’est cohérent. Ce n’est pas n’avoir rient dans la tête, comme on peut le voir chez d’autres qui ont parfois été pour, ont ensuite été contre, deviennent pour derrière ou redeviennent contre. Ce qui est grave aujourd’hui dans la Droite, ce n’est pas qu’elle pense ça ou ça, c’est bien son droit de penser ce qu’elle veut, mais c’est qu’elle ne pense rien.
Et ce n’est pas du tout la même situation que celle de la Majorité, dont il est vrai que sur ce sujet elle n’est pas unie, mais ce n’est un secret pour personne : les électeurs le savaient quand ils ont voté pour nous, nos amis Communistes le savaient quand ils sont venus au Gouvernement. Moi, j’essaie de les convaincre, mais je respecte tout à fait leur position. J’essaie de les convaincre, parce que les quatre conditions que Jospin avait posées pour le passage à l’Euro sont des conditions qui ont changé la situation européenne.
Le fait d’avoir quelque chose qui commence à ressembler à un gouvernement économique : c’est le Conseil de l’Euro, d’avoir réorienté les priorités vers l’emploi, le fait de ne pas avoir un Euro qui soit surévalué, tout cela ce sont des choses que Jospin voulait, qu’on a obtenues et qui font que la donne n’est plus la même que celle d’hier, dans ce domaine comme dans d’autres d’ailleurs. Vous voyez la confiance des chefs d’entreprise, la confiance des Français, la baisse du chômage, le retour de la croissance : la donner n’est plus la même. Néanmoins, nos amis Communistes continuent de dire qu’ils sont plutôt contre. D’accord, mais ils sont cohérents.
M. FIELD. – Vous ne m’avez pas complètement convaincu, mais ce n’est pas grave, j’espère que vous aurez…
M. STRAUSS-KAHN. – Je recommencerai.
M. FIELD. – Non, sans façon, mais j’espère que vous aurez convaincu les téléspectateurs.
Un grand parti du Centre, que François Bayrou appelle de ses vœux, cela pourrait faire un allié commode pour le Parti socialiste. Finalement, vous êtes plus proche de François Bayrou sur beaucoup de thèmes que justement de vos alliés actuels communistes.
M. STRAUSS-KAHN. – Non, je ne dirais pas cela. À part ce point sur l’Europe, qui est important évidemment, il n’y a pas de différences majeures sur la politique qu’il faut conduire avec les élus communistes. Non, je ne dirais pas cela.
Il faut que les choses soient simples. Un grand parti du Centre, je ne sais pas bien ce que cela veut dire. Il faut que la Gauche soit la Gauche, que la Droite soit la Droite. Le problème aujourd’hui, c’est que la Droite n’est rien du tout ; elle est aimantée par le Front national et elle prend position par rapport au Front national.
M. FIELD. – Vous trouvez qu’il y a une radicalisation par exemple des discours du RPR?
M. STRAUSS-KAHN. – Radicalisation, je ne dirais pas cela exactement comme cela, mais je reprends l’exemple de l’Europe qui est, je crois, vraiment très frappant. Pourquoi est-ce que finalement le RPR n’a pas dit : « Nous sommes contre la politique du Gouvernement – cela tout le monde le savait – mais néanmoins sur l’Euro nous votons parce que nous avons toujours été pour et donc nous votons pour ». Pourquoi n’a-t-il pas fait cela ? Il ne l’a pas fait parce que le Front national avait pris quelques jours avant une position très ferme et qu’ils n’ont pas voulu se décrocher du Front national. C’est une sorte d’aimant. Il faut que la Droite pense par elle-même, qu’elle ait ses positions, qu’elle soit libérale, qu’il y ait une Droite libérale, une Gauche social-démocrate et les électeurs choisissent chaque fois qu’il le faut.
Parti du Centre… honnêtement…
M. FIELD. – C’est à vous de dire.
M. STRAUSS-KAHN. – Non, je ne crois pas. Je crois que la vie politique continue d’être structurée en Europe aujourd’hui par le courant social-démocrate, ou de Gauche pour aller vite, et un courant libéral. Le problème de la Droite en France, c’est que quand elle est au pouvoir elle ne met pas en œuvre ses idées libérales. Regardez Monsieur Madelin : il fait des réunions un peu partout, il dit qu’il faut faire disparaître le code du travail, faire disparaître le SMIC, etc. Je ne suis pas de cet avis, mais c’est son droit de dire cela. Seulement quand il est au pouvoir, il ne le fait pas.
De façon générale, la Droite fait de grands discours sur le libéralisme, que je critique, et quand elle vient au pouvoir elle ne le fait pas. Pour le pays, c’est tant mieux parce que je crois que c’est mauvais, c’est tant mieux, qu’ils ne le fassent pas. D’un autre côté, comment voulez-vous que leurs électeurs s’y retrouvent ? Que la Droite soit la Droite, qu’elle ait ses propres idées, pas celles de l’Extrême-Droite, c’est autre chose. Qu’elle soit la droite, que la Gauche soit la Gauche, il n’y a pas besoin de parti du Centre.
M. FIELD. – Le climat est quand même délétère. On citait Jean-François Mancel et les problèmes des juges au RPR, à la mairie de Paris aussi avec le nom de Jacques Chirac prononcé par Robert Galley, l’ancien trésorier du RPR, sur des emplois fictifs à la mairie de Paris. Roland Dumas mis en examen, ce n’est pas non plus un signe de très bonne santé pour la démocratie d’autant que le président du Conseil Constitutionnel continue à dire qu’il ne veut pas démissionner.
On dirait que même si vous avez essayé de nettoyer un peu tout cela, finalement le climat des affaires continues à pourrir beaucoup à la fois la vie française et le rapport que les Français ont à la politique.
M. STRAUSS-KAHN. – Oui, parce que l’effort très important et très durable que fait Lionel Jospin en la matière ne porte pas ses fruits sur le passé; le passé, c’est le passé. Donc des affaires qui ont pu exister dans le passé continueront éventuellement d’être mises à jour, et c’est souhaitable parce que ce n’est pas très bon pour la démocratie de voir des élus qui ont pu être dans des opérations dont la justice devra dire si elles sont critiquables ou pas, mais c’est quand même mieux de voir la justice les mettre à jour que de les voir enterrer. Donc on va bien voir.
L’affaire de la mairie de Paris, c’est un peu différent. C’est un peu les Pieds Nickelés à la mairie de Paris, on ne sait pas très bien où ils veulent aller, et le conflit qu’il y a est au moins autant un conflit d’hommes, enfin j’ai vu qu’on s’appelait avec des noms d’oiseaux il y a quelques jours et vous avez vu cela dans la presse aussi, qu’un conflit sur des orientations. C’est pour cela que, comme disait, si j’ai bien compris, Jean Tibéri, les Socialistes rigolent ; ils attendent de voir comment cette affaire va se régler.
M. FIELD. – Ce qui vous fait peut-être moins rigoler : d’un point de vue éthique, Roland Dumas n’aurait-il pas dû démissionner de lui-même ?
M. STRAUSS-KAHN. – La mise en examen dans notre pays…
M. FIELD. – Oui, présomption d’innocence, one le sait.
M. STRAUSS-KAHN. – Absolument
M. FIELD. – Oui, présomption d’innocence, on le sait.
M. STRAUSS-KAHN. – Absolument.
M. FIELD. – C’est pour cela que je vous parlais d’un point de vue éthique et non pas d’un strict point de vue juridique.
M. STRAUSS-KAHN. – On le sait et c’est important. La présomption d’innocence doit exister, c’est la garantie des Droits de l’Homme face à la justice. Maintenant il appartient il appartient en effet au Président du Conseil Constitutionnel de savoir si cette mise en examen nuit au bon fonctionnement de l’institution qu’il président. C’est vrai que c’est un problème, il ne faut pas faire semblant, et donc c’est à lui de voir s’il considère qu’il vaut mieux qu’il démissionne ou pas.
M. FIELD. – Vous souhaiteriez quoi, vous?
M. STRAUSS-KAHN. – C’est à lui de décider.
M. FIELD. – Vous souhaiteriez quoi ?
M. STRAUSS-KAHN. – Qu’il décide.
M. FIELD. – Et à sa place vous feriez quoi?
M. STRAUSS-KAHN. – Je ne suis pas à sa place.
M. FIELD. – Il ne fallait pas avoir la langue de bois, c’est cela que vous venez de dire?
M. STRAUSS-KAHN. – Ce n’est pas le problème de la langue de bois…
M. FIELD. – Vous devez bien avoir une conviction, elle importe.
M. STRAUSS-KAHN. – Non. Sur le plan juridique, rien ne le force à démissionner, personne ne peut le forcer à démissionner.
M. FIELD. – C’est pour cela que je vous posais la question sur le plan éthique.
M. STRAUSS-KAHN. – Sur le plan éthique, cela regarde chacun et je dis que c’est à lui de choisir s’il considère ou pas… Je crois que c’est là le critère : s’il considère que cela porte atteinte à l’institution qu’il président ou au fonctionnement de l’institution, il doit démissionner. C’est à lui de faire, c’est à lui de choisir.
M. FIELD. – Est discuté au Parlement le projet de loi de Martine Aubry sur l’exclusion. Un certain nombre de militants associatifs, très sensibilisés à la question, on fait un petit setting devant le Palais Bourbon tous ces jours-ci parce qu’ils ne se retrouvent pas dans ce projet de loi.
REPORTAGE
EXCLUSION / La déception
INTEVENANT. – Ce que j’aimerais demander à Dominique Strauss-Kahn, c’est pourquoi il trouve 87 milliards pour acheter des armes nouvelles pour le budget 98 ou 73 milliards d’exonérations de charges patronales, dont personne n’a jamais prouvé qu’elles créaient le moindre emploi, et qu’il ne trouve pas 70 milliards pour revaloriser les minima sociaux et permettre aux jeunes, qui n’ont actuellement aucun revenu, d’en avoir un.
M. FIELD. – C’est une question claire. La réponse le sera-t-elle autant ?
M. STRAUSS-KAHN. – La lutte contre l’exclusion, c’est d’ailleurs ce que disait, je crois, ceux qui étaient interrogés, c’est avant tout le problème de l’emploi, et on ne peut pas concevoir une société dans laquelle on ne créerait pas suffisamment d’emplois et on espère qu’on pourrait par ailleurs revaloriser jour après jour les minima sociaux.
La société que je ceux est une société dans laquelle il y a du travail. Vous me direz que c’est facile à dire, on essaie de tendre vers cela, mais tout ce qui nuit à l’emploi serait quelque chose qui, au bout du compte, se retournerait contre ceux qui aujourd’hui en manquent.
Prenons la question précise qui est posée. Il y a des exonérations de charges sociales : ce n’est pas vrai de dire que cela ne sert à rien. Vous vous rappelez, il y a quelques années, on disait que c’est à partir de 3 % de croissance que l’économie française commence à créer des emplois. Et aujourd’hui, on dit c’est 1,5. Pourquoi est-ce qu’on est passé de 3 à 1,5 ? Parce qu’il y a des conditions structurelles qui ont changé, notamment celles qui concernent les charges sociales.
Le budget de la défense : on peut trouver qu’on pourrait mettre de l’argent ailleurs que dans la défense. D’abord, il y a un problème de fond qui est quand même que la défense est une des grandes fonctions de l’État qui n’ait pas les moyens de se défendre. Mais au-delà de cela, ces fameux 85 milliards sui sont évoqués, qui servent à de l’investissement en matière militaire, il y a des gens qui travaillent pour produire cela. Quand on fabrique des avions militaires, quand on fabrique des bateaux, on pourrait dire qu’il vaut mieux faire des ponts ou des écoles, c’est un autre débat, mais de toutes façons cet argent-là sert à payer des salaires à des gens. Si on supprime cet argent-là, le nombre de chômeurs augmente du jour au lendemain en flèche. Il ne faut pas croire que c’est de l’argent qui tombe dans un trou.
Et dans le fait de savoir si on peut ou pas réaffecter les sommes considérables du budget qui vont dans telle ou telle direction vers autre chose, on ne doit pas simplement regarder l’intérêt qu’il y aurait à mettre plus d’argent sur l’exclusion ou sur les problèmes difficiles que rencontre une bonne partie de la population. Il faut voir quels dégâts cela créerait d’un autre côté. Si vous augmentez les minima sociaux, mais que dans le même temps vous êtes obligé de fermer une bonne partie de l’industrie aéronautique française, une bonne partie de l’industrie électronique parce qu’il n’y a plus de commandes militaires, je ne suis pas sûr que n’ayez pas fait un acte de Gribouille.
Il faut quand même faire quelque chose, surtout quand la croissance revient, en direction de ceux qui sont les exclus et qui ont les situations les plus difficiles, et honnêtement la loi que Martine Aubry présente sur l’exclusion est une loi qui va loin. Je comprends qu’on dise qu’elle ne va pas assez loin, mais c’est une loi qui va loin, surtout quand on la compare à celle qui avait été préparée avant et que la dissolution a empêché l’ancienne majorité de présenter.
Il y a d’importantes avancées sur l’emploi, sur le droit au logement, sur la santé, sur le surendettement – celle-là, je la connais bien parce qu’elle dépend directement de mon ministère, et c’est d’ailleurs une des caractéristiques de cette loi qu’il y a 19 ministères qui sont associés, parce que dans tous les domaines de la vie il y a des choses à faire en faveur des exclus. Donc il ne s’agit pas de dire que sur un point on va aider particulièrement ceux qui sont en difficulté, mais il faut essayer de voir dans l’ensemble de l’activité du Gouvernement comment on peut leur apporter un soutien.
M. FIELD. – Mais la déception de ces militants associatifs qui ont été à un moment donné les partenaires de l’élaboration de la loi et qui dissent qu’ils ne s’y retrouvent pas?
M. STRAUSS-KAHN. – Je trouve normal, le contraire serait très surprenant, qu’ils disent qu’il n’y en a pas assez, évidemment.
M. FIELD. – C’est un peu facile comme façon de s’en sortir, non?
M. STRAUSS-KAHN. – Qu’est-ce que vous voulez dire?
M. FIELD. – Je ne sais pas, c’est vous le ministre.
M. STRAUSS-KAHN. – Je ne crois pas que cela soit facile. Je crois qu’à un moment donné, compte-tenu de ce dont la nation dispose, elle doit faire des choix qui tiennent compte de l’ensemble du pays, qui tiennent compte des besoins des exclus, et c’est vrai qu’on doit s’en préoccuper et qu’il sont dans une situation qui est très difficilement supportable, qui tiennent compte aussi de ce que les classes moyennes veulent pouvoir envoyer, les exclus aussi d’ailleurs, leurs gosses à l’école et qu’on doit laisser une part importante du budget sur l’Éducation nationale, qui tiennent compte de l’ensemble de ce à quoi sert l’argent qui est collecté par l’impôt des Français. On doit, plus que par le passé, en mettre une part sur ceux qui sont exclus. On ne peut pas concevoir qu’on mette tout ce dont on disposer pour résoudre le problème de l’exclusion, parce que l’immense majorité de la population française trouverait, à juste raison, que c’est insupportable.
Donc je crois que les français sont solidaires, que les Français veulent mettre fin à des situations d’urgence qui sont insupportables, qu’il y a donc des efforts considérables qui sont faits dans cette loi et pour l’année prochaine, puisqu’elle va être en œuvre pour 1999, il y a des milliards de francs qui vont être consacrés à cela, mais qu’on ne peut pas pour autant dire, cela ne serait pas raisonnable, qu’on traite le problème de l’exclusion et rien d’autre, parce qu’en faisant cela, on aggraverait le problème de l’exclusion pour l’année prochaine, on n’aurait pas les emplois qui vont être créés, on ne sortirait pas le pays de la situation de chômage qui, en fait, fondamentalement, chacun le sait bien, est à l’origine de l’exclusion.
M. FIELD. – Je voudrais qu’on termine cette émission avec la réforme de la fiscalité. Elle est toujours attendue, elle est toujours proclamée, surtout d’ailleurs quand on est dans l’opposition, et une fois au pouvoir on n’en voit pas grand-chose. Vous, vous avez promis la mise en œuvre d’un grand chantier de réforme fiscale sur la fiscalité locale : taxe professionnelle ? Taxe d’habitation ? Les choses ne sont pas encore décidées ? Est-ce que vous pouvez quand même essayer d’avancer un peu, parce que c’est une question qui intéresse beaucoup de gens ?
M. STRAUSS-KAHN. – En commençant l’émission, vous avez dit que cela ne vient jamais, que ce n’est pas encore venu, etc. Ce n’est pas tout à fait vrai. Dans le budget qui été voté l’automne dernier, pour 1998, il y a déjà beaucoup de choses qui ont changé. On a nettoyé tout ce qui était, en matière d’impôt sur le revenu notamment, des exonérations anormales, du fait que certains pouvaient trouver le moyen d’échapper à l’impôt par 36 méthodes, je ne vais pas rentrer dans les détails.
M. FIELD. –Du type niches fiscales.
M. STRAUSS-KAHN. – Niches fiscales, comme on dit. On a supprimé tout cela, cela a pas mal fait hurler et c’était, je crois, indispensable en matière de justice fiscale. C’est nettoyé et c’est la seule chose que nous avions le temps de faire entre le mois de juin et le moment où la loi de finances devait être préparée.
M. FIELD. – Vous avez plus de temps depuis.
M. STRAUSS-KAHN. – Absolument. Du coup j’ai dit qu’il y avait trois grands domaines. Pourquoi ? Parce que les Français sont insatisfaits face à leur système fiscal. Ils sont insatisfaits : ils trouvent qu’il est injuste, ils trouvent qu’il est compliqué, ils trouvent qu’il n’est pas efficace et donc ils peuvent que cela soit réformé. Je suis d’accord avec cela. Le Premier ministre veut que nous engagions des réformes en matière fiscale. Pour autant il faut du temps ; cela ne veut pas dire qu’on peut du jour au lendemain tout chambouler. On ne peut pas arriver un jour avec un dossier comme ça, c’est la réforme fiscale et l’année suivante plus rien ne ressemble à l’année précédente. Il faut étaler cela sur législature : la législature dure jusqu’en 2002 et d’ici 2002 la fiscalité française aura été profondément réformée.
On a ouvert trois chantiers ; la fiscalité locale, vous le disiez, et c’est la taxe d’habitation et la taxe professionnelle…
M. FIELD. – La taxe professionnelle qui fait l’unanimité contre elle, vous êtes bien d’accord ?
M. STRAUSS-KAHN. – Absolument.
M. FIELD. – Cela doit être assez facile de s’y mettre.
M. STRAUSS-KAHN. – J’y viens. Et il y a la fiscalité écologique et la fiscalité du patrimoine. On ne va pas tout faire d’un seul coup. On a ouvert tous les chantiers, on commence à en parler avec les parlementaires. Pour la loi de finances qui vient, il va falloir faire un choix, dans la logique même de ce je viens de dire, on ne peut pas tout faire à la fois.
Je pense qu’en effet il faut faire quelque chose dans la fiscalité locale, mais c’est le Premier ministre qui devra arbitrer cela dans les semaines qui viennent, et il faut choisir à ce moment-là de faire soit la taxe d’habitation, soit la taxe professionnelle. Je crois qu’on ne peut pas faire les deux la même année, parce que les communes ne s’y retrouveraient plus dans leurs finances, cela déstabiliserait complètement les finances communes. Il faut faire ou l’un ou l’autre.
M. FIELD. – Vous avez une préférence, vous, avant l’arbitrage du Premier ministre ?
M. STRAUSS-KAHN. – Je crois que si l’on veut faire tout pour l’emploi, on a de bonnes raisons de vouloir reformer la taxe professionnelle. Vous le disiez vous-même, tout le monde est contre, François Mitterrand disant que c’est un impôt imbécile, mais il disait cela il y a 18 ans et cela n’a pas changé. Donc on a besoin de changer cela qui véritablement nuit à l’emploi.
La taxe d’habitation, c’est aussi quelque chose qui soucie, parce que c’est l’impôt le plus injuste qui soit. Ce n’est pas quand même pas normal que, parce qu’il y a des communes riches et des communes pauvres, on puisse payer à Sarcelles autant de taxe d’habitation qu’on en paie à Neuilly. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.
Il y a donc les deux, mais je pense que cette année on ne pourra faire que l’un des deux. C’est déjà énorme, cela n’a jamais été fait avant.
Il y a la fiscalité écologique sur laquelle il y a beaucoup de choses, des avancées à faire dans différents domaines. Il faudra choisir là aussi.
Et puis, il y a la fiscalité du patrimoine, dont j’ai dit qu’à rendement constant il faudrait sans doute la faire évoluer.
Le débat va être ouvert. Il y a une méthode pour tout cela. Si on a réussi à faire un certain nombre de choses…
M. FIELD. – Je croyais qu’il n’y avait pas de méthode…
M. STRAUSS-KAHN. – Je vous voyais venir… On a réussi à faire un certain nombre de choses depuis 11 mois qui n’avaient pas été faites avant. Cela va des accords que le Premier ministre a réussi à boucler en Nouvelle-Calédonie à des choses plus modestes comme la privatisation du CIC, que la Commission de Bruxelles voulaient absolument et qui avait été acceptée par la France, mais que le précédent Gouvernement avait dû interrompre tellement il s’y était mal pris.
Ces choses-là, c’est fait pourquoi ? Cela s’est fait comment ? Pourquoi cela s’est fait là et pas la fois d’avant ? Parce ce qu’il y a du dialogue, de la discussion, de la concertation, du temps passé à écouter les gens, à respecter ce qu’ils disent, à essayer d’en tenir compte, par toujours tenir compte de tout ce que tout le monde dit, parce que des fois c’est contradictoire. Mais il faut vouloir écouter, comprendre la position des autres et en tenir compte autant que faire se peut.
La fiscalité, j’allais dire c’est pareil, mais c’est pire : encore plus qu’ailleurs, il faut faire cela. Et donc le débat technique a eu lieu. Va commencer ces jours-ci un débat avec les parlementaires et puis avec d’autres organismes ou d’autres instances qui s’intéressent à la fiscalité. Le Premier ministre au cours du mois de juillet, arbitrera ce par quoi on commencer, parce qu’on traitera l’ensemble du dossier. Et dès l’année prochaine il y aura des évolutions fiscales importantes.
Ce que je peux vous dire en tout cas, c’est qu’en 1998 le taux des prélèvements obligatoires, c’est-à-dire l’ensemble de ce qui est payé par rapport à la richesse nationale, baissera par rapport à 1997. Quand l’année1998 sera écoulée, on verra qu’il a baissé et je peux vous dire aussi, c’est le seule engagement que je puisse prendre ce soir mais celui-là est clair, qu’il n’y aura évidemment pas de hausse d’impôt en 1999.
M. FIELD. – La proposition de la Commission nationale Media du PS avec Frédéric Bredin, la redevance télévisuelle qui ne soit plus mal effectuée à part, mais déclarée avec les impôts, vous êtes plutôt favorable à cela ou pas ?
M. STRAUSS-KAHN. – C’est une technique qui est possible. C’est vrai que la redevance aujourd’hui, beaucoup de gens qui devraient la payer ne la paient pas, c’est un truc un peu archaïque ; il faut voir si on peut améliorer cela.
M. FIELD. – Vous n’avez rien contre?
M. STRAUSS-KAHN. – J’écoute toutes les idées que l’on me propose.
M. FIELD. – Dominique Strauss-Kahn, merci.
La semaine prochaine, un débat : un débat sur l’Europe à nouveau, avec Pierre Moscovici, votre collègue, ministre délégué aux affaires européennes, et Charles Pasqua. Donc un face à face la semaine prochaine dans « Public », et dans un instant vous avez le grand avantage de retrouver ma consœur Claire Chazal pour le Journal de 20 heures.
Bonsoir à toutes, bonsoir à tous.