Texte intégral
Le Figaro - 12 décembre 1996
Le Figaro : Pourquoi avoir voulu organiser cette réunion des ministres de l'Europe du Sud ?
Philippe Douste-Blazy : Pas un jour se passe sans que ne soient évoquées les stratégies qui se mettent en place dans le monde audiovisuel. Nous constatons chaque jour que les fondements de notre modèle culturel sont sans cesse menacés face aux changements que va apporter la révolution du numérique. Nos enfants sont plongés dans l'univers des séries télévisées américaines comme des dessins animés japonais. Cet univers heurte leurs repères, modifie leurs comportements.
Je vais proposer à mes homologues des pays européens de culture latine, dans une déclaration commune, d'adopter une démarche identique dans les discussions que nous menons au sein des instances internationales pour défendre l'exception culturelle, de renforcer les échanges de programmes entre les diffuseurs nationaux, en particulier en assurant une présence réciproque sur les bouquets satellites et les réseaux câblés.
L'accord de coopération qui doit être signé entre Arte et la RAI va exactement dans ce sens : renforcer les liens bilatéraux en matière de soutien à la production et à la distribution cinématographiques.
Cette réunion est une première étape, qui doit être étendue aux pays de l’Amérique latine et de la Méditerranée, et nous organiserons une grande rencontre avec leurs dirigeants, au cours du premier semestre 1997.
Le Figaro : S’il est utopique d’imaginer un CNN européen, peut-on imaginer la création d’un ou de plusieurs organismes qui assurent les mêmes fonctions ?
Philippe Douste-Blazy : Le système français de soutien public à la production cinématographique et audiovisuelle a permis de maintenir une offre de programmes de qualité, diversifiés et créatifs. J’en veux pour preuve la vitalité de notre cinéma qui représente l’unique point de résistance à la domination du cinéma américain sur le marché européen ou mondial, et le succès de notre production audiovisuelle, récemment récompensée lors de la remise des « Awards » américains.
Je serais donc le premier à me réjouir si certains de nos partenaires créaient des organismes nationaux assurant des fonctions équivalentes à CNN. Cependant, la création d’un organisme de soutien ne serait pas pleinement efficace si elle ne s’accompagnait pas de la mise en place d’une obligation faite aux diffuseurs nationaux de consacrer une part de leur chiffre d’affaires à la production nationale tant cinématographique qu’audiovisuelle.
Je me réjouis, à ce propos, du projet de mon ami Walter Veltroni d’instituer une obligation de ce type pour les diffuseurs italiens et je souhaite que d’autres pays puissent s’engager dans cette voie.
Le Figaro : Entre la production et la distribution, quel est le secteur à privilégier sur le plan européen ?
Philippe Douste-Blazy : Le développement du numérique, la multiplication des chaînes de télévision, l'avènement d'un monde de plus en plus dépendant de l'image vont avoir des conséquences très importantes sur nos cultures tant françaises qu'européennes. Le producteur sera au cœur de la bataille de demain, la bataille des contenus, et il convient de lui apporter, notamment au niveau européen, tout le soutien qu'il mérite.
Toutefois, il ne suffit pas d'avoir « le contenu », il faut aussi savoir le vendre, et trouver un réseau de distribution, que ce soit des salles pour le cinéma ou des chaînes de télévision pour les films comme pour la production audiovisuelle.
On pourrait donc très bien concevoir que la production relève plutôt du niveau national et que la distribution soit davantage prise en compte au niveau européen. La mise en place du plan de soutien européen « Média II », dispositif d’expérimentation, va dans ce sens, et c’est la raison pour laquelle je l’ai défendu au nom du gouvernement français. Mais ces efforts sont encore très limités et d’autres mécanismes doivent être étudiés, comme, par exemple, un fonds de garantie fortement axé sur la distribution des films et des téléfilms.
Le Figaro : Ne pensez-vous pas qu’une politique audiovisuelle européenne serait plus crédible s’il existait un organisme européen d’aide à la profession ?
Philippe Douste-Blazy : Nous manquons au niveau européen d’un organisme d’aide à la profession. Dans ce domaine, la France, qui est très volontaire, se heurte à l’opposition de nombreux pays. Dès lors, de nouvelles avancées seront peut-être à privilégier dans des cadres bilatéraux, c’est ce que j’essaye de faire avec Walter Veltroni, le ministre italien de la Culture.
Les Echos - 26 décembre 1996
Les Echos : Donnant la double impression de céder au chantage effectué par Rire et Chansons et de tirer le CSA de cette affaire de diffusion illégale, le Gouvernement a annoncé une réforme de la loi Carignon sur les radios. Quelles seront les grandes lignes du texte qui sera présenté au printemps au Parlement ?
Philippe Douste-Blazy : Le Gouvernement souhaite voir se développer un paysage radiophonique pluraliste, diversifié et permettant le développement de l'ensemble des réseaux radiophoniques. Cette évolution, qui me paraît aussi nécessaire que souhaitable, ne pourrait en aucun cas intervenir sous la pression de tel ou tel groupe, mais doit se faire dans la transparence et la concertation. Il y a donc eu au contraire refus de tout chantage de la part du Gouvernement.
J'ai demandé au CSA de poursuivre dans les meilleurs délais une concertation approfondie avec l'ensemble des parties concernées. Sur la base du schéma qui me sera proposé par le CSA, j'examinerai, dans le cadre du projet de loi modifiant la loi du 30 septembre 1986 relative à la communication audiovisuelle qui doit être discuté en février au Sénat, les modifications législatives aux dispositions concernant les radios qui pourraient s'avérer nécessaires pour permettre au CSA d’exercer son pouvoir de régulation dans un cadre rénové.
Les Echos : Allez-vous faciliter le changement de catégories de radios ? NRJ pourra-t-elle comme elle le souhaite constituer un troisième réseau avec Rire et Chansons ?
Philippe Douste-Blazy : Le paysage radiophonique français doit demeurer pluraliste et diversifié, ce qui ne peut se faire sans un régulateur efficace et respecté, et le CSA doit jouer ce rôle. Le changement de catégories de radios, catégories qui pourraient être adaptées ou redéfinies, doit donc demeurer sous le contrôle du CSA.
La loi ne crée aucun droit à un troisième réseau, mais elle offre une possibilité de développement. Je comprends très bien qu’un groupe dynamique et performant comme NRJ souhaite se développer et je ne cherche pas à m’y opposer. J’ai au contraire pris clairement position pour que les réseaux, qu’ils soient généralistes, thématiques ou indépendants, puissent se développer. Il existe toutefois des règles qui peuvent certes évoluer, mais qui s’imposent à tous. Il est de mon devoir de m’opposer à quiconque ne les respecterait pas.
Les Echos : Pensez-vous que la privatisation de la SFP pourra être achevée pour la mi-1997 ? Pour quelles raisons le Gouvernement a-t-il donné sa préférence à l'offre Havas-Générale des Eaux ?
Philippe Douste-Blazy : L'ouverture de la procédure de privatisation date du 16 juillet dernier. Avec l'annonce d'une préférence du gouvernement pour l'offre présentée conjointement par Havas et la Générale des Eaux, le processus de privatisation de la SFP est maintenant dans la dernière ligne droite. Compte tenu des délais nécessaires à la Commission européenne, à la Commission de privatisation et au comité d'entreprise pour se prononcer, il me paraît très raisonnable de prévoir un aboutissement avant la mi-1997.
L'offre Havas-Générale des Eaux me semble présenter le meilleur projet industriel et social. Elle permet la reprise de la SFP par deux groupes solides, acteurs majeurs du secteur de la communication et qui ont, en tant qu'actionnaires communs de Canal +, déjà prouvé qu'ils savaient mener un projet commun à la réussite. Le projet industriel repose sur l'intégration verticale de toute la chaîne des métiers de l'audiovisuel et sur le développement des nouvelles technologies. La restructuration de l'entreprise se fera sans licenciements secs. Tous ces éléments sont des gages de la réussite et de la pérennité de la solution choisie qui permettra à la société, dotée d'un actionnariat stable et puissant, de se développer et de se tourner vers le futur.
Les Echos : Au total, combien l'État aura-t-il dépensé pour subvenir aux besoins de la SFP avant de la privatiser ?
Philippe Douste-Blazy : L'offre dont nous venons de parler est subordonnée au versement par l'État d'une ultime dotation en capital plafonnée à 1,2 milliard. Cet effort financier correspond d'une part à l'apurement de la situation économique, financière et comptable de la SFP afin de permettre aux repreneurs de ne supporter à l'avenir que des risques normaux d'exploitation et, d'autre part, au financement de la nécessaire restructuration. Au total, depuis 1990, l'État aura versé plus de 3,1 milliards de francs. Avec les intérêts, la SFP aura coûté au contribuable 3,4 milliards. Ce soutien atteint aujourd'hui ses limites. Dans un environnement juridique et économique profondément modifié, la privatisation constitue l'unique option qui permette le maintien du potentiel industriel et culturel considérable de la SFP.
Les Echos : Comment les chaînes publiques pourront-elles assurer les missions qui leur sont assignées avec les réductions budgétaires qui leur sont imposées ?
Philippe Douste-Blazy : D’abord, je tiens à préciser que les budgets de France 2 et France 3 ne sont pas en réduction, mais pour France 2 maintenu à son niveau de 1996, et pour France 3 en progression de 4,5 % (un plan d'économies de 225 millions au total leur est imposé en 1997, NDLR). Quant à la SEPT/Arte et La Cinquième, les économies prévues sont la conséquence de la fusion prévue entre ces deux chaines.
Pour France 2, les économies demandées sont liées notamment à la renégociation des contrats des animateurs-producteurs. S'il est exact que la part du budget financée par les ressources publicitaires est en augmentation, celle-ci s'explique en grande partie par la progression de l'audience de France 3. J'observe qu'en 1996, alors que la part de financement provenant de la publicité a déjà augmenté sur France 3, cette évolution n'a pas conduit à modifier l'exercice pour France 3 de ses missions de service public. Au contraire, tous les observateurs comme le public s'accordent à reconnaître à cette chaîne une véritable image de service public. Le lien entre ressources publicitaires et ligne éditoriale existe évidemment, mais il n’est pas nécessairement aussi mécanique que d’aucuns le prétendent.
Les Echos : Préparez-vous une privatisation de France 2 ?
Philippe Douste-Blazy : Non. J'ai déjà eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, y compris devant le Sénat au début du mois de décembre, celle-ci n'est pas à l'ordre du jour.
Les Echos : Pensez-vous qu'il y aura de la place pour trois bouquets numériques en France ?
Philippe Douste-Blazy : Nul ne peut le dire aujourd’hui. C'est aux consommateurs qu'il appartiendra de trancher. J'ajouterai que comparaison n’est pas raison. Aussi, certains observateurs tirent de l'existence à ce jour d'un seul bouquet en Allemagne, après le retrait de Bertelsmann, la conclusion qu'il n'y a pas de place pour plus d'un bouquet en France. Or, la situation du marché français est très différente de celle du marché allemand. En effet, en raison d'une présence limitée du câble, la très grande majorité de nos concitoyens n'ont aujourd'hui accès qu'aux chaînes hertziennes françaises, lesquelles sont au maximum au nombre de sept. On peut donc a contrario estimer qu'en raison de la faible densité du réseau câblé, le marché français de la diffusion numérique par satellite pourrait s'avérer important. Ce qui n'exclut pas pour autant que des rapprochements entre les bouquets existants puissent s'opérer dans l'avenir. En tout cas, à l'extérieur de nos frontières je crois qu'il est important que nos opérateurs nationaux puissent trouver ensemble des partenariats pour affronter la concurrence internationale et notamment américaine.
Les Echos : Est-ce le rôle de France Télévision de refinancer, via TPS, les studios d'Hollywood ?
Philippe Douste-Blazy : D'abord, j'observe que les chaînes diffusées par TPS, comme toutes les chaînes, devront respecter les quotas de diffusion, or ceux-ci ne prévoient pas 100 % mais 60 % de films français et européens. Dès lors il est normal que TPS, comme le fait Canalsatellite, passe des accords avec des studios américains pour assurer son approvisionnement. France Télévision n'ayant que 8,5 % de TPS, sa contribution financière à ses contrats est par ailleurs limitée.
Enfin, je voudrais souligner que TPS, comme Canalsatellite, sera aussi une nouvelle chance pour le cinéma français qui devrait trouver ainsi de nouvelles sources de financement. Le cinéma français se porte de mieux en mieux, comme le montre son succès en salles, et les chaines numériques peuvent conforter dans l'avenir ce nouvel élan.