Interviews de M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances, à France 2 le 7 août 1996 et à RTL le 8, sur le projet de budget pour 1997, la suppression de postes de fonctionnaires, les économies sur les aides à l'emploi, la baisse des impôts et sur le projet de privatisation de la SFP.

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Média : France 2 - RTL

Texte intégral

France 2 : Mercredi 7 août 1996

France 2 : On parle de la suppression de 7 000 postes de fonctionnaires, dont 2 500 à l'Education nationale. N'est-ce pas un peu cher payé ?

J. Arthuis : Me permettez-vous d'abord de constater que certains des chiffres que j'ai vus apparaître à l'écran sont des approximations. Ce qui a été décidé aujourd'hui, c'est que le budget 1997 – le montant total des dépenses en 1997 – ne progressera pas par rapport aux dépenses de 1996. C'est, je crois, une bonne nouvelle. C'est ce qui doit donner confiance aux Français, et aussi à tous ceux qui attendent un emploi, parce que depuis des années, on s'était mis à vivre à crédit : l'État doit emprunter pour payer une partie des frais de fonctionnement, les salaires, et certaines charges qui reviennent chaque année. Pouvait-on continuer ainsi ? Certainement pas. La seule conséquence c'était où d'augmenter les impôts, ou d'augmenter le déficit. Il fallait rompre avec cette fâcheuse habitude qui laissait penser que les dépenses de l'État devaient, chaque année, progresser. Pour la première fois – et c'est sans précédent – les dépenses 1997 ne progresseront pas par rapport à celles de l'année précédente.

France 2 : Il n'empêche qu'il y a tout de même des décisions douloureuses, comme des suppressions de postes de fonctionnaires, notamment à l'Education nationale.

J. Arthuis : Vous savez, ce sont des emplois qui vont être supprimés, c'est vrai, mais il n'y aura pas de licenciements : ce seront des départs en retraite qui ne donnent pas lieu à remplacement. Il y a, à peu près, 30 000 départs à la retraite. En effet, dans les emplois civils, il y aura entre 6 et 7 000 postes qui ne seront pas remplacés. C'est une progression considérable par rapport à 1996 ; puisqu'en 1996, on avait créé à peu près 6 000 postes.

France 2 : Y aura-t-il une baisse significative des impôts sur le revenu, en 1997 ?

J. Arthuis : Le Premier ministre a dit qu'en 1997, la baisse serait réelle, qu'elle serait significative, mais le montant de cette baisse n'est pas précisé, n'est pas arbitré. Nous verrons cela en septembre. Ce qui est clair, c'est que tous ceux qui payent de l'impôt payeront moins d'impôts en 1997 qu'en 1996.

France 2 : N'y a-t-il pas une contradiction entre la réduction des dépenses publiques et une croissance qui est en mauvaise position ? Ne va-t-on pas affaiblir un peu plus la croissance ?

J. Arthuis : S'il avait suffi d'augmenter les dépenses publiques pour faire plus de croissance et faire plus d'emplois, la France aurait eu plus de croissance et moins de chômage. On ne s'est pas rendu compte que cette progression inexorable, à des niveaux qui sont devenus insupportables – puisque c'est supérieur à la moitié du produit national, de la dépense publique –, a fini par étouffer l'économie, et donc, les possibilités de recréer des emplois. Ce qui est engagé aujourd'hui a pour objet, précisément, de redonner de la liberté aux Français, de donner des motifs à ceux qui veulent entreprendre ; à ceux qui veulent prendre des initiatives, investir, et créer des emplois. Tout ceci, c'est pour les Français et pour l'emploi.


RTL : Jeudi 8 août 1996

R. Arzt : Le Gouvernement a donc annoncé, hier, que les dépenses 97 de l'État n'augmenteraient pas par rapport à 96. L'expérience montre que les dépenses initialement prévues dans un budget sont en général dépassées en fin d'exercice. Êtes-vous sûr que l'engagement sera tenu ?

J. Arthuis : Puis-je vous rappeler, R. Arzt, qu'en 1995, nous avons tenu les engagements. En 1996, je compte bien qu'on les tienne et 1997 va constituer, oserais-je dire, une performance sans précédent. Jusqu'à maintenant, on vivait avec le sentiment que la progression des dépenses de l'État était un phénomène inexorable, que chaque année cela devait progresser. Ainsi, au fil des années, on ne s'était pas rendu compte qu'on faisait un accroissement insupportable de l'impôt, des prélèvements obligatoires, que la dépense publique finissait par étouffer l'économie marchande ; on générait du déficit ; on faisait des dettes publiques ; on vivait à crédit. Il fallait en sortir. Le pouvait-on ? Eh bien, pour une fois, on en fait la démonstration. Voilà bien une bonne nouvelle. C'est sans précédent !

R. Arzt : Avant d'entrer dans le détail des dépenses, que manque-t-il dans la présentation de ce budget pour entraîner l'adhésion des marchés financiers internationaux ?

J. Arthuis : Je crois qu'il y a – c'est souvent le cas au mois d'août – de la petite spéculation. On se nourrit de rumeurs, on part de l'idée que le Gouvernement ne tiendra pas ses engagements, manquera de détermination. Eh bien, A. Juppé, par ses arbitrages, a fait la démonstration de la capacité du gouvernement à tenir le cap.

R. Arzt : On ne connaît pas encore le détail complet de ces arbitrages ?

J. Arthuis : Il n'est pas d'usage qu'au début du mois d'août, on ait le détail. Les ministres ont reçu, hier matin, les mandats. C'est dans les semaines qui viennent que tout cela sera rendu public.

R. Arzt : L'un des objectifs de ce budget est de s'inscrire dans la perspective de la monnaie unique européenne. Pensez-vous que le message est également suffisamment fort ?

J. Arthuis : C'est d'abord une nécessité française que d'obtenir une réduction des dépenses publiques. Ce n'est pas parce qu'il y a l'échéance du 1er janvier 1999 que l'on doit réduire la dépense publique. On ne pouvait pas faire autrement ! Nous avons ouvert – et je crois que le gouvernement a innové – dès le printemps, un débat d'orientation budgétaire pour que les perspectives soient bien claires et que chacun comprenne qu'on ne peut faire autrement que de réduire la dépense publique. A-t-on conscience que l'État emprunte pour payer une partie des salaires des fonctionnaires, des charges sociales, des dépenses courantes ?

R. Arzt : J'ai bien compris, vous voulez que cela change. Mais par rapport à l'opinion, un budget dans lequel l'État fait des économies sur les aides à l'emploi peut sembler décalé par rapport à la lutte contre le chômage ?

J. Arthuis : Ce qui compte, c'est l'efficacité des aides, quelles qu'elles soient ! Ce qui pénalise l'emploi, qu'est-ce que c'est ? C'est l'excès de prélèvements obligatoires, d'impôts, de charges sociales et nous voulons sauver l'emploi et nous n'avons pas d'autre préoccupation que de sauver l'emploi, que de créer de l'emploi. Tout ce que nous faisons, ici, c'est pour les Français. Alors, bien sûr, hier, on a pensé que l'État pouvait tout faire : dépenser de l'argent, verser des aides, des allocations !

R. Arzt : Mais l'emploi, quand on voit les suppressions de postes de fonctionnaires, cela peut troubler ?

J. Arthuis : Il s'agit de ne pas remplacer quelques fonctionnaires qui partiront en retraite. Nous avons chaque année entre 50 000 et 60 000 fonctionnaires qui partent en retraite et l'on va supprimer entre 6 000 et 7 000 postes. Par conséquent, en 1997, l'État va continuer à recruter de nouveaux collaborateurs. Enfin, une entreprise quelle qu'elle soit, une institution quelle qu'elle soit, ne peut pas dépenser plus que ce qu'elle reçoit en ressources.

R. Arzt : Une pure logique de rigueur aurait voulu que les chiffres de suppressions de fonctionnaires soient plus élevés ?

J. Arthuis : Ce n'est pas si mal ! Parce qu'en 1996, on avait créé entre 6 000 et 7 000 emplois. On réduit de 6 000 à 7 000 le nombre des emplois en 1997. La variation d'un exercice à l'autre, c'est 12 000 à 13 000. Ce n'est pas si mal et c'est dans cette direction qu'il faut avancer, qu'il faut persévérer.

R. Arzt : Sur quelle hypothèse de croissance travaillez-vous pour l'année qui vient ?

J. Arthuis : J'ai dit que nous sommes entrés dans une tendance de + 0,5 % à + 3 %. J'aurai l'occasion, d'ici le début du mois de septembre, d'affiner ces prévisions. Je pense que nous serons, en effet, entre 2,5 et 2,8 %.

R. Arzt : Venons-en au volet recettes. On parle d'une baisse d'impôts de 20 milliards. C'est bien cela, c'est le chiffre ?

J. Arthuis : Je ne citerais pas de chiffres à ce stade. Nous sommes en train de préparer, à la demande du Premier ministre, un projet de réforme de l'impôt sur le revenu. Nous l'avons dit, dès 1997, il doit y avoir un signe visible, perceptible. Tous ceux qui paient sur le revenu devront payer moins d'impôts en 1997.

R. Arzt : Vingt milliards, cela vous semble un chiffre convenable ? Cela pourrait être plus ?

J. Arthuis : Même si vous me torturez, je ne vous donnerai pas de chiffres ce matin !

R. Arzt : Ce n'est pas l'envie qui manque !

J. Arthuis : Ce n'est pas gracieux ! Cela ne vous ressemble pas ! Mais il faut être conscient que ce chiffre doit être suffisamment significatif. Ce chiffre est le premier pas, la première marche d'un processus qui va s'étaler sur cinq ans.

R. Arzt : Et cette baisse n'aurait pas été possible s'il n'y avait pas eu les augmentations d'impôts en 1996 ?

J. Arthuis : Il fallait aussi remettre de l'ordre dans la maison ! Lorsque nous sommes arrivés, il y avait un certain nombre de déséquilibres, il fallait bien y porter remède. C'était une nécessité, donc la première année, on tend à l'équilibre par un supplément d'impôts. La deuxième année, on tient la dépense. La troisième année, on amorce le reflux de l'impôt. C'est ainsi que l'on va retrouver des marges de manœuvre, que sans doute on va retrouver la confiance, que l'on va investir et créer des emplois.

R. Arzt : La moitié des ménages ne sont pas assujettis à l'impôt sur le revenu, alors pour ces ménages, est-ce qu'un geste fiscal spécifique sera fait ? Plus précisément, est-ce qu'il y aura, pour eux, diminution de la redevance audiovisuelle ?

J. Arthuis : Lorsque les impôts augmentent, seuls ceux qui paient des impôts paient un supplément d'impôt. Alors, la nécessité aujourd'hui est de faire en sorte que lorsque on peut, enfin, faire baisser les impôts, ceux qui paient des impôts en paieront un peu moins.

R. Arzt : Et les autres, sur la redevance audiovisuelle ?

J. Arthuis : Comment voulez-vous que ceux qui ne paient pas d'impôts en paient moins ! Pour la redevance, je me satisferais d'abord qu'elle n'augmente pas.

R. Arzt : La privatisation du CIC est lancée. Comment l'acheteur sera-t-il choisi puisqu'il y aura un acheteur unique ?

J. Arthuis : En fonction d'un certain nombre de critères, en tenant compte notamment du maintien de ce réseau de banques régionales qui sont à l'écoute, en partenariat avec les PME, celles mêmes qui régénèrent le tissu économique et qui portent l'espoir de la création d'emplois.

R. Arzt : Il y a des remous dans une autre entreprise à privatiser, la SFP. Où en est-on ?

J. Arthuis : La SFP, depuis 1985, connaît une succession de plans de restructuration, de redressement. Depuis 1991, la SFP aura perdu 2,4 milliards ! C'est le contribuable français qui prend en charge cette accumulation de déficits. Il n'y a pas d'alternative à la privatisation. L'alternative, ce serait ou bien la privatisation ou bien la liquidation. Nous avons lancé la privatisation. Aujourd'hui, un seul repreneur s'est fait connaître, W. Butler. Le président de la SFP, J. Bayle, rencontre en cette fin de matinée les syndicats pour faire le point sur la situation. Le gouvernement n'a pas pris de décision. Il y aura d'abord une observation faite par la commission de Bruxelles parce que la SFP vit de subventions publiques. Il y aura ensuite l'avis de la commission de privatisation. C'est à ce moment que le gouvernement prendra sa décision.