Texte intégral
Les conditions dans lesquelles M. Duisenberg a été nommé Président de la Banque centrale européenne provoque des commentaires acerbes : « compromis pourri » dit la presse allemande, le Herald Tribune exprime des doutes sur les capacités de M. Duisenberg à résister aux pressions politiques. Est-ce que la France ne redoute pas un retour de bâton et d’avoir devant elle un président beaucoup plus rigoureux encore qu’il ne l’aurait été en temps normal ?
– « Un banquier central est toujours rigoureux. Mais vous savez, on fait beaucoup d’histoires autour de cette nomination. Qu’une nomination aussi importante prenne une douzaine d’heures, cela ne me parait pas anormal. Vous vous rappelez les marathons agricoles où sur le prix du lait, de la viande, cela dure 24 heures parfois. Donc, pour une affaire aussi importante, que les chefs d’État et de gouvernement, qui ne se rencontrent quand même pas si souvent, aient besoin d’une douzaine d’heures pour discuter, cela ne me semble pas extraordinaire. »
Il ne fera pas payer l’humiliation d’avoir dû – certains parlent même de procès de Moscou – dire : « mais je ne serai plus en âge ».
– « Personne ne l’a obligé à rien. Il a considéré que, compte tenu du blocage, c’était pour lui un moyen de dire que les choses se simplifiaient. Il l’a fait volontairement. Et je pense que c’est une bonne solution. Le résultat, c’est que nous avons maintenant assuré la stabilité non pas pour 8 ans, mais pour 12 ans : quatre ans de M. Duisenberg, plus huit ans de M. Trichet. Je pense que la crédibilité de la Banque centrale en sort renforcée. »
M. Tietmeyer, qui est le Président de la Bundesbank, s’était déjà montré très sévère avant ce sommet. Il a été sévère pendant le sommet, et il avait dit qu’il tiendrait compte de la situation, dans l’ensemble de la zone de l’euro pour fixer des taux d’intérêt. Certains redoutent une hausse des taux d’intérêt dans les jours à venir.
– « Cela est normal que ce soit l’ensemble de la zone qui maintenant serve de référence. Cela est fait pour cela. Nous allons avoir une monnaie pour l’ensemble des pays européens, cela va servir la croissance on le voit très bien, puisqu’elle est déjà là cette croissance. Mais évidemment il va falloir tenir compte de la situation de tous les pays pour fixer les taux d’intérêt, bien sûr. »
Donc une hausse ?
– « Les prévisions en matière de taux sont des choses compliquées. À mesure que la croissance repart et que la machine commence doucement à s’emballer – on n’en est pas encore là en France, mais d’autres pays ont un peu plus en avance – eh bien, il faut commencer à s’occuper des taux. Je ne pense pas que ce moment soit encore venu, non ? »
Pas d’inquiétude là-dessus ?
– « Non. »
- Un « non » comme cela.
– « Non, je ne veux pas avoir l’air de fuir votre question. Je vous le dis la croissance repart, elle repart fort dans certains pays d’Europe où elle est déjà partie avant nous. Il y a un moment où il va falloir effectivement, commencer à utiliser les taux. Je crois, que ce n’est pas encore le moment, c’est tout. »
Le conseil de l’euro se réunira pour la première fois le 4 juin prochain. Vous n’allez pas vous sentir un peu seul, parce que la France réduit ses déficits moins vite que les autres pays de l’euro, et elle augmente même ses dépenses plus rapidement que l’inflation ?
– « Je ne vais pas me sentir seul, parce que c’est nous qui avons voulu ce Conseil de l’euro, et, que nous l’avons obtenu. On sera onze. Le « onze d’Europe », ce n’est quand même pas rien, et c’est surtout cela qui va marquer cette réunion. C’est la première fois que l’on va se réunir pour travailler ensemble une politique économique. On réduit les déficits moins vite ! Non, on les réduit aussi vite que les autres. Simplement, on est parti de plus haut. Comme on est parti de plus haut, on est encore un tout petit peu en queue de peloton, parce qu’effectivement on avait plus à réduire. Mais on les réduit aussi vite que les autres. »
Moins vite que les Italiens quand même !
– « Moins vite que les Italiens, plus vite que d’autres. Les Italiens ont dû faire un effort terrible. Eux c’était encore pire, ils ont dû faire un effort formidable. Mais on les réduit à la moyenne des autres, comme les autres. Quant aux dépenses, nos dépenses publiques, l’année prochaine, augmenteront effectivement de 1 % – ce sont nos priorités à mettre en oeuvre, c’est vrai de la réduction du temps de travail, des emplois-jeunes – mais elles augmenteront moins vite que la croissance. Et donc l’année prochaine encore, la part de la dépense publique dans l’ensemble de la richesse nationale va baisser. C’est cela qui compte. Donc, arrêtons de faire des mauvais procès. Nous avons une bonne politique budgétaire : elle assure la croissance et on retourne à la stabilité de la dépense publique. Moi, j’ai annoncé, il y a six mois maintenant, qu’en l’an 2000, en France, la dette publique commencera à baisser. Eh bien, en l’an 2000, la dette publique commencera à baisser. »
Et ce sera moins de 2 % de déficit ?
– « On sera sans doute, à ce moment-là, à moins de 2 % de déficit. »
Alors comment ferez-vous ? Parce qu’il y a un problème par rapport à la fiscalité. On se dit : bon maintenant qu’il n’y a plus de risque au taux de change, puisqu’il existe l’euro, naturellement les capitaux, ou bien les sociétés, auront tendance à aller s’installer là où les impôts seront les moins élevés ?
– « Non, parce qu’il n’y a pas que les impôts qui comptent. L’autre jour, j’inaugurais une grande usine d’IBM au sud de Paris, un milliard de dollars d’investissements – vous vous rendez compte, cela fait de l’argent – et que je leur demandais : pourquoi vous êtes venus en France ? Ils hésitaient entre la France, la Pologne et l’Angleterre dans leur dernier, choix. Ils m’ont dit : « bon évidemment, en France, les charges sociales sont un peu plus élevées et puis les impôts, tout cela, vous n’êtes pas les mieux placés de ce point de vue-là. Mais d’un autre côté, les gens sont mieux formés, les infrastructures sont meilleures notamment les infrastructures de télécommunications. Pour nous, c’est cela qui compte, et finalement on a choisi de venir ici ». L’autre jour, je représentais la France à Washington au G7, et je rencontrais le président mondial de Colgate-Palmolive, il m’a dit : « notre siège européen, on a décidé de le mettre à Paris ». Pour les mêmes raisons : parce que l’ensemble de ce que nous appelons les services publics, c’est-à-dire ce qui est donné en échange des impôts, est plus élevé. Alors, c’est vrai qu’on a tendance à trouver qu’on paye trop d’impôt, mais en échange on a plus. Et finalement, les entreprises font le bon choix en venant à Paris. »
Est-ce que, tout de même, vous ne risquez pas de vous trouver, confronté à une réalité quand le président de la République, dit : « l’euro va imposer aux dirigeants une gestion sérieuse », et dans son discours, « gestion sérieuse » cela veut dire moins d’impôts, moins de bureaucratie, moins de dépenses publiques, c’est-à-dire ce que font les autres Européens ?
– « Je ne sais pas si, dans l’esprit du président de la République, une gestion sérieuse cela veut dire moins d’impôts. »
C’est la conférence de presse de l’autre jour.
– « Je considère que la gestion qu’il a conduite depuis le début de son septennat était sérieuse, et les impôts n’ont pas baissé. Néanmoins, ce qui est sûr, c’est que nous devons avoir une gestion coordonnée avec nos voisins. L’euro va l’imposer, et c’est une bonne chose. Parce que la coordination des politiques économiques est un facteur de croissance et d’emploi. Vous savez : si nous avons, aujourd’hui, en Europe la croissance la plus forte au monde, plus forte que l’Amérique du Nord et plus forte que l’Asie en raison de la crise qu’il y a en Asie, si nous avons aujourd’hui la stabilité des monnaies, si en France nous sommes parmi les pays qui ont la plus forte croissance en Europe, en 1998, probablement en 1999, ce n’est pas par hasard. L’euro y est pour beaucoup. Notamment parce que, grâce à la stabilité monétaire, nous avons les taux d’intérêt les plus faibles.
La coopération est déjà là : les fruits de la création de l’euro – même si, formellement, il n’existera qu’au 1er janvier 1999 – les fruits, nous commençons déjà à les recueillir. Ce qui s’est passé ce week-end est un pas formidable – un peu de façon symbolique, parce que la mise en oeuvre de l’euro a déjà commencé. Là, ce week-end, il y a une décision formelle qui fait qu’à partir du 1er janvier 1999, les Français auront l’Europe en poche sous la forme de l’euro. »
Tout de même, sur la fiscalité, L. Jospin y est revenu l’autre jour. Vous-même, vous en parlez un peu plus qu’auparavant ; au sein du Parti socialiste, L. Fabius et d’autres demandent une baisse de la fiscalité. Va-t-on l’avoir ?
– « Il faut qu’il y ait cela parce que, dans la mesure où la croissance est là, elle doit permettre de revenir sur des hausses d’impôts qui ont eu lieu dans le passé. Cela peut être la TVA, cela peut être d’autre manière. Les choix ne sont pas encore faits et puis, il faut faire cela progressivement. On retrouve la croissance, je vous l’ai dit tout à l’heure, mais pour le moment, cela ne fait que quelques mois qu’elle est là. Il faut donc qu’elle commence à produire pour que, vraiment, on ait des moyens. Mais je pense qu’en effet, ce qu’a dit le Premier ministre, à savoir qu’il fallait que nous envisagions dans le pays, petit à petit, que l’on soit capable de revenir sur des hausses d’impôts passées est juste. »
Dans les semaines qui viennent ?
– « Pas dans les semaines qui viennent. Je viens de vous dire, la croissance est de retour depuis quelques mois. Elle commence seulement à donner ses fruits. Pour pouvoir baisser les impôts, vous savez, il n’y pas de miracle. Cela veut dire quoi baisser les impôts ? Cela veut dire tenir bien les dépenses, mais cela veut dire aussi avoir plus de recettes. Or les recettes de la croissance de 1998, on les touchera en 1998 et en 1999. Votre impôt sur le revenu sur cette année, vous ne le paierez que l’année prochaine. Donc, c’est surtout l’année prochaine que l’on commencera à avoir les fruits de la croissance de cette année. Pour le moment, soyons déjà contents, l’ensemble des prélèvements obligatoires, c’est-à-dire la somme des impôts, des cotisations sociales, etc., rapportées à la richesse nationale, cela va baisser en 1998 par rapport à 1997. »
Vous avez passé beaucoup de temps à Bruxelles avec M. Van Miert, qui est le Commissaire chargé de la concurrence. Cela va mieux sur le Crédit lyonnais, un accord est en vue ?
– « On se rapproche. Je crois que l’on se rapproche. Il y a une volonté des deux côtés d’arriver à une solution. On a fait des pas importants. »
Vous pourriez céder avantage d’actifs du Crédit lyonnais, et lui abandonnerait la vente de gré à gré ?
– « Il faut arriver à une solution qui respecte les règles de la concurrence, c’est normal, et qui permette d’assurer la viabilité du Crédit lyonnais. Je crois que l’on est en bonne voie.
C’est-à-dire dans les jours qui viennent, cette fois-ci ?
– « Oui, cela ne peut pas traîner trop longtemps. Il faut qu’on arrive au bout, oui. »
Quand il dit qu’après tout, vous devriez vendre à un banquier étranger parce que celui-ci, pour mettre la main sur le réseau du Crédit lyonnais, dédommagerait davantage les contribuables français et mettrait plus d’argent ?
– « Cela, c’est, la politique de l’État en matière patrimoniale. On verra comment les choses se font. Ce qui est sûr, c’est que je dois garantir les intérêts patrimoniaux de l’État, et donc des contribuables français, et je le fais. Je dois assurer la viabilité du Crédit lyonnais et je le fais avec les dirigeants du Crédit lyonnais. Le Commissaire à la concurrence, lui, doit faire respecter les règles de la concurrence. Il faut que l’on arrive à tenir tout cela dans le même accord et je pense qu’on est en bonne voie. »