Texte intégral
Force ouvrière Hebdo : Mercredi 28 août 1996
Tous à la Bastille le 21 septembre
Les congés payés se terminent, ils auront été beaucoup plus brefs et moins dispendieux qu'ils l'eussent souhaité et encore considère-t-on comme chanceux ceux qui ont pu se reposer ; pour certains le départ était cette année inaccessible. Inquiets pour l'avenir nous avons tous suivi peu ou prou l'évolution économique et sociale de l'été.
La situation s'améliore, tout va dans le bon sens, il faut donc maintenir le cap : tel est le message véhiculé par le gouvernement, autant d'ailleurs pour se rassurer que pour essayer de rassurer le pays.
La réalité est tout autre. Non seulement dans la vie de tous les jours les salariés ne perçoivent pas d'éclaircie mais ils constatent une dégradation de leur situation.
De fait, les différents indicateurs économiques et sociaux sont mauvais.
Le chômage augmente fortement. L'année 1996 se soldera malheureusement avec une augmentation de 150 000 du nombre de chômeurs. Du 1er juin au 15 juillet, ce sont plus de 120 000 suppressions de postes qui ont été annoncées. Dans la fonction publique, le gouvernement a choisi de diminuer les effectifs de 6 000 à 7 000 personnes, ce qui représente autant de débouchés en moins pour les jeunes.
L'indice des prix est négatif, il confirme ainsi le passage de la désinflation à la déflation, notamment pour les prix industriels. Le pouvoir d'achat continue à diminuer.
Tout cela contribue à ralentir fortement l'activité économique. La croissance sera faible cette année, même le pronostic gouvernemental (+ 1,3 %) paraît optimiste à beaucoup et, d'ores et déjà, les perspectives 1997 apparaissent comme surévaluées (les 2,5 % prévus par le gouvernement pour le budget de l'Etat semblent hors de portée). La consommation continuer à se tasser, en témoignent les résultats moyens du tourisme cet été.
Quant à la Sécurité sociale, son « déficit » atteindra 60 milliards (en aggravation) ce qui conduira les pouvoirs publics et leurs messagers à diminuer le niveau des prestations.
La voiture française a le moteur bridé (les capacités de production tournent à 83 %), le réservoir presque à sec, les passagers doivent descendre pour qu'elle puisse continuer à avancer lentement.
Soucieux de continuer à plaire aux intervenants sur les marchés financiers, faisant semblant – mais point trop n'en faut – de regretter la politique monétaire de la Banque de France, les pouvoirs publics essaient de surfer sur le mécontentement en exploitant les résultats des sportifs aux jeux Olympiques et en médiatisant la visite prochaine du pape en France.
Corrélativement, pour des soucis électoraux, ils affichent une position de fermeté vis-à-vis de la question de l'immigration. En quelque sorte, ils tentent d'occuper le terrain sur des dossiers apparemment éloignés de la situation économique et sociale, pour mieux persévérer dans leur politique économique récessionniste.
Même un dossier important comme celui de l'amiante – qui a pour une part été médiatisé par le président de la République – a du mal à déboucher sur des actions pourtant indispensables pour la santé publique et l'activité économique. Durant l'été, Force ouvrière s'est d'ailleurs officiellement adressée au Premier ministre et aux ministres, concernés pour faire des propositions susceptibles de traiter correctement et le plus rapidement possible le problème.
Englué dans ses engagements à réduire coûte que coûte les déficits, le gouvernement a tendance à pratiquer de manière autoritaire la méthode Coué. Il se considère comme le seul à avoir raison, y compris contre la réalité.
Dans ces conditions, il appartient aux salariés actifs, chômeurs et retraités de se faire entendre et de montrer leur détermination à être respectés.
C'est tout le sens de notre rassemblement public le samedi 21 septembre à la Bastille. Les militants et adhérents de Force ouvrière doivent se mobiliser activement pour que ce 21 septembre devienne une date de référence.
Pour l'arrêt des licenciements, tous à la Bastille le 21 septembre 1996.
RTL : Jeudi 29 août 1996
R. Arzt : Il a tellement été répété cet été que la rentrée sociale serait agitée qu'aussi bien le Gouvernement que les syndicats semblent dans l'attente de conflit. Sont-ils inévitables, ces conflits ?
M. Blondel : Est-ce que les conflits sont arrêtés ? J'ai l'impression que pendant la période d'été, il y a eu quand même quelques manifestations qui laissaient entendre qu'il y avait de l'insatisfaction. Je n'aime pas dire si la reprise sera chaude mais je veux simplement faire une petite comparaison avec l'année dernière. Pratiquement mêmes données économiques : on a un ministre des Finances qui annonce des orientations budgétaires restrictives et notamment sur les effectifs mais aussi sur le désengagement de l'Etat. Cela veut donc dire qu'en définitive, c'est assez comparable à 1995 avec une différence notoire : c'est qu'en 1995 au moment de la contre-réforme Juppé – parce que je persiste à l'appeler contre-réforme –, cette dernière a été un révélateur et l'insatisfaction s'est exprimée d'abord à travers la Sécurité sociale et ensuite le reste.
R. Arzt : Vous attendez un révélateur cette fois-ci de la part du Gouvernement ?
M. Blondel : Je n'en sais rien. On ne peut pas dire que le Gouvernement soit très adroit alors on ne sait jamais. Ce n'est pas cela le problème. La différence aussi est que les commerçants sont mécontents parce que leur chiffre d'affaires a baissé, les agriculteurs sont mécontents pour la « vache folle », pour les fruits et puis aussi certains hommes politiques sont mécontents, y compris de la majorité. En particulier, lorsqu'il s'agit de maires, de députés dans des lieux où il va y avoir, du fait de la réforme de l'armée, des conséquences sur l'emploi, etc.
R. Arzt : Vous pensez que c'est la même situation en aggravée ?
M. Blondel : A mon avis, oui. Il y a des éléments complémentaires qui, en quelque sorte, pourraient arrêter le mouvement Et cela me pose des problèmes parce que je suis un syndicaliste et que je voudrais que nous restions sur le terrain syndical. Et ce que je viens d'énoncer peut conduire à plus de poujadisme que d'action syndicale et le cas échéant même à une politisation. C'est la raison pour laquelle, même si je connais bien la revendication des gens, si je sens bien le monde du travail, je serai très prudent en ce qui concerne l'action directe.
R. Arzt : Précisément quel est l'objectif de ce rassemblement organisé par FO le 21 septembre ?
M. Blondel : Nous avons décidé au mois de juillet un rassemblement pour le 21 septembre et je vais vous en expliquer les raisons. Cela rejoint d'ailleurs vos chroniques. Nous disons qu'il y a 100 000 postes de travail qui vont disparaître dans le second semestre 1996. Nous n'inventons rien.
R. Arzt : Et le rassemblement du 21 a pour but de le dénoncer ?
M. Blondel : C'est-à-dire de lutter contre, de dire : voilà, nous avons 100 000 postes qui vont disparaître, ce sont nos camarades membres de comités d'entreprise qui nous ont fait savoir que les comités d'entreprise étaient consultés pour le départ de 100 000 personnes, cela fait grosso modo comme effet à l'année 150 000 salariés au chômage en plus. Alors, le 21 septembre, nous mobilisons en disant que nous sommes contre les licenciements mais cela sous-entend aussi que nous sommes pour l'augmentation des salaires, le soutien de la demande, etc. Cela veut donc dire que l'on va mobiliser pour prendre le pouls, pour voir l'état d'esprit des militants Force ouvrière, des adhérents Force ouvrière et des sympathisants Force ouvrière.
R. Arzt : Selon la CGT, ce rassemblement manque de propositions unitaires précises. Alors ?
M. Blondel : Pour définir l'unité d'action avec la CGT, il faut surtout que l'on soit d'accord avec elle. Alors laissez-moi vivre ma vie de militant syndicaliste Force ouvrière.
R. Arzt : En tout cas allez-vous rencontrer ensuite les dirigeants de la CGT, de la CFDT ?
M. Blondel : Cela ne se passe jamais comme cela. Je ne rencontre pas Viannet mais je rencontre quelqu'un qui rencontre quelqu'un. Voilà.
R. Arzt : Est-ce que vous prenez en compte l'attitude du chef de l'Etat et du Premier ministre qui est de dire actuellement qu'il n'y aura pas de changement de cap mais annoncent d'un optimisme volontaire le passage à la vitesse supérieure en matière d'emploi ?
M. Blondel : Il y a deux choses. Pas de changement de cap, cela veut dire le maintien d'une économie restrictive mais cela je le dénonce depuis toujours et même avant A. Juppé. Je considère, en fait, que c'est une erreur et je ne vois pas comment on peut taper dans le dur du chômage si on fait une économie restrictive. Alors après, l'euphorie ? Chacun ses méthodes pour la trouver, il y en a qui fument des joints, etc. A Force ouvrière, nous, on n'encourage pas la drogue alors c'est clair !
R. Arzt : Vous fumez des cigarillos, c'est cela ?
M. Blondel : Non, je fume des gros cigares. Ceci étant, c'est clair, on se veut réaliste. Alors il ne suffit pas d'être sur un petit nuage. Regardons les choses. Je vais vous faire une confidence, j'avais écrit à Monsieur le Premier ministre. Je lui ai suggéré d'essayer de transformer la calamité de l'amiante et d'en faire un élément de développement. Vous savez un peu comme les judokas, quand on se fait prendre on utilise la force de l'adversaire pour se redresser.
R. Arzt : Alors, il vous a répondu ?
M. Blondel : Non, par contre le ministre de l'Industrie, lui, s'en inquiète. Et j'ai été allé voir le ministre de l'Industrie, le ministre de l'Education nationale, Monsieur Arthuis ; j'avais demandé à J. Arthuis si la solution n'était pas de faire un emprunt et qu'en définitive, on aurait donné de l'emploi car on y passera à l'amiante, on est obligé d'y passer ! Il parait qu'il y a 2 000 établissements scolaires qui contiennent de l'amiante. Comme elle s'effrite à un moment donné, il faudra y passer. Est-ce que l'on ne peut pas utiliser la chose comme on le fait aux Etats-Unis, à savoir faire un programme sur cinq et dix ans et essayer de créer de l'emploi ?
R. Arzt : Reconnaissez-vous quand même que ce gouvernement soit un gouvernement réformateur ?
M. Blondel : Qu'est-ce que cela veut dire réformateur ? Lorsque je parle de Monsieur Juppé et de la réforme de la Sécurité sociale, je dis que c'est une contre-réforme. Moi, je suis réformateur c'est-à-dire que je veux modifier les choses pour qu'on les améliore. A partir du moment, où on ne les améliore pas ce n'est pas une réforme !
R. Arzt : Justement la Sécurité sociale ; le trou tournerait autour de 50 à 55 milliards selon J.-M. Spaeth, nouveau président de la CNAM, qu'en pensez-vous ? Est-ce que cela pose la question d'une augmentation des cotisations ?
M. Blondel : Je crois que Monsieur Spaeth en remet un petit peu. Mais c'est déjà gravissime car je crois qu'il y aura, pour moi, 35 milliards de déficit en matière d'assurance maladie. Seulement sur les 35 milliards, il faut bien savoir qu'il n'y aura que 5 milliards qui correspondront, effectivement, à des dépenses supplémentaires de consommation. Mais il y a 30 milliards qui correspondent au fonctionnement actuel et normal. Alors je crois que Spaeth en remet un peu pour pouvoir dire qu'il a évité que ce soit aussi important. C'est une tactique quand on est président pour essayer de s'en sortir.
R. Arzt : Ceci pose la question d'une augmentation des cotisations ?
M. Blondel : Je ne sais pas. J'avais entendu Madame Notat dire que le cas échéant, les gens auraient compris si on augmentait les cotisations si on justifiait de l'utilisation de ces augmentations. Et puis maintenant, Spaeth dit le contraire. Mais ce que je sais, en fait, c'est qu'il faut savoir combien on affecte à la santé dans la répartition des richesses. Et Je crois qu'il faut le faire de telle manière que ce soit solidaire et égalitaire. Et croyez-moi, ce n'est pas de la langue de bois car c'est un objectif très précis. Et nous ferons entendre notre position là-dessus toutes les fois que cela sera nécessaire.