Texte intégral
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames les présidentes et secrétaires générales,
Mesdames et Messieurs,
Je suis particulièrement heureuse de vous accueillir à Paris et je vous remercie d'avoir répondu aussi nombreux à l'invitation que Monsieur le ministre de la coopération et moi-même vous avons adressée.
Ce premier sommet franco-africain sur la condition féminine est la démonstration de l'importance que nos gouvernements attachent à ce qu'ensemble nous déterminions les actions à mener en vue de permettre aux femmes de jouer pleinement leur rôle dans nos sociétés.
Nous sommes donc réunis pour définir les orientations d'une politique de coopération qui intègre dans toutes ses composantes – technique, culturelle et sociale – l'apport essentiel des femmes au développement.
Nous ne pouvons y parvenir que grâce à un échange d'expériences et d'informations : c'est ainsi seulement que nous pouvons progresser.
Pour ma part je souhaiterais, au-delà d'une rapide photographie de la situation des femmes en France, vous faire part des ambitions de mon action et des obstacles qu'elle rencontre malgré l'enrichissement que, j'en suis persuadée, la société tout entière en retire. Je proposerai ainsi quelques thèmes à notre réflexion.
Mais permettez-moi auparavant d'exprimer un souhait : que ces trois journées soient avant tout l'occasion de connaître les priorités qui sont les vôtres, les obstacles majeurs que vous rencontrez et les moyens que la France peut mettre à votre disposition pour les surmonter.
I. – Depuis sept ans, le gouvernement français a fait de l'action en faveur des femmes une donnée permanente de sa politique.
Cette politique vise trois objectifs essentiels :
– assurer l'égalité entre les hommes et les femmes ;
– permettre la conciliation de la vie familiale et professionnelle des femmes ;
– accroître les libertés et les responsabilités des femmes dans la vie politique et sociale ainsi que dans leur vie privée.
1. L'égalité entre les hommes et les femmes doit s'exprimer à travers les institutions et les mécanismes fondamentaux de la société : notre Constitution affirme le principe de l'égalité et la loi civile a dû évoluer afin de consacrer la nouvelle condition de la femme au sein de l'institution familiale : elle a reconnu à la femme le droit d'exercer une profession sans le consentement de son mari ; elle a consacré la place que la femme occupe dans l'éducation des enfants en substituant à la puissance paternelle l'autorité parentale ; elle a prescrit le choix par les deux époux du domicile conjugal. La loi civile conférera bientôt une égalité complète de droits dans la reconnaissance de l'égalité entre les époux fait l'objet d'un projet de loi déposé par le gouvernement dont j'espère l'adoption prochaine par le Parlement.
Mais la place de la femme ne se limite pas à son rôle d'épouse. De façon irréversible elle est entrée dans la vie professionnelle, et la législation du travail a dû être adaptée à ce phénomène, nouveau par son ampleur. Il a fallu affirmer et organiser dans les faits l'égalité de la femme en matière d'éducation et de formation professionnelle, en matière d'accès aux emplois et de droit à la promotion. Ceci fait l'objet d'un projet de loi du gouvernement qui sera très prochainement débattu au Parlement. L'égalité de rémunération des hommes et des femmes doit être également assurée sur la base du principe essentiel « à travail égal salaire égal » ; mais il faut également tenir compte de la spécificité de la condition féminine en intégrant, dans le droit du travail une véritable protection de la maternité.
Assurer l'égalité c'est aussi donner à certaines catégories de femmes un statut qui reconnaisse le travail qu'elles accomplissent. Je pense tout particulièrement au statut conféré aux femmes d'agriculteurs, de commerçants et d'artisans qui participent à l'exploitation ou à l'entreprise. Mais je pense aussi au statut social qui doit être reconnu à la mère de famille afin d'offrir aux femmes une possibilité réelle de se consacrer à l'éducation de leurs enfants, sans en être pénalisées par la suite.
2. J'en arrive ainsi au deuxième objectif fondamental qui est de permettre :
– La conciliation entre vie professionnelle et vie familiale : aucun pays n'a encore à ma connaissance parfaitement résolu ce problème. C'est un problème difficile mais essentiel car il n'est pas possible d'imaginer une évolution de la condition des femmes qui ne tiendrait pas compte de leurs responsabilités de mères. Il me semble que ce problème se pose avant tout en termes d'organisation du temps : on parle souvent de la « double journée de travail » des mères de familles et je pense en effet que la condition des femmes ne peut évoluer sans que la société accepte de nouveaux partages du temps : partage entre les époux du temps consacré à la vie quotidienne du foyer et à l'éducation des enfants, mais aussi adaptation des rythmes de travail – je pense notamment à la possibilité du travail à temps partiel – et acceptation de ce que j'appelle l'alternance, c'est-à-dire la possibilité pour les femmes – et les hommes qui le souhaitent – d'interrompre quelque temps leur activité pour se consacrer à leur foyer puis de reprendre au plus tard leur emploi.
Je pense aussi au développement des modes de garde et des services de voisinage : s'il est un domaine d'action essentiel pour le progrès de la condition des femmes, c'est bien celui de l'innovation sociale fondée sur le voisinage. Beaucoup de femmes ont entrepris d'agir dans leur quartier ou leur village pour améliorer leur vie quotidienne et celle des autres, en mettant en place des services de voisinage, en organisant mieux le cadre de vie.
Soyons, en tout cas, persuadés d'une chose : l'aspiration très forte des femmes à un projet personnel complet ne se développera pas au détriment de leur projet familial – ceci est naturel, ceci est légitime, mais ceci exige, à l'évidence, une mutation de notre vie sociale au bénéfice, j'en suis persuadée, d'une meilleure qualité de la vie de tous.
3. Est également naturel et légitime le désir des femmes de participer davantage à la vie politique et sociale : sous-représentées dans les institutions politiques, les femmes n'ont pas pu exprimer leurs nouveaux choix et les faire valoir à tous les niveaux de décision. Un tel déséquilibre choque, il contrevient aux principes d'égalité mais surtout il va certainement à l'encontre de l'intérêt général, c'est pourquoi le gouvernement français a voulu permettre aux femmes d'accéder plus largement aux instances de décision et ainsi de participer pleinement à la vie du pays. Je ferai ici référence au projet de loi déposé par le gouvernement instituant la mixité dans les conseils municipaux, mais également à toutes les actions menées afin de favoriser la promotion des femmes aux postes de responsabilité et de décision dans tous les secteurs de la vie économique et sociale. Je pense aussi à l'encouragement de la vie associative. Le rôle des associations n'est pas toujours apprécié à sa juste valeur. Je veux souligner leur nouveau rôle majeur dans l'innovation sociale qui stimule l'action des pouvoirs publics et de toutes les instances de décision et rend possible l'évolution en profondeur des modes de vie.
Je terminerai ce rapide tableau en évoquant la liberté offerte aux femmes de choisir le moment où elles souhaitent mettre au monde des enfants. La maîtrise possible de la fécondité n'est pas à mes yeux un défi lancé aux lois de la vie mais la conquête d'une responsabilité nouvelle.
II. – De ces libertés et de ces responsabilités nouvelles naissent des mutations sociales profondes que les pouvoirs publics doivent savoir organiser ou accompagner afin de garantir l'équilibre social.
Je ne serais pas honnête – et vous ne me croiriez pas – si je niais les difficultés et les obstacles que je rencontre, les profondes résistances qui continuent de se manifester. Ces résistances tiennent à de multiples raisons : c'est la légitime inquiétude face au changement qui remet en cause des rôles jusqu'alors considérés comme immuables. C'est la crainte de voir les femmes occuper des postes pour lesquels les hommes sont déjà en concurrence entre eux. C'est surtout la difficulté pour nombre d'entre eux de comprendre ce que cherchent et ce que veulent aujourd'hui les jeunes femmes : les nouvelles aspirations des femmes ne sont pas toujours comprises, et rarement acceptées comme allant de soi.
Or, l'effacement des rôles traditionnels, qui remet en cause les équilibres anciens, qui exige de repenser notre vie économique, et parfois notre vie familiale, doit s'accomplir dans le respect des valeurs essentielles qui président à notre vie sociale.
L'évolution des moeurs fait en effet coexister des comportements qui paraissent si différents qu'il devient à la fois plus difficile et également plus nécessaire de les rassembler dans un ordre juridique commun.
Lorsque à l'autorité se substitue de plus en plus souvent le dialogue, à la répartition rigide et arbitraire des rôles substitue le partage, l'action des pouvoirs publics doit contribuer à donner à chacun les moyens de comprendre et d'assumer les nouvelles responsabilités qui lui échoient. Ceci suppose bien évidemment de nouveaux modes éducatifs où filles et garçons apprennent ensemble qu'ils exerceront, ensemble, leurs responsabilités d'adultes.
Quant aux adultes justement, il faut les aider à comprendre que nier l'évolution, s'accrocher au passé serait vain et contraire au progrès. Il faut parler clair pour mettre en lumière certaines conséquences des comportements nouveaux et éclairer la démarche collective.
Vous le savez mieux que quiconque, vous qui menez vos pays sur la voie d'un développement qui va bien au-delà des problèmes posés par la seule évolution de la condition des femmes :
– assumer ces mutations nombreuses et soudaines est difficile et rend nécessaire une éducation à la responsabilité associant tous les responsables et tous les relais de la société.
J'ai voulu rappeler devant vous quelques grandes questions qui se posent à nous. Bien sûr ces solutions ne sont pas simples et chaque pays se doit d'adapter les réponses à son contexte propre.
Vos pays changent vite et beaucoup. Ils ont compris combien les rôles de la femme et de la famille sont liés aux plus profondes préoccupations de toute société. Mieux connaître l'expérience de chacun de nos pays peut nous aider à réaliser ses mutations dans l'harmonie.
Je pense que les grandes orientations de l'action en faveur des femmes que j'ai exposées devant vous sont très largement celles auxquelles vos pays ont souscrit, mais je sais bien qu'il n'existe pas de modèle universel et il n'est pas question pour la France de poser ses choix en modèle. Nous avons simplement la chance d'avoir la volonté commune d'agir ensemble. Nous devons la saisir pour jeter les bases d'une nouvelle dimension de notre coopération.