Interviews de M. Jean Gandois, président du CNPF, à Europe 1 et TF1 le 16 septembre 1996, sur les conditions de reprise de la croissance, l'incidence des aides à l'emploi sur le chômage, les actions du CNPF pour l'emploi et la formation des jeunes, et sur la réduction du temps de travail.

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Circonstance : Commémoration au Futuroscope de Poitiers du 50ème anniversaire de la création du CNPF

Média : Europe 1 - TF1

Texte intégral

Europe 1 : Lundi 16 septembre 1996

P. Belin : Le CNPF, à l'occasion de son cinquantième anniversaire, a reçu le soutien du président de la République. Vous devez être très heureux ?

J. Gandois : Oui, très heureux, parce je crois que cela regonfle la plupart des entrepreneurs qui ont besoin actuellement de beaucoup de courage pour refaire démarrer les choses. Et je crois que le président de la République y a contribué beaucoup.

P. Belin : Vous avez décidé de fêter ce cinquantième anniversaire au Futuroscope de Poitiers, ce n'est pas un hasard.

J. Gandois : Non, ce n'est pas un hasard, c'est parce que nous voulons qu'il soit tourné non pas vers la commémoration du passé, mais vers l'avenir. Nous pensons que l'avenir, pour une organisation de patrons, c'est de retrouver les sources, l'esprit d'entreprendre, et c'est une cérémonie que nous allons placer sous le signe de l'esprit d'entreprise : qu'est-ce que c'est l'esprit d'entreprise ? Comment peut-on éliminer les obstacles dans notre pays, de manière à ce qu'on puisse créer plus de croissance et plus d'emplois ?

P. Belin : On vous demande très souvent de créer des emplois.

J. Gandois : Sans aucun doute. Mais les emplois, d'une manière générale, les vrais emplois, les emplois durables, ne se créeront que si nous arrivons à faire redémarrer la croissance. Et pour cela, il faut que nous revenions aux sources. Indépendamment de ce qui nous entoure, il faut que nous puissions faire démarrer plus d'entreprises dans ce pays, qu'il y ait plus d'innovation, que nous posions vraiment la question de savoir ce que sera l'activité de notre pays dans 20 ans et de le préparer dès aujourd'hui.

P. Belin : Comment faire redémarrer la croissance ? On dit que la croissance, ça ne se décrète pas.

J. Gandois : La croissance ne se décrète pas, mais on peut créer les conditions pour qu'elle se crée. Bien sûr que la croissance dépend de beaucoup de facteurs extérieurs, mais, heureusement, elle dépend aussi de ceux qui la font. Et ceux qui la fabriquent ce sont les entrepreneurs. L'opinion n'a pas complètement tort de dire que quand nous sommes en faible croissance il y a aussi, peut-être, un manque d'esprit d'entreprise. Il n'y a pas que ça. Il y a toutes les conditions budgétaires, monétaires, économiques, générales. Mais si on est plus ambitieux sur l'acte d'entreprendre, il est certain que nous provoquerons plus de croissance.

P. Belin : Lorsque les patrons s'expriment en général sur la croissance, sur l'emploi, il y a des mots qui reviennent sans cesse, c'est « charges sociales ».

J. Gandois : C'est vrai, mais c'est surtout un problème de compétitivité. Dans la croissance, il y a deux choses. Il y a l'innovation, il faut trouver suffisamment de produits et de services nouveaux pour créer de nouveaux marchés, et puis, il n'y a pas que de nouveaux marchés, il y a aussi des anciens. Et sur les anciens, on est en concurrence avec le monde entier. Si on a trop de charges et que les copains d'à côté n'en ont pas beaucoup, c'est difficile d'être compétitifs. Par conséquent, on n'a pas les armes pour se battre. Donc, les charges, c'est certainement l'une des choses qui donne de la compétitivité, mais aussi l'une des choses qui décourage certaines personnes de devenir entrepreneurs parce qu'ils se disent : « je n'y arriverai pas ».

P. Belin : On dit que les employeurs ont bénéficié de cadeaux, et pourtant l'embauche ne repart pas aussi vite ?

J. Gandois : Je pense qu'il ne faut pas toujours faire ce faux procès des soi-disant « cadeaux » aux entreprises. Il n'y a pas de « cadeaux » aux entreprises. On a décidé dans ce pays – et pour une partie, j'y suis pour quelque chose, pas pour tout – on a décidé d'aider la création de certains emplois pour la main d'oeuvre non-qualifiée et d'empêcher la destruction de mêmes emplois dans les industries de main d'oeuvre, en baissant les charges sur les bas salaires pour la main d'oeuvre non-qualifiée. C'est voulu pour empêcher un certain nombre d'emplois d'être détruits et pour en créer d'autres. En dehors de cela, il y a eu des tas d'aides à l'emploi dont j'ai dit, moi-même, qu'elles n'étaient pas utiles, ni nécessaires, et que souvent, elles ne servaient qu'à changer l'ordre dans la file d'attente des chômeurs. Par conséquent, nous avons pris cette position, ce qui quand même n'est pas celle d'un patronat qui tend la sébile et qui demande l'aumône. Et cette position a été suivie par le gouvernement, puisqu'il a supprimé un certain nombre d'aides à l'emploi dans le projet de budget de 1997.

P. Belin : Comment voyez-vous l'emploi dans les 2 ans qui viennent ?

J. Gandois : Je crois, pour ma part, que notre priorité devrait être le problème de l'emploi des jeunes. C'est une action que nous avons relancée il y a quelques mois, que nous sommes en train de conduire et que nous allons développer d'ici la fin de l'année et l'année prochaine. Notre objectif est, bien sûr, d'augmenter le nombre de jeunes qui ont des contrats d'apprentissage et d'alternance, parce que c'est ce qui est aujourd'hui le plus efficace pour créer de vrais emplois, durables. Mais il s'agit aussi de traiter les autres jeunes, et en particulier ceux qui sont très en difficulté et les jeunes diplômés. Ce que je voudrais – et je vais, essayer de mobiliser toutes les entreprises en ce sens – c'est que dans un délai de l'ordre de deux ans, nous ayons ramené le chômage des jeunes – qui est aujourd'hui le double du chômage moyen en France – au niveau du chômage moyen. Cela me paraît un effort que nous pouvons réussir. Nous pouvons intégrer en contrats, soit définitifs, soit temporaires, environ 300 000 jeunes de plus dans les deux ans qui viennent.

P. Belin : Toutes les entreprises vous suivent ?

J. Gandois : Non. Le problème que nous avons, c'est un problème de formation. Toutes les entreprises – je ne peux pas dire « toutes les entreprises me suivent », il n'y a jamais 100 % de gens mobilisés sur quelque chose ! – mais la grande majorité du patronat est dans cet état d'esprit. Le problème que nous avons, c'est de trouver des formations adéquates. C'est pour cela d'ailleurs que nous menons ces actions, il s'agit de mettre des besoins en personnels – qui existent – en face des jeunes qui cherchent un emploi et d'ajuster la demande et l'offre.

P. Belin : C'est un engagement que vous prenez sur Europe 1 ?

J. Gandois : C'est une volonté et un objectif. C'est donc un engagement moral.


TF1 – 16 septembre 1996

P. Poivre d'Arvor : Vous disiez tout à l'heure que tout baignait. Cela va mieux avec les pouvoirs publics, il y a moins de tensions ?

J. Gandois : Apparemment ça va bien, oui. Cela n'a jamais été très mal. Mais actuellement c'est bien.

P. Poivre d'Arvor : Assez souvent, le président de la République et le Premier ministre vous ont reproché de ne pas tout faire pour essayer de résorber le chômage.

J. Gandois : On peut faire des efforts très déterminés, pour l'insertion des jeunes. C'est sur ce plan que nous avons bâti toute une action. Et je pense que nous pouvons nous fixer des objectifs ambitieux, d'insertion, en emplois définitifs, en apprentissage et en alternance, de plusieurs centaines de milliers de jeunes dans les deux ans qui viennent. Par contre, il est bien évident que pour l'emploi en général, ce qu'il faut, c'est la croissance. Et la croissance, elle dépend de beaucoup de gens à l'intérieur de la France : le gouvernement, l'esprit d'entreprise – que nous avons célébré aujourd'hui – et puis, à l'extérieur de la France, la compétitivité du pays, d'une manière générale dans le monde contre lequel il se bat.

P. Poivre d'Arvor : Cela peut passer, éventuellement, par une réduction du temps de travail ?

J. Gandois : La réduction du temps de travail est quelque chose qui doit être examiné dans chaque entreprise, j'allais dire dans chaque atelier, dans chaque usine, dans chaque bureau. Elle est liée à l'organisation du travail lui-même. La réduction du temps de travail, ce n'est pas la recette miracle. C'est une des recettes qui peut être employée dans certaines entreprises avec succès. Je crois qu'il ne faut pas la négliger, mais il ne faut pas croire que c'est ce qui va nous sortir de la situation de chômage où nous sommes.

P. Poivre d'Arvor : Certains, comme A. Madelin, parlent de déflation. C'est votre avis ?

J. Gandois : Non. Nous sommes en faible croissance, nous ne sommes pas en déflation. Je pense que nous avons besoin d'un coup de fusée supplémentaire, nous allons certainement avoir une année 97 meilleure que cette triste année 96. Ce ne sera pas encore la gloire probablement, il faut donc qu'il y ait un certain nombre d'éléments et notamment un esprit d'entreprise encore plus développé et une innovation encore plus grande.