Texte intégral
Ce jeudi 10 octobre, nous commençons, par la CGT-FO, une série de rencontres avec des organisations syndicales. A la CGT-FO s'ajouteront la CFDT, la CGT et la CFTC. Nous avons décidé d'entamer ces discussions car nous pensons que – dans le contexte économique et social qui est le nôtre et qui est extrêmement préoccupant – il est particulièrement important que le Parti socialiste soit au fait des analyses, des craintes mais aussi des demandes des organisations syndicales françaises.
Nous avons écouté l'analyse des représentants de Force ouvrière, leurs préoccupations, et nous leur avons fait part des nôtres dans le respect de l'indépendance de chacun. Nous avons examiné des dossiers plus précis, abordant les problèmes de protection sociale, des retraites, notamment notre hostilité commune concernant les retraites par capitalisation, les problèmes de l'emploi naturellement. Tout ceci dans le but d'expliquer comment nous envisagions une autre politique économique, à laquelle nous travaillons depuis maintenant quelques semaines. Nous n'avons pas oublié d'aborder les problèmes du syndicalisme liés à l'état des forces syndicales en France.
Q : Est-ce que, d'ores et déjà, vous pensez tirer quelques éléments de cette rencontre qui pourraient infléchir ou influer sur la définition de votre programme ?
Lionel Jospin : Il est toujours intéressant de connaître les positions des syndicalistes, lesquelles viennent – pour une grande part – de ce qu'ils observent sur le terrain. Naturellement, nous échangeons nos conceptions sur la nécessaire relance de la croissance économique et j'ai exprimé le souhait de voir ces organisations syndicales, si elles le veulent et dans l'indépendance à l'égard des partis politiques, accepter de se livrer à ce que j'appellerais un « banc d'essai » de nos propositions économiques et sociales. Nous y travaillons, et nous aimerions demander aux acteurs de la société – associations, personnalités économiques ou d'organisation syndicales… – de passer au crible les propositions que nous nous apprêtons à faire à l'ensemble des Français. C'est une démarche innovante pour une formation politique.
Q : Il y a un peu moins d'un an, on vous avait reproché une certaine tiédeur dans le conflit social. Est-il question de vous rapprocher un peu plus des syndicats et du combat syndical ?
Lionel Jospin : C'est une question que nous avons évoquée. Ce reproche, en tout état de cause, ne m'a certainement pas été fait par les responsables syndicaux. Marc Blondel, et je sais que Louis Viannet et Nicole Notat sont du même avis, trouve que j'ai agi dans le respect de l'indépendance syndicale. Le Parti socialiste, dans le conflit de novembre-décembre 1995, avait clairement montré sa solidarité, son soutien. Nous avons, par nos militants eux-mêmes, souvent salariés syndiqués, participé à ces mouvements. C'est donc au contraire une attitude que le syndicalisme français comprend et approuve.
Q : Considérez-vous qu'au sein de la société française en général, et chez les syndicalistes en particulier, il y a un regain d'intérêt pour le Parti socialiste ?
Lionel Jospin : C'est à eux qu'il faut le demander. Au Parti socialiste, nous pensons qu'il est important d'établir des contacts avec les différentes composantes de la société française. Je suis en contact régulier avec les responsables syndicaux, et pas uniquement ceux prévus dans le cadre de nos rencontres. J'ai reçu récemment Luc Guyot, président de la FNSEA ; j'avais reçu auparavant des représentants des syndicats d'enseignants. Un parti politique de gauche ne peut se priver du contact avec les organisations syndicales. Les idées, les avis et les solutions à dégager doivent être concertés, dans l'indépendance de chacun. Mais il est de notre devoir de dialoguer avec tous les acteurs de la vie économique et sociale en France.
Q : Est-ce que, après deux heures d'entretien, vous sentez une plus grande compréhension de la part de Force ouvrière, un plus grand soutient dans les propositions que vous voudriez soumettre aux Français ?
Lionel Jospin : Là encore, je veux respecter la position des syndicats et leur indépendance d'action. Ils ont eu à revendiquer face à un pouvoir de gauche ; ils sont actuellement confrontés à un pouvoir de droite. Je crois qu'ils mesurent la crise de confiance qui existe, cette espèce de degré d'urgence sociale, économique et politique dans laquelle nous nous trouvons. Je pense qu'ils sont sensibles à ce que nous avons à leur dire ; ils s'y intéressent en tout cas. Mais ils doivent légitimement garder un droit de critique parce qu'ils ont une vocation différente de celle d'un parti politique dans la société française. Notre désir n'est pas de solliciter je ne sais quelle approbation. Nous recueillons, au cours de ces rencontres, des informations très importantes sur le quotidien des Françaises et des Français. Je sens bien l'inquiétude grandissante liée au chômage, à l'accroissement des inégalités. Elle justifie pleinement l'organisation de cette grande journée d'action que nous soutenons prévue pour le 17 octobre prochain.
Q : Marc Blondel a dit tout à l'heure qu'il n'y aura jamais de front partis-syndicats.
Lionel Jospin : Cela nous venons déjà de l'exprimer. Il y a une tradition en France d'indépendance entre les partis et les syndicats.
Q : Ne le regrettez-vous pas ?
Lionel Jospin : Nous ne sommes pas dans la situation des Trades unions britanniques. En France, nous sommes dans une tradition d'indépendance du syndical et du politique, et je m'inscris dans cette culture.
Ce qui ne veut pas dire que si nous étions aux responsabilités, nous n'écouterions pas les organisations syndicales et nous ne serions pas capables de faciliter des dialogues avec elles ainsi qu'avec le monde des entreprises. C'est en tout état de cause ce que je veux faire.
Q : Il existe une grande différence entre les gens qui aspirent au pouvoir et ceux qui sont au pouvoir, a dit Marc Blondel.
Lionel Jospin : Je suis un de ceux qui, dans les années 90, à la fin du deuxième septennat de François Mitterrand, ont analysé l'écart entre les déclarations et actes, et en ont tiré un certain nombre de leçons. Un des thèmes que j'ai développés dans la campagne présidentielle fut : « Je dis ce que je ferai et je ferai ce que j'ai dit. » Si j'avais été aux responsabilités je ne me serais pas renié. Cela ne suppose pas de renoncer à toute ambition, toute volonté. Cela suppose la réduction de l'écart entre les intentions, le discours, les promesses et ce que l'on fait vraiment une fois au pouvoir. Je trouve donc normal qu'un syndicaliste regarde cela de façon attentive.