Interview de M. Jean-Marie Spaeth, secrétaire national de la CFDT et président de la CNAM, à France 2 le 3 septembre 1996, sur le déficit de la sécurité sociale notamment celui de la branche maladie et la gestion de la santé publique.

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Circonstance : Première réunion de la conférence nationale de la santé à Paris du 2 au 4 septembre 1996

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

G. Leclerc : Réunion depuis hier de la conférence nationale de la santé, 72 éminents spécialistes vont s'efforcer de dégager des priorités en matière de santé publique avec en toile de fond le fameux déficit de la Sécurité sociale. Et une question essentielle : peut-on imaginer de soigner mieux sans dépenser plus ?

J.-M. Spaeth : Pour moi, c'est une évidence. En tous les cas, le médecin conseil de la Caisse nationale a mis en évidence, il y a quatre mois, qu'il y a près de 100 milliards de dépenses considérées médicalement et sanitairement inutiles. Ce qui est énorme. Alors, on ne passe pas d'une situation à une autre, c'est bien évident. Ce qui est important, c'est que l'on part d'un rapport du Haut comité de la santé publique qui met en évidence un certain nombre d'éléments tout à fait importants et intéressants comme les inégalités sanitaires, l'augmentation de l'espérance de vie, certes importante pour tout le monde mais très différente pour l'ouvrier et certaines autres catégories, des différences sanitaires au niveau des régions. Il y a des inégalités fabuleuses en France. Par exemple, on fait cinq fois plus de cataractes en Provence-Côte d'Azur, à démographie égale, qu'en Picardie. Je pourrais citer des dizaines d'exemples. Moi, ce qui me réjouis c'est qu'enfin dans notre pays, on essaye de partir de réalités de santé publique, sanitaires et non pas seulement de considérations budgétaires et financières de la Sécurité sociale. Et mon grand espoir est qu'enfin – et c'est là que je dis « oui, on peut faire mieux » – on parle des réalités de santé des gens et que l'on tente de se donner des priorités.

G. Leclerc : Il y a un vrai problème qui est celui de la surconsommation. La France est un des pays qui dépense le plus pour tout ce qui est calmant, déstressant. Qu'est-ce qui se passe ? Ce sont des problèmes culturels ?

J.-M. Spaeth : Je trouve, tous les matins, des informations stupéfiantes lorsque l'on compare un peu les données, soit par région en France, soit au niveau international. Je crois que je l'ai dit tout à l'heure, la France ne s'est jamais dotée d'une politique de santé. C'est quand même stupéfiant qu'il ait fallu attendre 1986 pour avoir une réponse constitutionnelle pour débattre de la politique de santé, pour que le Parlement, les élus de la Nation puissent débattre des politiques de santé. C'est quand même stupéfiant ! On pouvait causer de l'armée, de tout ce que vous voudrez sauf de la santé, qui est un bien précieux pour tous les Français. Je crois que l'objectif est d'arriver à ce que la Sécurité sociale, qui est une grande machine à rembourser – qui le fait très bien d'ailleurs, efficacement – devienne aussi une grande institution qui gère la santé de l'ensemble des Françaises et des Français. Car nous sommes tous à la fois, vous et moi, deux choses : nous sommes financeurs à travers nos cotisations et là, nous avons quasiment un record mondial aussi. Nous sommes consommateurs, nous avons le droit d'être en bonne santé le plus longtemps possible et d'être soignés correctement quand on est malade. Je constate qu'en France, on est l'un des pays au monde qui dépense le plus avec les résultats que l'on vient de dire. Alors, je crois qu'il faut changer de méthode. Il faut que l'assurance maladie devienne, à partir d'objectifs de santé publique, le gestionnaire des choses. Il faut développer la prévention. Nous avons un pays où il n'y a pas de culture de prévention. Nous sommes un pays où tout s'additionne à tout : vous avez la médecine de ville, l'hôpital, les spécialités et il n'y a aucune articulation dans tout cela.

G. Leclerc : Les chiffres, c'est quand même justement le déficit. On avait prévu, pour cette année, avec le plan Juppé un déficit de 17 milliards. Finalement, vous avez dit vous-mêmes que cela sera autour de 50 à 55 milliards. Est-ce que ce n'est pas la preuve que le plan Juppé a échoué ?

J.-M. Spaeth : Alors, dans les déficits prévisibles, il y a l'ensemble de la Sécurité sociale qui concerne les trois branches.

G. Leclerc : Effectivement, la maladie ne représente que 35 milliards.

J.-M. Spaeth : Ce n'est déjà pas mal ! Le déficit résulte de deux aspects : les recettes et les dépenses. Sur les recettes, du fait que notre financement est essentiellement basé sur la masse salariale, nous sommes en mauvaise situation. À ceci s'ajoute une sorte de phobie de la diminution des charges sans forcément qu'il y ait des résultats sur les entreprises et pas forcément en termes d'emploi. Voilà le problème recette. Après, pour ce qui est du problème de la dépense, notre volonté est que la Sécurité sociale arrête d'être uniquement une entreprise qui paie des prestations. C'est l'ambition du conseil d'administration, il faut que nous sachions aussi la pertinence de ces prestations. Je l'ai déjà dit l'autre fois, nous donnons un carnet de chèques à tous les professionnels de santé et la Sécurité sociale est en droit de regarder le montant du chèque et le nombre de chèque que font les professions de santé, c'est-à-dire le contenu des prescriptions.

G. Leclerc : D'un mot, certains experts et notamment ceux de la Caisse des dépôts, disent déjà que, pour l'an prochain, on est parti sur 70 milliards de déficit ?

J.-M. Spaeth : Le pire n'est jamais arrivé mais je crois qu'il y a une prise de conscience. J'ai rencontré les professionnels de santé et notamment les médecins : il y a une prise de conscience qu'il y a nécessité de gérer. La santé n'a pas peut-être pas de prix pour tout le monde mais elle a un coût.

G. Leclerc : La petite baisse dans les dépenses en juin et juillet, est-ce significatif ?

J.-M. Spaeth : Je crois que c'est un bon signe et j'ai rencontré des médecins qui savent bien que demain ne sera plus tout à fait comme aujourd'hui. Demain doit être différent d'aujourd'hui parce que le rationnement des dépenses d'assurance maladie n'est pas acceptable. Et on peut faire autrement.