Déclaration de M. Ernest-Antoine Seillière, président du CNPF, sur la réduction du temps de travail, la réactions prévisibles des entrepreneurs dans les négociations et la demande du CNPF d'un report de deux ans du bilan des négociations, Paris le 30 mars 1998.

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Circonstance : Rencontre de M. Ernest-Antoine Seillière avec M. Lionel Jospin, Premier ministre, à Paris le 30 mars 1998

Texte intégral

« J’ai rencontré aujourd’hui le Premier ministre avec qui nous avons eu un entretien très franc au cours duquel nous avons, sans prudence et sans détour, fait connaître officiellement notre point de vue sur le problème des 35 heures.

Cette rencontre est intervenue après six mois de rupture des contacts entre le gouvernement et les entrepreneurs, suite à la journée du 10 octobre qui avait provoqué la démission de Jean Gandois.

Il a fallu un certain temps pour que les contacts soient rétablis. Tout d’abord, parce que les 35 heures ont créé, dans le monde des entreprises, une véritable cassure et que nous avons voulu prendre le temps devoir si les premières réactions, très négatives, allaient se dissiper. Cela n’a pas été le cas et la position des entrepreneurs sur les 35 heures n’a pas évolué.

Il a également fallu du temps pour que je puisse consulter un très grand nombre de chefs d’entreprise, grands mais aussi et surtout petits, afin de m’assurer que le monde des entrepreneurs que je représente et qui s’exprime par ma voix, était bien en unisson avec moi. Je dois dire qu’aujourd’hui, le mouvement des entrepreneurs est plus uni et plus resserré que jamais. Entrepreneurs, artisans, professions libérales, agriculteurs, CGPME, nous sommes tous à l’unisson comme l’attestent les déclarations communes faites par les cinq organisations qui composent le CLIDE.

Tout en nous félicitant des bons fondamentaux de la France au moment où elle va entrer dans l’euro, nous avons beaucoup insisté sur le fait que les 35 heures viennent, comme un obstacle, se mettre en travers de la route. J’ai indiqué au Premier ministre que nous estimions que le problème était loin d’être surmonté. Ces derniers mois nous avons très fortement exprimé notre opposition, mais nous n’avons en aucune manière été entendus. Le projet de loi a cheminé au Parlement, sans que le gouvernement ne prête attention aux revendications des entrepreneurs. Nous sommes maintenant à la veille du vote de la loi dans l’état initial où elle avait été présentée, en première lecture, elle s’est même durcie sur quelques points, comme la notion de travail effectif.

Nous avons redit que cette loi désorganisera de nombreuses entreprises et qu’elle pèsera sur la compétitivité française et sur notre développement, tout en favorisant des comportements assimilables à de la triche. Nous avons aussi beaucoup insisté sur le fait que nous estimons qu’au total cette loi ne créera pas d’emplois.

Ensuite nous avons décrit la situation telle que nous la voyons aujourd’hui, à l’heure où la loi est sur le point d’être votée. Nous devons désormais nous occuper des négociations. Nous avons décrit au Premier ministre les quatre attitudes que nous percevons chez les entrepreneurs qui vont devoir négocier, soit au niveau de la branche, soit au niveau des entreprises, dans une très grande diversité de contextes.

- Nous ne nions pas que certaines entreprises puissent trouver un intérêt dans les différentes subventions offertes à celles qui négocieront avant le premier janvier 2000. Nous ne réprouvons absolument pas cette attitude, mais nous pensons qu’elle ne concernera qu’un nombre limité d’entreprises.

- D’autres entreprises se préparent à mettre en oeuvre des procédés qui leur permettront d’éviter les aspects les plus néfastes de la loi, notamment ses surcoûts. Cela peut prendre des formes diverses : restructurations accélérées entrainant des licenciements, mécanisation poussée, transferts d’activité pour ceux qui disposent de sites à l’étranger, arrêt des activités les moins rentables… Tout ceci dans un contexte d’intérim et de CDD.

Certaines entreprises vont ouvrir des négociations pour obtenir des contreparties. Mais elles se trouvent face à des salariés et des organisations syndicales qui ne souhaitent pas les voir mises en place. Ils ne veulent entendre parler ni de gel des salaires, ni de suppression d’heures supplémentaires et sont réticents devant la réorganisation de leur travail. Par ailleurs, dans un certain nombre de cas, les conventions collectives disposent d’éléments en contradiction avec les 35 heures et négocier peut conduire à des dénonciations en vue de moderniser les formes de travail et l’organisation des professions.

- Enfin, dans leur très grande majorité, les entreprises auront le réflexe de ne rien faire, et surtout pas de négocier. Elles vont attendre que soient précisées les conditions d’application de la loi. Il s’agit des innombrables entreprises de terrain qui en fait ne savent pas comment appliquer les 35 heures, qui ne savent pas comment prendre le problème et qui ne voient pas comment s’organiser.

Dans ce contexte général, nous avons exprimé notre demande de report de deux ans du bilan des négociations. Ce délai supplémentaire nous permettrait de préparer les entreprises à la conclusion d’éventuels accords de mise en place de la réduction du temps de travail. Ce report nous laisserait à l’évidence une meilleure chance de parvenir à des solutions dans l’intérêt mutuel des salariés et des entrepreneurs.

Sur ce point, le gouvernement ne nous a pas donné satisfaction. Dans ces conditions nous n’avons pas le sentiment que les négociations vont s’ouvrir facilement ni qu’elles puissent se dérouler facilement. Il faut s’attendre à de grandes déceptions.

Le gouvernement tout de même porté de l’intérêt à quatre questions sur lesquelles nous avons notamment attiré son attention : l’annualisation ; le problème des cadres et de tous les personnels dont la forme de rémunération n’est pas liée à un horaire mais à une mission ; la pénalisation du temps partiel ; le contingent et le coût des heures supplémentaires. Sur ces quatre points, il a dit comprendre nos préoccupations. Nous pourrions donc nous retrouver pour voir comment, sur ces questions très difficiles, parvenir à un meilleur éclairage, à des précisions donnant la possibilité de négocier avec de meilleures chances d’aboutir.

Nous ne sommes pas face à des interlocuteurs qui nient l’existence des problèmes que les entrepreneurs peuvent rencontrer. C’est là l’élément favorable que nous retirons de cet entretien.

Le Premier ministre aurait souhaité que nous abordions d’autres sujets comme l’emploi des jeunes, le chômage de longue durée, l’Arpe, la formation. Nous avons décliné cette proposition. Je ne lui ai pas caché que les 35 heures faisaient une ombre portée et venaient se mettre en travers du chemin. Je lui ai néanmoins indiqué que j’allais consulter notre organisation pour voir comment, et à quel rythme, nous pourrions éventuellement reprendre des négociations dans ces différents domaines ».


Source : http://www.cnpf.fr