Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, dans "Le Monde" du 2 septembre 1996, sur la rentrée sociale, la politique économique, sa candidature à la présidence de l'UNEDIC et les thèses "ultralibérales" européennes.

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Média : Le Monde

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Le Monde : Vous faites partie des dirigeants syndicaux qui ont annoncé une rentrée sociale chaude. Sur quoi fondez-vous votre diagnostic ?

Marc Blondel : Nous nous retrouvons dans une situation comparable à celle de l'année dernière. Tous les ingrédients de mécontentement sont là. Or nous assistons à la persévérance dans une politique économique qui n'amène pas de solutions aux problèmes posés : baisse de l'activité et aggravation du chômage. Cette année en plus, il n'y a pas que les salariés qui sont mécontents. Il y a les commerçants, qui se plaignent d'une baisse de 20 à 25 % de leur chiffre d'affaires, les agriculteurs, les hommes politiques, dont les régions sont frappées par les restructurations militaires…

Le risque pour le mouvement syndical serait une démarche globalisante et politisée, au détriment des salariés. Dans ces conditions, FO sera très vigilante et s'attachera à défendre l'intérêt des salariés.

Le Monde : Les Français vous semblent moroses ?

Marc Blondel : Jusqu'à présent, les Français ont considéré les périodes difficiles comme inéluctables et le chômage comme une preuve. Mais la morosité se transforme progressivement en mécontentement et en colère. Il y a un phénomène de « ras-le-bol ». Ils s'aperçoivent qu'une économie restrictive ne peut pas donner des résultats satisfaisants pour les plus défavorisés. Nous comptons nous appuyer sur cette prise de conscience-là et c'est la raison pour laquelle nous avons organisé la mobilisation du 21 septembre.

Le monde : Ce rassemblement à la Bastille est-il un test pour le Gouvernement ?

Marc Blondel : Notez que c'est un samedi et qu'il s'agit d'un rassemblement et non d'une grève. Cette mobilisation a deux buts : tester le niveau de combativité des troupes syndicales et servir d'avertissement au Gouvernement. Le mot d'ordre c'est « contre les licenciements », mais cela concerne aussi les salaires et le soutien à la demande – la notion de keynésianisme raisonnable que nous revendiquons –, ainsi que la défense des régimes de protection sociale. Il faut donner un espoir aux huit millions de jeunes qui ont entre quinze et vingt-quatre ans.

Le Monde : Êtes-vous favorable à une mobilisation sur les salaires ?

Marc Blondel : Oui, et ce n'est pas nouveau. Nous sommes pour une mobilisation sur les salaires, dans la mesure où c'est une nécessité économique. À la lecture des premières annonces budgétaires, j'ai le sentiment que les fonctionnaires ne verront pas leurs salaires revalorisés en 1997. En disant cela, je ne défends pas seulement les salariés de la fonction publique, mais aussi les salariés du privé, car les négociations dans le public ont valeur d'exemple.

Le Monde : Quels sont, parmi les arbitrages budgétaires, ceux qui vous semblent les plus contestables ?

Marc Blondel : Le premier, c'est cette volonté de réduire le nombre des fonctionnaires de 7 000 postes. Les effectifs de fonctionnaires correspondent-ils aux besoins ? Il y a une étude de l'OCDE sur les enseignants et le nombre d'élèves, par pays et par classe, qui nous place juste avant la Turquie. On ne peut pas se plaindre des carences dans l'enseignement, y compris dans l'enseignement technique, et ne pas leur donner les moyens.

En second lieu, le niveau d'intervention de l'État va diminuer de 15 %. Il y a toute une série d'activités du privé qui fonctionne sur les crédits budgétaires, à commencer par le bâtiment. C'est pourquoi je relance ma proposition sur l'amiante. Il faut faire un plan sur cinq ans et intensifier le déflocage, financé par un emprunt d'État.

Le Monde : Le Gouvernement fait-il fausse route en maintenant le cap économique actuel ?

Marc Blondel : Oui, mais la France ne veut pas apparaître comme le mauvais élève de l'Europe. La France veut être l'égale de l'Allemagne, y compris dans le domaine des responsabilités économiques et monétaires. C'est pourquoi le franc est maintenu à une parité qui est faussée par rapport au deutschemark et que le dollar, qui est la monnaie dominante, fait ce qu'il veut. Les États-Unis sont, depuis la chute du communisme, en concurrence directe avec les pays européens. Ils ne regardent plus l'Europe comme un allié, mais comme un marché solvable de 380 millions d'habitants. Ils mènent une guerre économique. Le paradoxe, c'est que nous sommes en trains de construire l'Europe des anti-européens, celle qui s'aligne sur les thèses ultra-libérales. Elle est tout juste une Europe de libre-échange qui ne réussit même pas à casser la concurrence entre les quinze pays européens. Je prends un exemple : l'exonération des cotisations sociales dans le textile fait « flotter le social », car les Italiens ont fait flotter leur monnaie et ont ravi tous les marchés.

Le second objectif qui est considéré comme la solution à tous nos problèmes, c'est la monnaie unique. Il y a une dizaine d'années, c'était l'arrêt de l'inflation, et aujourd'hui on frise la déflation. Pour arriver à la monnaie unique, il faut satisfaire à des critères de convergence économique, notamment en matière de déficit et d'endettement et je pense que ces critères sévères deviennent de plus en plus un prétexte. En fait, les politiques ont restreint leur rôle en matière économique, monétaire et industrielle, au nom du libéralisme. Cela conduit à des déséquilibres préjudiciables à la démocratie.

Le Monde : Qu'attendez-vous de la politique de « fermeté » et de « dialogue social » que le Premier ministre ?

Marc Blondel : Il y a une contradiction dans les termes. Si la fermeté, c'est l'attachement aux orientations économiques actuelles, dans ce cas, cela ne donne guère de marge de manoeuvre au dialogue social. De plus, le dialogue social. De plus, le dialogue social appartient d'abord aux partenaires sociaux. J'ai l'intention de saisir prochainement le patronat sur le paritarisme, son rôle et sa place en l'an 2000. Il faut une relance de la dynamique entre partenaires sociaux, et que les négociations reprennent, dans la ligne du 28 février 1995, régler ensemble le problème des heures supplémentaires, voire de la réduction de la durée du travail, même si cela n'aboutit pas à une disposition générale. Pourquoi ne pas reparler aussi de la sixième semaine de congés payés ?

Le Monde : Êtes-vous personnellement candidat à l'Unedic ?

Marc Blondel : La réponse viendra très prochainement. Si je suis parmi les membres des administrateurs désignés à l'Unedic, cela sera bien entendu pour être candidat à la présidence.

Le Monde : Pourquoi FO voudrait-elle présider le régime d'assurance-chômage ?

Marc Blondel : Dans son histoire, FO s'est battue pour mettre en place le contrat collectif et ses dérivés, dont la gestion de la protection sociale sous forme paritaire. Avec l'étatisation, le paritarisme se meurt à la Sécurité sociale. Il est important qu'il demeure et se renforce dans l'assurance-chômage. Il ne s'agit pas de présenter un programme. Dès lors que nous sommes dans un régime paritaire où le patronat et les syndicats sont à égalité, ce qui est important, c'est moins la parité numérique – ce qui donne le pouvoir au patronat – que la parité dans la responsabilité.

Pour FO, le régime d'assurance-chômage sert d'abord à indemniser les chômeurs. Mais si d'aventure l'Unedic connaît des excédents, pourquoi ne pas faire la démarche inverse de celle que nous avons faite quand nous avons demandé un effort aux chômeurs, aux cotisants et à l'État ? Pourquoi ne pas améliorer, même de manière modeste, la situation des chômeurs et pourquoi ne pas baisser les cotisations ? L'Unedic n'a pas pour vocation d'engranger des réserves ou des excédents.

Le Monde : Faut-il revenir sur les aides accordées par l'Unedic pour faciliter l'embauche de chômeurs ?

Marc Blondel : Il n'est pas question de toucher à l'allocation de remplacement pour l'emploi (l'ARPE), mise en place en septembre 1995. En revanche, les conventions de coopération, qui consistent à payer des salariés à l'entreprise, ne constituent pas un système sain. Je me demande quel est le lien qu'un patron peut avoir avec un salarié qu'il ne paie pas.

Le Monde : Que vous inspire le déficit de la Sécurité sociale, qui va dépasser 50 milliards de franc en 1996 ?

Marc Blondel : Nous avons combattu la réforme Juppé de l'assurance-maladie, que nous qualifions de contre-réforme, mais les projections actuelles de déficit ne nous réjouissent pas. Cette contre-réforme focalise trop sur les dépenses. Nous ne pourrons pas freiner la consommation médicale, même si la conception de la maîtrise médicalisée des dépenses peut être affinée. Sur le déficit de 35 milliards de francs de l'assurance-maladie, la dérive des dépenses ne représente que 5 milliards. Le problème de la Sécurité sociale revient à savoir combien on veut affecter à notre santé, dans la redistribution des richesses, y compris en tenant compte des maladies récemment apparues. La contre-réforme démontrera son incapacité à faire face d'ici dix-huit mois à deux ans. En tout état de cause, FO se fera entendre.

Le Monde : Présenterez-vous des candidats aux échelons intermédiaires et locaux des caisses de Sécurité sociale ?

Marc Blondel : Oui, nous présenterons des candidats, car nous avons une expérience indéniable qui apporte des garanties aux assurés sociaux, même si la marge de manoeuvre à ces niveaux est manifestement restreinte.

Le Monde : Le choix de la fermeté s'imposait-il dans l'affaire des sans-papiers de l'église Saint-Bernard ?

Marc Blondel : Le Gouvernement aurait dû prendre du recul et ne pas faire traîner la situation qui s'est transformée en affaire d'État. Je suis très fier de la tradition de droit d'accueil de la France. Dès lors que des sans-papiers sont déjà présents sur le territoire national, leur régularisation devient quasi obligatoire, à moins d'admettre le travail clandestin.

La loi est apparue défectueuse, il faut donc la modifier. Je ne comprends pas que le Gouvernement n'ait pas mis à profit les cinq mois de la crise des sans-papiers pour modifier les textes, à moins que la volonté du Gouvernement n'ait été de montrer de la fermeté, voire de la brutalité… Dans ce cas, je m'interroge sur les conséquences de cet effet d'affichage sur les pays en voie de développement, et notamment ceux d'Afrique.