Interviews de M. Pierre-André Périssol, ministre du logement, dans "Les Echos" le 11 et "Libération" le 28 octobre 1996, sur le remplacement des subventions aux organismes d'HLM par une baisse du taux de TVA sur leur activité et sur le projet de réforme des procédures d'attribution de logements HLM.

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Média : Les Echos - Libération

Texte intégral

Les Échos : 11 octobre 1996

Les Échos : Réunie en convention extraordinaire mercredi, l'Union des HLM réclame une vaste concertation avec les pouvoirs publics sur la politique du logement social. Pourquoi ce débat n'a-t-il pas eu lieu avant la présentation du budget ?

Pierre-André Périssol : J'ai toujours privilégié la concertation. Je suis le premier ministre du Logement à être intervenu devant le comité directeur de l'Union des HLM et j'ai maintenu constamment le dialogue. Comme tous les membres du gouvernement, j'ai respecté ma parole de ne pas communiquer sur le budget avant sa présentation globale. Mais, ensuite, j'ai proposé de venir m'expliquer devant une instance élargie, si le mouvement le souhaitait. N'ayant pas de réponse, j'ai finalement pris l'initiative d'inviter les membres du comité directeur le 2 octobre, mais il manquait deux fédérations. Je croyais avoir apporté à cette occasion des réponses aux interrogations des HLM. J'ai également proposé au président Quilliot de mettre en place le plus vite possible des groupes de travail avec mon administration.

Les Échos : Leurs craintes ne semblent pas dissipées. En substituant la baisse du taux de la TVA à une subvention, les HLM ne risquent-ils pas d'y perdre au change ?

Pierre-André Périssol : Nous avons fait des simulations sur un panel existant de 600 opérations représentant 10 000 logements.

L'abaissement de la TVA sera en moyenne équivalent à ce qu'était le montant de la subvention. En passant d'un taux de 20,5% à 5,5%, les organismes vont gagner 15 points, s'appliquant sur tout ce qui n'est pas foncier. Le foncier représentant en moyenne 20% du coût d'une opération, le gain sur la globalité sera de 12%, soit exactement le taux qui était retenu pour calculer la subvention. Évidemment, il s'agit d'une moyenne. Les organismes qui paient moins cher le foncier vont y gagner, ceux pour qui le foncier représente plus de 20% devront être plus rigoureux… Il faut également prendre en compte la baisse du taux du Livret A, représentant une baisse de près de 20% du coût de l'argent emprunté par les HLM. Au total, l'équilibre financier sera désormais plus facile pour les HLM.

Les Échos : Vous ne craignez pas que, dans le doute, les organismes HLM les plus fragiles renâclent à lancer des opérations ?

Pierre-André Périssol : Au contraire, ce nouveau dispositif va permettre une programmation extrêmement soutenue. Nous avons prévu 80 000 logements HLM en 1997, dont 55 000 neufs. Pour la première fois, nous sommes sûrs que ces 55 000 logements neufs inscrits dans la loi de finances se feront réellement. Les organismes HLM doivent se mobiliser. Il s'agit d'aller vite, car nous avons exceptionnellement obtenu le déblocage des crédits de 21 000 logements pour la fin de 1996. Les entreprises du bâtiment et les personnes qui attendent une HLM ne comprendraient pas que ces crédits ne soient pas utilisés.

Les Échos : Globalement, les HLM semblent désorientés par les tours de passe-passe budgétaires et disent ne plus s'y retrouver dans votre politique. Ne manque-t-elle pas de visibilité ?

Pierre-André Périssol : Depuis seize mois, l'ensemble du financement du logement a été réformé en profondeur. Il le fallait, car le système était inadapté, inefficace et ne correspondait plus à notre temps. C'est le rythme de ces réformes, sans doute, qui est difficile à suivre par les HLM. Mais je compte sur eux pour jouer le jeu et ne pas s'abriter derrière la force des habitudes.

Lorsque je suis arrivé, tous les éléments d'une crise du logement étaient réunis. La première urgence était de trouver une solution au problème de logement des plus démunis. Nous l'avons fait en créant des logements d'insertion. Personne ne croyait qu'on arriverait à tenir notre objectif de 20 000 logements d'urgence avant la fin de 1996. Or nous allons probablement dépasser cet objectif. Ensuite, nous nous sommes attelés à la relance de l'accession sociale à la propriété en substituant un système très simple, le prêt à taux zéro, à l'ancien système.

Les Échos : Quel bilan dressez-vous du prêt à taux zéro ?

Pierre-André Périssol : C'est un succès quantitatif : 10 000 accédants par mois en bénéficient. Avec un total de 120 00 prêts distribués sur un an, on va aider quatre fois plus de ménages simplement en redéployant les aides existantes. De plus, les bénéficiaires ont un profil plus social (les quatre cinquièmes sont des ménages modestes).

Les Échos : Vous accordez-vous le même satisfecit en matière d'investissement locatif ?

Pierre-André Périssol : C'est la troisième grande réforme engagée. La formule de l'amortissement des biens locatifs privés a été qualifiée de révolutionnaire, car, pour la première fois depuis 1917, on va retrouver une parité entre l'investissement dans la pierre et les autres. L'acquéreur d'un logement destiné à la location va pouvoir l'amortir dans ses revenus, comme une entreprise amortit la machine qu'elle achète sur ses résultats.

Les Échos : Autre réforme en cours : celle des aides personnelles au logement (APL). Elle suscite encore des interrogations. D'aucuns redoutent que la simplification des barèmes ne cache une réduction des crédits…

Pierre-André Périssol : Il fallait encore une fois agir vite pour maîtriser la dérive des dépenses publiques. Il n'est pas question de réduction puisqu'en 1997 les aides augmenteront de 8,6%. L'objectif de cette réforme est double : instaurer un système à la fois plus lisible et plus équitable.

Nous avons remis à plat un système devenu au fil des ans très complexe, constitué d'ajouts successifs, en essayant de traiter de la même façon les allocataires qui ont le même niveau de ressources. C'est dans ce sens que sera conçu le nouveau barème des aides, qui s'appuiera sur la notion d'effort qu'un ménage pourra consacrer à son logement.

Les Échos : Quand cette réforme de l'APL va-t-elle entrer en vigueur ?

Pierre-André Périssol : Mardi dernier, le Conseil national de l'habitat (CNH) a émis un avis favorable aux premiers textes d'application concernant la réforme. Il devrait de nouveau se réunir mi-novembre pour examiner le nouveau barème qui lui sera présenté. Le nouveau dispositif devrait s'appliquer dès le 1er janvier 1997.

Les Échos : Vous ne cessez de répéter que la « reprise du logement est là » ; pourtant, en écoutant les professionnels du secteur, n'avez-vous pas l'impression de prêcher dans le désert ?

Pierre-André Périssol : Même s'il faut rester vigilant, la reprise du logement est bien au rendez-vous. Les ventes redémarrent. Les promoteurs ont constaté au deuxième trimestre une hausse de près de 25% des ventes de logements neufs par rapport à l'an passé. De plus, cette reprise est saine. La demande n'est pas soutenue à coups de crédits et subventions distribués par l'État, mais bien par une demande des ménages. Elle devrait se consolider avec la montée en régime de l'amortissement sur l'investissement privé.

Les Échos : Mais alors, pourquoi la Fédération nationale du bâtiment s'alarme-t-elle ?

Pierre-André Périssol : Le logement va bien, mais le bâtiment souffre. Car ce dernier réalise la moitié de son chiffre d'affaires en dehors du logement, dans les équipements des collectivités locales, des administrations, de l'industrie et du commerce, qui pour des raisons différentes ont réduit leurs commandes. Le bâtiment compte d'autant plus sur le logement.

Mais il paie encore aujourd'hui la crise enregistrée il y a dix-huit mois. Compte tenu de la digestion des stocks et d'un décalage entre les permis de construite et les mises en chantier, il devrait tirer les fruits de la reprise en termes d'emplois d'ici à la mi-1997.

Les Échos : Avec la persistance de la rigueur budgétaire, pensez-vous avoir les moyens de mener une politique du logement dynamique et durable ?

Pierre-André Périssol : Je crois que nous avons fait ce qu'il fallait pour créer une nouvelle dynamique du logement. Depuis dix-huit mois, nous avons maintenu le même cap, en mettant de l'ordre dans les financements et en reconstruisant le droit au logement. Nous récoltons aujourd'hui les premiers fruits de ce travail.

D'autres dossiers sont en cours de préparation. C'est le cas de la réforme sur l'attribution des logements HLM. On travaille également sur une modernisation de la procédure de réquisition des logements pour les plus défavorisés. Des textes seront notamment intégrés dans le projet de loi sur la cohésion sociale. Nous avons déjà posé les fondations d'une nouvelle politique du logement. Aujourd'hui, nous disposons de bases solides et saines. Nous allons construire dessus.


Libération – 28 octobre 1996

Libération : Les procédures d'obtention d'un logement social deviendront-elles plus transparentes ?

Pierre-André Périssol : Les demandeurs de HLM estiment qu'ils ne sont pas tous sur un pied d'égalité. Plus généralement, l'opinion a le sentiment que l'opacité prévaut en matière d'attribution de HLM. Une mise à plat s'impose. Il faut instituer de nouvelles règles pour assurer une égalité des chances dans l'accès au logement social.

Libération : Depuis 1994, la Mission interministérielle d'inspection du logement social (Milos) a sanctionné 68 organismes de HLM pour avoir attribué des logements à des ménages qui n'y avaient pas droit. Cela confirme que le népotisme existe dans les HLM.

Pierre-André Périssol : Le problème majeur tient à une réglementation inadaptée. Actuellement, rien n'oblige les organismes de HLM à une pratique transparente des attributions. Cette situation favorise les dérapages.

Libération : Quels mécanismes comptez-vous mettre en place pour améliorer la situation ?

Pierre-André Périssol : La transparence passe par une connaissance précise de l'offre et de la demande de logements sociaux. Aujourd'hui, il est impossible de savoir combien de HLM sont libres à une date donnée, dans un département. Même les statistiques sur le nombre de demandeurs font défaut, car les candidats peuvent déposer leur dossier à la préfecture, à la mairie, ou encore auprès de l'organisme de HLM. La multiplicité des guichets provoque l'éparpillement des données. Pour plus de clarté, il est indispensable de rassembler les informations en un même endroit. Il faut une sorte de « fichier unique » départemental des logements sociaux vacants et des demandeurs.

Libération : Les informations en matière d'attribution de HLM sont rares et généralement inaccessibles. Ce mode de fonctionnement ne nourrit-il pas la suspicion ?

Pierre-André Périssol : Très certainement. Nous allons proposer aux organismes de HLM de publier régulièrement – tous les six mois ou tous les ans – un bilan des attributions. Il est évidemment exclu de communiquer la liste nominative des bénéficiaires. En revanche, tous les critères qui ont prévalu dans le choix des candidats figureront dans ce document public : niveau de revenu, composition du ménage, surface de l'appartement.

Libération : Est-il acceptable que des demandes de HLM régulièrement renouvelées restent souvent sans réponse pendant cinq ans, voire plus ?

Pierre-André Périssol : Le demandeur de HLM doit être traité en citoyen. Lorsqu'il dépose une demande, il doit être assuré que son dossier a bien été enregistré. Un éventuel refus doit être motivé. Pour plus de transparence, un numéro départemental doit lui être attribué. Il faut ensuite lui permettre de suivre l'évolution de sa candidature. On peut imaginer qu'à l'occasion du renouvellement annuel de sa demande, on lui précise si son dossier a fait l'objet ou non d'une présentation en commission d'attribution. Je propose aussi la création, dans les départements où la situation du logement est tendue, d'un « intermédiateur », qui aurait pour fonction de plaider les dossiers des candidats qui estiment ne pas être entendus.

Libération : La France compte 3,5 millions de logement sociaux, mais il y a toujours des mal-logés. Les HLM remplissent-elles leur mission ?

Pierre-André Périssol : Les HLM ont été créées dans l'après-guerre pour loger les « salariés de la croissance ». L'économie était en expansion et pratiquement tous les demandeurs bénéficiaient d'un salaire stable. C'est pourquoi le seul critère d'attribution a été pendant longtemps le revenu. Aujourd'hui, nous avons une société beaucoup moins homogène, les ménages n'ont plus de revenus réguliers, il y a de plus en plus de familles monoparentales… Les organismes de HLM doivent s'adapter à cette nouvelle donne et loger en priorité ceux qui en ont le plus besoin tout en maintenant la mixité sociale. C'est possible puisque 57% des Français sont éligibles en HLM.

Libération : Aujourd'hui, un ménage peut basculer en quelques mois dans la précarité. Les procédures d'accès au logement social ne sont-elles pas inadaptées car trop longues ?

Pierre-André Périssol : Nous avons mis en place un programme de 20 000 logements d'urgence pour loger les familles et les individus en difficulté, le temps de les aider à retrouver un logement. Par ailleurs, je propose que dans des situations de grande urgence, le préfet, garant de l'intérêt général, puisse prononcer en liaison avec le maire concerné une attribution d'office d'une HLM. En outre, pour réaffirmer l'intérêt que l'État porte au problème du logement, je vais demander que le préfet ou son représentant soit membre de droit des commissions d'attribution de logements de divers organismes. Ces deux dispositifs figurent dans le projet de loi sur la cohésion sociale.

Libération : C'est un retour de l'État dans l'univers des HLM, via le préfet ?

Pierre-André Périssol : Oui, l'État doit retrouver ses moyens d'action, exercer ses responsabilités. Le préfet dispose d'un contingent d'attribution, de l'ordre de 30% des logements dans le parc HLM. Dans les faits, il exerce peu cette prérogative, notamment à cause du déficit d'information concernant les logements disponibles. Les maires sont dans la même situation. La mise en place d'un fichier départemental pour rassembler toutes les données relatives à l'offre et à la demande de logements sociaux permettra aux préfets de remplir leur mission.