Interviews de M. Louis Viannet, secrétaire général de la CGT, dans "Le Parisien" du 14 octobre 1996, à RMC le 16, Europe 1 et RTL le 17, sur la journée d'action du 17 octobre, la "colère" et la "révolte" des salariés notamment des jeunes, et sur l'unité syndicale.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Journée d'action (manifestations et grèves) dans la Fonction publique à Paris et en province de 17 octobre 1996

Média : Le Parisien - RMC - Europe 1 - RTL

Texte intégral

Le Parisien : 14 octobre 1996

Jean-Marc Plantade : Dans la foulée de la marche de la défense du 12, la journée du 17 octobre dans la fonction publique est-elle à vos yeux le signal du « réveil social » ou au contraire la dernière mobilisation d'une rentrée finalement plutôt tiède ?

Louis Viannet : Je n'ai pas du tout l'impression que le mouvement social se soit endormi. Ni dans la première partie de l'année, ni pendant l'été où nous avons constaté un maintien assez remarquable de la combativité. La puissante mobilisation samedi des salariés de la défense en dit long sur la détermination qui grandit dans le pays de se faire entendre. Le 17 octobre confirme que les problèmes posés dans le secteur public sont sérieux et que le gouvernement ne s'en tirera pas par la promesse d'ouverture de négociations salariales. L'aspiration à faire converger les efforts entre le secteur public et privé reste toujours aussi forte. C'est pourquoi nous avons appelé à une journée d'action nationale et interprofessionnelle début novembre.

Jean-Marc Plantade : Vous croyez vraiment qu'il y aura de nouvelles mobilisations sociales après le 17 octobre ? N'est-ce pas un vœu pieux ?

Louis Viannet : Nous avons de bonnes raisons de croire que notre appel sera entendu. Nous ferons tout pour qu'il y ait un « après 17 octobre ». Notre grande initiative du début novembre va y contribuer. Il y a un besoin. Tous les frémissements constatés dès l'annonce du 17 octobre prouvent que l'aspiration au « tous ensemble » reste forte. Peut-être plus que le gouvernement ne l'imagine. Je pense que ce mouvement aura une résonance importante chez les salariés du privé qui ont toutes les raisons de s'engager dans l'action.

Jean-Marc Plantade : Que pensent les autres syndicats de votre journée de grève de novembre ? Avez-vous contacté FO ?

Louis Viannet : Nous ferons en sorte de préparer cette initiative dans l'unité d'action la plus large. J'ai cru comprendre en lisant ou en écoutant Marc Blondel que Force ouvrière n'est pas hostile à une telle perspective.

Jean-Marc Plantade : Et la CFDT ?

Louis Viannet : Je ne crois pas qu'il y ait des raisons qui éloignent quelque organisation syndicale que ce soit d'une telle initiative.

Jean-Marc Plantade : Que pensez-vous de la présence probable de syndicats de médecins aux côtés des fonctionnaires le 17 octobre ?

Louis Viannet : Elle me confirme dans l'idée que les jugements portés sur le plan Juppé il y a un an sont en train de se préciser et de se clarifier au fur et à mesure de sa mise en place. Les différentes catégories sociales commencent à en mesurer la portée. Les médecins qui se trouvent désormais sous le couperet des économies se demandent s'ils ne se sont pas eux aussi des victimes du plan Juppé.

Jean-Marc Plantade : Pourtant, le climat social paraît très différent de celui de 1995…

Louis Viannet : On peut avoir le sentiment aujourd'hui qu'il n'y a pas, en 1996, le même catalyseur qu'en 1995. Sauf que les problèmes posés dans le secteur public – comme les salaires, les effectifs, le besoin de réduction de la durée du travail… – se retrouvent partout. De plus – et le phénomène est nouveau – la situation a mûri dans le secteur privé par rapport à 1995. Le nombre de conflits augmente : Moulinex, la Lainière de Roubaix, Grundig en Moselle, Mumm en Champagne, Renault Flins, Snecma à Gennevilliers, Myris, l'Epée… Cela montre qu'on peut tout à fait parvenir à une mobilisation peut être différente dans la forme mais porteuse d'exigences plus fortes.

Jean-Marc Plantade : Pour en revenir aux fonctionnaires, les suppressions de postes sont largement inférieures à ce qui avait été annoncé, c'est plutôt positif ?

Louis Viannet : Le gouvernement n'est pas en situation de faire exactement ce qu'il veut. On en est à environ 7 000 suppressions d'emplois alors qu'on en avait annoncé 20 000, le gouvernement est bel et bien obligé d'assumer les conflits qui ont déjà eu lieu, comme dans l'enseignement, et ceux qui vont se prolonger après le 17 octobre. Malgré ses ronds de jambes politiques, le Premier ministre a du mal à surmonter le fait qu'il est à 27 % de popularité dans les sondages.

Jean-Marc Plantade : On assiste au travers des élections à l'Unedic et à la Cnam à une redistribution des cartes dans le jeu syndical avec la création d'un pôle réformiste autour de la CFDT et d'un pôle contestataire FO-CGT. Qu'en pensez-vous ?

Louis Viannet : Je ne suis pas pour écrire l'histoire avant qu'elle ne se déroule. La CGT est attachée à l'unité d'action sans éliminer ni rejeter personne. Nous ne visons pas à la constitution d'un front syndical des uns contre les autres. Mais nous voulons rassembler tout le monde.


RMC : 16 octobre 1996

P. Lapousterle : Demain, vous allez tenter de réveiller le mouvement social et de répéter celui de l'an dernier ?

L. Viannet : Le but est à la fois beaucoup plus simple et peut-être même plus ambitieux : il s'agit tout simplement d'une initiative qui va permettre à des centaines et des centaines de milliers de salariés d'exprimer leur mécontentement. Ça me paraît nécessaire. Je considère qu'aujourd'hui, le plus grave danger qui pèse sur la situation actuelle, ce serait que les salariés se laissent faire, qu'ils n'expriment pas leurs exigences avec le maximum de force. C'est ça, le plus grand danger.

P. Lapousterle : Quel est l'état d'esprit des salariés, tel que vous le voyez à la tête de la CGT ?

L. Viannet : La première chose qui éclate, c'est que, vraiment, il y a du mécontentement. Mais ça, ce n'est pas une surprise. Il y a des raisons fortes, des raisons profondes, parce qu'on est aujourd'hui en présence d'une situation de l'emploi qui se détériore à la vitesse grand V. Mais chaque jour, tombent de nouvelles annonces de suppression d'emplois, de licenciements. Chaque jour, tombent de nouvelles annonces qui laissent présager une véritable casse de l'outil industriel en France.

P. Lapousterle : C'est donc au moment où les gens cherchent du travail que vous défilez pour demander des augmentations de salaire pour ceux qui travaillent ?

L. Viannet : Mais pour une raison très simple – que, y compris au Gouvernement, des gens ont maintenant de plus en plus de difficulté à contester – c'est qu'en fait, un des éléments qui pèsent sur l'activité économique, sur les possibilités d'un redémarrage de l'activité économique, c'est l'insuffisance de consommation. L'insuffisance de consommation résulte du niveau des salaires qui est aujourd'hui insupportable. Elle résulte du développement de la précarité qui fait que vous avez maintenant des centaines de milliers d'hommes et de femmes qui ne peuvent pas répondre à leurs besoins. Elle résulte d'une montée du chômage qui atteint aujourd'hui un niveau considérable. Sauf que, dans le même temps – parce qu'il faut voir ce qu'est la réalité du pays – on a cette situation et on a des bilans d'entreprise et des grands groupes qui battent des records. On a la Bourse qui annonce tous les jours une santé florissante. On a des gens qui s'enrichissent sur la misère qui se développe. Ça, à un moment donné, ça provoque une explosion.

P. Lapousterle : On est vraiment dans un moment d'explosion ?

L. Viannet : Je pense en particulier à la jeunesse : véritablement, on est dans une situation qui devrait conduire la jeunesse à exprimer l'envie de filer un grand coup de pied dans cette fourmilière de l'argent qui est en train d'étouffer le pays. Moi, je souhaite qu'au travers de tout ce qui est en train de grandir dans les différents secteurs et dans les différentes branches, on voie s'exprimer de plus en plus cette volonté d'imposer d'autres orientations et d'autres choix pour le développement de la société française.

P. Lapousterle : Pourquoi y a-t-il seulement 5 % de salariés syndiqués dans le secteur privé ? Pourquoi le secteur privé ne suit-il jamais, et depuis des années, les mouvements syndicaux ?

L. Viannet : Je ne sais pas s'il y a quelques insuffisances dans le niveau de vos informations sociales, parce qu'une des grandes caractéristiques des derniers mois, depuis le printemps et plus nettement depuis septembre, c'est un développement en nombre et en puissance des conflits dans le secteur privé. Alors, on va me dire que c'est essentiellement parce qu'interviennent des plans sociaux. Je vous fais quand même remarquer la perversité du vocabulaire aujourd'hui : chaque fois qu'on met en place un plan qui va jeter des hommes et des femmes à la rue, on appelle ça un plan social. Moi, j'appelle ça une mesure fondamentalement antisociale et qui va à l'encontre de l'intérêt du pays. Mais même si les motivations des conflits qui se développent dans le secteur privé portent essentiellement sur l'emploi, ce n'est que logique et ce n'est que normal. Ce que je constate, c'est qu'en fait, on a aujourd'hui, peut-être à la différence de ce qui a pu exister à une certaine période, une montée de la combativité aussi dans le secteur privé que dans le secteur public. Je peux vous dire que la CGT fera tout pour que cette combativité de tous les secteurs converge en un puissant mouvement.

P. Lapousterle : Est-ce que ça fait sérieux de vous voir demain défiler avec M. Blondel et N. Notat, alors qu'on a assisté à des bagarres entre vous ces derniers mois ?

L. Viannet : Je ne sais pas s'il y a un problème d'accusation réciproque. Il y a une réalité : on a en France un syndicalisme divisé et qui n'est pas seulement divisé pour des raisons de caprice ou d'étiquette ; il est divisé à partir de certaines différences de conception de ce que doivent être le syndicalisme et l'action syndicale. Il est évident que les dirigeants de la CFDT et N. Notat ont pris un certain nombre de positions qui tendent beaucoup plus à accompagner les objectifs du Gouvernement et les objectifs du patronat dans un certain nombre de domaines, notamment de la protection sociale et concernant l'Unedic, qu'à affirmer une position syndicale forte. Pour autant, les réalités qui font se développer le chômage, les réalités qui font que le pouvoir d'achat diminue, elles pèsent sur tout le monde, sur ceux et celles qui ont une sensibilité proche de la CFDT et sur les autres.

P. Lapousterle : Imaginons que demain soit un grand succès : et après ? Des fédérations CGT demanderont-elles la poursuite du mouvement le lendemain ?

L. Viannet : Ne me demandez pas d'écrire l'histoire.

P. Lapousterle : Mais est-ce imaginable ?

L. Viannet : Ce n'est pas inimaginable. Ce n'est pas forcément ce qui va se passer, parce que le prolongement d'un mouvement comme celui de demain, ça ne se joue pas forcément dans les 24 heures. Mais une chose est sûre : il y a, quelles que soient les branches aujourd'hui engagées dans l'action, la prise de conscience – que l'on soit fonctionnaire, dans le secteur nationalisé ou le secteur privé – que pour être plus fort, il y a nécessité de créer les conditions pour se retrouver ensemble.

P. Lapousterle : Y aura-t-il cette journée interprofessionnelle et nationale de début novembre, à l'appel de la CGT ? Les autres syndicats sont-ils d'accord pour y participer ?

L. Viannet : Nous allons discuter des conditions dans les prochaines heures, puisque je pense que la journée du 17 constitue une excellente occasion pour qu'ensemble, nous examinions quelles perspectives on ouvre à ceux et celles des salariés – ils sont des centaines et des centaines de milliers – qui n'ont pas l'intention d'en rester là et qui veulent – ils ont raison – continuer la pression revendicative jusqu'à ce qu'enfin, on les entende.


Europe 1 : jeudi 17 octobre 1996

J.-P. Elkabbach : Une grève de grande ampleur a donc commencé dans le pays. Pour vous, quel est le critère du succès du mouvement ?

L. Viannet : Déjà le fait qu'elle existe, déjà le fait qu'elle soit unitaire, déjà le fait qu'elle corresponde à la volonté profonde qui s'exprime dans toutes les catégories sociales qui sont concernées par ce mouvement et ensuite le fait qu'elle reçoit un soutien populaire plus fort encore aujourd'hui qu'il n'était il y a un an.

J.-P. Elkabbach : Quand vous dites unitaire, il y a N. Notat, M. Blondel, vous, les autres, vous y serez tous mais chacun avec les siens. Vous ne serez pas ensemble, non ?

L. Viannet : On sera ensemble mais il ne faut pas toujours regarder les états-majors. Je sais bien que l'on a cette habitude-là. Regardons ce qui se passe sur le terrain ! Et sur le terrain, ce qui est en train de grandir c'est une volonté unitaire très forte. Et sur le terrain, ce qui est en train de grandir c'est une colère qui va aller en s'exprimant de plus en plus fort parce que les gens en ont ras-le-bol !

J.-P. Elkabbach : M. Blondel disait, dans son style inimitable au Club de la Presse, « tous les ingrédients sont là pour que cela pète mais il n'est pas sûr que cela va péter. » Est-ce que cela peut exploser, éclater ? Qu'est-ce que cela veut dire sur le plan social, la colère dont vous parlez ?

L. Viannet : Je vois mal une grenade qui explose, par contre je suis tout à fait convaincu, et la CGT fera tout pour ça et je ferai tout pour ça, qu'il est possible aujourd'hui et surtout nécessaire de faire grandir un mouvement social de plus en plus large, de plus en plus puissant, de plus en plus tenace parce que c'est au travers de cette ténacité que l'on mettra en difficulté le Gouvernement dans la poursuite des objectifs qui sont les siens et le patronat.

J.-P. Elkabbach : Vous allez recommencer ?

L. Viannet : Mais enfin, il y a eu un grand mouvement en novembre, décembre 1995. Quel est le grand enseignement qu'en retirent les salariés ? C'est qu'en définitive, le Gouvernement a tout fait pour que, très vite, on passe à autre chose. Il n'a pas tenu compte de la profondeur de ce qui est en train de grandir dans le pays et en particulier dans la jeunesse. La jeunesse est aujourd'hui, je le dis franchement, en situation de légitime révolte parce que ce n'est pas possible de tolérer qu'on ait aujourd'hui 30 % de Rmistes qui aient moins de 30 ans. Ce n'est pas possible de tolérer que les jeunes diplômés soient en nombre toujours plus nombreux parmi les Rmistes.

J.-P. Elkabbach : Mais ceux qui vont manifester aujourd'hui sont ceux qui ont des emplois !

L. Viannet : Mais bien sûr que ce sont ceux qui ont des emplois et ce sont eux qui représentent la force à l'appui de laquelle on peut peser sur le Gouvernement. Mais dans les objectifs qui sont aujourd'hui au cœur de la grève, il y a tous les éléments qui concernent les chômeurs, les exclus parce qu'en définitive, les exigences qui grandissent dans ce mouvement social sont les conditions indispensables pour faire stopper le processus de misère qui se développe.

J.-P. Elkabbach : Est-ce que votre objectif est de faire de novembre ou décembre 1996, un décembre 1995 ?

L. Viannet : Ah, si je devais le dire très vite, je dirais qu'il faut que ce soit encore plus fort.

J.-P. Elkabbach : Sur la même durée ?

L. Viannet : Il faut que ce soit encore plus fort, il faut qu'il y ait plus de convergence entre salariés du public, salariés du privé parce qu'il se passe des choses qui ne sont plus tolérables. La décision, par exemple, que vient de prendre le Gouvernement en bradant Thomson, en abandonnant toute la partie multimédias de ce grand groupe à un groupe étranger en lâchant le savoir-faire national, est une décision scandaleuse ! Et moi, je suis convaincu que cela va susciter non seulement des réflexes de colère mais une volonté de s'engager dans la lutte.

J.-P. Elkabbach : Aujourd'hui, il y a des contraintes mondiales, des changements qui se font malgré nous et sans nous : est-ce qu'on ne peut pas profiter aussi du positif que peut apporter l'Europe ou l'ouverture du monde ?

L. Viannet : Vous avez bien raison de parler de profiter parce qu'il y a des contraintes mondiales ; tous les jours, on nous parle de mondialisation et moi, je suis comme vous, je lis toute la presse, je regarde les bilans des grands groupes et des grandes entreprises qui viennent d'être publiés dans les deux derniers mois. Il y a dans ce pays des gens qui s'enrichissent. Il y a dans ce pays des gens qui s'en mettent plein les poches pendant que la misère grandit. Et le fond de la révolte, le fond de la violence qui traverse cette société, il est là.

J.-P. Elkabbach : M. Barrot espère que vous saurez vous arrêter, il vous dit : pensez aux jeunes, aux sans-emploi, aux investissements, à l'économie française, il n'est pas le seul à vous le dire. Comment lui répondez-vous ?

L. Viannet : Mais il est disqualifié pour parler de solidarité. Il est disqualifié pour parler de l'économie française. Chaque décision que prend ce Gouvernement maintenant, conduit à plus de misère, plus de difficultés et plus d'exclusion.

J.-P. Elkabbach : Vous avez le soutient de L. Jospin, c'est bien, il parle d'urgence sociale et en raison de l'urgence sociale, il vous manifeste sa solidarité.

L. Viannet : Chaque parti a le droit d'exprimer la solidarité qu'il veut et de la façon dont il veut. Moi simplement, ce que je veux dire, c'est que si d'aucuns s'imaginait qu'il y a aujourd'hui possibilité de récupérer le mouvement social au service d'une cause très étroite de défense des intérêts de parti, ils se trompent. Et je pense que la meilleure façon pour que ce mouvement social soit à l'abri de toute récupération, c'est que les syndicats soient plus à l'offensive, c'est qu'il y ait plus d'unité entre les confédérations, c'est que nous sommes dans une situation où effectivement les salariés ne comprennent pas que persiste la division syndicale.

J.-P. Elkabbach : Quand vous dites d'aucuns, vous voulez dire aussi le PS ?

L. Viannet : Bien sûr, je dis tout le monde.

J.-P. Elkabbach : D. Perben, qui sera là demain matin, a promis le dégel des salaires, une négociation d'ici à la fin de l'année au mois de décembre. Ça veut dire que vous commencez à être entendus ? Si D. Perben vous propose un accord 97-98 avec une certaine correction, en plus, pour compenser le gel de l'augmentation des salaires 96, vous lui répondez oui ?

L. Viannet : Je lui réponds que c'est aux fonctionnaires qu'il faut qu'il s'adresse parce que le contentieux est lourd, parce que les gens, et en particulier les fonctionnaires qui descendent dans la rue aujourd'hui, savent pourquoi ils descendent dans la rue. Si le ministre de la Fonction publique pense s'en tirer avec simplement une promesse de négociation alors que tout le monde sait bien que les choix budgétaires qu'a faits le Gouvernement en raison des contraintes de Maastricht et de sa perspective de monnaie unique, réduisent considérablement la marge de manœuvre et qu'il n'est pas aujourd'hui en mesure, en raison des choix qu'il a faits, de répondre.

J.-P. Elkabbach : Au-delà du côté syndical et social, vous réclamez une autre politique, vous aussi ?

L. Viannet : Oui.

J.-P. Elkabbach : Mais qui serait faite par qui ?

L. Viannet : Le problème n'est pas de savoir d'abord par qui, c'est déjà de savoir pourquoi. Pour quelles conditions ? Pour stopper des plans de licenciements ? Pour relancer le pouvoir d'achat ? Pour sortir de l'engrenage de l'aggravation des difficultés ?

J.-P. Elkabbach : Que pensez-vous de l'entrée du FN dans les syndicats ?

L. Viannet : Je pense que, plus les syndicats affirmeront leur unité et leur volonté de lutter, plus le FN aura des difficultés. En novembre-décembre 1995, on n'a pas entendu Le Pen, ni dans la rue, ni…

J.-P. Elkabbach : Mais vous vous inquiétez ?

L. Viannet : Oui, mais on a tout à fait les moyens d'y faire face.


RTL : jeudi 17 octobre 1996

RTL : Vous avez entendu N. Notat. Il y a des soupçons sur la CGT ainsi que sur des anonymes sur la façon dont elle a été traitée dans ce défilé. Que lui répondez-vous ?

L. Viannet : J'ai effectivement entendu ce qu'a dit N. Notat. Je crois que ce qui s'est passé à un aspect regrettable incontestable dans la mesure où ça met l'accent sur la division alors que la caractéristique de cette journée, dans ce qui s'est passé dans les profondeurs, c'est précisément des progrès dans l'unité d'action. Ceci étant dit, rien de sérieux et de crédible ne permet à N. Notat de penser et encore moins de dire que la CGT porterait une responsabilité dans une situation qui, si elle n'a pas dégénéré, c'est précisément parce qu'il y avait sur la gauche de N. Notat, un cordon sanitaire composé exclusivement de camarade de la CGT. Alors, il y a un contentieux. Je crois qu'il faut bien le voir. Il y a un contentieux réel en N. Notat et ceux qui persistent à combattre le plan Juppé parce qu'ils le considèrent mauvais. Ceci dit, je crois qu'il ne faudrait pas gâcher l'aspiration unitaire qui continue de grandir.

RTL : Vous croyez vraiment qu'elle continue de grandir, cette aspiration unitaire ?

L. Viannet : Mais bien sûr et on l'a vérifié encore aujourd'hui. Et les problèmes qui sont posés au mouvement social, ce n'est pas de se situer pour ou contre Notat, c'est de se situer pour ou contre l'augmentation du chômage, c'est de se situer pour ou contre la réduction de la durée du travail sans perte de salaire, c'est de se situer pour ou contre les réductions d'effectifs dans la fonction publique. C'est à partir de ces réalités finalement que continuera de grandir le courant unitaire en ce pays.

RTL : On a l'impression que les défilés ont rassemblé de nombreux participants mais que moins de fonctionnaires ont fait grève, selon les chiffres de la fonction publique, qu'en octobre dernier ?

L. Viannet : Vous savez, il y a toujours eu polémique sur les chiffres surtout quand le ministre de la Fonction publique, à 11 heures du matin, commence à annoncer des pourcentages de grévistes alors que les fonctionnaires savent bien que ce ministère est complètement incapable d'avoir des données statistiques avant au moins 24 heures. Ceci étant, les chiffres fiables qui sont en notre possession et qui corroborent ce qui a été dit tout à l'heure dans les commentaires à savoir que si, je dis si, le nombre de grévistes s'avérerait légèrement inférieur à ce qu'il était l'an dernier, le nombre de manifestantes et de manifestants est, lui, incontestablement supérieur notamment dans la plupart des grandes villes. On dit qu'en région parisienne, c'est à peu près du même niveau que l'an dernier, mais à Marseille c'est plus important, à Toulouse c'est plus important, Bordeaux c'est plus important, Rennes c'est plus important. Il y a là la traduction d'une sorte de radicalisation qui reflète bien l'expression de la montée de la colère qui est en train d'agiter le monde du travail dans les profondeurs. Et pas seulement dans le secteur public. Ce n'est pas seulement de la grogne qui s'est exprimée aujourd'hui dans les manifestations et dans les rues. Je crois que la tonalité, la combativité des manifestations le confirment : globalement, vraiment les salariés en ont assez.

RTL : Et maintenant, vous dites que vous souhaitez un mouvement encore plus puissant que celui de l'année dernière et que la solution, ce sont des négociations ?

L. Viannet : Ce sont des négociations mais ce sont des négociations qui débouchent sur un contenu concret, y compris lorsque le ministre de la Fonction publique étale sa bonne volonté en disant : « mais le Gouvernement est prêt à ouvrir des négociations » en oubliant de dire que c'est seulement lorsque la grève a été annoncée que le Gouvernement s'est aperçu qu'il avait un contentieux avec les fonctionnaires. Et en plus, il assortit mais il ne peut faire autrement, le contour des négociations dans le cadre de choix budgétaires dont on sait qu'ils interdisent, si on ne parvient à les modifier, pour l'essentiel des mesures qui puissent répondre aux exigences de la fonction publique. Moi, je crois qu'il y a toute raison pour continuer d'impulser le mouvement social et de travailler très fort à la réalisation de l'unité.

Chaque jour, chaque fois qu'on entend un discours de la part du Gouvernement ou de la part du patronat sur la priorité à l'emploi, chaque fois, ça s'assortit de décisions qui se traduisent par des milliers de suppressions d'emplois ou de licenciements. Chaque fois qu'on entend un discours sur la nécessité d'augmenter la consommation, ça s'accompagne de mesures qui pèsent sur les salaires. Je crois qu'on est vraiment dans une espèce de dynamique de recul qui a cette caractéristique : c'est qu'elle frappe particulièrement la jeunesse. Et les derniers chiffres qui viennent de tomber mériteraient quand même de faire réfléchir beaucoup de monde. En un an, les RMIstes augmentent de 5 %. Le nombre de jeunes de moins de 30 ans représente maintenant plus de 30 % des RMIstes et le nombre de jeunes diplômés RMIstes s’accroît d'une façon inquiétante. Comment voulez-vous que la jeunesse ne soit pas porteuse d'une sorte de volonté de changer ça, d'une volonté de révolte ?

RTL : Votre prochain objectif, c'est la journée d'action début novembre ?

L. Viannet : Puisque vous avez posé la question sous cette forme, moi je dis : et maintenant, il faut que tout de suite, sans attendre, partout, les salariés se réunissent et décident de la meilleure façon qu'ils ont à envisager pour poser leurs revendications. Dans les échéances immédiates, il va y avoir le 22 octobre une très grande manifestation des retraités, unitaire et les informations que nous avons montrent que ça va être une journée très forte. Il y a le 30 : une journée d'action unitaire dans l'ensemble des industries textiles et nous proposons, en nous appuyant sur la force de cette journée du 17 octobre et sur la combativité dont on sent bien qu'elle n'est pas prête de s'arrêter, nous proposons à toutes les organisations syndicales, d'organiser avec nous une initiative nationale grand format dont nous ferons tout pour assurer le caractère unitaire, pour discuter de la forme avec elles, mais dont nous ferons tout aussi pour qu'en tout état de cause, elle puisse avoir lieu. Nous pensons qu'elle doit se situer autour du 15 novembre. C'est-à-dire qu'il y a maintenant une dynamique qui va continuer de se nourrir au jour le jour dans tout ce qui est prévu, dans tout ce qui va se passer sans que ce soit prévu et dans tout ce que nous parviendrons à impulser et à développer.