Interview de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, à TSF le 24 septembre 1996, sur la crise de la vache folle, et le plafonnement des aides européennes afin de limiter la taille des exploitations agricoles, parue dans "L'Humanité" du 26 septembre.

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L'Humanité : Pouvez-vous nous dresser un rapide état des lieux du marché de la viande bovine depuis le déclenchement, en mars dernier, de la crise dite de la vache folle ?

Luc Guyau : Nous avons connu un été très particulier avec la situation des marchés de la viande bovine, mais aussi celle des fruits et légumes. S'agissant de la viande bovine, la crise est structurelle, avec une tendance à la surproduction. La baisse de la consommation consécutive aux informations parvenues d'Angleterre l'a rendue plus conjoncturelle et plus aiguë : effondrement de la consommation, psychose des consommateurs, la presse s'en est mêlée, en a parfois rajouté. Dès lors, les cours ont chuté de 25 % à 30 %. Des animaux qui se vendaient à 20 francs le kilo de carcasse sont tombés entre 14 et 15 francs. Nous avons obtenu de l'Europe et de la France quelques mesures de compensation. Mais le travail sera encore long avant de retrouver une situation normale. Par ailleurs, le secteur des fruits d'été a connu des baisses de cours importantes dues aux problèmes de concurrence avec nos voisins italiens et espagnols qui tirent profit de monnaies dévaluées et de charges sociales inférieures aux nôtres.

L'Humanité : Quelles sont, aujourd'hui, vos revendications en faveur des éleveurs ?

Luc Guyau : De mars à fin août, la crise a touché les animaux « finis », c'est-à-dire prêts pour la boucherie. Maintenant elle touche une deuxième catégorie d'éleveurs, ceux qui élèvent des broutards, ces veaux qui suivent leur mère au pré et que l'on vend pour l'engraissement à cette époque de l'année vers huit à dix mois. Comme les débouchés se sont réduits pour la viande, les acheteurs de broutards, notamment les importateurs italiens, proposent aujourd'hui des prix entre 2 800 francs et 3 000 francs au lieu de 4 500 francs ou 5 000 francs par pièce. C'est donc une perte considérable pour des éleveurs qui n'ont que cela comme production. Voilà pourquoi nous avons demandé une aide directe qui voisine autour de 1 000 francs par animal.

L'Humanité : Comment envisagez-vous de regagner la confiance des consommateurs ?

Luc Guyau : Nous avons décidé une opération « 30 000 fermes ouvertes » pour montrer au consommateur comment nous élevons nos animaux. Nous avons également engagé des démarches pour rencontrer les parents d'élèves afin que la viande ne soit pas interdite dans les restaurants scolaires. On doit au consommateur toute la vérité et la transparence, c'est la seule façon de regagner sa confiance. Certes, il y a eu des modifications dans les modes d'élevage, mais si nous étions restés à ce qui se faisait voilà cinquante ans, il faudrait multiplier certains prix par quatre ou cinq. Je ne crois pas que le consommateur soit souvent en mesure de payer de tels prix. La situation économique globale de nos concitoyens joue aussi sur leurs choix alimentaires, nous en sommes bien conscients.

L'Humanité : Précisément, lors du mouvement social important de novembre et décembre derniers en France, vous êtes resté silencieux. Pourquoi n'avez-vous pas soutenu les salariés et les syndicats en lutte ?

Luc Guyau : Je ne contesterai pas les mouvements syndicaux dans les autres secteurs que l'agriculture, et je ne veux pas non plus apparaître comme un corporatiste absolu qui ne se soucie pas du reste. Mais il faut être clair dans la société d'aujourd'hui. Moi, j'ai quand même l'impression que la France, globalement, vit un peu au-dessus de ses moyens. Je ne suis pas pour dire qu'il faut précariser tous les secteurs, loin de là. Mais je crois que, pendant trente ou quarante ans, on s'est appuyé sur un mécanisme où, compte tenu de la progression du pouvoir d'achat et du développement global, on ajoutait des avantages aux avantages, des productions aux productions. Et puis, nous avons connu une inversion de la situation qui a commencé avec le premier choc pétrolier, qui s'est poursuivi par l'élargissement des échanges puis la mondialisation, et aujourd'hui on a du mal à se remettre en cause. Nous n'avons pas voulu nous associer à ce mouvement de décembre parce que nous avons déjà suffisamment à faire dans nos équilibres internes de la FNSEA et nous n'étions pas tout à fait sur la même longueur d'onde sur les priorités à définir. L'interrogation sur l'évolution de la société était peut-être la même, les réponses à apporter ne l'étaient pas forcément.

L'Humanité : Pour revenir à l'agriculture, seriez-vous favorable à un plafonnement des aides européennes afin de limiter la taille des exploitations et maintenir une bonne occupation du territoire ?

Luc Guyau : Nous considérons que le plafonnement peut s'inscrire dans une politique globale. Mais ce ne peut être pas le seul élément de la politique des structures. Assurons-nous dans les commissions départementales qu'on donne bien la priorité aux jeunes ou à ceux qui ont besoin de se développer, et cassons les excès. Le plafonnement fait partie de notre réflexion, mais il ne peut pas faire une politique à lui tout seul.

L'Humanité : Quelles mesures vous paraissent devoir s'imposer dans la loi d'orientation de l'agriculture qui doit être discutée cet automne ?

Luc Guyau : Le premier message que nous voulons faire passer à travers cette loi c'est : pourquoi garder une agriculture dynamique. Nous voulons que cette loi soit l'occasion de clamer haut et fort quels sont les rôles et les missions de l'agriculture en matière de responsabilité des hommes, d'occupation du territoire, avec la production agricole, les activités d'amont et d'aval. L'agriculture doit également assurer la sécurité alimentaire aux consommateurs européens qui sont aujourd'hui 350 millions d'hommes et de femmes. Il s'agit également d'accéder aux marchés internationaux pour deux raisons : faire rentrer des devises, 50 milliards par an ce n'est pas neutre pour la France ; et puis, compte tenu que l'Europe négocie de plus en plus avec de multiple pays en voie de développement qui nous livrent des denrées agricoles quand on leur vend un Airbus ou un TGV, nous devons continuer d'exporter des produits agricoles. Si nous n'exportons pas, dans cinq, dix, vingt ans, on verra de plus en plus de produits importés qui nous condamneront à diminuer notre production. De plus, je n'accepte pas que les seuls Américains puisent demain faire la loi alimentaire dans le monde. Le XXIe siècle sera celui de l'alimentation et l'Europe doit être présente dans ce débat.