Interview de M. Louis Viannet, secrétaire général de la CGT, dans "Le Monde" du 21 septembre 1996, sur les choix du projet de budget 1997, l'utilisation des excédents de l'UNEDIC et le climat social.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Le Monde

Texte intégral

Le Monde : « Pour la CGT, la réforme fiscale est « un dispositif en trompe-l'œil ». Quelles sont vos critiques ?

Louis Viannet : Nous ne sommes pas face à une réforme fiscale, mais devant un ensemble de mesures très cohérentes, au contenu réactionnaire tout à fait évident, qui prolongent les grandes lignes budgétaires économiques et politiques du gouvernement. Au total, le gouvernement veut accentuer le transfert d'une partie des prélèvements, qui pesaient jusqu'à présent sur les entreprises et les hauts revenus, vers la masse des salariés, retraités et chômeurs. Lorsque Alain Juppé dit que sa réforme est « juste et ambitieuse », c'est exactement l'opposé de ce qu'elle est en réalité.

Le total des prélèvements obligatoires ne baissera pas en 1997. Avec l'augmentation des taxes sur l'alcool, le tabac, les carburants, les prélèvements indirects vont connaître un coup d'accélérateur. Or, la caractéristique première des impôts indirects est qu'ils frappent proportionnellement plus fort les revenus les plus bas. La progression des impôts locaux pose aussi un problème de transfert.

Enfin, le gouvernement a décidé d'alléger l'impôt sur le revenu, acquitté seulement par un contribuable sur deux, mais ce sont les hauts revenus qui bénéficieront le plus de cet allégement. Je ne donnerai qu'un seul chiffre : parmi ces allégements évalués à 75 milliards de francs sur cinq ans, 25 % iront aux 200 000 revenus les plus élevés, tandis que les trois quarts restants seront ventilés sur les quatorze millions de foyers qui paient l'impôt sur le revenu. Ces mesures sont injustes. Elles sont dangereuses à terme, car elles vont aggraver les inégalités et peser directement sur le pouvoir d'achat et la consommation. Elles n'auront, de fait, aucune incidence positive sur l'emploi.

Le Monde : Que proposez-vous ?

Louis Viannet : En priorité, il faut abaisser la TVA. L'augmentation de 2 points, il y a deux ans, devait être provisoire. On peut ramener le taux de la TVA à 18,6 %, voire l'abaisser encore. On peut, également, élargir le champ des denrées assujetties à un taux de 5 %, voire décider le taux zéro pour un certain nombre d'entre elles. Cela donnerait un coup de pouce à la consommation. Nous proposons aussi que l'ensemble des salariés bénéficient d'un abattement de 15 %, porté à 20 %, lorsque les deux conjoints travaillent. Là, il y aurait un élément de justice sociale.

Il faut recenser les masses énormes d'argent qui échappent à l'impôt - c'est le cas des revenus financiers - et les inclure dans l'assiette de l'impôt progressif au même titre que les salaires et les retraites. Enfin, je constate que l'impôt sur les sociétés est aujourd'hui à un niveau historiquement bas. Il ne rapporte que 100 milliards de francs, soit trois fois moins que l'impôt sur les revenus et six fois moins que les prélèvements indirects. Dans le même temps, le profit brut des entreprises a dépassé 1 500 milliards de francs en 1995, et leur taux d'autofinancement est supérieur à 110 %. On peut mettre à contribution les entreprises sans les mettre sur la paille.

Le Monde : C'est des entreprises d'aujourd'hui que l'on attend les emplois de demain…

Louis Viannet : La preuve est faite qu'alléger la fiscalité des entreprises ne favorise pas la création d'emplois. Aujourd'hui, on est dans une situation où les entreprises font des bénéfices et où l'on connaît un taux de chômage record qui dépasse 12,5 % de la population active. Il est nécessaire de pénaliser les entreprises qui augmentent leur profit en pratiquant la casse de l'emploi.

Le Monde : Quels sont les choix budgétaires qui vous paraissent les plus contestables ?

Louis Viannet : Le gouvernement part de l'idée que la marche forcée vers la monnaie unique nécessite de réduire la place de l'Etat, celle des dépenses et des recettes publiques. Je n'accepte pas que cette démarche soit rentrée dans la rubrique assainissement des dépenses. Seul un gouvernement qui aura commencé à réduire le niveau du chômage en France aura le droit de parler d'assainissement. L'idée de finances saines, dans un pays où il y a plus de quatre millions de personnes privées d'emploi, n'a aucune résonance crédible.

Le budget de la santé publique recule globalement de 1,5 %, et les aides à l'emploi de 15 milliards. Le projet de loi de finances prévoit dans la fonction publique d'Etat, en dehors de la défense, la suppression de 5 599 postes, notamment dans l'enseignement scolaire. Le budget de la recherche baisse, lui, de 5,5 %. Quand à l'industrie, ses crédits passeront de 17 milliards de francs en 1996 à 14,1 milliards de francs, alors que ce ministère devrait disposer de moyens importants pour pouvoir intervenir dans des secteurs en difficulté comme l'industrie de la chaussure.

C'est donc un budget qui privilégie, de façon très délibérée, les critères de convergences pour aller à la monnaie unique, au détriment de l'emploi. On assiste à une fuite en avant. Toutes les mesures décidées par le gouvernement Juppé ont pour caractéristique d'entraver une relance de l'activité économique.

Le Monde : Que faut-il faire des excédents de l'Unedic ?

Louis Viannet :Toutes les mesures décidées par le gouvernement ont pour caractéristique d'entraver une relance de l'activité économique.

Deux chiffres sont alarmants, jamais l'Unedic n'a aussi mal indemnisé les chômeurs, en France. Moins de la moitié des chômeurs recensés sont indemnisés. Parmi les chômeurs indemnisés, 77 % perçoivent moins de 5 000 francs. Il est donc essentiel d'utiliser les excédents pour rétablir les chômeurs dans leurs droits et relever les indemnités. Et c'est bien là l'enjeu essentiel de la future présidence de l'Unedic au moment où le CNPF affiche la prétention de donner aux entreprises l'argent qui a été volé aux chômeurs. Devant cet enjeu, l'acceptation par la CFDT et FO de l'arbitrage patronal prend l'allure de démission lamentable.

Nous sommes aussi très attentifs aux mesures annoncées par le gouvernement en ce qui concerne les fonds de pension. Depuis cinquante ans, le système de retraite mis en place en France est fondé sur la répartition, auquel sont venus s'ajouter des retraites complémentaires. Ce gouvernement prévoit des encouragements fiscaux pour développer les fonds de pensions qui vont progressivement mettre en difficulté notre système de retraite ; la CGT n'est pas prête à l'accepter et compte se battre bec et ongles.

Le Monde : Pour cette rentrée sociale, vous avez été présent et très prudent, rappelant qu'« il n'existe pas de génération spontanée en matière de luttes sociales ? ». Que vous inspire le climat social ?

Louis Viannet : Le climat social dépend de l'attitude offensive de chaque organisation syndicale. J'entends dire « ça va péter cet automne ». Je n'en sais rien, mais nous sommes dans une situation qui peut très vite générer des réflexes de révolte. Les gens n'expriment plus seulement du mécontentement, mais un mélange d'angoisse et de volonté d'en découdre.

Nous sommes dans une situation où l'absence de perspectives politiques n'est plus en mesure d'être un obstacle ou un frein au développement des actions et des luttes sociales. De ce fait, grandit l'aspiration à l'efficacité de l'action collective et l'exigence de résultats concrets. Dans la mesure où ils sentent qu'il y a la possibilité d'obtenir des résultats, les gens adoptent plus facilement un comportement combatif, d'où l'importance de la question du rapport de forces et de l'unité d'action.

Le Monde : Vous avez été en pointe dans le dossier des sans-papiers, est-ce une nouvelle approche des problèmes de société pour la CGT ?

Louis Viannet : Nous avons tenu notre place avec beaucoup d'autres organisations et associations. L'essentiel des problèmes que pose l'affaire des sans-papiers est devant nous et pas derrière. Il y a là d'abord pour le syndicalisme, et pour la CGT en particulier, un devoir de solidarité. Il y a ensuite à combattre la manière dont le gouvernement, d'une part, et tous les propagateurs des idées racistes et xénophobes, d'autre part, tentent d'utiliser le dossier des sans-papiers pour rendre les immigrés responsables de tous les maux. C'est sur ce terreau-là que se propagent les thèses du Front national. La CGT est bien décidée à investir tous les problèmes de société.