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Le Républicain Lorrain. - La Lorraine est une région proche, géographiquement, historiquement et culturellement de l’Alsace que vous connaissez bien. Quels sont les points de rencontre et les différences que vous décelez entre ces deux régions du Grand Est ?
Catherine Trautmann. - Evoquons d’abord les points de rencontre. Ces deux régions, dont les histoires sont fortement imbriquées, se trouvent à une distance importante de la capitale, hors de l’orbite du bassin parisien. Il s’agit de régions frontalières, qui entretiennent des relations étroites avec des régions et pays de culture germanique : le Bade-Würtemberg et la Rhénanie pour l’Alsace, le Rhéname-Palatinat, la Sarre et le Luxembourg pour la Lorraine.
Les différences doivent également être rappelées. L’Alsace composée de deux départements seulement, une superficie plus réduite que la Lorraine et apparaît comme une région plus compacte. La spécificité de chaque département y est très grande. En Lorraine, nous nous trouvons dans le cas particulier d’une région qui comporte deux métropoles d’importance démographique comparable, dotées d’une histoire propre et d’un mode de fonctionnement très spécifique. En ce moment un dossier, très important sur le plan de l’aménagement du territoire, réunit nos deux régions, totalement solidaires au tour de la réalisation d’une ligne de TGV.
RL. - Vue de l’extérieur, l’Alsace montre une identité forte, alors qu’en Lorraine les difficultés paraissent plus grandes à fonder un projet culturel commun entre les deux grandes métropoles Metz et Nancy, sans oublier l’enclavement des Vosges et de la Meuse. Qu’en déduisez-vous ?
CT.- En tant que ministre de la Culture et de la Communication et en tant que Strasbourgeoise, je ne souhaite prendre aucune décision, qui ne serait pleinement assurée par les collectivités territoriales lorraines. La vitalité incontestable des institutions culturelles régionales à Metz et à Nancy me semble constituer un atout, non seulement pour les villes et les agglomérations qui les entourent, mais aussi pour l’ensemble du territoire régional, y compris les Vosges et la Meuse. Metz et Nancy sont deux villes phare en Lorraine et on peut comprendre les craintes des deux villes à bouleverser une situation existante mais nous avons remarqué en Alsace combien les collaborations aidaient à la circulation des personnes et donc à la meilleure connaissance de la région.
RL. - Dans le domaine lyrique, l’expérience de l’Opéra du Rhin, de la collaboration, de la complémentarité entre Strasbourg, Colmar et Mulhouse restent-elles un exemple unique ou peuvent-elles servir de référence à une réflexion lorraine entre Metz et Nancy ?
CT. - L’expérience de l’Opéra du Rhin dans le domaine lyrique ne doit pas rester un exemple unique mais il vaut exemple pour d’autres villes et d’autres régions. La globalisation des moyens, la complémentarité des champs de compétences retenus ont permis à cette maison d’accomplir des projets gigantesques en qualité des représentations et en nombre de spectateurs touchés, tout en restant dans des limites financières acceptables pour tous les partenaires. C’est une réussite de l’intercommunalité qui peut servir de base et permettre à la Lorraine d’explorer de nouvelles pistes.
RL. - Culturellement comme économiquement, les régions à la taille hexagonale sont-elles à la dimension de l’Europe qui avance à grands pas, ou faut-il accentuer l’effort transfrontalier entre Lorraine, Luxembourg, Sarre et Palatinat ?
CT. - Avant de s’intéresser à la taille critique des régions en matière économique ou culturelle, il faut faire de la région une catégorie de référence dans nos modes de pensée. Alors que la plupart des pays qui nous entourent ont réalisé leur unité par juxtaposition de grandes régions avec des métropoles locales très importantes et fortes comme en Espagne, en Allemagne ou en Italie, la France a réalisé son unité par effacement des régions. Il nous faut aujourd’hui les redécouvrir mais ce travail loin d’exclure l’ouverture aux voisins, nous y invite. Bien sûr, l’effort transfrontalier doit être toujours présent. Il donne son vrai sens à l’Europe en construction.
RL. - Comment marier identité culturelle de chaque métropole et projet régional global ? Qui doit en être le catalyseur, la locomotive : l’Etat, la région, les départements ou les villes ?
CT. - Un projet de ce type se fonde au contraire sur l’identité et les spécificités de chaque métropole pour qu’elles s’enrichissent et se complètent. En matière culturelle, il n’y a jamais perte d’identité lorsque l’on s’ouvre à l’autre... Il ne peut et il ne doit pas y avoir une locomotive mais au contraire un véritable partenariat entre chacune des parties prenantes du projet : Etat, villes et région. La fonction du Comité de pilotage installé ce lundi est d’organiser et de faire vivre ce partenariat, dans le respect des compétences de chaque institution.
RL. - Villes, départements, régions reprochent souvent à l’Etat de se désengager financièrement, sous couvert de décentralisation, tout en continuant à imposer des directives, notamment dans le domaine des enseignements artistiques. Qu’en est-t-il vis-à-vis de la Lorraine ?
CT. - L’Etat ne se désengage pas financièrement à l’égard des institutions de formation, de création ou de diffusion pour lesquelles il a contractualisé avec les collectivités locales. Si cela a pu arriver dans le passé, pour ma part je souhaite que ces engagements contractuels soient désormais scrupuleusement respectés. Il en va de la crédibilité de l’action de l’Etat et de sa fiabilité auprès de ses partenaires. Pour ce qui concerne les enseignements artistiques, il est vrai que le ministère de la Culture exerce une tutelle pédagogique. On peut analyser cela comme une contrainte, mais il s’agit en fait d’assurer une valeur nationale aux diplômes et une égale qualité des enseignements sur l’ensemble du territoire. L’apport financier de l’Etat en Lorraine, comme ailleurs, pour le fonctionnement des conservatoires ou des écoles d’art, est encore relativement modeste, je vous l’accorde. Je souhaite, en tout état de cause, qu’il n’y ait plus de disparités géographiques à situation comparable, région par région, dans les apports financiers de l’état. C’est un premier pas fondamental dans la revalorisation de l’intervention financière de mon ministère.
RL. - Le budget de la culture se maintient tant bien que mai. N’est-ce pas minimiser le rôle de la culture dans la citoyenneté face à la fracture et à la désintégration du tissu social ?
CT. - Non, le budget de la culture ne fait pas que se maintenir, il est une priorité gouvernementale en 1998, et il le sera encore en 1999 ; le Premier Ministre l’a clairement indiqué. Je vous rappelle que le budget de la culture a. progressé en 1998 de 3,8 %.
Le rôle de la culture n’est plus considéré comme marginal, ses dimensions économique, sociale et surtout éducative, se sont définitivement imposées. L’action culturelle est en bonne place dans le programme gouvernemental de prévention et de lutte contre toutes les exclusions. J’ai clairement indiqué que la démocratisation de l’accès aux pratiques artistiques et culturelles était pour moi une priorité absolue qui guiderait toute mon action ministérielle. J’observe que mes collègues de l’Education nationale, Claude Allégre et Ségolène Royal, ont la même volonté de développer l’éducation et l’enseignement artistiques à l’école, au collège et au lycée. Les artistes et les professionnels de la culture sont mobilisés au côté des enseignants et multiplient les interventions dans et hors l’école, au travers d’ateliers de pratiques artistiques, de spectacles jeune public ou d’offres de formation pour les enseignants.
RL. - La culture, loin d’être seulement un supplément d’âme, constitue donc une nécessité première ?
CT. - En effet, on ne peut plus parler de la culture comme d’un supplément d’âme, et ce terme, encore commode dans les analyses et les discours à courtes vues, ne recouvre plus la réalité et ne traduit plus la volonté d’une majorité d’élus de responsables ou d’acteurs locaux. Car, la culture permet de s’identifier, de se repérer, et souvent de se réaliser ; mais, au-delà, elle invite à l’échange, à la reconnaissance et à l’acceptation de l’autre. Je n’ai plus à convaincre du fait que la culture est un formidable facteur d’intégration et d’insertion. L’exclusion sociale ne se manifeste pas par la seule relégation socio-économique, cette relégation est la plus visible, mais elle s’approfondit et se perpétue si les inégalités culturelles ne sont pas également combattues.