Texte intégral
RTL : Le Premier ministre a dénoncé les « critiques absurdes et de mauvaise foi » émises hier soir par l’opposition après la présentation de son plan. Vous vous sentez concerné ?
F. Hollande : C’est un peu le tempérament du Premier ministre : il ne supporte pas beaucoup la contradiction et la critique. Il devrait s’y habituer à force d’être contesté pas simplement par son opposition, mais également par sa majorité. Il faut toujours rester modeste, où que l’on se situe finalement dans l’échiquier politique. Je voudrais simplement dire que, pour l’exemple qu’il a cité et qui est hélas incontestable, même s’il le traite d’absurde, pour ceux qui ont les plus hauts revenus, la tranche d’imposition va supporter une baisse de dix points. Au lieu de payer, au terme de la réforme, 56,8 % de son revenu en impôts, pour la tranche maximale, ce ne sera plus que 47 à l’avenir si la réforme de M. Juppé est appliquée. En revanche, au plus bas de l’échelle, la fiscalité ne sera réduite que de cinq points. C’est bien donc l’exemple même du caractère inéquitable de ce projet.
RTL : En pourcentage, le Premier ministre…
F. Hollande : Alors en pourcentage, quand vous dites à un smicard qu’au lieu de payer 1 500 francs, il va payer 1 000 francs, effectivement, en terme de pourcentage, les 500 francs deviennent considérables. Mais pour un très haut revenu, l’avantage qui peut représenter jusqu’à 100 ou 200 000 francs est considérable, même si en pourcentage, il n’est pas aussi conséquent pour le smicard. Mais ce qui compte, c’est la somme que l’on peut voir diminuer sur sa feuille d’impôt, et pas le pourcentage. Mais peut-être que l’essentiel n’est même pas là. Le Gouvernement avait tellement augmenté les impôts qu’on ne peut pas se plaindre qu’aujourd’hui il nous parle de les baisser. Encore faudrait-il savoir si ça va servir à quelque chose et à qui cela va profiter.
RTL : Seulement, il dit que vous, dans les années précédentes, les efforts n’avaient porté que sur les détenteurs de capitaux, alors que maintenant, ça va être les salariés qui vont être les principaux bénéficiaires ?
F. Hollande : Je ne crois pas qu’on avait exonéré les revenus du capital. On avait même créé des impôts sur le patrimoine qui nous avaient été beaucoup reprochés, notamment l’impôt sur la fortune, et je crois qu’on avait raison. Je ne crois pas que ce que nous propose M. Juppé va détaxer les revenus du travail, parce qu’en définitive, certains paieront moins d’impôts sur le revenu, c’est évident, mais seront rattrapés, si je puis dire, par une somme de prélèvements et notamment de tous ces prélèvements sociaux dont on a parlé, la CSG, et puis surtout de toute cette fiscalité indirecte qui finit par pénaliser la consommation. La TVA qui a été augmenté de 2 points ; maintenant c’est la fiscalité des carburants, sans compter un certain nombre de taxes indirectes, de droits sur les alcools et tabac, sans compter la taxe d’habitation, et moi je crois qu’il faut absolument relancer la consommation si on veut que la croissance reparte. C’est la meilleure des façons, c’est de détaxer autant qu’il est possible les produits de cette consommation. Au lieu de cela, on va donner quelques avantages fiscaux à certains, mais on va pénaliser le plus grand nombre à travers cette fiscalité indirecte. Je ne crois que ce sera le meilleur moyen de relancer la consommation et donc la croissance et dont l’emploi.
RTL : Pour vous, il n’y aura pas de déclic ?
F. Hollande : Je n’ai pas eu le sentiment, ce matin, en allant dans les magasins, que les Français ayant écouté M. Juppé se ruaient sur les étals et se ruaient dans les grands magasins pour aller consommer. J’ai eu plutôt le sentiment qu’ils attendaient pour voir.
RTL : Le projet de création des fonds de pension ?
F. Hollande : C’est aussi un élément du dispositif qui va aggraver les inégalités, puisqu’en définitive, ceux qui, dans les entreprises, ont les plus hauts salaires, ils vont pouvoir souscrire bien entendu à ces fonds de pension, ceux qui ont les plus petits ou un travail précaire ne le pourront pas. Et qu’en plus, ces gros salaires, ces revenus importants auront des avantages fiscaux puisque la part de leurs revenus qui ira sur ces fonds de pension sera déductible de l’impôt sur le revenu, et là il y aura encore une source d’inégalité. C’est-à-dire que ceux qui ont les plus gros revenus auront les meilleures retraites.
RTL : Un dernier point : on vient d’entendre P. Seguin. L’idée d’instiller une dose de proportionnelle, de modifier le mode de scrutin, éventuellement pour les élections législatives, qu’est-ce que vous en penseriez ?
F. Hollande : Ça me rappelle les souvenirs. Lorsqu’une majorité ou un Gouvernement a quelques difficultés avec l’opinion publique ou ne croit plus tout à fait à ses chances pour le prochain scrutin, il imagine, ce Gouvernement, ou elle imagine, cette majorité, qu’il faut changer la règle du jeu. Ça nous était aussi arrivé à la gauche, et on avait ou pensait à la réforme du mode de scrutin et on l’avait d’ailleurs modifié. Je ne crois pas que ce soit une bonne méthode. Il y a une règle du jeu. Pour l’instant, il faut s’y tenir. Mais si évidemment on devait la changer, j’espère que ça ne resterait pas dans les déjeuners des chefs de la majorité parlementaire et présidentielle, j’espère quand même que l’opposition serait à un moment consultée. Ce n’est pas le cas.