Texte intégral
Séminaire franco-allemand propos du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, avec « RFI » (Paris, 2 octobre 1996)
Q. : Vous parlerez toujours pour l'étranger d'une même voix.
R. : Vous savez, dans le domaine européen, et c'est ce qui ressort de la Conférence intergouvernementale, la France et l'Allemagne sont proches. Vous, qui êtes des journalistes, vous avez, je le comprends, la tentation de mettre en valeur des points de différence qui sont souvent des points techniques. Nous sommes mus par la même ambition, la même détermination, c'est-à-dire rénover nos institutions européennes pour permettre un élargissement généreux et rapide.
Q. : Vous avez dit que l'Allemagne et la France restaient le moteur de l'Europe et que vos partenaires vous avaient en quelque sorte donner le mandat de continuer à être le moteur ?
R. : C'est la vérité, c'est très simple. Quand les Français et les Allemands sont séparés, les autres sont malheureux. Quand les Français et les Allemands sont ensemble, les Européens sont généralement satisfaits, même si, parfois, cela les agacent un peu. Cela démontre assez que la bonne entente franco-allemande, le travail commun franco-allemand, les propositions communes franco-allemandes sont absolument nécessaires. Ce qui n'empêche pas que nous devons prendre aussi en considération les préoccupations des autres : les Italiens, ou je le voudrais demain, les Espagnols que j'ai rencontrés hier, mais aussi des pays plus petits qui ont besoin d'être pris en considération et dont je peux vous assurer que la France a bien l'intention d'écouter aussi la voix.
Séminaire franco-allemand - point de presse conjoint du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, et du ministre allemand des Affaires étrangères, M. KLAUS KINKEL - propos du ministre (Paris, 2 octobre 1996)
La conférence intergouvernementale doit nous permettre de faire la révision de nos institutions, comme on révise un moteur avant la compétition. De telle sorte que l'élargissement se fasse dans des conditions telles que l'Union européenne conserve toute sa capacité de décisions et de progrès.
Voilà pourquoi la France et l'Allemagne appellent tous les États membres de l'Union européenne à réussir cette discussion qu'est la Conférence intergouvernementale, cette discussion entre amis, qui partagent le même projet européen, de sorte que nos institutions et notre organisation nous permettent non seulement de mieux fonctionner mais d'accueillir avec la chaleur et l'enthousiasme qui sont les nôtres nos partenaires européens qui souhaitent entrer le plus vite possible dans l'Union. C'est pourquoi, depuis la réunion informelle des chefs d'États et de gouvernements à Formentor, il y a un an, nous avons ouvert le chantier de la rénovation de nos institutions et de l'approfondissement de nos politiques.
Cette négociation, comme toute négociation, est complexe. Sans doute est-elle, sur un certain nombre de points, difficile. Mais cette Conférence intergouvernementale doit réussir et je suis persuadé, comme, je crois, Klaus Kinkel, que nos échanges, déjà nombreux à quinze sur ce sujet, montrent qu'il y a de la part des quinze États membres, l'ambition sincère de réussir la Conférence intergouvernementale. Cette réussite est un impératif. De ce point de vue, nous voudrions rappeler ici que la question du calendrier est une question centrale. Les chefs d'États et de gouvernements se sont fixes à eux-mêmes et nous ont fixé à nous, ministres des Affaires étrangères en charge de cette négociation avec l’aide de nos représentants personnels, la mission d'arriver à une conclusion pour le Sommet d'Amsterdam au mois de juin 1997. Si nous voulons réussir ce calendrier, il est important de donner un coup d'accélérateur à la négociation.
Pour faire face à ces échéances, dans cette négociation, l'Allemagne et la France ont un projet commun. Naturellement, dans la discussion et dans l'élaboration des documents, lorsqu'on entre dans le détail technique, on rencontre encore certaines différences d'appréciation. C'est normal, mais sur le cœur du projet commun, il y a un profond accord franco-allemand.
C'est pourquoi, nous avons convenu aujourd'hui de préciser notre méthode de travail. Nous avons décidé, Klaus Kinkel et moi, ainsi que nos deux représentants personnels, de renforcer et d'accélérer notre travail commun. Nous avons pour perspective la décision prise par le chancelier Kohl et par le président Chirac de prendre une initiative commune à l’occasion du Conseil européen de Dublin en décembre. D'ici là, nous apporterons des contributions communes, au fur et à mesure que les questions viendront dans la négociation, de telle sorte que la négociation de cette conférence puisse se réaliser avec une forte impulsion franco-allemande.
Comme vous le savez, il n'y a que quelques questions essentielles. Ainsi en est-il de la nécessité de rénover nos institutions, de doter l'Union des moyens d'une politique étrangère, de donner corps à l'identité européenne de défense, de parachever l'espace de libre circulation des personnes dès qu'auront été assurées les conditions suffisantes de sécurité des citoyens, d'appliquer le principe de subsidiarité, de valoriser le rôle des parlements nationaux.
La réponse de l'Allemagne et de la France sera, cas par cas et étape par étape, une réponse commune. Nous sommes déterminés à faire avancer la cause de l'Union dans cette négociation et donc, nous avons aujourd'hui, comme nous l'avons déjà fait, comme nous continuerons à le faire, examine un certain nombre de dossiers et arrêté cette méthode de travail que je vous présente aujourd'hui et qui doit permettre de faire en sorte que le « booster » franco-allemand permette d'accélérer le processus de la négociation. Cette question du calendrier nous paraît en effet une question centrale.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je voulais dire d'entrer de jeu avant de passer la parole à mon ami Klaus Kinkel.
Q. : Monsieur le ministre, en dehors de la constatation que la concertation a avancée, que l'on a beaucoup parlé ensemble, je n'ai pas vu beaucoup de résultats concrets de votre séminaire d'aujourd'hui. Par exemple, j'aimerais vous poser une question : concernant la personne qui devrait représenter la PESC, ce monsieur « X », a-t-on parlé de sa personne, de sa fonction ? Si oui, avec quels résultats et qu'en dira-t-on à Dublin ?
R. : Je voudrais rappeler que la rencontre de Dublin est en réalité une rencontre informelle. II n'y aura pas de conférence de presse, ni de déclaration commune ni de décision actée publiquement ni formellement, puisque, par définition, c'est un conseil informel qui permet d'échanger et de rapprocher les points de vues, en tout cas de les confronter. Nous attendons néanmoins beaucoup de Dublin. Nous escomptons que Dublin soit l'occasion, très précisément, de partager à quinze, d'une part le calendrier, sur lequel il y avait une décision formelle et donc l'urgence qu'il y a à accélérer la négociation, entrer dans le vif ; nous sommes en train de le faire jour après jour. Ce que vous ne mesurez peut-être pas, c'est qu'il y a encore trois mois, nous étions dans cette concertation à quinze que j'avais qualifié d'exercice de Derviches tourneurs et que, progressivement, nous entrons jour après jour dans la vraie discussion, la vraie négociation. C'est pourquoi, lorsque nous travaillons ensemble, vous pourrez le constater en d'autres circonstances, nous travaillons pour concerter notre façon d'agir dans cette négociation, et nous n'allons pas, chaque jour, chaque fois que nous nous rencontrons, acter toute une série de décisions ; nous faisons en sorte que la négociation soit le plus possible fondée sur un travail franco-allemand et germano-français.
Enfin, sur la question de la politique extérieure et de sécurité commune, je crois qu'il y a, entre la France et l'Allemagne, des points de vues assez proches même s'il n'y a pas encore une identité totale de vues. L'un et l'autre, Klaus Kinkel et moi, sommes absolument convaincus de la nécessité de faire en sorte que l'Union dispose des moyens d'une politique étrangère. Je voudrais insister sur ce point. La politique étrangère se définit jour après jour sur les sujets de la politique étrangère. Si vous corrigez, vous adaptez le Traité de l'Union, ce n'est pas là que vous allez définir une politique étrangère commune ou concertée. Par contre, notre idée est de donner, par une réforme appropriée, les moyens d'en avoir une. D'où la proposition que nous avons faite en commun, d'une personnalité recevant mandat des plus hautes autorités de l'Union pour assumer cette fonction, sur des sujets à déterminer et en fonction des événements et de l'actualité. De ce point de vue, les thèses et les idées franco-allemandes sont des idées extrêmement proches. À partir de là, surgissent quelques problèmes qui sont, me semble-t-il, plutôt des problèmes techniques sur lesquels il n'y a pas encore de résolution complète des choses qui portent, par exemple, sur des questions comme : « qui va le nommer ? », « quel genre de profil aura-t-il ? » etc.
Sur ces questions, nous échangeons des vues et je crois très franchement pouvoir vous dire aujourd'hui, car nous en avons parlé assez longuement, que nos vues sont assez proches et qu'au cours des prochaines semaines, elles auront l'occasion de se préciser et certainement, nous ferons, dans les semaines à venir, des propositions pratiques à nos collègues des Quinze.
Q. : Un autre point sur lequel l'Allemagne et la France n'étaient pas encore d'accord, c'est le rôle des parlements nationaux et la question de savoir s'il faut étendre ou non les pouvoirs de co-décision du Parlement européen. Avez-vous réussi à rapprocher vos points de vue là-dessus aujourd'hui ? Et dans quels domaines ?
R. : Nous avons beaucoup de respect pour le Parlement européen. Nous sommes très intéressés quant au fait qu’il y ait une institution parlementaire jouant un rôle important dans la vie de l'Union européenne. Nous pensons aussi que les parlements nationaux ont leur rôle à jouer et que, telle qu'est l'Union européenne, qui ne constitue pas aujourd'hui les États-Unis d'Europe, le rôle des parlements nationaux doit être associé à celui du Parlement européen. Chacun d'entre eux contribue à la représentation démocratique des citoyens au sein du système européen. C'est un point de réflexion, ce n'est pas simplement une question de désaccord, c'est un débat d'une certaine hauteur et d'un grand intérêt : savoir comment on assure la représentation des peuples dans un système en progression. Nous pensons que les parlements nationaux et le Parlement européen ont leur contribution à apporter à cette question. Nous en parlons beaucoup, Klaus Kinkel et moi. Je ne doute pas que nous trouverons le bon cheminement dans cette affaire. Mais, cela ne s'exprime pas en terme de critique à l’égard de telle ou telle institution, certainement pas de la part de la France, de critiques à l’égard du Parlement européen. Encore qu'il nous arrive, de temps en temps, d'être un peu impatients. Pour donner un peu de nerfs à notre réunion, j'ai appris avec une certaine stupéfaction que le Parlement européen avait voté un texte, qui ne doit pas avoir une grande portée juridique, cela me rassure, selon lequel le retour d'un immigré clandestin dans son pays d'origine devrait être subordonné à l'assurance que celui-ci aurait un emploi dans son pays d'origine. Franchement, est-ce sérieux ?
Toutefois, la vie parlementaire est libre et chacun contribue ainsi à la représentation des peuples. C'est bien utile. Ceci rejoint une question très importante pour nous, sur laquelle les Français et les Allemands ont une appréciation commune des choses. La subsidiarité. Je voudrais vous redire ici que c'est, pour la France, une question centrale. Avec nos amis allemands, nous sommes très proches car l'organisation politique allemande est fondée sur le principe de la subsidiarité alors que, malheureusement, l'organisation politique française est fondée sur le principe de la centralisation. Et, si nous souhaitons que les institutions européennes prennent en compte le principe de la subsidiarité, c'est parce que nous pensons que c'est la meilleure organisation possible. C'est donc, par la France, un hommage rendu à l'un des principes de base de l'organisation politique allemande. Et nous voudrions bien que cette vertu allemande devienne une vertu européenne. Cela dispenserait, de temps en temps, nos institutions européennes de prendre des décisions qui nous paraissent relever de la vie quotidienne et choquer nos compatriotes au point d'irriter même les plus Européens d'entre eux. Nous avons fait en France récemment l'expérience à propos d'une affaire que quelques-uns d'entre vous ici ont peut-être vécue, qui est l'affaire de la directive Natura-2000, qui est une espèce de monstre juridique, exactement le genre de choses qu'il ne faut pas faire s'il on veut rendre l'Europe populaire et qu'il faut faire si l'on veut, rendre l'Europe impopulaire auprès de ses concitoyens.
Sur cette question, Français et Allemands ont, je crois, une très grande proximité d'analyses et de vues.
Nous résoudrons ce problème à l'occasion de la Conférence intergouvernementale, je peux vous l'assurer.
Q. : (Sur le Troisième pilier)
R. : Je voudrais compléter ce que vient de dire Klaus Kinkel, a quoi j'agrée tout à fait, il a été l'interprète très fidèle de notre commune pensée. Il faut y ajouter un élément qui est une préoccupation commune à nos deux pays. II faut progresser sur des questions très importantes qui intéressent la sécurité de nos concitoyens. II s'agit de la lutte contre la drogue, contre le crime organisé, contre le terrorisme, et contre l'exploitation sexuelle des enfants, qui sont des sujets très importants. La France est très ouverte à tous les points que vient d'évoquer Klaus Kinkel, auxquels nous souscrivons tout à fait, dès lors que nous apportons à nos concitoyens les progrès dans le domaine de la sécurité auxquels ils aspirent. Je crois que c'est un sujet qui nous lie, c'est-à-dire le désir de faire progresser les éléments qui assurent plus de liberté dans le domaine de la circulation des hommes, dès lors que nous y apportons en même temps plus de sécurité pour ceux qui vivent sur notre terre.