Texte intégral
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
La réforme de la politique étrangère et de sécurité commune est l’un des grands défis de la Conférence intergouvernementale, cette négociation visant à réformer les institutions de l’Union et devant s’achever au plus tard en juin de l’année prochaine. Le président de la République a souvent rappelé l’importance qu’il attache au développement d’une PESC digne de ce nom, capable de donner à l’Europe, sur les sujets d’intérêt commun entre les quinze, l’influence mondiale qui devrait être la sienne. Je remercie cette haute assemblée de me donner la possibilité d’en débattre avec vous aujourd’hui.
Je veux d’abord souligner la qualité des contributions parlementaires sur cette question. L’intérêt du Sénat pour l’avenir de la PESC ne s’est en particulier jamais démenti. L’excellent rapport du président de votre commission des Affaires étrangères, M. Xavier de Villepin, en est l’une des plus récentes et des plus claires illustrations. Je tiens de nouveau à souligner l’intérêt de ce rapport et la pertinence des idées qu’il contient. J’ai aussi été impressionné par la qualité des débats que j’ai régulièrement sur ce sujet avec votre délégation pour l’Union européenne. Je remercie son président, M. Jacques Genton, pour ses remarques pertinentes et pour ses encouragements.
Le débat sur la politique étrangère et de sécurité commune est maintenant bien engagé dans le cadre de la CIG entre tous les partenaires de l’Union. Depuis le lancement de la Conférence intergouvernementale à Turin, des progrès ont été enregistrés, des idées ont fait leur chemin, au premier rang desquelles figure celle du haut représentant.
Mais pour répondre aux observations des présidents de Villepin et Genton, il me faut d’abord rappeler les raisons qui ont poussé la France à faire de la PESC un objectif prioritaire pour la CIG. Je reviendrais ensuite sur les solutions institutionnelles que nous avons proposées à nos partenaires, et qui reprennent très largement les orientations exposées à cette tribune.
I. Pourquoi la PESC est-elle un objectif prioritaire de la CIG ?
Le président de Villepin a fort bien posé la question de fond : l’Union européenne, qui accorde chaque année plus de 5 milliards d’écus à son action extérieure, n’a pourtant pas de politique étrangère définie. L’Union européenne est le premier bailleur de fonds au monde pour la reconstruction de l’ex-Yougoslavie, pour le développement de l’Europe orientale et de la Méditerranée, pour l’aide aux Territoires palestiniens, pour l’aide aux réfugiés dans le monde, etc.
Mais politiquement, l’Europe n’existe pas. Cette situation est non seulement inadmissible pour les contribuables européens, elle est dangereuse pour la paix et la stabilité dans le monde, car le monde a besoin de l’Europe.
C’est cette situation qu’il faut changer. C’est une priorité du président de la République, qui se traduit dans les positions françaises à la CIG, à l’OTAN, et plus quotidiennement dans notre politique étrangère…
Il est facile de comprendre que la Conférence intergouvernementale, qui concerne la mécanique institutionnelle, ne peut à elle seule faire naître une politique étrangère et de sécurité commune. Mais au moins peut-elle favoriser une telle émergence, en mettant en place des conditions institutionnelles favorables, les « outils » d’une telle politique. Il faudra ensuite la volonté politique des chefs d’État et de gouvernement pour que ce potentiel devienne réalité, et que la voix de l’Europe se fasse entendre dans le monde.
C’est dans cet esprit que la France a fait des propositions pour une PESC rénovée dans le cadre de la CIG, sur lesquelles je vais maintenant revenir.
II. La PESC dans la CIG
La dernière discussion du groupe des représentants sur le sujet a eu lieu le 8 octobre dernier, et les ministres des Affaires étrangères en débattront lors de la CIG ministérielle du 28 octobre prochain.
Le 8 octobre, j’ai introduit les débats en « groupe de négociation » par les remarques suivantes :
la PESC a une grande importance pour la visibilité de la CIG dans nos pays : la paix, l’influence de l’Europe dans le monde sont des sujets qui ont une vraie signification populaire ;
si nous échouons dans notre entreprise de rénovation de la PESC, l’Union risque de rester durablement un grand ensemble sans direction politique, « mou », en voie de neutralisation. Le risque serait alors celui du vide de pouvoir en Europe, qui serait un risque pour le monde entier, y compris pour nos alliés américains ;
de même qu’il a fallu du temps pour parvenir à la monnaie unique (avec le long processus du SME qui lui a précédé), il faudra du temps pour parvenir à une PESC digne de ce nom. Il faudra donc commencer par trois ou quatre actions communes, pour lesquelles les États membres partagent un intérêt commun évident : relations avec le voisinage immédiat de l’Union (surtout avec la perspective de l’élargissement), relations avec la Russie, avec les Balkans, avec la Méditerranée… je rejoins donc tout à fait l’opinion du président de Villepin, qui propose de se concentrer au début du processus sur quelques zones géographiques bien déterminées.
Nos propositions institutionnelles partent donc cette triple constatation : importance de cette question pour l’Europe et ses citoyens, nécessité pour l’Europe de trouver son rang dans le monde, et obligation de procéder par étapes, car la PESC sera une œuvre de longue haleine. Les propositions institutionnelles qui en découlent sont en accord total avec les idées exprimées par les présidents de Villepin et Genton. Elles peuvent être résumées en six points :
1. Le rôle d’orientation et d’impulsion dévolu au Conseil européen est fondamental. Ce rôle doit être explicitement réaffirmé, y compris dans le domaine de la sécurité et de la défense. À notre sens, le Conseil européen est appelé à se concentrer sur les grands projets et objectifs de l’Union en matière de politique étrangère, notamment en décidant des actions communes d’envergure qui traduisent la politique étrangère de l’Union.
En effet, seul le Conseil européen a la légitimité pour lancer des actions communes dignes de ce nom, pour lesquelles le conseil, la commission et les États membres mettront en commun leurs moyens.
C’est clairement sur ce point que les réticences de nos partenaires sont les plus fortes. Nous employons toute notre énergie à les convaincre, car l’histoire de l’Union prouve que si le Conseil européen n’est pas directement impliqué dans la PESC, celle-ci n’ira nulle part. Notre insistance sur le Conseil européen n’est donc pas dogmatique. Elle est logique, réaliste.
2. Une évolution des règles de vote paraît souhaitable. Le recours au consensus doit certes être la règle au Conseil européen, mais des éléments de souplesse peuvent être introduits au Conseil : consensus avec abstention ou expression de réserves ; abstention constructive ; et majorité qualifiée au stade de la mise en œuvre, à l’exception des décisions dans le domaine de la sécurité et de la défense. Naturellement, pour ce sujet comme pour d’autres, notre position sur la majorité qualifiée sera liée à la repondération des voix que nous demandons dans cette négociation.
Comme le président de votre commission des Affaires étrangères, nous sommes, d’autre part, favorables à l’utilisation de coopérations renforcées dans le domaine de la PESC. Comme vous le savez, un document franco-allemand vient d’être présenté, à l’initiative d’Hervé de Charette et de Klaus Kinkel, sur ce sujet qui est prioritaire aux yeux du président de la République et du chancelier Kohl.
3. C’est principalement dans la perspective de renforcer la cohérence et la visibilité de l’action extérieure de l’Union que la France a proposé que soit institué un haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune. Sur la base des mandats que lui confieraient le Conseil européen et le conseil, le haut représentant serait appelé à :
assurer, avec la présidence, la représentation extérieure de l’Union dans le domaine de la PESC, lorsqu’il en a reçu mandat ; dois-je rappeler combien cette représentation est actuellement floue et peu efficace, avec les rôles de la présidence tournante, de la troïka, des envoyés spéciaux parfois concurrents (l’exemple de Chypre est à cet égard significatif), et l’action souvent autonome de la commission ?
veiller, avec le conseil, et en liaison avec la commission, à l’unité, la cohérence et l’efficacité de l’action de l’Union, et pour cela, effectuer, en liaison avec le conseil et la commission, la coordination et le suivi de la mise en œuvre des actions communes, en particulier lorsque sont utilisés des moyens relevant des premiers et deuxièmes piliers.
Il faut bien comprendre que ce haut représentant n’est en rien une « solution miracle », permettant à coup sûr à l’Union européenne de faire entendre sa voix dans le monde. Il ne pourra être utile que si, préalablement, le Conseil européen s’est accordé sur quelques actions communes majeures, impliquant à la fois les États membres, le conseil et la commission. Si tel est bien le cas, alors son rôle de représentation et de coordination devient absolument nécessaire, pour éviter que les rapports complexes entre institutions de l’Union et États membres n’aboutissent à la paralysie et ne transforment ces actions communes en vœux pieux.
Ainsi, ce n’est pas un hasard si la plus grave crise européenne de l’après-guerre froide (dans l’ex-Yougoslavie) a très vite conduit les Européens à nommer un haut représentant. Plusieurs acteurs majeurs de cette crise m’ont ensuite confié à quel point l’existence d’un médiateur et d’un coordinateur était indispensable à l’Union pour gérer ensemble une grave question de politique étrangère, et qu’il faudrait à l’avenir anticiper de telles crises par une analyse commune et clarifier à l’avance le rôle de ce « médiateur/coordinateur ». Nos propositions vont tout à fait dans ce sens.
Je dois dire que le débat sur « Monsieur ou Madame PESC » a notablement progressé dans la négociation. Rejetée par presque tous, il y a quelques mois, lorsque la France l’a introduite, l’idée ne fait maintenant plus débat : la seule question qui se pose est désormais celle du statut de cette personne, sa nomination par le Conseil européen – qui est un point essentiel – continuant à poser problème à certains de nos partenaires.
4. La mise en place d’une cellule de planification et d’analyse, composée des experts issus des États membres, ainsi que du secrétariat du conseil, de la commission et de l’UEO, et placée auprès du haut représentant, offrira à ce dernier les moyens d’information et d’analyse nécessaires à l’efficacité de sa mission. Elle devrait faciliter l’analyse commune sur les principales questions d’intérêt commun : il faut ainsi obliger les diplomates européens à travailler ensemble, et pas seulement dans la précipitation ou dans l’urgence, à l’occasion de crises.
Déjà entre Français et Allemands, nous nous y efforçons, comme en témoigne la réunion récente à Berlin des ambassadeurs de nos deux pays en Europe centrale et orientale.
Mon expérience récente de visite commune en Slovaquie avec mon collègue allemand, Werner Hoyer, m’a beaucoup appris à cet égard : elle m’a montré les difficultés concrètes de la préparation d’une visite officielle commune par les deux ministères des Affaires étrangères (incluant des éléments de langage communs, tous les rendez-vous se déroulant en commun), mais aussi le profit que retiraient les deux administrations d’une telle coopération, et l’impact d’un langage commun dans les pays tiers. Je suis donc sûr de l’intérêt de nos propositions pour l’influence européenne dans le monde.
Cette cellule de planification et d’analyse sera donc très utile. À nos yeux, elle devrait concentrer son travail sur les domaines couverts par les actions communes décidées par le Conseil européen. Elle fait désormais l’objet d’un quasi-consensus dans la CIG. Nous devons nous en féliciter.
5. Nous sommes très attachés au renforcement de la cohérence de l’action extérieure de l’Union qui suppose que l’ensemble des moyens dont dispose l’Union, tant nationaux que communautaires, puissent être sollicités en appui des actions communes décidées par le Conseil européen. À cet égard, il importe que la commission soit engagée par les actions communes décidées, et tenue, par conséquent, de présenter des propositions au conseil.
L’importance de cette question de la cohérence n’est niée par aucun de nos partenaires. Il ne peut y avoir de politique étrangère de l’Union si, sur les sujets majeurs reconnus comme présentant un intérêt commun réel, le conseil, la commission et les États membres mènent des politiques parallèles, voire concurrentes. Or, c’est bien ce qui arrive actuellement, et c’est le drame – et parfois le ridicule – de l’action extérieure de l’Union. Tant que cette situation durera, la PESC n’aura de « politique commune » que le nom. C’est pourquoi, il est nécessaire d’identifier les quelques sujets majeurs pour lesquels une action cohérente de l’Union et de ses États membres doit être menée : voilà ce que seront les actions communes de l’avenir.
La cohérence de l’action extérieure de l’Union européenne est ainsi l’argument principal de nos propositions sur le rôle du Conseil européen (les États membres y sont représentés au plus haut niveau, et le président de la commission en est membre) et sur le haut représentant.
6. Dans le domaine de la sécurité et de la défense enfin, il revient aux Européens d’affirmer, au sein de l’Union européenne, une volonté commune. Il importe donc de s’engager dans la voie de la définition d’une politique européenne de défense commune. Le renforcement de l’UEO en tant qu’instrument militaire de l’Union et pilier européen de l’Alliance, ainsi que le resserrement des liens institutionnels avec l’Union et des liens opérationnels avec l’OTAN constituent des priorités.
Dans cet esprit, la réunion ministérielle de Berlin, en juin dernier, a permis de faire des progrès importants en définissant les principes qui devraient permettre de faire une juste place à l’identité européenne au sein des structures rénovées de l’OTAN, même s’il est bien clair que cette identité européenne de défense ne se résume pas à l’OTAN. Il reste certes des points importants à régler, mais les négociations sur ce sujet se poursuivent de manière constructive et la France entend bien continuer d’y participer pleinement. Les décisions de Berlin doivent ainsi permettre, notamment à l’UEO, de disposer de moyens opérationnels importants. Mais il faut que, dans le même temps, l’UEO soit dotée de moyens opérationnels propres en matière d’aide à la décision et de conduite politico-militaire d’une opération.
Il faut aussi que l’Union européenne, et en particulier le Conseil européen, soient plus à même de jouer leur rôle de direction politique pour la défense européenne. Pour cela, il faut procéder au rapprochement institutionnel progressif de l’Union européenne et de l’UEO. L’intégration dans le traité des objectifs de Petersberg (opérations humanitaires, maintien et rétablissement de la paix, évacuation des ressortissants…) serait aussi un pas dans la bonne direction. Il faut enfin renforcer explicitement dans le traité le rôle d’orientation du Conseil européen en matière de défense, et bien sûr, ne plus considérer la politique de défense commune comme un objectif à atteindre seulement « à terme ».
Sur toutes ces questions de sécurité et de défense, nous sommes loin du consensus. Les réticences de certains de nos partenaires sont fortes à l’égard de tout progrès dans le cadre de l’Union. Des signes encourageants existent néanmoins, en particulier parce que les pays « neutres » ne cachent pas leur intérêt croissant pour cette question, et parce que Allemands et Français ne veulent pas que ce sujet essentiel pour l’Europe soit un élément mineur de la CIG.
Voici, Mesdames et Messieurs les sénateurs, la réponse du gouvernement à la question posée par votre haute assemblée. La France a, dès le début, considéré la politique étrangère et de sécurité commune comme un élément essentiel de la réforme des institutions de l’Union européenne. Tout n’est pas gagné, loin de là, mais nous avons la satisfaction de voir que cette question est désormais au centre de la CIG, et que beaucoup de nos partenaires en comprennent l’importance pour l’Europe du XXIe siècle.
Si l’Europe continue son évolution vers une sorte de « grand ensemble froid et mou », en voie de neutralisation, c’est aussi la France et son influence dans le monde qui en souffriront. Il n’est donc pas étonnant de voir la France à la tête du combat pour une politique étrangère et de sécurité commune digne de ce nom, et il est encourageant de constater que nos idées progressent.
Je vous remercie.