Conférence de presse de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale de la recherche et de la technologie, sur les mesures gouvernementales prises pour rajeunir la pyramide des âges dans le secteur de la recherche, et pour aider les jeunes chercheurs à s'installer en France et créer leurs propres entreprises, Paris le 11 mars 1998.

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Intervenant(s) : 
  • Claude Allègre - ministre de l'éducation nationale de la recherche et de la technologie

Circonstance : Conférence de presse de M.Claude Allègre, sur les jeunes et l'avenir de la recherche, Paris le 11 mars 1998

Texte intégral

Je commencerai par un état des lieux de la recherche française. Première caractéristique : le vieillissement de nos chercheurs ; l'âge moyen d'un chercheur du CNRS est, par exemple, de 47 ans et demi. Nous avons donc un personnel de recherche, pour donner une comparaison, si je prends le CNRS comme référence, dont la différence avec la Grande-Bretagne est de pratiquement dix ans. Ceci est dû à deux facteurs. Le premier facteur est le facteur naturellement des entrées. C'est-à-dire que le nombre de recrutements ces dernières années s'est considérablement tari, ce qui fait qu'alors que nous produisons dix mille docteurs par an, nous avons des tas de docteurs qui n'ont pas d'emploi à leur niveau. La presse s'est fait l'écho d'un certain nombre de points, parfois avec un peu d'exagération, parfois avec une sous-estimation. C'est une vraie préoccupation. Le recrutement s'est tari ces dernières années et sans faire de la politique politicienne il faut bien voir que les quatre dernières années ont été particulièrement catastrophiques. Mais la deuxième raison, dans un système dans lequel il y a des entrées et des sorties, c'est que la mobilité des chercheurs est quasiment inexistante les gens sont entrés dans les organismes et restent dans ces organismes. Autrement dit nous n'avons pas de sortie latérale, de sortie vers l'enseignement supérieur ou de sortie vers l'industrie. Et ce simple fait du vieillissement induit un certain nombre de phénomènes quasiment mécaniquement qui pèsent sur la recherche française.
 
Premièrement, la masse salariale des organismes de recherche a augmenté par rapport au reste. C'est un effet typique du vieillissement, puisque comme le salaire augmente avec l'âge, si vous avez quelque chose qui vieillit, vous avez une masse salariale qui augmente automatiquement. Et donc la masse salariale, pour un organisme comme le CNRS, est maintenant je pense de 13 milliards pour 2 milliards d'autorisations de programmes et 2 milliards de crédits de paiement. Donc vous avez une masse salariale considérable. Il y a quinze ans ce n'était pas du tout ça.

Deuxième effet pervers qualitatif : ces chercheurs âgés, je dirai que d'une manière assez naturelle, ils ont envie d'organiser les choses, de s'occuper de programmation, et finalement, par une espèce de mécanisme quasi automatique, la recherche s'est bureaucratisée. On a fabriqué des tas de comités, de commissions, pour prévoir, pour contrôler, pour évaluer, etc., et au détriment de l'acte de recherche fondamentale. Donc première constatation qui vient et je vous dirai tout à l'heure les mesures que nous sommes en train de prendre.

Deuxième constatation dont vous êtes faits les uns et les autres les échos, il y a eu une espèce de fièvre pendant une semaine qui a été un peu exagérée, sur la migration et l'immigration de chercheurs à l'étranger. Y compris avec des articles fantaisistes qui mélangeaient deux choses, en particulier sur l'immigration des chercheurs vers la Grande-Bretagne. Je vous dis tout de suite, ce sont des fantasmes. Il y a une migration des gens qui veulent aller à la City de Londres, c'est tout à fait différent, mais les chercheurs n'émigrent pas en Grande-Bretagne. Il suffit de regarder l'écart des salaires pour voir que c'est dissuasif pour les chercheurs français d'aller travailler en Grande-Bretagne. Donc ce n'est pas une immigration de ce côté. Par contre il y a une immigration qui a augmenté vers les États-Unis. Mais pour ramener les choses à leur juste proportion il faut savoir que l'immigration vers la France de chercheurs étrangers s'est énormément accélérée ces dernières années. À L'INSERM par exemple il y a 500 chercheurs étrangers qui ont été recrutés dans des années relativement récentes. Au CNRS toutes les commissions recrutent des chercheurs étrangers tous les ans. Chercheurs étrangers qui viennent de tous les pays d'Europe, mais aussi des pays de l'Est. Ceux qui viennent des pays de l'Est contribuent d'ailleurs aussi au vieillissement. Il y a bon nombre de chercheurs des pays de l'Est qui sont des chercheurs confirmés avec des dossiers excessivement solides, mais qui ne sont pas tout jeunes et qui viennent dans nos organismes de recherche. Je veux dire que l'immigration des chercheurs français se place dans un contexte de mondialisation. De la même manière que vous avez la moitié de l'équipe de France de football qui joue à l'étranger, vous avez les vedettes des équipes étrangères qui jouent aussi en France. Il faut donc nuancer cela.

Mais tout ceci nuancé, si vous restreigniez vos échanges avec les États-Unis, c'est vrai qu'il y a une immigration beaucoup plus forte vers les États-Unis depuis trois ou quatre ans. Nous avons donc pris ce phénomène au sérieux et nous avons demandé au conseiller scientifique de l'Ambassade de France à Washington, Monsieur Platar, de faire une enquête. Il a fait un questionnaire et un compte-rendu de ce qui se passe, en demandant : pourquoi restez-vous aux États-Unis ? C'est en général des gens qui sont post-doc et qui restent alors qu'ils devaient rentrer. La première raison naturellement c'est qu'il n'y a pas assez de postes en France. Mais vient tout de suite après la deuxième raison : aux États-Unis lorsqu'on est embauché assistant-professeur dans une université américaine, on a une autonomie scientifique, on peut faire des projets de recherche, on a un financement et on est autonome. En France on a beaucoup plus de difficultés parce qu'on est intégré dans de grosses équipes très structurées qui travaillent sur des programmes et on n'a pas une véritable autonomie. Vous avez d'ailleurs vu cela dans la revue Science il y a quelques temps cette revue a fait un état assez critique des recherches sur le sida, réalisées en France. Indépendamment du problème des recherches sur ce sujet-là l'auteur écrit : une des grandes choses qui manque à la recherche française c'est que les jeunes n'ont pas assez d'initiative. Et c'est vrai. Nous avons donc décidé de prendre un certain nombre de mesures qui sont très diverses. D'abord la formation par la recherche, va être augmentée. Augmentée dans les universités mais surtout dans les grandes écoles où on demandera dans le futur, pour obtenir un diplôme d'ingénieur, d'avoir fait un travail personnel de recherche. On a augmenté de la même manière les allocations de recherche qui vont atteindre 3 800 F par an, et on augmente la mobilité. Donc formation par la recherche, mobilité et mobilité vers les entreprises. Cette année 100 conventions sont prévues pour inciter au développement du diplôme de recherche technologique. Nous avons mis en place le système de post-doc vers les PME-PMI et le nombre de conventions Sifre a été augmenté.

Deuxièmement nous avons mis en place un système, cette année il y en aura cent, si elles sont pourvues il y en aura l'an prochain deux cents, pour aider la mobilité des chercheurs des organismes de recherche vers l'enseignement supérieur. Donc incitation à la mobilité. Nous serons probablement amenés, mais c'est trop tôt pour le dire aujourd'hui, à annoncer d'autres mesures au moment du conseil interministériel sur la recherche. Nous avons aussi demandé à ce que la formation par la recherche et surtout les débouchés vers des formations de recherche soient accélérées pour diverses personnes. Premièrement au CNRS nous allons mettre des postes d'accueil pour les agrégés, y compris les agrégés qui exercent dans le secondaire. Nous ferons en sorte que les agrégés qui sont dans l'enseignement supérieur qu'on appelle les PRAG, et qui veulent entreprendre une thèse, disposent d'un certain nombre de bourses. Nous allons aussi faire un effort particulier, en coopération avec le ministère de la Santé, pour que les jeunes médecins, puissent faire de la recherche médicale et en particulier de la recherche clinique, ainsi que les pharmaciens et les jeunes vétérinaires. Actuellement ils sont de facto gênés pour faire de la recherche. On leur demande de faire en plus de leur thèse de médecine, une thèse de sciences pour pouvoir accéder aux organismes de recherche.

Deuxième série de mesures, les mesures qui concernent le recrutement régulier. Je vais vous donner quand même quelques chiffres. Il y aura près de 6 000 postes offerts pour des jeunes docteurs, soit dans l'enseignement supérieur, soit dans les organismes, soit dans les postes spéciaux créés dans les IUFM pour l'initiation aux nouvelles technologies des jeunes. Mais je suis obligé de dire qu'il y a des difficultés qui se situent au niveau des universités. Il y a actuellement plus de 1 600 ou 1 700 postes vacants, qui ne sont pas publiés, qui sont bloqués par les universités et dont une bonne partie est utilisée à payer des gens en heures complémentaires. Autrement dit, les universités au lieu de donner des postes pour recruter des jeunes distribuent l'argent à l'intérieur de l'université, ce qui n'est pas très sain. Je ne fais pas de dessin pour vous dire que nous allons prendre des mesures importantes là-dessus.

Deuxièmement, l'ANVAR a prévu une aide au recrutement d'ingénieurs et de docteurs dans les PME. Cette année 650 ingénieurs et 350 docteurs seront recrutés pour encourager là aussi l'emploi des jeunes dans les PME-PMI. Et enfin, chose plus importante encore, nous avons pris la décision d'avoir et d'annoncer une stratégie de recrutement pluriannuelle pour tous les organismes publics, donc il y aura un plan de recrutement qui sera donné.

Maintenant je parlerai de la dynamisation de la recherche par les jeunes. Première mesure, j'écrirai dès demain aux directeurs de grands organismes qui auront un mois pour me faire connaître les mesures qu'ils comptent prendre pour permettre l'accès à l'autonomie scientifique des jeunes chercheurs et la création de jeunes équipes. Deuxièmement, je leur demande de me faire connaître également comment s'assurer que les jeunes chercheurs qui ont fait leur post-doctorat dans un pays étranger puisse avoir un point de chute au retour. Actuellement le seul retour qu'ils ont c'est leur propre laboratoire d'origine. Comme il y a des règles de mobilité maintenant qui s'imposent, il y a des gens qui sont excellents et qui ne trouvent pas de postes de retour, ce qui est un peu ridicule.

Enfon on annoncera le détail de ces mesures avec Dominique Strauss-Kahn. Nous mettons en place un certain nombre de mesures permettant aux jeunes de créer leur entreprise, à la fois en facilitant la création d'entreprise ou le travail en entreprise pour les chercheurs qui sont dans les organismes de recherche, mais également pour ceux qui veulent créer des entreprises à partir de la fin de leur doctorat.

Voilà l'essentiel des mesures qui ont été annoncées ce matin au Conseil des ministres. Comme l'a dit le porte-parole du gouvernement, elles ont reçu une approbation comme vous vous doutez du Gouvernement, mais également du président de la République. Voilà ce que je voulais vous dire, et maintenant si vous le voulez bien j'essaierai de répondre à vos questions, étant entendu que la planification du programme du Gouvernement en matière de recherche va se faire avec des aspects différents. Il y aura probablement des décisions annoncées en ce concerne la politique spatiale, il y aura des décisions annoncées sur le problème de la transformation de la recherche en résultats économiques dans les assises de l'innovation avec les assises régionales. Nous l'avons annoncé hier avec Dominique Strauss-Kahn, et les assises nationales qui auront lieu le 12 mai. Ensuite, il y aura le conseil interministériel de la recherche, qui d'ailleurs prendra une forme annuelle, comme ça existait autrefois. Il y aura un conseil interministériel annuel sur la recherche et le Premier ministre annoncera lui-même, avec moi probablement, les priorités qui auront été retenues.
Voilà ce que je voulais dire


Question :
S'agissant des 6 000 postes que vous avez évoqués, s'agit-il bien de créations, quels seront les contrats ?

Claude Allègre :
Il y a de tout, il y a des remplacements, il y a des créations, et puis il y a les remplacements des gens qui partent à la retraite. Donc 1 200 emplois de maîtres de conférences, 600 emplois de professeurs, 400 emplois dans les EPST ont été créés actuellement, plus les retraites, plus un certain nombre de postes qui ont été libérés. Donc cela fait 6 000 postes effectivement qui sont mis en concours, à condition et on va y veiller, que les universités ne fassent pas de rétention de postes, ce qui est le cas actuellement. Alors dans le même temps on revendique des postes pour les jeunes et d'u autre côté on les garde dans la poche.

Question :
Lorsque vous avez réformé les procédures de recrutement des enseignants-chercheurs, l'un des buts était d'avoir des commissions de spécialistes un peu plus larges, voire un peu plus interdisciplinaires et permettre ainsi d'avoir des appréciations peut-être un peu moins figées que par le passé. Il semblerait qu'un certain nombre d'universités n'aient pas joué le jeu et aient multiplié le nombre de commissions de spécialistes. Quel est votre sentiment ?

Claude Allègre :
Deux choses par rapport à ça. La réglementation oblige 40 % de membres extérieurs. C'est le premier point. On n'a pas pu aller au-delà, pour des raisons légales. Moi j'étais partisan d'aller au-delà de 40 %, - même si cela fait crier tel ou tel -, c'est-à-dire d'ouvrir, d'empêcher les universités d'être dans un processus consanguin. Il n'est pas exclu que nous allions plus loin un de ces jours en obtenant une exception pour le recrutement des enseignants. Mais nous laissons jouer l'autonomie universitaire. Et là je voudrais vous expliquer exactement ma philosophie. L'évaluation universitaire n'existe que quand elle est nationale ou internationale. Donc je ne suis pas favorable à ce que l'université distribue des fonds de recherche comme cela s'est fait pendant une période, parce que ces fonds sont établis beaucoup plus sur des problèmes d'équilibre interne des universités que sur une vraie évaluation scientifique. Je souhaite que l'évaluation scientifique soit externe à l'université. Mais la vraie politique scientifique de l'université se fait par la création de postes. Quand elle choisit monsieur untel plutôt que monsieur untel, elle affirme une certaine politique scientifique. Quand elle choisit telle discipline plutôt que telle autre, elle fait une politique scientifique. Donc je ne veux pas intervenir dans l'autonomie de recrutement des universités. C'est pour ça que nous avons mis ce système en place. Il consiste à avoir des listes d'aptitude pour garantir nationalement, on pourrait d'ailleurs discuter l'utilité de ces listes d'aptitude, parce que personne d'autre en Europe ne possède ce genre de système. Tout le monde laisse les universités recruter comme elles le veulent mais enfin, compte tenu de nos traditions, je pense que c'était une attitude tout à fait normale. Donc il y a une liste d'aptitude et ensuite ce sont les universités qui recrutent. Elles recrutent avec un garde-fou qui et qu'elles ont des commissions de spécialistes. Derrière ces commissions le conseil restreint de l'université, c'est-à-dire qui est complètement pluridisciplinaire, peut refuser les recrutements. Moi je peux vous dire que j'ai fonctionné avec un conseil semblable dans ma propre université et cela a toujours fonctionné. Quand on voyait qu'il y avait des magouilles dans un secteur, le conseil restreint refusait les recrutements tant que les choses ne s'ouvraient pas. Mais il est vrai que les universitaires étant extraordinairement imaginatifs pour tourner les règlements, dans certains endroits nous avons découpé, nous avons fabriqué des tas d'affaires là-dessus, c'est vrai. Mais je n'interviendrai pas à l'intérieur des universités. On ne peut pas à la fois réclamer l'autonomie universitaire et ensuite aller charcuter les choses à l'intérieur de l'université.

Question :
Quelle forme prendront les mesures permettant aux médecins de faire de la recherche clinique ?

Claude Allègre :
Ce sera annoncé en même temps que la réforme de l'INSERM, dès qu'elle sera votée et passée au Conseil d'État, on annoncera les modalités exactement. Actuellement qu'est-ce qu'il se passe en pratique ? On demande aux médecins de faire des thèses de sciences en plus, ce qui veut dire par exemple que ceux qui font de la recherche en chirurgie ont du mal à rentrer comme chercheurs. En plus de cela, il y a le problème du système hospitalier universitaire qui fait que pour des raisons financières simples on ne choisit pas la voie de la recherche. C'est pour ça que je vous ai dit que nous avons décidé en coopération avec le ministère de la Santé d'avoir ce système de recherche clinique dans lequel il y aura probablement un système double. De la même manière qu'il y a des hospitalo-universitaires, il y aura probablement des hospitalo-chercheurs. Parce qu'on ne peut pas faire de recherche clinique si on n'est pas associé à l'hôpital. Cela fait suite à des remarques de Bernard Kouchner sur les médicaments. Mais on pourrait faire les mêmes sur les essais thérapeutiques, sur d'autres domaines informatiques, et c'est un secteur sur lequel on voit une immigration vers les États-Unis. Pour une fois les chercheurs ne vont pas vers la Silicon Valley mais beaucoup plus vers les grands centres hospitaliers de recherche de l'Est, notamment le Massachusetts Generals qui est l'hôpital d'application de Harvard. Il y a là un certain nombre de jeunes médecins français qui y font des recherches qu'ils n'ont pas pu mener en France.