Texte intégral
France Inter : lundi 21 avril 1997
J. Dorville : La campagne électorale est partie comme une fusée, avant même l’annonce officielle de la dissolution de l’Assemblée et finalement, on a presque le sentiment que tout le monde est soulagé d’avoir à mener une campagne, certes courte mais intense ?
H. Hue : Écoutez, on voit bien les conditions dans lesquelles la droite va à cette campagne. Il est évident qu’il y a un bilan désastreux pour le gouvernement actuel d’Alain Juppé. La droite eut à tout prix passer et faire passer en force les critères de Maastricht en vue de la monnaie unique. On sait très bien que cela va se traduire par un projet de super austérité, des licenciements massifs, des attaques contre les budgets publics. Autant d’éléments que la droite craint pour les élections et donc elle les anticipe avant ces mesures terribles. Précisément puisque vous évoquez la campagne électorale, si le Président en décide, ce soir, il va falloir proposer que les électeurs – en tout cas c’est ce que les communistes vont faire – utilisent leurs bulletins de vote pour rejeter ce nouveau tour de vis et exiger une autre politique. Cela implique évidemment pour la gauche, aussi, de prendre ses responsabilités.
J. Dorville : Votre cible dans cette campagne, ce sera plutôt J. Chirac, ou plutôt A. Juppé ? Plutôt le Gouvernement ou plutôt le Président de la République ?
H. Hue : C’est la droite, l’ultra-libéralisme. Naturellement, ce sont des élections législatives et c’est le chef du gouvernement sortant qui porte la responsabilité de la politique menée aujourd’hui. Regardez : l’effervescence sociale par rapport aux réformes d’Alain Juppé est nette. On évoque les internes souvent, ces derniers temps, et vous voyez bien toutes les dispositions qui se prennent pour mettre en œuvre une des réformes qui sont complètement rejetées et nocives pour les gens.
J. Dorville : On sent bien que l’Europe et les choix économiques qu’elle impose seront vraiment au cœur de cette campagne électorale. L. Jospin, hier soir, sur TF1, a pris nettement ses distances avec les fameux critères de Maastricht en affirmant notamment qu’il faudrait passer outre s’ils devaient entraîner une nouvelle cure d’austérité. Cela va bien dans le sens que vous souhaitiez ?
H. Hue : Personnellement, l’autre soir sur France 2, j’ai dit que ce qui doit caractériser une politique de gauche, c’est le refus de demander de nouveaux sacrifices aux Français. Quand, hier soir, j’entends dire : "Non au respect des critères qui entraîneraient une nouvelle cure d’austérité", je dis qu’il y a, là, incontestablement, une évolution positive, des positions qui permettent de discuter et c’est vrai qu’il faut constater l’impossibilité de passer à la monnaie unique dans des conditions acceptables pour notre époque d’aujourd’hui. On voit bien que cela n’est pas possible, que cela se traduit automatiquement, systématiquement, par la mise en cause d’intérêts sociaux, de budgets publics. Autant d’éléments qui font qu’à mon avis, les choses peuvent se discuter aujourd’hui, concernant cette question.
J. Dorville : Vous deviez vous rencontrer le 29 avril avec L. Jospin. Est-ce que, vous aussi, vous souhaitez anticiper cette rencontre ?
H. Hue : Ce qui est certain, c’est que la situation nouvelle appelle une disposition nouvelle. Faut-il anticiper cette rencontre ? Faut-il la préparer dans des conditions différentes ? Autant d’éléments qui vont faire l’objet de réflexion.
J. Dorville : Le temps vous est compté. La campagne sera très courte.
H. Hue : Bien sûr. Ce qui est important pour la gauche, c’est de rechercher – nous l’avions dit à notre Congrès –, de dégager entre les forces de gauche, écologistes et de progrès ce que nous avons appelé une base d’engagements communs. Nous n’avons pas en vue la réalisation d’un programme, ce qui ne serait pas sérieux, à la hâte. Ce qui est possible, est effectivement d’avancer et ce que j’ai entendu, hier, peut aller dans ce sens, effectivement. La gauche est plurielle, les partis qui la composent ont des choix qui sont différents mais nous voudrions que les forces de gauche puissent dire, en quelque sorte, aux Français : « nous avons, certes, chacun nos points de vue, nos propositions, mais nous sommes capables de dégager de grandes orientations pour une politique vraiment nouvelle et vraiment de gauche et sur lesquelles nous pourrions travailler ensemble dans un gouvernement de gauche.
J. Dorville : Donc, si je vous comprends bien, vous vous félicitez d’une certaine inflexion à gauche de L. Jospin et du PS ?
H. Hue : Il est bien évident que c’est un débat qui, depuis des mois, anime la gauche. Chacun sait bien qu’il y a des obstacles en la matière. Or, il y a des choses qui se sont passées, une intervention citoyenne qui est déjà intervenue dans le pays. Quand le Parti communiste engage une grande initiative pour obtenir un référendum sur la monnaie unique et que plus de 600 000 personnes, déjà, signent cette pétition, tout cela fait bouger les choses. Je pense qu’il y a là des évolutions aujourd’hui qu’il est honnête de noter. Cette évolution positive que j’ai entendue hier, notamment dans ce refus des critères de Maastricht qui aggraveraient les sacrifices pour notre peuple, eh bien, cela est de nature à permettre aux discussions d’avancer. Mais ce qui est certain, c’est que l’on voie bien l’utilité du Parti communiste dans cette évolution. Le Parti communiste, chacun peut le constater, les auditeurs peuvent le constater, depuis des mois et des mois, pose cette question montrant la nocivité de critères. Qu’il y ait cette évolution aujourd’hui, il y est donc pour quelque chose. St si demain, dans une perspective de gauche au pouvoir et de participation des communistes à un gouvernement pour faire une vraie politique de gauche, il peut être, précisément, ce sang neuf qui fait avancer la gauche, c’est une bonne chose.
J. Dorville : Cette évolution que vous notez avec satisfaction ne résout pas, tout de même, le problème de la gauche qui est de présenter une politique alternative qui serait en fait de faire l’Europe avec une autre politique économique.
H. Hue : Mais je pense que la gauche doit apporter des réponses fortes, proposer des choix de progrès social et humain comme moteur précisément d’une relance de l’emploi et de l’activité. Personnellement, et avec le Parti communiste, nous proposons des choses très précises, nous pensons qu’il faut une augmentation significative du pouvoir d’achat dans ce pays pour relancer la machine. Il faut une diminution du temps de travail sans diminution de salaire mais cela doit s’engager rapidement. Il ne faut pas de trop longs délais à engager une telle politique. Et puis, je pense qu’il faut des mesures fortes d’égalité sociale, de justice sociale. Par exemple, une fiscalité positive qui empêche des centaines de milliards d’aller – comme c’est le cas actuellement – à la spéculation. Et surtout, ce qu’attendent les Français, ce qu’attendent les citoyens, je crois, c’est de pouvoir donner davantage leur point de vue. Donc, il faut des droits nouveaux et les communistes n’entendent pas freiner leurs propositions en matière de droits nouveaux et de droits citoyens.
J. Dorville : Alors, vous le répétez souvent, il faut, selon vous, qu’il y ait des ministres communistes dans un éventuel gouvernement de gauche. Est-ce que cela n’implique pas, tout de même, une plate-forme commune, un minimum programmatique entre le PC et le PS ?
H. Hue : Pour qu’il y ait des ministres communistes au gouvernement, il faut que s’engage une vraie politique de gauche. Il faut qu’il y ait des vrais engagements pour une vraie politique de gauche. Mais ce que crois aussi, c’est qu’il ne peut pas y avoir de vraie politique de gauche dans ce pays sans ministres communistes.
J. Dorville : Il y a un autre point à régler avec le PS, à régler avec le premier tour, c’est celui de la stratégie dans les circonscriptions où un candidat du Front national risque d’être présent au deuxième tour. Le PS souhaite une candidature unique de la gauche dans ces cas-là. Quelle est votre position ?
H. Hue : Toutes les forces de gauche se rencontrent aujourd’hui ou demain sur cette question. Nous pensons effectivement que, là où il y a une menace forte de l’élection d’un candidat Front national, il faut que la gauche fasse des propositions de candidature commune. Mais aujourd’hui, je pense que ce n’est guère plus d’une dizaine de circonscriptions qui sont concernées par cette situation.
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