Texte intégral
Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
Je me réjouis d'être aujourd'hui parmi vous, et tout d'abord en tant que maire de Marseille. En effet, chaque congrès du Conseil national des économies régionales traduit l'engagement des collectivités locales dans le développement économique. Je considère donc votre rassemblement durant ces deux jours dans ma ville comme une reconnaissance des projets dans lesquels nous nous sommes résolument engagés, je pense à Euro-Méditerranée, et comme un heureux présage pour l'avenir.
Il est facile, et même à la mode, de céder au fatalisme. Il est des moments où il faut pourtant savoir regarder le chemin parcouru, sans nombrilisme et sans forfanterie, pour y puiser des leçons. De ce point de vue, les initiatives lancées par les collectivités locales, pour le développement économique, depuis les lois de décentralisation, donnent des raisons d'espérer.
Mais c'est en tant que ministre chargé de l'Aménagement du territoire que vous m'avez invité à clôturer votre congrès aujourd'hui. Je sais la richesse des échanges que vous avez eus depuis hier matin. Nul ne doute qu'ils contribueront très utilement au difficile débat sur l'aménagement du territoire européen dans lequel vous n'avez pas hésité à vous lancer.
On risque souvent quand on aborde un sujet européen d'être trahi par les mots. L'aménagement du territoire ne déroge pas à ce principe : chaque Etat membre a sa propre conception de cette expression et voudrait bien qu'elle soit adoptée au plan communautaire. Ce souhait est d'autant plus fort que l'enjeu n'est que sémantique. Il concerne aussi les quelque 140 milliards de francs que l'Europe consacre chaque année à la politique en faveur des régions.
Je sais que vous avez accueilli des intervenants étrangers qui vous ont présenté leur conception nationale de l'aménagement du territoire. Je voudrais, en conclusion de vos débats, vous livrer mes réflexions sur deux questions. D'une part, comment aménager la partie du territoire européen que constitue notre pays ? Et, d'autre part, quelles sont les conditions du développement d'une politique européenne commune de l'aménagement du territoire ?
Pour répondre à la question titre de votre congrès, l'aménagement du territoire européen est déjà une réalité, au sens où la plupart des Etats membres ont une politique d'organisation de leur espace. Mais, faut-il encore que la juxtaposition de ces politiques ne conduisent pas à un territoire européen qui ressemblerait au manteau d'Arlequin.
C'est pour cette raison que l'avant-projet de schéma national d'aménagement et de développement du territoire que je vais proposer au prochain comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire intégrera la dimension européenne. Ce n'est pas qu'une formule. C'est réellement un principe d'action. Ce schéma doit en effet définir les règles de localisation des infrastructures de communication et des grands équipements. Il ne pourra le faire en méconnaissant la dimension européenne. Depuis longtemps déjà, les routes ne s'arrêtent plus aux frontières et les aéroports sont des exemples réussis de coopération transfrontalière.
Au-delà de ce constat pratique, l'élaboration du schéma national d'aménagement et de développement du territoire suppose, dans une perspective à vingt ans, des évolutions de notre territoire, à la fois pour mieux nous y adapter et pour mieux les contrôler. Or, comment prétendre avoir quelque prise sur l'avenir sans tenir compte des formidables impacts et de la construction européenne ?
Nous avons vécu pendant des années sur le modèle d'une Europe close. Certes, les élargissements se sont succédé, mais, à chaque fois, ils ont été précédés de longues périodes de liberté des échanges et ont englobé des pays de niveau et de structures économiques comparables.
L'ouverture européenne vers l'Est nous impose désormais de concevoir une Europe entourée de partenaires économiques très différents de nous. Je pense à l'immense Russie, et aussi à la Méditerranée. Nous ne pourrons pas ignorer ces voisins et les considérer comme des adversaires dont nous devrions nous protéger. Une telle voie serait sans issue sur le plan économique comme politique. Le développement d'une ville comme Marseille au XIXe siècle nous enseigne au contraire que l'apport de ces partenaires de la Méditerranée et de l'Est constitue un formidable potentiel pour nous.
Pour que cela se réalise, nous devons nous y préparer, non seulement par les moyens usuels de la diplomatie économique, mais aussi par l'organisation de notre espace. Le prochain élargissement de l'Union aux pays de l'Europe centrale et orientale risque d'accentuer le caractère périphérique de certaines parties de notre territoire. Il faudra donc y localiser des activités créatrices de richesses et les relier efficacement aux régions centrales. D'autres portions de notre territoire au contraire verront leur potentiel du développement renforcé. Là, il faudra organiser cette accumulation pour qu'elle ne génère pas des difficultés qui handicaperaient les chances de notre pays dans la compétition mondiale.
Tels sont pour moi les enjeux du schéma national d'aménagement et de développement du territoire. Sa dimension européenne est une nécessité.
Mais je suis aussi convaincu que nous n'atteindrons pas seuls l'objectif que je viens d'esquisser. Une politique européenne de l'aménagement du territoire est également nécessaire. Une chose est de penser notre territoire en fonction de l'Europe, une autre est de penser le territoire européen.
Pour des raisons que j'évoquais il y a un instant, l'Europe est devenue incontournable pour l'aménagement du territoire. Elle l'est devenue aussi parce qu'elle intervient à hauteur de 10,5 milliards de francs par an dans notre pays. Ce montant représente le quart du budget annuel des contrats de plan Etat-régions. Les principes et les règles hérités de plus de vingt ans de pratique privilégient certes la redistribution des régions riches aux régions pauvres. Mais la nécessaire vision commune du territoire européen n'a pas, jusqu'à présent, été suffisamment prise en compte.
Comment faire émerger une telle vision ? Les premiers jalons sont posés depuis 1989. Les ministres de l'Aménagement du territoire se réunissent régulièrement. Des études, des cartes circulent. Le premier semestre de 1997 va voir l'élaboration du schéma directeur de l'espace communautaire. Celui-ci n'aura bien sûr pas la même portée et les mêmes effets que notre schéma national car l'aménagement du territoire n'est pas une compétence communautaire, mais, pour la première fois, les Quinze s'accorderont sur les forces et les potentialités du territoire européen.
En effet, il existe une organisation du territoire originale et particulière à l'Europe. Nous avons en commun, nous les Européens, depuis des siècles, d'habiter un continent densément peuplé, avec des réseaux harmonieux de villes grandes, moyennes, petites, réparties sur un espace rural depuis longtemps façonné par l'homme. Nous devons préserver ce modèle, car il est le fondement de nos sociétés. Je suis en effet convaincu que la façon dont nous organisons notre espace de vie est intimement liée à la façon dont s'organisent et sont vécues les relations sociales. Le ministre en charge des quartiers difficiles que je suis a quelque raison de penser que cette conviction n'est pas complètement infondée.
Quoiqu'il en soit, cette conception est à mes yeux la seule traduction possible de la cohésion économique et sociale inscrite dans le Traité.
Elle doit sous-tendre la réflexion sur l'avenir des fonds structurels, qu'il faut aborder sans fatalisme mais sans candeur et en tout cas de façon à préserver leur possibilité d'intervention dans notre pays, une fois réalisé l'élargissement de l'Union. Il est en effet clair qu'une augmentation des fonds structurels n'est guère probable dans le contexte budgétaire actuel. Notre contribution à cette politique représente déjà 2,5 % du budget de l'Etat et il ne serait pas raisonnable qu'elle aille au-delà. Nous devons donc nous mobiliser et non pas attendre passivement que le bénéfice que nous retirons des fonds structurels continue de nous être à coup sûr assuré ou bien encore réagir après coup, après que cette source de développement de nos territoires se soit tarie.
Nous devons envisager la prochaine réforme comme une chance pour repenser l'apport de fonds structurels à l'aménagement de notre territoire. Elle devra constituer une réponse communautaire à des enjeux qui concernent tous les Etats membres : les zones rurales, la conversion industrielle pour aujourd'hui. Pour demain, les réflexions engagées maintenant sur l'aménagement du territoire européen devront guider l'action, de façon que les fonds structurels ne deviennent pas une machine à redistribuer certes automatiquement mais sans aucun projet.
Durant ces deux jours, vous y avez contribué avec talent et optimisme. Pour conclure, je reviendrai au titre de votre congrès : l'aménagement du territoire européen, mythe ou réalité ? Parler de mythe sur les rives de la Méditerranée n'est pas innocent et ne relève pas du hasard. L'Iliade et l'Odyssée nous montrent un monde où le mythe et la réalité formaient la trame du quotidien. Nous plaçons notre temps plus sous le signe de la raison que du mythe. N'oublions cependant pas que s'il est partagé par tous, le mythe devient réalité. Depuis vingt-cinq ans, la politique d'aménagement du territoire en est un signe tangible. Mais, pour cela, il est une condition : c'est la confiance en l'avenir. Je sais combien, tous ensemble, nous la partageons.