Interviews de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, dans "La Provence", "La Nouvelle République du Centre-ouest" et à Europe 1 le 10 mars 1998 et à France-Inter le 12, sur la campagne des élections régionales, les relations droite - Front national et l'indépendance de la justice.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Campagne des élections régionales du 15 mars 1998

Média : Europe 1 - France Inter - La Nouvelle République du Centre Ouest - La Provence

Texte intégral

LA PROVENCE le mardi 10 mars 1998

La Provence : Ces premières élections depuis la victoire de la gauche sont-elles un test national ?
François Hollande : ”Il y a un enjeu local, en forme de bilan des majorités sortantes. Et en même temps, neuf mois après la victoire de la gauche plurielle, l’avis des électeurs ne pourra pas rester sans interprétation. Si la gauche l’emporte, il sera normal de créditer l’action de Lionel Jospin. Si c’est la droite, cela voudra dire que les électeurs ont la nostalgie de la politique d’Alain Juppé...”
Dénoncez-vous comme Michel Vauzelle, des ”porosités” entre la droite et l’extrême droite ?
François Hollande : ”Au niveau national, j’avais enregistré avec satisfaction les positions extrêmement fermes d’Edouard Balladur, de François Léotard et de Philippe Séguin. Mais depuis, certains responsables locaux du RPR et de l’UDF ont pris l’option de l’alliance larvée ou avouée avec le FN. Une récente déclaration de Jean-François Mancel montre que cet ancien secrétaire général du RPR envisage des désistements réciproques avec le FN aux cantonales. Parce que nous ne voulons pas que le FN soit l’arbitre du débat gauche-droite, nous sommes en droit de dire aux dirigeants nationaux de droite qu’une clarification s’impose.”
La Provence : Combien de Régions espérez-vous gagner ?
François Hollande : ”Je ne raisonne pas en nombre de régions, car beaucoup va dépendre de l’attitude de la droite et du FN lors de l’élection des présidents. Si la gauche devance la droite dans un grand nombre de départements, je considérerai que nous avons gagné.”
La Provence : Notre sondage a montré que la gauche peut gagner en PACA si les élus de la liste Weygand votent pour Vauzelle. Quelle sera votre attitude à l’égard de Lucien Weygand ?
François Hollande : ”Michel Vauzelle est le seul représentant de la gauche plurielle puisque c’est autour de lui que toutes les sensibilités de la gauche, PS, PC, radicaux de gauche, Mouvement des citoyens, se sont rassemblées. Il est notre candidat. Et je souhaite que les électeurs de gauche ne dispersent pas leurs suffrages. Quant à Lucien Weygand, j’aurais préféré qu'une partie de ses colistiers se retrouvent sur la liste de la gauche plurielle. Ils en ont décidé autrement. Je n'ai aucun doute, connaissant Lucien Weygand, que s'il a des élus, il choisira Michel Vauzelle. Toutefois par sa décision, il s'est mis hors parti...”
La Provence : Michel Vauzelle a fait appel à vous pour trancher le différend qui opposait François Bernardini à Lucien Weygand. Regrettez-vous d'avoir joué les Ponce Pilate en les renvoyant dos-à-dos ?
François Hollande : ”Non… J'ai fait des propositions pour rassembler. Les socialistes des Bouches-du-Rhône doivent comprendre l'enjeu du rassemblement. Cela suppose une autorité à la tête du parti, et nous l'exercerons, mais cela suppose aussi une responsabilité de la part des acteurs locaux. On peut régler à Paris certains problèmes des Bouches-du-Rhône, c'est vrai.·Et j'en prends ma part. Mais on ne le fera efficacement que si les acteurs locaux sont partie prenante.”
La Provence : On a eu ici le sentiment d'un blocage de l'appareil socialiste parisien…
François Hollande : ”J'avais souhaité que Michel Vauzelle, en tant que tête de liste, nous fasse des propositions. II les a formulées de manière à ce que la fédération socialiste lui apporte aussi tout son concours dans la campagne. Il a fait un choix d'équilibre. J'ai fait ce que Michel Vauzelle m'a demandé de faire.”
La Provence : Michel Vauzelle est le meilleur candidat de la gauche ?
François Hollande : ”Je le connais depuis de nombreuses années.. Il incarne le renouvellement du PS tout en étant fidèle à son parcours - il a été proche de François Mitterrand. C'est un élu enraciné, qui a su gagner des mandats ; de député, de maire, il a une grande expérience, d'homme d’Etat, puisqu'il a été ministre. Je crois que c'est l'homme qu'il faut pour cette Région. Car elle a énormément d'atouts mais son endettement est lourd et ses investissements sont mal orientés. Elle a besoin d'un souffle nouveau, d'un dynamisme. Michel Vauzelle est celui qui peut faire souffler ce vent de l'alternance nécessaire après 12 ans de gestion de droite.”


LA NOUVELLE RÉPUBLIQUE DU CENTRE-OUEST le mardi 10 mars 1998

La nouvelle république du centre-ouest : Y a-t-il une manière de gauche et de droite de gérer une Région ?

François Hollande : « La gauche mettra l’accent sur l’emploi et le développement économique, alors que la droite a préféré, depuis douze ans, le saupoudrage des crédits.
Une gestion de gauche signifiera aussi donner leur chance aux politiques qu’engagent le Gouvernement, notamment sur les emplois-jeunes et sur la réduction du temps de travail. Il est possible pour les Régions d’intervenir dans les entreprises pour faciliter les négociations en accordant un certain nombre d’incitations.
Enfin, une gestion de gauche, devra être une gestion beaucoup plus démocratique, y compris en donnant une place à l’opposition et aux minorités, en développant la concertation. »

La nouvelle république du centre-ouest : Si la gauche devait reconquérir quelques Régions, que ferait-elle pour dynamiser cet échelon administratif et politique, et quelles compétences précises et nouvelles comptez-vous donner à la Région ?

François Hollande : Les deux compétences que l’on peut imaginer renforcer, dans les prochaines années, sont l’enseignement supérieur et la formation professionnelle. Parce que que les régions connaissent bien les besoins des entreprises, il faudrait aussi qu’elles aient un pouvoir renforcé d’intervention.
Il faudrait aussi que les régions aient un pouvoir renforcé d’intervention dans l’enseignement supérieur et la recherche. Qu’elles puissent, avec les moyens qui leur sont donnée par l’État, investir davantage dans les filières d’enseignement supérieur. »

La nouvelle république du centre-ouest : Il s’agira donc de revoir les lois de décentralisation ?

François Hollande : « Oui. Je ne crois pas qu’on supprimera un quelconque échelon de l’administration locale française. La commune a sa maison et les Français y sont très attachés. Le département, cela date de deux siècles ; la Région, même si c’est plus récent, a des vertus lorsqu’on doit construire l’Europe.
En revanche, il est nécessaire de mieux répartir les compétences. A la Région le développement économique et l’emploi ; au département la solidarité, et bien entendu les investissements routiers.»

La nouvelle république du centre-ouest : La gauche a bénéficié aux législatives de 1997 d’un certain nombre de primaires, et des députés socialistes doivent leur siège au maintien du Front national. Accepterez-vous des présidences de Région obtenues grâce au maintien du candidat lepeniste ou grâce aux voix des élus régionaux du FN ? Et est-ce que les candidats socialistes aux présidences de Région, qui arriveront en deuxième position, seront candidats le vendredi qui suivra ?

François Hollande : « Je ne peux pas d’abord laisser passer l’idée que des députés socialistes auraient été élus grâce au Front national. Lorsqu’il y a triangulaire, certaines des voix du Front national se portent naturellement au second tour sur leurs candidats ; d’autres vont à la droite, d’autres enfin vont vers le candidat de gauche.
Nous avons eu effectivement 70 triangulaires qui nous ont été bénéficiaires. Et nous n’avions pas d’autre solution que de nous maintenir, sinon nous aurions laissé passer la droite qui aurait bénéficié, elle, directement de cette situation. Quant à notre attitude pour les présidences, chaque fois que nous serons en situation de majorité relative, nous aurons vocation à présider la Région. Chaque fois que nous n’aurons pas eu la majorité absolue ou relative, nous nous présenterons aux deux premiers tours de scrutin, puis nous nous retirerons de façon à ce que la droite ne puisse pas être amenée à laisser le Front national lui imposer sa loi.
Aujourd’hui, la droite n’est pas claire : des responsables, chefs de file de la droite dans les Régions, disent qu’ils sont prêts à recueillir et à accueillir des élus du Front national pour devenir président. C’est pourquoi je lance un appel au vote utile. Il faut, dans toutes les Régions où c’est possible, avoir non pas des majorités relatives, mais des majorités absolues. »


EUROPE 1 le mardi 10 mars 1998

Jean-Pierre Elkabbach : Face à la prolifération des bandes de jeunes, une certaine recrudescence des violences et de l'insécurité, est-ce que vous avez une solution ?

François Hollande : « Si j'avais une solution, je l'aurais déjà mise en pratique. La solution, c'est d'abord de lutter contre le chômage - cela n'a l'air de rien, mais c'est fondamental. Deuxièmement, c'est d'avoir une sécurité de proximité. C'est très important dans ces quartiers. Troisièmement, c'est d'avoir une école qui puisse avoir des moyens pour travailler, et pour donner un peu d'esprit civique à cette jeunesse qui finit par perdre l’espérance. »

Jean-Pierre Elkabbach : J.-P. Chevènement met en cause la perte des valeurs, un peu comme vous, la crise de l'éducation. Mais la faute à qui ?

François Hollande : « La faute à cet urbanisme fou depuis trente ans. La faute au chômage. La faute aussi à une perte de responsabilité, à un moment, des uns et des autres, de tous ceux qui ont vocation - justement - à l'exercer, cette autorité. Donc je crois qu'il ne faut pas réagir à chaque fois qu'il y a un drame, une tragédie, comme hier. Il faut réagir dans la continuité d'une action, et je crois que c'est ce que fait depuis neuf mois le gouvernement de Jospin. »

Jean-Pierre Elkabbach : Après les régionales, le Premier ministre nommerait un secrétaire d’Etat à la Ville auprès de M. Aubry. Vous croyez que ce sera suffisant ?
 
François Hollande : « S'il suffisait de nommer des ministres et créer des ministères pour résoudre les problèmes, on devrait avoir un ministère... »

Jean-Pierre Elkabbach : Mais il y en aura un ?

François Hollande : « Je ne sais pas s’il y en a un. Moi, je crois que c'est moins un problème de ministère ou de structure ministérielle qu'un problème de moyen, qu'un problème de volonté, qu'un problème aussi d'engagement interministériel. Tout le monde doit être concerné : l’Etat, bien sûr, mais aussi les régions et les départements, et les collectivités locales. Nous sommes dans un scrutin régional. C'est le moment de le dire aussi, c'est une affaire de responsabilité collective, l'action dans ces quartiers. »

Jean-Pierre Elkabbach : Au passage, vous confirmez qu’il y aura un prochain remaniement ou réaménagement technique du Gouvernement ?

François Hollande : « Vous avez invité le premier secrétaire du Parti socialiste... »

Jean-Pierre Elkabbach : Je sais, mais vous n’êtes pas sans être dans les secrets !

François Hollande : « Peut-être. J'espère bien. En tout cas, qui n'a pas vocation à les livrer en public, et je ne crois pas que ce soit d'ailleurs un secret. Je ne sais pas s'il y aura un réaménagement. Et je pense que c'est tout à fait secondaire par rapport à la tache qui est la nôtre aujourd'hui. »

Jean-Pierre Elkabbach : Alors, passons. A l'égard de R. Dumas, et pour le moment, est-ce que vous croyez que les socialistes se sont montrés plus ou moins solidaires ?

François Hollande : « Il n'y a pas à être solidaire ou pas solidaire. Il y a simplement à reconnaître que des principes doivent valoir pour tous. Premier principe : il faut que la justice travaille et aille jusqu'au bout, que l'on soit puissant ou anonyme. Mais aussi, que la présomption d'innocence vaille pour tous, aussi, que l'on soit responsable ou simple citoyen. »
 
Jean-Pierre Elkabbach : A l'exception de quelques-uns, dont vous d'ailleurs, il faut le dire objectivement, ils n'ont pas fait preuve de beaucoup d'élégance, et beaucoup l'ont considéré, ou l’ont présumé coupable ?

François Hollande : « Mais je crois qu'il ne faudrait pas tomber dans les mêmes excès que l'on reproche aux autres, c'est-à-dire qu'il n'y a pas à considérer que quelqu'un est forcément coupable, parce qu'il a été victime d’une rumeur, et en même temps, ne pas considérer non plus que la justice ne devrait pas aller vérifier jusqu'aux appartements des puissants. »

Jean-Pierre Elkabbach : Oui. Elle doit y aller, elle y va. Et elle ira. Mais là, on avait l'impression que certains se disaient : chic, c'est un mitterrandien de moins ?

François Hollande : « Non, je ne crois pas qu'on ait pu penser cela. Vous savez, à chaque fois que je vois un responsable, quel qu'il soit, de gauche ou de droite, mis en cause, je me dis quand même que notre démocratie a besoin d'être protégée, peut-être, mais surtout, d'être ouverte, transparente. Moi, je pense qu'on n'a rien à redouter de la vérité, où qu'elle soit. »

Jean-Pierre Elkabbach : Sur le fond, le Président de la République travaille demain à l’Elysée avec le Premier ministre, le ministre de la Justice, E. Guigou, sur la réforme de la justice. Est-ce que vous avez le sentiment que tout le monde la veut également ?

François Hollande : « En tout cas, les socialistes la veulent, et la veulent vite. »

Jean-Pierre Elkabbach : Et le Président de la République ?

François Hollande : « Justement, le Président de la République, je ne sais pas. Alors, disons-le, puisque nous avons cette occasion-là. Il faut une réforme de la justice : plus de moyens, bien sûr, pour la justice - c'est trop lent. Mais aussi, plus d'indépendance, pour ceux qui délivrent la justice, et également plus de responsabilités pour les magistrats. »

Jean-Pierre Elkabbach : C'est-à-dire plus de responsabilités pour les magistrats, ou que les magistrats soient plus responsables de ce qu'ils font, qu'ils soient contrôlés dans certains cas et qu'on en finisse avec la justice-théatre, spectacle ?

François Hollande : « Tout cela doit être fait. Indépendance : les magistrats doivent travailler sereinement et sans intervention du politique. Et je remarqué que depuis neuf mois, c'est le cas. Faut-il encore que ses principes entrent effectivement dans des textes. Deuxièmement : oui, présomption d'innocence pour tout le monde et cela veut dire qu'il faut aussi que, chaque fois qu'elle est bafouée, trahie, il faut qu'il y ait une responsabilité. Et enfin, cette responsabilité doit être celle des magistrats et elle ne peut être faite que par un Conseil supérieur de la magistrature, lui-même indépendant. »

Jean-Pierre Elkabbach : Cette réforme de la justice, vous la voulez plus rapidement ?

François Hollande : « Oui, je crois qu'il n'y a pas d'attente à avoir. Il faut être courageux, ambitieux parce que l'on a besoin d'une justice qui soit véritablement considérée dans ce pays pour ce qu'elle est. »

Jean-Pierre Elkabbach : Tous les leaders de la droite - MM.  Séguin, Sarkozy, Balladur, Léotard, Bayrou, Madelin, j'en oublie peut-être - répètent qu'il n’y aura d'alliance ni avec Le Pen, ni avec B. Mégret. Vous ne les croyez pas. Est-ce que vous voulez qu'ils vous le chantent ?

François Hollande : « Mais je les crois. Et je ne leur demande surtout pas de chanter - on ne sait pas ce que cela peut donner. Je leur demande surtout de dire à ceux qui sont leurs représentants locaux, régionaux - M. Blanc, par exemple, qui a été soutenu par M. Séguin il y a encore quelques jours et qui dit que, lui, fera l'alliance avec le FN. M. Vasseur qui est le candidat officiel du RPR et de l'UDF et qui dit que lui aussi ne récusera aucune voix. Je ne dis pas cela pour faire polémique, je dis qu'au niveau parisien, on a des attitudes - et je les remercie de les avoir - pures, nobles et loyales ; et puis en dessous, à l'étage inférieur, si je puis dire, on n'est pas à la même hauteur. On est même beaucoup plus bas. Alors, ce que je leur demande, ce n'est pas simplement de faire des proclamations, mais c'est de dire : j'exclurai, non pas après que le forfait ait été commis, après que le délit ait été constitué, que l'alliance a été faite... »

Jean-Pierre Elkabbach : Jusqu'à présent, il s'agit de propos, de paroles.

François Hollande : « Oui, mais la parole est importante en politique. Si l'on croit que la parole n'a aucun sens, il ne faut pas faire venir les responsables politiques. M. Séguin dit : je ne veux pas qu'on ait le délit d'opinion. Mais si, dans un parti… Moi, il y aurait un socialiste qui, dans mon parti, dirait qu'il accepterait toutes les voix, je peux vous dire qu'on n'attendrait pas le jour de l'élection de la présidence de région pour le sanctionner. On le ferait tout de suite. Plus grave encore : quand j'entends des responsables patronaux, et pas n'importe lesquels - M. A. Roux, qui préside une association des grandes entreprises - dire que lui aussi, alors qu'on ne lui demande rien, demande à ce que la droite fasse alliance avec l'extrême droite pour faire barrage à la gauche, je me dis : si en plus des responsables économiques de ce niveau - M. Roux n'est pas n'importe qui - prend cette responsabilité de faire cette déclaration alors oui, il faut dire très fort d’abord que les patrons doivent eux-mêmes se désolidariser des propos de M. Roux. J'entends le silence de M. Seillière. Je pense que maintenant qu'un grand patron s'est exprimé, il faut que ce que l'on appelle le patron des patrons lui aussi dise ce qu'il en pense. »

Jean-Pierre Elkabbach : Vous ne l'accusez pas d'être représentatif du patronat ou des patrons, des entrepreneurs français ?

François Hollande : « Au contraire, j'espère qu'il ne l'est pas et que c'est le moment que le patronat le dise. Mais si vous voulez, quand il y a convergence entre d'abord des attitudes locales et ensuite, maintenant, des responsables économiques qui se mêlent d'on ne sait quoi, c'est-à-dire d'alliance de formations politiques, et l'une d'entre elles particulièrement connue, le FN, je me dis qu'il y a matière aujourd'hui à s'interroger. »

Jean-Pierre Elkabbach : Lui aussi il faut l'exclure ?

François Hollande : « Je crois que ce n'est pas de moi que relève cette responsabilité. Je ne demande qu'on n'exclue personne, je demande simplement que l'on fasse coïncider les paroles avec les actes et les actes avec les paroles. »

Jean-Pierre Elkabbach : On dit ou on chuchote que la gauche plurielle va avoir 15 à 16 régions. Est-ce que N. Sarkozy n'a pas raison lorsqu'il dit qu'il faut un contre-pouvoir régional à la gauche qui va devenir peut-être hégémonique dans les régions françaises ?

François Hollande : « Pour l'instant il n'y a pas de danger parce que nous avons deux régions sur 22. Et quand la droite a 20 régions depuis 12 ans, est-ce qu'elle n'a pas eu elle aussi la faute d'être hégémonique. Je me rends compte que maintenant, elle penserait qu'il y danger alors qu'hier, elle y avait tout intérêt. Ce que je dis, c'est que les élections ne sont pas jouées. Rien n'est gagné. Il faut être prudent et si déjà, nous avons deux régions, si nous pouvions en avoir... »

Jean-Pierre Elkabbach : Ne faites pas le modeste.

François Hollande : « Mais si, c'est important d'être modeste parce que tant qu'une élection n'est pas jouée, il ne faut pas en annoncer le verdict. Ce sont les électeurs qui décident jusqu'à nouvel ordre. C'est comme cela qu'on appelle la démocratie. »


FRANCE INTER le jeudi 12 mars 1998

Stéphane Paoli : Les élections régionales, plus que les législatives de juin dernier, seront-elles l'occasion d'une recomposition de l'espace politique français ? Face à ce qu'on appelle désormais la gauche plurielle, fera-t-on apparaître bientôt une formation unique de l'opposition, dont le projet a été maintes fois évoqué, et même s'agissant d'une fusion du RPR et de l'UDF, souhaitée par J. Chirac, l'été dernier. Dans ce cas, jusqu'où cette refondation de la droite pourrait-elle s'organiser ? Les résultats des régionales, dimanche soir, devraient influer sur les stratégies des prochaines semaines. Tant à droite qu'à gauche on n’a pas fini de réfléchir au sens qu'il faudra donner au mot union. A défaut d'un tremblement de terre, vous attendez-vous à un bouleversement après ces régionales ?

François Hollande : « Non, moi j'attends une amélioration du climat, c'est tout C'est-à-dire qu'il faut que ce qui se passe au sein de la majorité plurielle, du gouvernement, puisse avoir des prolongements au niveau des régions, des départements. Il faut que ces grandes collectivités locales, qui manient des fonds publics importants, qui peuvent investir pour l'emploi, soient mobilisées dans le même sens que ce que fait aujourd'hui le gouvernement de L. Jospin. Il n'y aurait pas de raisons d'avoir des régions et des départements frileux, contrariants, essayant de gêner ou de ralentir. Non, il faut qu'on se mobilise tous, à tous les niveaux pour lutter contre le chômage. C'est le seul résultat attendu des élections, à mon avis, le 15 mars. »
 
Stéphane Paoli : Vous savez, à force d’être modeste, on fini par se demander si vous n’êtes pas cohabitationniste, si vous ne souhaitez pas, au fond, l'équilibre tel que M. Balladur le réclamait l'autre soir, “pas tous les œufs dans le même panier” ?

François Hollande : « Oui, on souhaite l'équilibre, surtout dans les régions. Aujourd'hui, nous n'en avons que deux sur 22. Donc vous voyez, on a du chemin encore à parcourir. Alors que M. Balladur veuille répartir ses œufs pour éviter de faire des omelettes, c'est son droit, mais nous, on essaye, pour le moment d'avoir un peu plus d’œufs à mettre dans nos paniers. »

Stéphane Paoli : Mais dites-vous qu'il serait aussi choquant, voire aussi dangereux pour l'équilibre politique qu'en effet lundi matin, ce soit la gauche qui ait 20 régions sur 22 ?

François Hollande : « Écoutez, je ne sais pas ce qu'on aura comme régions. Mais ce que je souhaite, c'est qu'on en finisse avec le déséquilibre. Et puis surtout, que les régions, qu'elles soient gouvernées par la gauche - je le préférerais - mais aussi par la droite, soient gérées dans le sens de l'intérêt de tous. J'ai entendu plusieurs fois des dirigeants de l’opposition dire qu'il faut qu'on crée dans les régions des bastions, des bunkers, que l'on puisse ici mener la contre-offensive contre le Gouvernement. »
 
Stéphane Paoli : Il y a un vrai vocabulaire guerrier : le mot « combattre » prononcé 31 fois.

François Hollande : « Oui, je ne crois pas que ce soit la bonne formule. Les élections locales, c'est fait pour mobiliser, pour mettre un peu de dynamisme dans les régions et dans les départements. Ce n'est pas fait pour donner à l'opposition, quelle qu'elle soit, d'ailleurs, des armes pour gêner le Gouvernement. Il faut en finir avec ce climat de fausse guerre civile. Je souhaite vraiment que les Français se disent : oui, les élections du 15 mars c'est presqu’aussi important les élections du 1er juin. Cela peut paraître paradoxal. Mais dans les enjeux concrets, c'est-à-dire pour l'éducation, pour l'emploi, pour la solidarité, pour la lutte contre l'exclusion, voter pour des conseillers régionaux, c'est presque aussi important que pour des députés puisque c'est là, maintenant, que les responsabilités et les compétences sont données. C'est pour cela que le vote est très important. »

Stéphane Paoli : Puisque ces enjeux sont aussi importants, est-ce que la gauche est à nouveau dans les cages d'escalier ? Est-ce qu'on en a fini avec la gauche caviar et est-ce qu'on a retrouvé une gauche qui est sur les paliers des appartements et qui dit : voilà ce qu'on a envie de faire avec vous et ce qu'on a envie de faire pour vous ?

François Hollande : « Oui, je crois qu'on a tous pris en en considération nos défaites. Vous savez, il y a un certain nombre d'alternances qui se sont produites ces dernières années : chacun y a pris sa part. Nous avons été largement sanctionnés, on sait pourquoi. Depuis 1993, on s'est mis au travail, on est allé dialoguer avec les Français, on continue de le faire. Une campagne électorale, ça sert à ça. On entend souvent des paroles de meeting mais il y a aussi beaucoup - je le fais et d'autres le font aussi - des discussions avec ceux qui sont les plus modestes d'entre nous et qui attendent peu de la politique, qui sont souvent désespérés et qui ne pensent pas que leur avenir se joue dans les urnes. C'est à nous de leur dire : écoutez, il faut vous en sortir vous-mêmes parce que c'est aussi l'enjeu. On ne peut pas non plus avoir une société d'assistance et en même temps vous devez être citoyen, prendre en considération que les élus départementaux, régionaux, nationaux, sont là pour changer les choses avec vous. Ce discours, il faut le tenir. C'est-à-dire que ce n'est pas un discours où chacun dit : voilà vous avez encore des droits, toujours des droits et nous on a des promesses à vous faire. Non. Chacun a des devoirs, les citoyens par rapport à la société et ceux qui sont les représentants de cette société par rapport au citoyen. »

Stéphane Paoli : Le fait que cela puisse changer aussi vite - vous mesurez bien la difficulté qu'a l'opposition à mener sa campagne, qui ressemble d’ailleurs assez bien à celle que vous avez connue il n’y a pas si longtemps ?

François Hollande : « Oui, j'ai connu cela aussi en 1992 et 1995, cela n'était pas facile. »

Stéphane Paoli : Cela change vite aujourd'hui.

François Hollande : « Quand je les vois ramer, je pense à mes bras d’il y a quelques années donc je leur dis « bon courage ! » Mais en même temps, il faut aussi que chacun tire les leçons. Pourquoi on n'est pas écouté un certain moment ? C'est parce qu'on s'est isolé, on s'est emmuré dans un discours. Je pense que la droite n'a pas du tout compris pourquoi elle avait perdu le 1er  juin. Elle pense qu'elle a perdu parce qu'elle n'était pas assez libérale, pas assez à droite. Alors qu'à mon avis, les Français sont pour des solutions d'équilibre, c'est-à-dire qu'ils sont, dans certains cas, pour donner plus de liberté, mais aussi qu'il y ait de l’Etat, une protection sociale, des garanties collectives. Bref, ce que fait le gouvernement de L. Jospin correspond assez bien à ce qu'ils souhaitent. »

Stéphane Paoli : Mais quand vous parlez d'équilibre, vous pensez à J. Chirac. Puisque vous parlez de L. Jospin, est-ce qu'il faut parler du couple Chirac-Jospin et peut-être de cet équilibre qui séduit les Français ?

François Hollande : « Oui, par exemple quand j'entends P. Séguin brocarder la cohabitation et dire : c'est un système impossible. C'est vrai qu'on en préférerait un autre, les uns et les autres, mais c'est celui-là. Les Français sont pragmatiques, ils disent : celui-là existe et a l'air de fonctionner plutôt correctement ; pourquoi en faire la critique systématique ? Là encore, l'opposition devrait comprendre que ce n'est pas nous qui nous sommes retrouvés par notre volonté dans ce système de cohabitation, c'est le Président de la République qui l'a proposé. A chacun de s'acclimater. »

Stéphane Paoli : Imaginez-vous, justement, qu’à force d'être confronté à des Français qui aiment bien cet équilibre-là, le paysage politique, en effet, soit en train de changer et que peut-être ces régionales proposent une recomposition de l'espace politique avec, au fond, deux grands blocs : un bloc de gauche et centre-gauche et un bloc de droite et centre-droit.

François Hollande : « Ne parlez pas de centre-gauche à des socialistes : ils ne sortiront pas leurs revolvers parce qu'ils n'en ont plus mais enfin leurs petits canifs, parce qu'ils n'aiment pas qu'on leur disent qu'ils sont de centre-gauche. Il y a effectivement deux camps politiques : il y a une gauche qu'on dit « plurielle » et c'est vrai qu'on est assez content de cette forme d'existence, de cohérence, même si elle ménage nos différences. On a donc une gauche qui s'est profondément reconstituée, qui s'est réunie et rassemblée, ce qui fait la dynamique de cette élection. Moi, je fais des réunions publiques avec des socialistes - c'est normal - mais aussi avec des communistes, des radicaux du Mouvements des citoyens, des Verts, etc. C'est vrai que cela donne le sentiment qu'il y a une force. Et puis en face, on a le sentiment d'une droite divisée et moi je ne m'en réjouis pas parce que je crois qu'il est bon qu'il y ait une majorité cohérente - elle l'est aujourd'hui avec ces différences - et en face une opposition qui puisse faire son travail d'opposition. Et on a l'impression que c'est plutôt à l'intérieur de l'opposition qu'ils se renvoient mutuellement les balles, à tous les sens du terme. Ce qui peut d'ailleurs faire le jeu du Front national. Je ne suis pas là pour donner des conseils à l'opposition parce que je ne suis pas sûr qu'elle m'écouterait, pourtant ils seraient sincères mes conseils : elle aurait intérêt plutôt à se reconstituer. »

Stéphane Paoli : Est-ce qu'à gauche, il n’y en a pas quelques-uns d'entre vous qui ont joué un petit jeu un peu malsain, en accusant – allez ! - la droite républicaine de vouloir négocier, comme ça, en douce, des alliances avec le Front national ?

François Hollande : « Cela aurait été un jeu malsain si aucune déclaration n'avait été faite. Mais quand, dans les régions même, vous avez J. Blanc, dans le Languedoc-Roussillon, M. Vasseur, dans le Nord-Pas-de-Calais, M. Mancel, dans la Picardie, qui disent très clairement qu'ils sont, eux, prêts à faire alliance et... »

Stéphane Paoli : Vous avez vu ce qu'ont dit les chefs de parti quand même...

François Hollande : « Chaque fois que les chefs de parti disent : très bien, nous on ne veut pas du tout d ces alliances, on a envie de leur dire de sanctionner ceux qui parlent ! Or il se trouve que M. Séguin était encore, il y a peu de temps, avec J. Blanc et il y a encore moins de temps avec P. Vasseur, dans les régions, et en leur donnant leur investiture. Je crois qu'il y a un moment où il faut avoir de la cohérence. Chaque fois - et c'est fréquent au niveau des dirigeants - que des membres éminents de la droite disent : “Pas d'alliance avec le Front national”, je ne leur cherche pas querelle parce que je trouve que là, il y a une position très claire, Mais chaque fois qu'il y a des dirigeants dans les régions qui disent : “On va s'arranger, on va faire de bonnes alliances, mais on ne le dira pas”, je m'en inquiète. Sans vouloir faire du Front national - surtout pas - l'enjeu de cette élection. Parce qu'il y a une chose qui est claire : c'est que le Front national ne pourra gagner aucune région dans ce pays ; c'est entre la gauche et la droite que ça se jouera. »

Stéphane Paoli : Puisque la question de la morale en politique revient de plus en plus souvent dans le discours, y compris, d'ailleurs, elle est revendiquée aujourd'hui par L. Jospin, quand même, est-ce que l'affaire R. Dumas vous ennuie ou pas ? D'accord pour la .présomption d'innocence, mais n'empêche, président du Conseil constitutionnel...

François Hollande : « Moi ce qui m'ennuierait, je vous le dis, c'est que la justice ne puisse pas travailler. On a trop connu d'affaires étouffées, d'affaires ralenties, d'affaires même parfois dévoyées ou classées, que je pense qu'aujourd'hui, il faut avoir une certitude quand on est citoyen, même responsable : c'est que la justice puisse travailler. Je dis : toutes les affaires, il faut aller jusqu'au bout. On parlait tout à l'heure d'Elf, eh bien qu'on enquête jusqu’au bout ; on a le droit de tout connaître, de tout savoir. Ces commissions, on veut absolument apprendre où elles sont allées, pourquoi elles sont allées là, qui les a encaissées ? C'est vrai qu'il y a un système légal de commissions, car il faut des intermédiaires dans les grands marchés, dans les grands contrats. Qu'il y ait des commissions soit, mais au moins savoir qui a touché quoi et pourquoi ? Et donc moi, je n'ai, pour l'instant, en tant que responsable politique, qu'un seul souci : que la justice travaille de façon totalement sereine et indépendante. Mais aussi la présomption d'innocence, elle fait partie de ce même principe. »