Interviews de M. Edouard Balladur, député RPR à France 3 le 14 octobre 1996, sur l'élection législative partielle de Gardanne, les mesures fiscales du budget 1997 et le rôle de la majorité pour infléchir la politique du gouvernement vers "une voie nouvelle".

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Média : France 3 - Télévision

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É. Lucet : Gardanne, s’agit-il d’une élection atypique ou bien d’un test national ?

É. Balladur : Je ne sais pas si c’est un test national. Je dirais que c’est une élection importante et significative dont il ne faut pas sous-estimer la gravité. Cela manifeste une crise morale profonde dans notre pays, puisque la majorité de ceux qui ont voté à Gardanne, qui n’étaient que 40 %, se sont tournés vers deux partis qui, à l’évidence même, ne présentent aucune solution valable et solide pour l’avenir de notre pays. Il ne faut pas sous-estimer cet événement. Je pense que la majorité doit se ressaisir, parce que ce vote est en quelque sorte un appel au fait que les partis politiques qui gouvernent et ceux qui ont vocation à gouverner ne sont pas entendus comme ils devraient l’être et ne sont pas compris comme ils devraient l’être. Nous devons tous en tirer la leçon.

É. Lucet : Le candidat de la majorité n’a pas appelé à voter pour le PC pour faire échec au FN. Est-ce choquant ou bien est-ce la bonne attitude ?

É. Balladur : Chacun doit se déterminer selon sa conscience. C’est la décision qu’ont prise les partis de la majorité. Je suis membre de la majorité. J’approuve cette décision. Je n’ai rien d’autre à dire sur ce sujet.

É. Lucet : Demain, commence la discussion sur le budget qui se caractérise notamment par une baisse fiscale. C’est une mesure importante à vos yeux, mais est-elle suffisante ? Peut-on encore corriger ce budget pour une plus grande mesure fiscale ?

É. Balladur : On peut et on doit le corriger. C’est la règle de la démocratie parlementaire. Je voudrais dire – et le vote de Gardanne en témoigne – que nous avons tous à faire un effort d’explication. On dit aux Français que la croissance va revenir. Très bien. Je l’espère bien. Mais pourquoi ? Quelles en seront les conséquences ? On dit qu’il faut l’Europe. Je le crois. Mais pourquoi ? On dit qu’il faut la monnaie européenne. Je le crois aussi. C’est utile : nous en serons tous plus prospères et, je pense, à la limite plus heureux. Pourquoi ? Il faut l’expliquer aux Français.

É. Lucet : Il n’y a pas assez d’explications de la part de la majorité, du gouvernement ?

É. Balladur : De la part de tout le monde, y compris peut-être de moi. Aujourd’hui, quel est le problème ? Le problème, c’est qu’il faut infléchir la politique actuelle dans une direction qui complète ce qu’on fait aujourd’hui. C’est ce que j’appelle la voie nouvelle. Ça veut dire d’abord davantage de baisses d’impôts. Les impôts ont beaucoup trop augmenté depuis un certain nombre d’années. Il faut impérativement les baisser. C’est possible. Le gouvernement a fait un premier pas important. Je pense qu’il faudrait aller plus loin.

É. Lucet : On parle de la TVA.

É. Balladur : Éventuellement. J’ai proposé il y a quelques mois que l’on baisse la TVA sur les automobiles, par exemple. On peut en discuter. En second lieu, il faut une politique salariale plus active. La productivité dans notre pays augmente bien davantage que les salaires. Ça pose un problème pour l’augmentation du pouvoir d’achat et la consommation. Enfin, en troisième lieu, il faut une politique monétaire plus souple – n’en déplaise à la Banque de France allais-je dire ; c’est moi qui ai fait voter son indépendance, donc je pense que j’ai le droit de le dire – qui mette un terme à la sous-évaluation du dollar. Voilà trois directions complémentaires de la direction actuelle dans lesquelles il faut aller pour rendre l’espoir aux Français. Je répète que ce qui caractérise notre pays aujourd’hui, c’est une sorte de crise morale et psychologique, sans doute excessive. Mais si elle est excessive, c’est que nous n’avons pas su expliquer ce qu’il fallait expliquer.

É. Lucet : Certains vous verraient avec bonheur réinstallé à Matignon. Si le président de la République venait à changer de Premier ministre, cette éventualité vous paraît-elle possible ou vous paraît-elle à écarter totalement ?

É. Balladur : Ce n’est pas à moi à en juger. Nous ne faisons pas de politique-fiction. Ce que je me contenterai de vous dire, c’est qu’à la place où je suis dans la majorité, je considère que mon rôle est de contribuer au débat, de faire des propositions. Si je suis entendu, je m’en réjouis. Si je ne le suis pas, j’attends de l’être. Je constate que, notamment sur la baisse des impôts, comme sur la hausse du dollar, je commence à être entendu. Pour le reste, ce qui m’importe d’abord et avant tout, c’est de dire ce que je pense et de dire la vérité. Les Français ont besoin de vérité. Ils veulent savoir exactement sur quoi ils peuvent compter. On leur dit, y compris quand j’étais Premier ministre : « Faites des efforts, il faut changer ». On leur dit ça depuis 20 ans. Ils se demandent quand les efforts vont être terminés.

É. Lucet : N’est-ce pas à vous de redonner le moral aux Français ?

É. Balladur : Ce n’est pas du tout ce que je veux dire. Les Français ont besoin de savoir où ils vont et dans quel but. Il faut qu’ils sachent que nous sommes dans un monde qui évolue très vite et que les efforts que nous devons faire, d’autres peuples les font ou les ont déjà faits. Si nous avons du retard, nous devons le rattraper. D’où la nécessité de réformes et de changements.