Déclaration de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, sur la coopération européenne en matière d'administration sur le rôle de représentants territoriaux de l'État pour l'utilisation des fonds publics et l'évaluation des programmes et sur le principe de subsidiarité, Paris le 4 juillet 1996.

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Circonstance : 3èmes journées européennes des représentants territoriaux de l'Etat-réception offerte par M. de Charette le 4 juillet 1996

Texte intégral

Monsieur le Président, merci beaucoup de ces mots d’accueil qui me touchent beaucoup. Merci à vous d’être venus nombreux et je voudrais vous dire à tous et à toutes, Monsieur le président, Messieurs les préfets, Mesdames et Messieurs les ambassadeurs et vous tous Mesdames et Messieurs, combien je suis, en effet, heureux de vous accueillir au quai d’Orsay, dans le cadre de cette troisième édition de vos journées européennes qui présentent sans nul doute un très grand intérêt pour vous, et je crois surtout pour faire avancer la science administrative et votre connaissance mutuelle des rouages administratifs des différents pays qui sont réunis dans votre organisation.

Je voudrais vous dire quelques mots, puisque vous m’y avez invité, sur un sujet important pour vous, que vous traiterez je crois demain, à savoir le thème du représentant territorial face à l’attente de l’Europe.

Comme vous le savez, nos concitoyens sont inquiets, de manière générale d’ailleurs, il faut bien le dire, et en particulier, ils regardent l’Europe avec une vision où se mêlent désormais le scepticisme et l’inquiétude. Je voudrais donc évoquer devant vous le rôle que vous-mêmes, représentants territoriaux de l’État, vous pouvez jouer, à l’égard de ce mouvement de l’intégration européenne, dans vos différents pays.

Le premier rôle qui vous revient, Mesdames et Messieurs, c’est d’être la cheville ouvrière de la politique régionale. Disparités économiques, géographiques, sociales, les régions d’Europe ne sont pas égales entre elles. II y a des régions riches, très riches, il y a des régions pauvres. Le succès de l’intégration européenne repose de toute évidence sur la solidarité que nous serons capables, ou non, de bâtir pour maintenir la cohésion sociale. La France, en prenant l’initiative de déposer un mémorandum pour un modèle social européen, a évoqué aussi cette dimension de la cohésion sociale européenne. L’effort naturellement incombe en premier lieu aux États. J’espère que votre expérience de représentants territoriaux de l’État vous fait mesurer à quel point cela relève d’abord de l’État, et donc de vous, et pas nécessairement, ou pas dans un premier temps, de l’échelon européen. Cependant il est vrai, l’Union européenne à sa part de responsabilités. Et vous savez qu’elle consacre à la politique structurelle des moyens financiers qui se sont développés de façon phénoménale. En effet ces moyens ont été de 58 milliards d’écu entre 1958 et 1988, en trente ans, et de 141 milliards d’écu dans la période 1994-1999, c’est ce qui est prévu. Dans notre pays, ce sont les préfets de région qui ont la charge de mettre en œuvre ces politiques structurelles. Un fait est à signaler, c’est que l’Union européenne passe par l’intermédiaire, par le filtre, par le contrôle des autorités de l’État, sur le plan régional. Naturellement, nos concitoyens ont quelques exigences à faire valoir quant à l’utilisation de ces fonds. D’abord, une exigence de clarté et de transparence. Cela concerne le fait que ces fonds sont bien affectés, selon les règles prévues en commun par l’Union européenne. Cela concerne l’attribution des marches publics, et cela concerne aussi tout ce qui doit être fait pour éviter le gaspillage et le détournement des fonds publics. Deuxième exigence, très importante, qui concerne l’évaluation des programmes. Étant moi-même, en tant qu’élu local, un usage très actif de ces programmes, je sais qu’il est très important d’évaluer l’efficacité de ces programmes. Nous sommes soumis collectivement à une pression très forte des élus de terrain, des États nationaux, il n’en demeure pas moins que la collectivité que constitue l’Union européenne doit avoir une politique, en vérifier la qualité, être capable de changer de voies et dans tous les cas, de vérifier le bon usage de ces fonds publics. Dans ce domaine, je suis persuadé que les États auront une très grande responsabilité car dans la période qui vient, qui sera marquée par l’élargissement de l’Union européenne, la question de l’avenir des fonds structurels va être posée brutalement. Nous allons bientôt voir que le maintien des règles actuelles aurait, dans la perspective de l’élargissement, des conséquences extraordinairement lourdes, probablement insupportables par l’Union européenne. Il faut donc nous y préparer.

Enfin, ces fonds sont distribués par les États et sont également contrôlés par les États. Je voudrais appeler votre attention sur une dimension extrêmement importante des administrations nationales vis-à-vis de l’Union européenne. Toutes les activités de contrôle qu’exige la mise en œuvre des règlements européens est à la charge des États. Il importe par conséquent que la qualité de ce connote soit inattaquable et qu’elle soit la même dans tous les États membres. À parler très franchement, je ne crois pas que ce soit le cas. Chacun sait bien qu’il y a la tentation, restons-en à l’hypothèse, la tentation que la nature, la portée, la rigueur de ces contrôles soient adaptées à la conception que les administrations nationales ont de leurs propres intérêts. Je ne mets pas du tout l’intégrité des administrations en cause, mais ce qui est en question c’est la responsabilité qui leur incombe, en quelque sorte par délégation de l’administration européenne. C’est dire si pour vous, représentants territoriaux des États de l’Union européenne, il s’agit d’une responsabilité sur laquelle je crois qu’en effet, il serait très utile, très opportun, que s’élabore une réflexion commune.

Mesdames et Messieurs, les représentants des États peuvent aussi être des pédagogues de l’Europe. Vous êtes confrontés, les uns et les autres, comme le sont les hommes politiques, à cette espèce de contradiction dans laquelle vivent nos concitoyens aujourd’hui, le besoin d’Europe, le doute et le scepticisme à l’égard de celle-ci, la demande confuse à la fois d’avoir plus d’Europe et d’avoir moins d’Europe. Il me semble que l’une des voies de solution à cette ambiguïté se trouve dans une valorisation du principe de subsidiarité dont je voudrais vous dire quelques mots.

L’Union européenne est en effet souvent le bouc émissaire de beaucoup de nos difficultés. S’il en est ainsi, c’est aussi parce qu’elle-même est en permanence tentée de s’aventurer sur des terrains qui ne sont pas les siens. Je vous l’ai dit en européen convaincu, je vous le dis en Européen qui pense, aujourd’hui plus que jamais, que l’Union européenne doit progresser vers son intégration. Mais je maintiens que nous n’avons pas su résister depuis 20 ans à une dérive naturelle, très compréhensible, mais qui est contraire à l’idée que nous nous faisons de l’Union de demain. Je pourrais vous en donner un nombre infini d’exemples. Les préfets en France sont actuellement en train de préparer des listes de zones protégées, sous le vocable d’une directive européenne qui s’appelle Natura-2000, certainement inspirée par les meilleurs sentiments, mais qui va apporter une contribution substantielle, et vous le verrez efficace, pour nourrir le sentiment anti-européen dans le monde rural français. Franchement, pourquoi faut-il que les commissaires européens se mêlent de savoir s’il faut ou non protéger nos zones agricoles ? Voilà pourquoi je voudrais que nous soyons enfin efficaces en matière de subsidiarité.

Le seul progrès que nous ayons réussi à faire, c’est d’inventer le mot ou plutôt de le ressusciter. Naturellement cela n’a pas fait avancer le sujet puisque personne ne comprend ce mot obscur. Nous l’avons introduit dans le traité de Maastricht, dans un article complètement incompréhensible, mais que de toute façon on s’est soigneusement gardé d’appliquer. D’ailleurs, quand j’explique dans cette maison faut l’appliquer, on me répond qu’il n’est pas certain que dans bien des négociations, nous n’ayons pas nous, Français, tiré parti des abus de l’administration européenne contre la subsidiarité. Il y a deux façons pour s’en sortir, la première c’est, à l’occasion de la conférence intergouvernementale, de faire la liste et le partage des matières entre ce qui relève de l’Union européenne et ce qui ne relève pas d’elle. Il y a une autre façon de faire, qui consiste à confier à la Cour de justice le soin de bien vouloir faire ce partage. Mais alors, il faudrait que la Cour de justice ne pense pas que sa fonction est d’accroître sa compétence, mais plutôt de remplir sa mission, qui consiste à défendre l’application du traité qui prévoit le principe de subsidiarité.

Je vous en parle comme cela très simplement parce que nous sommes entre nous, et ensuite, parce qu’en réalité, je l’ai dit en ces termes en recevant avec beaucoup de plaisir les membres de la Cour européenne de justice, il y a une quinzaine de jours. Je le répète, il est temps en matière de subsidiarité de passer des principes aux réalités. Vous qui êtes des très hauts fonctionnaires de nos administrations, vous pourriez utilement nous aider à résoudre ce problème qui est, je le reconnais, techniquement, juridiquement et politiquement, un problème difficile.

Voilà, Mesdames et Messieurs, quelques considérations que je voulais développer devant vous, en vous livrant mes propres pensées sur le sujet que vous allez traiter demain. Je voudrais surtout vous dire quel plaisir j’ai à vous recevoir. Je crois que la coopération entre nos différents pays doit s’organiser é tous les niveaux, à tous les stades possibles. Nos cultures administratives, nos traditions étatiques ne sont pas les mettre. Il est très intéressant, très enrichissant pour nous tous de les partager et d’essayer de cheminer ensemble vers ce qui, un jour, sera nécessairement le modèle européen d’administration.

En organisant ces rencontres, je suis persuadé que vous travaillez dans cette direction. Je suis sûr aussi que vous apportez une contribution importante à l’établissement de relations amicales et cordiales entre tous ceux qui exercent des fonctions comparables en Europe. Bref, je vous souhaite un bon séjour à Paris, beaucoup de travail utile, et j’espère quelques bons moments entre vous.